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Lettre au Pape François ! Farian Sabahi | TEDxMilano

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    Saint Père, j’ai commencé
    à t’écrire il y a deux ans,
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    par un matin de printemps bien avancé,
    dans un village des Langhe
  • 0:27 - 0:30
    avec des rues pavées qui montent
    en spirale jusqu’à la place.
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    En plus, un château
    et une église ancienne,
  • 0:33 - 0:35
    comme il y en a beaucoup dans le Piémont.
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    De la place, la vallée s’ouvre
    jusqu’à perdre haleine.
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    Au fond, les collines couvertes d'arbres,
    des châtaigniers et des noisetiers.
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    Plus bas, les vignes
    et les champs de maïs.
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    Les Langhe dans toute leur beauté !
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    Là, la splendeur du paysage
  • 0:51 - 0:55
    cohabite avec l’horreur
    qui règne dans certaines familles.
  • 0:55 - 0:57
    Comme la mienne, bourgeoise.
  • 0:57 - 0:59
    Dans l’indifférence des autres.
  • 1:01 - 1:05
    Saint Père, je m’appelle Ginevra,
    j’ai 40 ans, je viens de Turin.
  • 1:05 - 1:07
    J’y ai grandi, j’y ai fréquenté le lycée.
  • 1:07 - 1:10
    Ensuite, j’ai connu l’homme
    qui deviendrait mon mari.
  • 1:10 - 1:14
    C’était l’automne,
    il venait des Langhe, de Coni.
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    Un jeune fluet, aux belles manières.
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    Il venait de s’inscrire
    en médecine, à Turin.
  • 1:19 - 1:21
    Avenue Massimo D’Azeglio.
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    Ce jour-là, la brume du Pô
    montait jusque dans le parc.
  • 1:24 - 1:28
    L’air nous enivrait, nous nous regardions
    et nous étions heureux.
  • 1:28 - 1:31
    Un rêve qui est resté dans le sang.
  • 1:32 - 1:34
    Il a eu son diplôme et s'est spécialisé.
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    Un mariage somptueux.
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    Je suis allée vivre dans son village.
  • 1:40 - 1:43
    Un premier enfant, Matteo («don de Dieu»).
  • 1:43 - 1:45
    Ensuite, Pietro et Luca, les jumeaux.
  • 1:45 - 1:48
    Pietro est la pierre sur laquelle
    Jésus bâtit son église.
  • 1:48 - 1:51
    Luca en est la lumière,
    celui que la Sainte Vierge préfère.
  • 1:52 - 1:54
    Saint Luc est le patron des médecins.
  • 1:54 - 2:00
    Francesca me ressemble : les yeux verts,
    les boucles blondes et le regard fuyant.
  • 2:00 - 2:02
    Ils sont beaux, mes enfants !
  • 2:02 - 2:04
    Ils ont ce teint clair
    des gens de campagne.
  • 2:04 - 2:07
    Aux pieds des Langhe, à la confluence
    de deux cours d’eau,
  • 2:07 - 2:10
    300 mètres au-dessus du niveau de la mer.
  • 2:10 - 2:14
    Autrefois, une étape
    pour les voyageurs et les pèlerins
  • 2:14 - 2:18
    sur la voie antique du sel
    qui reliait Albenga à Albe.
  • 2:18 - 2:21
    On vit dans une grande
    maison de campagne.
  • 2:21 - 2:24
    Mes enfants jouent pieds nus
    dans l’herbe, et sautent de joie.
  • 2:24 - 2:26
    La nuit, les grillons chantent.
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    Andrea est l’héritier d’une famille riche,
  • 2:28 - 2:32
    propriétaire d’un immeuble en ville
    et d’une belle villa à la mer, à Sanremo.
  • 2:32 - 2:36
    Sa famille est bien connue
    dans notre bourgade :
  • 2:36 - 2:38
    ils font beaucoup de dons à l’Église
  • 2:38 - 2:40
    et le dimanche Andrea
    va toujours à la messe,
  • 2:40 - 2:44
    au premier rang, sur le banc en bois
    où est écrit le nom de la famille.
  • 2:44 - 2:48
    Jeune, il a pris le temps de voyager.
