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La philosophie de la gentillesse | Emmanuel Jaffelin | TEDxParisSalon

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    Bonjour !
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    Ma grand-mère avait l'habitude de dire :
    « Gentil n'a qu'un œil. »
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    Elle ajoutait aussitôt :
    « Et moi j'en ai deux ! »
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    J'en ai longtemps conclu que la gentillesse
    ne valait pas une messe.
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    D'ailleurs, si vous vous rappelez
    « Le Père Noël est une ordure »,
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    Thierry Lhermitte disait :
    « J'veux pas dire...
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    mais Thérèse, elle est bien gentille ! »
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    Et on comprenait par là
    que la gentillesse
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    était plutôt du côté de la faiblesse morale
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    que de la force.
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    Gentillesse signifie crédulité,
    naïveté, mièvrerie,
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    vertu enfantine ou féminine,
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    mais en tout cas,
    certainement pas vertu cardinale.
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    Alors pourquoi
    je me suis intéressé à la gentillesse,
  • 0:40 - 0:42
    ça reste encore aujourd'hui un mystère.
  • 0:42 - 0:44
    Mais j'ai quand même
    effectué une conversion.
  • 0:45 - 0:47
    Je ne sais pas si vous vous rappelez,
    mais en 2009,
  • 0:47 - 0:49
    Psychologie Magazine a introduit
  • 0:49 - 0:51
    en France
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    une Journée de la Gentillesse
    qui tombe le 13 novembre,
  • 0:53 - 0:57
    qui m'est totalement passée inaperçue.
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    A l'époque, je travaillais
    sur la cordialité.
  • 0:59 - 1:01
    La notion est voisine,
    vous me l'accorderez.
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    Un ami éditeur l'avait remarqué.
  • 1:02 - 1:04
    Il m'a dit : « Tu devrais écrire
    sur la gentillesse. »
  • 1:04 - 1:07
    « Ecoute, moi vivant, jamais !
  • 1:07 - 1:09
    Je ne veux pas être estampillé
    « philosophe de la gentillesse ». »
  • 1:09 - 1:11
    Moyennant quoi,
    je suis retourné à mes études,
  • 1:11 - 1:13
    avec nonchalance,
  • 1:13 - 1:15
    et un jour,
    piqué par je ne sais quoi,
  • 1:15 - 1:17
    je suis allé voir ce que mes collègues
  • 1:17 - 1:18
    morts ou vifs,
  • 1:18 - 1:19
    avaient écrit sur la gentillesse.
  • 1:19 - 1:20
    Donc j'ai ouvert un dictionnaire.
  • 1:20 - 1:22
    A la lettre G
  • 1:22 - 1:25
    d'un dictionnaire
    de philosophie,
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    de deux dictionnaires de philosophie,
  • 1:26 - 1:29
    de tous les dictionnaires de philosophie
    que j'ai pu rencontrer à la BNF,
  • 1:29 - 1:31
    à la Bibliothèque Nationale de France,
  • 1:31 - 1:33
    je n'ai rien trouvé à « Gentillesse ».
  • 1:33 - 1:35
    Donc j'ai poursuivi mon enquête
    un peu plus loin
  • 1:35 - 1:36
    et je me suis dit :
    « Est-ce qu'il y a des livres
  • 1:36 - 1:38
    que les philosophes ont écrits
  • 1:38 - 1:39
    sur la gentillesse ? »
  • 1:39 - 1:41
    Depuis Néandertal, rien.
    Alors je me suis dit :
  • 1:41 - 1:43
    « En philosophie morale,
    peut-être qu'il y a un chapitre,
  • 1:43 - 1:45
    peut-être qu'il y a
    un passage, un paragraphe ? »
  • 1:45 - 1:47
    Et rien, c'était le néant.
  • 1:48 - 1:50
    Et là j'ai compris que
    mon dédain pour la gentillesse
  • 1:50 - 1:52
    était le fruit de ma culture,
  • 1:52 - 1:53
    de ma culture philosophique.
  • 1:53 - 1:56
    Et je me suis mis à m'intéresser
    à l'histoire de la gentillesse.
  • 1:56 - 1:59
    Là j'ai trouvé que cette histoire
    était passionnante, palpitante.
  • 1:59 - 2:02
    Et je me suis dit :
    « Maintenant que j'ai pigé pourquoi
  • 2:02 - 2:03
    la gentillesse signifiait la noblesse,
  • 2:03 - 2:05
    il fallait que je la consolide
  • 2:05 - 2:08
    et que j'en fasse une vertu,
    peut-être pas cardinale,
  • 2:08 - 2:10
    mais en tout cas une vertu
    qui s'adosse à une morale.
  • 2:10 - 2:13
    Et donc c'est ce que je vais vous narrer :
  • 2:13 - 2:15
    l'histoire de la gentillesse,
  • 2:15 - 2:16
    en 3 temps et 2 mouvements.
  • 2:16 - 2:19
    Je dirais que l'histoire
    de la gentillesse a trois racines :
  • 2:19 - 2:23
    une romaine, une chrétienne
    et une médiévale.
  • 2:24 - 2:27
    Si tous les chemins mènent à Rome,
    la gentillesse en part.
  • 2:27 - 2:30
    « Gentilis » en latin,
    ça désigne le noble,
  • 2:30 - 2:31
    celui qui est bien-né.
  • 2:31 - 2:34
    Celui qui fait partie des 100 familles
    qui fondèrent Rome.
  • 2:34 - 2:36
    D'ailleurs, on appelle la « gens »,
  • 2:36 - 2:38
    l'ensemble de ces familles,
    ce clan,
  • 2:38 - 2:39
    qui bâtit d'ailleurs la politique
  • 2:40 - 2:42
    de la monarchie
  • 2:42 - 2:43
    au début de Rome.
  • 2:43 - 2:46
    Et puis le terme « gentilis »,
    « gentiles » au pluriel,
  • 2:46 - 2:48
    va se galvauder.
  • 2:48 - 2:50
    D'abord, il désigne
    celui qui appartient à la famille,
  • 2:50 - 2:52
    y compris celui
    qui n'est pas de sang noble,
  • 2:52 - 2:53
    c'est-à-dire l'esclave.
  • 2:53 - 2:55
    Et puis, de fil en aiguille,
  • 2:55 - 2:57
    le « gentilis » va désigner
  • 2:57 - 2:59
    les nations
    qui appartiennent à l'Empire,
  • 2:59 - 3:01
    puis les nations qui sont
    extérieures à l'Empire.
  • 3:01 - 3:05
    Donc on voit bien que « gentilis »
    désigne aussi bien le noble
  • 3:05 - 3:06
    que l'ignoble.
  • 3:06 - 3:08
    Deuxième racine : la chrétienne.
  • 3:08 - 3:10
    Les Chrétiens cherchent un terme,
    comme les Juifs,
  • 3:10 - 3:12
    pour désigner ceux
    qui ne sont pas Chrétiens.
  • 3:12 - 3:15
    Les Juifs ont le leur.
    En hébreu, c'est « goy ».
  • 3:15 - 3:16
    (« goyim » au pluriel).
  • 3:16 - 3:18
    Les Chrétiens vont jeter leur dévolu
  • 3:18 - 3:20
    sur un terme qui s'est déjà galvaudé,
  • 3:20 - 3:22
    à savoir : « gentilis ».
  • 3:22 - 3:26
    Donc, le gentil,
    c'est celui qui n'est pas Chrétien.
  • 3:26 - 3:27
    Il n'est pas méchant pour autant,
  • 3:27 - 3:29
    il est juste mécréant,
    il n'a pas la bonne foi.
  • 3:29 - 3:32
    A la différence du judaïsme,
  • 3:32 - 3:34
    le gentil peut être converti.
  • 3:35 - 3:39
    Saint Paul sera baptisé
    (bien qu'il soit Juif et qu'il parle grec)
  • 3:39 - 3:41
    apôtre des gentils en latin.
  • 3:41 - 3:43
    C'est-à-dire qu'il va parcourir
    le bassin méditerranéen
  • 3:43 - 3:45
    pour convertir à la bonne foi
  • 3:45 - 3:47
    ceux qui sont dans la mauvaise foi.
  • 3:47 - 3:48
    Donc voilà pour le christianisme.
  • 3:48 - 3:51
    Saint Thomas écrit
    une somme contre les gentils.
  • 3:52 - 3:53
    Troisième racine :
    la médiévale.
  • 3:53 - 3:56
    Au Moyen-Âge,
    après les invasions,
  • 3:56 - 3:58
    le noble s'ennuie dans son château.