  • 2:48 - 2:50
    Mais au lieu d’épouser une fille du pays,
  • 2:50 - 2:53
    une jeune fille habituée
    à la vie à la campagne,
  • 2:53 - 2:55
    c’est moi qu’il a choisie.
  • 2:55 - 2:58
    Turinoise, étrangère
    dans ce village, près de Coni.
  • 2:58 - 3:02
    Mince et blonde, comme d'autres filles
    qu’il avait rencontrées dans le monde.
  • 3:04 - 3:08
    Malheureusement, notre belle
    histoire d'amour s’arrête là :
  • 3:08 - 3:10
    Andrea n’a pas les vertues
    morales du roi Arthur.
  • 3:10 - 3:13
    Dès qu'il est retourné
    au village, il a changé.
  • 3:14 - 3:18
    Peut-être est-ce la culture paysanne,
    machiste ; ou aussi ses amis au bar.
  • 3:18 - 3:22
    Pour eux, les femmes ne comptent pas,
    elles ne servent qu'à les servir.
  • 3:23 - 3:24
    En tout cas, Andrea est devenu violent.
  • 3:24 - 3:28
    Il me frappe depuis douze ans
    et maintenant il frappe les enfants aussi.
  • 3:29 - 3:32
    Et pas un seul noble chevalier
    aux alentours pour nous sauver.
  • 3:32 - 3:37
    Notre ménage n’a rien à partager
    avec certaines banlieues.
  • 3:37 - 3:41
    Tout au contraire, Andrea est
    médecin-chef et gagne bien sa vie.
  • 3:41 - 3:44
    Il n’est pas généreux avec moi :
    peu d’argent à la fois.
  • 3:44 - 3:47
    Le soir, il exige les tickets des courses.
  • 3:47 - 3:49
    Il va chez le boucher
    à la fin de chaque mois.
  • 3:49 - 3:52
    Mais, en fin de compte,
    l’argent ne manque pas.
  • 3:54 - 3:56
    L’autre nuit Andrea
    m’a frappée à coups de pieds,
  • 3:56 - 3:59
    je hurlais : j'étais trop fatiguée,
    et je n’ai pas supporté la douleur.
  • 3:59 - 4:01
    Ma fille s’est réveillée en sursaut.
  • 4:01 - 4:03
    Elle s'est glissée les escaliers
  • 4:03 - 4:05
    et m'a vu par terre
    pendant qu'il me battait.
  • 4:05 - 4:07
    Le lendemain, à l’école,
    elle a éclaté en sanglots.
  • 4:07 - 4:10
    La maîtresse l'a prise dans ses bras
    et lui a demandé de s'ouvrir.
  • 4:10 - 4:13
    Elle connaît Andrea depuis toujours,
    et elle était étonnée.
  • 4:13 - 4:16
    Elle n’aurait jamais imaginé
    qu’il pouvait être violent.
  • 4:16 - 4:19
    Mais les enfants
    ne racontent pas de mensonges.
  • 4:19 - 4:22
    La maîtresse m’a convoquée et m’a dit
    qu’elle se chargerait de lui en parler.
  • 4:22 - 4:24
    Je l’ai suppliée de ne pas le faire.
  • 4:24 - 4:26
    Il est capable de nous tuer,
    moi et ma fille.
  • 4:28 - 4:31
    À présent, je n’ai pas
    le cœur à me révolter.
  • 4:31 - 4:33
    je n’ai pas le cœur
    à quitter cette belle maison
  • 4:33 - 4:37
    pour aller vivre, avec mes quatre enfants,
    dans un petit appartement.
  • 4:37 - 4:40
    Et puis mon mari est catholique,
    il est contre la séparation.
  • 4:40 - 4:43
    Mes parents aussi
    sont catholiques, pratiquants.
  • 4:43 - 4:46
    Ils habitent en ville
    et je ne les vois pas souvent.
  • 4:46 - 4:48
    Ma mère entend qu’il y a des problemes,
  • 4:48 - 4:50
    mais je ne veux pas lui faire de la peine.
  • 4:50 - 4:54
    Je sais déjà qu’une fille divorcée,
    elle n’aimerait pas ça.