  • 3:58 - 4:00
    Il pratique deux vertus :
  • 4:00 - 4:02
    l'honneur et la charité.
  • 4:02 - 4:05
    Il abrite les villageois
    quand des brigands arrivent,
  • 4:05 - 4:07
    voire encore
    des peuples invasifs.
  • 4:09 - 4:11
    Il se tourne vers Rome,
  • 4:11 - 4:12
    historiquement,
    spirituellement,
  • 4:12 - 4:16
    et il se proclame lui-même
    « gentil homme », en 2 mots.
  • 4:16 - 4:18
    C'est Guillaume Budé,
    à la Renaissance,
  • 4:18 - 4:20
    qui collera les 2 mots,
    en fera un néologisme :
    le gentilhomme.
  • 4:20 - 4:23
    Donc le gentilhomme,
    c'est l'aristocrate.
  • 4:23 - 4:24
    Et ce que je trouve cocasse :
  • 4:24 - 4:27
    imaginez au XIIème siècle,
    dans une chapelle ou une église,
  • 4:27 - 4:30
    le prêtre qui parle au premier rang
    au gentilhomme et à sa famille
  • 4:30 - 4:33
    et qui parle de Saint Paul,
    l'apôtre des gentils.
  • 4:33 - 4:35
    Dans une unité de temps, de lieu et d'action,
  • 4:35 - 4:37
    vous avez deux sens du gentil,
  • 4:37 - 4:40
    qui sont réunis et structurés
    par le christianisme.
  • 4:40 - 4:42
    « Gentil », c'est à la fois « noble »
  • 4:42 - 4:45
    et « gentil »,
    c'est en même temps « ignoble ».
  • 4:45 - 4:48
    Donc voilà pour l'histoire.
    Je la trouve fabuleuse.
  • 4:48 - 4:52
    Elle se prolonge...
    Il se trouve que l'aristocratie
  • 4:52 - 4:55
    va s'avachir, va devenir courtisane.
  • 4:55 - 4:57
    A partir de la Renaissance,
  • 4:57 - 5:00
    (c'est Norbert Elias qui explique ça
    dans « La société de cour »)
  • 5:00 - 5:03
    le noble va se structurer autour du roi.
  • 5:03 - 5:05
    Et donc va flatter,
    va se regarder dans un miroir,
  • 5:05 - 5:07
    jouer à cache-cache
    dans les jardins de Versailles,
  • 5:07 - 5:09
    se mettre une perruque,
    des hauts talons,
  • 5:09 - 5:11
    et donc va devenir un tartuffe,
    un hypocrite.
  • 5:11 - 5:14
    Et la noblesse
    va finir ainsi.
  • 5:14 - 5:17
    En 1789,
  • 5:17 - 5:19
    on pend l'aristocrate à la lanterne
  • 5:19 - 5:22
    et c'en est fini de la gentillesse
    comme mode de vie social,
  • 5:22 - 5:24
    comme mode de vie raffiné,
    comme mode de vie aristocratique.
  • 5:24 - 5:26
    Mais moi j'y vois une chance :
  • 5:26 - 5:28
    pas dans la Révolution Française,
  • 5:28 - 5:31
    mais dans le fait qu'elle abolisse
    la gentillesse comme mode de vie
  • 5:31 - 5:32
    et qu'elle lui laisse une chance
  • 5:32 - 5:35
    de devenir une vertu morale
  • 5:35 - 5:37
    et une vertu républicaine.
  • 5:37 - 5:40
    C'est donc ce que j'ai essayé de théoriser
    dans un deuxième temps.
  • 5:40 - 5:42
    Alors comment j'ai défini la gentillesse ?
  • 5:42 - 5:43
    En m'inspirant de la rue.
  • 5:43 - 5:45
    Je me suis dit :
    « Au fond, c'est quoi être gentil ? »
  • 5:45 - 5:47
    Il y a bien l'idée de bienfaisance.
  • 5:47 - 5:50
    Et je me suis dit :
    « C'est pas quelque chose de très élevé.
  • 5:50 - 5:53
    On ne se sacrifie pas, on ne se cloue pas
    sur la croix quand on est gentil,
  • 5:53 - 5:55
    c'est donc rendre service. »
  • 5:55 - 5:57
    Et alors je me suis dit :
    « C'est chouette d'être gentil,
  • 5:57 - 5:58
    c'est une morale de poche.