  • 4:55 - 4:58
    En fait, je ne veux pas quitter Andrea
    et aller à la gendarmerie,
  • 4:58 - 5:02
    comme me conseille une camarade du lycée,
    la seule que je vois de temps en temps.
  • 5:02 - 5:04
    Ce serait comme le trahir.
  • 5:05 - 5:08
    Peut-être que je me trompe :
    tout me semble très bizarre.
  • 5:08 - 5:11
    Quand je l’ai connu, Andrea était gentil.
    Il l’est encore, aujourd’hui.
  • 5:11 - 5:16
    Il me roue de coups, puis il m’embrasse
    et dit qu’il m’aime. Cela arrive souvent.
  • 5:16 - 5:18
    Si je saigne, c’est lui
    qui me soigne, bien sur.
  • 5:18 - 5:21
    Il ne veut pas aller aux urgences :
    là, tout le monde le connaît.
  • 5:23 - 5:26
    Bien souvent, la famille,
    loin d’être le reflet de l’amour,
  • 5:26 - 5:28
    devient un lieu de cruauté ordinaire.
  • 5:29 - 5:33
    L’autre jour, je suis rentrée chez moi
    et j'ai dû affronter la mère d’Andrea.
  • 5:33 - 5:36
    Quand elle était jeune,
    elle giflait son mari et ses enfants.
  • 5:36 - 5:39
    Chez elle, elle ne parle pas l’italien,
    elle utilise le dialecte.
  • 5:39 - 5:42
    Et il y a quelques soirs,
    dans ce dialecte rude,
  • 5:42 - 5:44
    elle a incité Andrea à me frapper.
  • 5:44 - 5:47
    Plus tard, ce fut elle
    qui me mit à la porte.
  • 5:47 - 5:49
    Mes enfants regardaient, abasourdis.
  • 5:50 - 5:53
    Peut-être parce qu’ici bœufs et hommes
    sont une seule et même race :
  • 5:53 - 5:56
    moi je viens d’une famille bien rangée,
    bourgeoise de Turin.
  • 5:57 - 6:00
    Elle aurait préféré une fille du pays.
  • 6:00 - 6:02
    De celles qui restent à la maison
    et ne disent rien.
  • 6:05 - 6:06
    Dimanche, je suis allée me confesser.
  • 6:06 - 6:09
    Don Paolo me dit d'être patiente,
    supporter la situation.
  • 6:09 - 6:12
    Dieu, a dit Jésus, accorde sa préférence
  • 6:12 - 6:14
    aux personnes marquées
    par les pires douleurs.
  • 6:14 - 6:16
    Je ne dois pas me plaindre.
  • 6:16 - 6:18
    La famille est sacrée,
    elle ne peut pas être démembrée.
  • 6:19 - 6:21
    Certes, il est difficile de rester unis
  • 6:21 - 6:24
    si on ne se respecte pas
    les uns les autres.
  • 6:24 - 6:26
    Mais cela n’est simplement
    une manque de respect.
  • 6:26 - 6:29
    Il y a la violence, qui annule l’amour.
  • 6:29 - 6:32
    Après m’avoir frappée,
    Andrea va se confesser,
  • 6:32 - 6:35
    il se repent et le prêtre
    lui accorde le pardon.
  • 6:35 - 6:37
    Puis, il recommence, se remet à me battre
  • 6:37 - 6:40
    et Don Paolo, à nouveau,
    lui accorde le pardon.
  • 6:40 - 6:42
    C’est un curé de campagne,
  • 6:42 - 6:45
    ma belle-mère lui apporte
    des poulets et des lapins.
  • 6:45 - 6:46
    C'est la tradition.
  • 6:47 - 6:49
    Andrea signifie homme.
  • 6:50 - 6:52
    Très Saint Père, lors de votre
    première messe comme Pape,
  • 6:52 - 6:54
    vous avez dit que tout homme
  • 6:54 - 6:56
    doit être son propre gardien
    et celui de ses proches.
  • 6:57 - 6:59
    Andrea vous regardait à la télé.
  • 6:59 - 7:00
    Puis, le moindre prétexte a suffi
  • 7:00 - 7:03
    pour qu’il me batte à nouveau,
    devant les enfants.