  • 5:58 - 6:00
    C'est une morale praticable.
  • 6:00 - 6:02
    C'est une morale post-moderne.
  • 6:02 - 6:04
    C'est une morale sans culpabilité. »
  • 6:04 - 6:07
    Et j'oppose cette morale
    que j'appelle impressionniste
  • 6:07 - 6:08
    aux morales impressionnantes,
  • 6:08 - 6:11
    celles que j'enseigne,
    comme professeur de philosophie.
  • 6:11 - 6:12
    Des morales qui sont impraticables :
  • 6:12 - 6:14
    l'ataraxie des Stoïciens,
  • 6:14 - 6:16
    l'apathie des Épicuriens,
  • 6:16 - 6:19
    ou ces morales qui ont élevé
    l'humanité au dessus d'elle-même,
  • 6:19 - 6:22
    qui ont été forgées par les trois
    monothéismes,
  • 6:22 - 6:24
    et qui nous disent du matin au soir,
  • 6:24 - 6:26
    et de la naissance à la mort,
    ce qu'on doit faire.
  • 6:26 - 6:29
    Mais quand on n'y arrive pas,
    on éprouve une grande culpabilité.
  • 6:29 - 6:33
    La gentillesse, elle,
    sécrète une morale impressionniste,
  • 6:33 - 6:35
    par petites touches.
  • 6:35 - 6:37
    Et cette petite touche
    produit dans la société
  • 6:37 - 6:39
    de la bonne humeur.
  • 6:39 - 6:41
    D'ailleurs pour l'opposer
    aux morales impressionnantes,
  • 6:41 - 6:44
    je dis que c'est une morale du pouvoir
    et non pas une morale du devoir.
  • 6:44 - 6:46
    Je suis gentil quand je veux,
    quand je peux,
  • 6:46 - 6:47
    et surtout pas quand je dois.
  • 6:47 - 6:50
    Il n'y a pas de culpabilité à ne pas rendre
    le service qu'on m'a demandé.
  • 6:51 - 6:52
    Pourquoi c'est une
    morale du pouvoir aussi ?
  • 6:52 - 6:56
    Parce que, il est bon de le rappeler,
    on vit dans une société cynique.
  • 6:57 - 7:00
    Le cynique, c'est celui qui fait d'autrui
    un moyen pour le ramener à lui,
  • 7:00 - 7:03
    pour l'instrumentaliser,
    pour l'inféoder.
  • 7:05 - 7:09
    Je pense que le cynique se définit
    avant tout comme un prédateur,
  • 7:09 - 7:10
    comme quelqu'un qui prend.
  • 7:10 - 7:13
    Et je pense que celui qui prend,
    c'est quelqu'un qui manque.
  • 7:13 - 7:15
    Un cocaïnomane en état de manque,
    on sait ce que c'est.
  • 7:15 - 7:18
    Mais on se regarde moins
    dans notre société dans un tel état.
  • 7:18 - 7:20
    On va chercher à l'extérieur de nous
    ce qui nous manque.
  • 7:20 - 7:23
    C'est pour ça qu'on prend,
    dans la vie, dans l'entreprise,
  • 7:23 - 7:26
    dans la politique (je vous fais
    pas un dessin) aujourd'hui.
  • 7:26 - 7:29
    Je pense que le gentil,
    c'est celui qui donne.
  • 7:29 - 7:31
    Donc il n'est pas en état de manque,
    il est en état de plénitude,
  • 7:31 - 7:33
    il est en état de générosité
  • 7:33 - 7:35
    et donc c'est cet excès
    qu'il peut donner.
  • 7:35 - 7:37
    Voilà pourquoi c'est une morale du pouvoir
  • 7:37 - 7:40
    Je crois aussi que c'est une morale
    du pouvoir doux,
  • 7:40 - 7:42
    du soft power,
    comme disent les Américains,
  • 7:42 - 7:46
    c'est-à-dire ce pouvoir de la douceur.
  • 7:46 - 7:48
    Quand on veut ouvrir une porte,
    en général on n'y va pas avec l'épaule.
  • 7:48 - 7:51
    On regarde comment la poignée est faite
    et on pose la main dessus
  • 7:51 - 7:52
    pour la tourner dans le bon sens.
  • 7:52 - 7:54
    C'est souvent écrit « Tirez »
    et on pousse, dans les magasins,
  • 7:54 - 7:56
    mais en général, on y arrive.
  • 7:56 - 7:58
    Et je crois donc qu'il y a
    une forme d'intelligence
  • 7:58 - 7:59
    dans ce soft power.
  • 7:59 - 8:03
    C'est pour ça que je dis que
    si la gentillesse appartient à l'empathie,
  • 8:03 - 8:06
    je la distingue de deux autres formes
    voisines avec lesquelles on la confond :
  • 8:06 - 8:09
    d'abord le respect,
    que j'appelle « empathie froide »,
  • 8:09 - 8:12
    et la sollicitude,
    que j'appelle « empathie brûlante ».
  • 8:12 - 8:16
    Vous avez donc deviné vous-même que la
    gentillesse était une « empathie chaude ».
  • 8:16 - 8:19
    Le respect consiste simplement à
    se conformer à un règlement, à un droit.
  • 8:19 - 8:23
    C'est laisser une place de parking
    à un handicapé.
  • 8:23 - 8:26
    C'est pas pour autant qu'on va aller l'aider
    pour sortir son fauteuil.
  • 8:26 - 8:30
    L'empathie brûlante a été
    immortalisée à l'écran
  • 8:30 - 8:32
    par « Le fabuleux destin
    d'Amélie Poulain ».
  • 8:32 - 8:35
    C'est vouloir le bonheur des gens
    malgré eux.
  • 8:35 - 8:37
    Je trouve que cette vertu-là,
    la sollicitude,
  • 8:37 - 8:39
    elle est invasive,
    elle est intrusive.
  • 8:39 - 8:41
    Elle veut le bonheur des gens
    malgré eux
  • 8:41 - 8:44
    et comme vous le savez,
    l'enfer est pavé de bonnes intentions.
  • 8:44 - 8:45
    La gentillesse,
    c'est une forme d'intelligence
  • 8:45 - 8:47
    qui se trouve à mi-chemin entre les deux.
  • 8:47 - 8:49
    Elle n'est pas tiédasse
    pour autant.
  • 8:49 - 8:51
    Elle est chaude parce que
    c'est de l'intelligence :
  • 8:51 - 8:54
    c'est par mon humeur que
    j'entre en relation avec l'humeur d'autrui.
  • 8:54 - 8:56
    Et qu'est-ce qu'être gentil ?
  • 8:56 - 8:57
    J'en donne une définition toute simple.
  • 8:57 - 9:00
    C'est rendre service à quelqu'un
    qui nous le demande.
  • 9:00 - 9:02
    S'il ne nous le demande pas,
    il ne faut pas lui rendre service,
  • 9:02 - 9:04
    là on fait notre Amélie Poulain.
  • 9:04 - 9:06
    S'il nous le demande, en revanche,
  • 9:06 - 9:09
    il est de notre loisir de lui rendre
    ou de ne pas lui rendre.
  • 9:09 - 9:11
    Dans les deux cas, on ne sera pas méchant.
  • 9:11 - 9:14
    Mais par cette gentillesse, on s'élèvera.
  • 9:13 - 9:15
    Alors la dernière chose
    que je voudrais dire
  • 9:15 - 9:18
    pour élever cette petite morale,
  • 9:18 - 9:22
    cette petite vertu qui a été oubliée,
    qui était désuète,
  • 9:22 - 9:28
    c'est dire que la gentillesse,
    on a du mal à l'actualiser en France
  • 9:28 - 9:29
    parce qu'on a deux résistances :
  • 9:29 - 9:32
    la première nous vient
    de l'idéologie cynique,
  • 9:32 - 9:34
    qui fait de nous des prédateurs,
    donc donner n'est pas bien vu.
  • 9:34 - 9:38
    La deuxième vient de l'héritage
    de la Révolution Française
  • 9:38 - 9:40
    qui prône un égalitarisme absolu.
  • 9:40 - 9:43
    La Nuit du 4 août, chez nous,
    c'est dans les gènes,
  • 9:43 - 9:44
    c'est rentré dans l'ADN.
  • 9:44 - 9:49
    Et donc « servir » c'est quelque chose
    qui nous place en position de « serf »,
  • 9:49 - 9:51
    de « servitude »
    et ce n'est pas facile.
  • 9:51 - 9:53
    Et donc on n'aime pas servir.
  • 9:53 - 9:54
    Je prends l'exemple du garçon de café.
  • 9:54 - 9:56
    On est au moins deux philosophes
    à l'avoir fait :
  • 9:56 - 9:58
    Sartre, dans « L'Être et le Néant ».
  • 9:58 - 10:00
    Sartre y voit l'image de la liberté,
  • 10:00 - 10:04
    du « pour soi », de celui qui pourrait être
    autre chose que ce qu'il est : garçon de café.
  • 10:04 - 10:09
    Moi je dis que le garçon de café illustre
    la résistance française à la gentillesse,
  • 10:09 - 10:12
    parce que si vous avez fait l'expérience
    au café d'à côté,
  • 10:12 - 10:14
    dès que vous vous asseyez,
    c'est lui qui prend le pouvoir.
  • 10:14 - 10:17
    C'est pas qu'il est méchant,
    mais il est à l'image de tout Français :
  • 10:17 - 10:21
    il veut nous montrer que c'est l'égalité
    qui règne dans les relations humaines.
  • 10:21 - 10:25
    Et donc, être gentil,
    c'est accepter la servitude.
  • 10:25 - 10:29
    Comme le dit La Boétie, c'est faire preuve
    d'une servitude volontaire,
  • 10:29 - 10:31
    c'est mettre un genou à terre.
  • 10:31 - 10:36
    Je dis que face au « tout à l'ego »
    que notre société prône,
  • 10:36 - 10:40
    la gentillesse nous oblige
    à nous évider de nous-mêmes,
  • 10:40 - 10:41
    à nous vider de nous-mêmes.
  • 10:41 - 10:43
    J'utilise une métaphore peu élégante,
    c'est celle du plombier.
  • 10:43 - 10:48
    Mais quelque part, quand on est gentil,
    on fait une expérience existentielle
    qui est celle du siphon.
  • 10:48 - 10:52
    On se siphonne de nous-mêmes
    et ça ménage une place à autrui pour l'accueillir.
  • 10:52 - 10:55
    Voilà, en conclusion,
    je dirai trois choses :
  • 10:55 - 10:56
    « Gentil n'a qu'un œil »,
    disait ma grand-mère.
  • 10:56 - 10:58
    J'adorais ma grand-mère
    mais elle se trompait.
  • 10:58 - 11:00
    Je pense que c'est le cynique
    qui n'a qu'un oeil
  • 11:00 - 11:02
    et qui est un énorme Cyclope.
  • 11:02 - 11:04
    Je pense que le gentil a trois yeux :
  • 11:04 - 11:07
    il en a deux, plus celui du cœur,
    qui est au milieu, le troisième œil.
  • 11:07 - 11:10
    Et si la gentillesse a un mérite,
    c'est d'offrir une synthèse
  • 11:10 - 11:12
    entre les vieilles sociétés de l'honneur
  • 11:12 - 11:14
    et notre civilisation du bonheur.
  • 11:14 - 11:18
    Je vous trouve très gentils d'être venus.
    Merci.
Title:
La philosophie de la gentillesse | Emmanuel Jaffelin | TEDxParisSalon
Description:

Cette présentation a été faite lors d'un évènement TEDx local, produit indépendamment des conférences TED.

Filmé à TEDxParisSalon le 27 Novembre 2012 à la Gaité Lyrique.
Plus d'interventions sur http://tedxparis.com/

Agrégé de philosophie, Emmanuel Jaffelin est professeur de philosophie au Lycée Lakanal de Sceaux. Ancien diplomate en Amérique du Sud, Emmanuel Jaffelin prône l'émergence d'une nouvelle éthique dans son principal ouvrage, « Éloge de la gentillesse ».
Emmanuel Jaffelin y défend une éthique de « gentilhomme » enracinée dans cette « vertu mineure » qu'est la gentillesse, mais qui définirait une morale plus accessible que les standards trop exigeants de la sainteté.

Dès lors, la gentillesse aurait, selon E. Jaffelin, une efficacité particulière : « Sans faire de nous des Jésus ou des superhéros, elle a le pouvoir de nous élever un peu, de nous anoblir, en un minimum d'efforts »

De plus, de par son caractère désintéressé, la gentillesse aurait le mérite d'un point de vue éthique, d'échapper à toute instrumentalisation ou marchandisation.

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Video Language:
French
Team:
closed TED
Project:
TEDxTalks
Duration:
11:23

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