  • 7:03 - 7:06
    C’est une chose normale
    pour moi aussi, maintenant.
  • 7:06 - 7:10
    Je demeure silencieuse,
    fixant mon homme, bouleversée.
  • 7:10 - 7:13
    Je lui ai donné quatre enfants, mais ici
    les femmes n'ont changé pas de rôle :
  • 7:13 - 7:16
    elles font des enfants
    et ne comptent pour rien.
  • 7:16 - 7:17
    Je suis couverte de bleus
  • 7:17 - 7:20
    et je masque la blessure à la mâchoire
    avec un peu de fard.
  • 7:20 - 7:22
    Je dois faire quelque chose
    pour mes enfants.
  • 7:22 - 7:25
    L’aîné s’est mis, lui aussi,
    à frapper les autres.
  • 7:25 - 7:29
    Saint Père, je vous ai écouté à la radio
    parler des premiers femmes croyantes
  • 7:29 - 7:31
    Je voudrais vous demander de m’aider.
  • 7:31 - 7:34
    Une seule parole de votre part
    pourrait terminer cette violence.
  • 7:34 - 7:38
    Une violence déguisée en amour,
    ai-je entendu dire.
  • 7:38 - 7:39
    Mais peut-être ce serait inutile :
  • 7:39 - 7:43
    que peut-on dire de différent
    de ce qui a déjà été dit ?
  • 7:43 - 7:46
    À moins que vous, Saint Père,
    ne décidiez de parler aux prêtres,
  • 7:46 - 7:50
    ceux comme Don Paolo, pour
    qu’ils n’accordent pas aussi légèrement
  • 7:50 - 7:52
    le pardon aux hommes comme mon mari.
  • 7:53 - 7:57
    Que l’Église absolvent là où elle comprend
    que le repentir est profond et sincère.
  • 7:58 - 8:03
    En effet, un repentir seulement formel
    sert à revenir aux sacrements,
  • 8:03 - 8:05
    mais aussi à la violence habituelle.
  • 8:05 - 8:09
    Il faut montrer que l’on se repent,
    que l’on cherche à se corriger.
  • 8:09 - 8:11
    Face à la simulation du repentir,
  • 8:11 - 8:15
    le prêtre ne peut – et ne doit pas –
    donner l’absolution.
  • 8:19 - 8:21
    Deux ans après, 18 Avril 2015
  • 8:22 - 8:24
    Saint Père, je t’ai déjà écrit
    il y a deux ans :
  • 8:24 - 8:26
    tu venais de monter
    sur le trône pontifical,
  • 8:26 - 8:28
    ce n’était pas le bon moment.
  • 8:28 - 8:30
    Tu le sais déjà, je suis Ginevra,
  • 8:30 - 8:33
    piémontaise comme ton grand-père Giovanni
    et son père Francesco.
  • 8:33 - 8:35
    Je vis à Turin : belle, historique.
  • 8:35 - 8:38
    Quand le soir devient étoile,
    un grand chœur de personnes !
  • 8:38 - 8:40
    Turin signifie Naples
    qui va à la montagne.
  • 8:40 - 8:44
    Turin, rues rectilignes,
    c’est l’autre visage de Rome même.
  • 8:44 - 8:48
    Turin, ville atteinte de mélancolie :
    c’est comme cela que Venditti la chante.
  • 8:49 - 8:51
    On habite au Corso Francia,
  • 8:51 - 8:54
    toute une ligne droite
    qui part de piazza Statuto, Porte Susa,
  • 8:54 - 8:56
    et conduit en France, à Chambéry.
  • 8:56 - 9:01
    C’est Victor-Amédée II de Savoie qui,
    en 1711, en avait voulu la construction.
  • 9:01 - 9:05
    Elle reliait le Palais Royal
    à la résidence de Rivoli.
  • 9:05 - 9:08
    Pendant la Seconde Guerre Mondiale,
  • 9:08 - 9:10
    quand l’Italie entre
    en guerre contre la France,
  • 9:10 - 9:14
    les autorités de la ville changent le nom
    en cours Gabriele d’Annunzio.
  • 9:14 - 9:17
    Après la guerre, ce cours
    est redevenu Corso Francia.
  • 9:17 - 9:21
    Aujourd’hui, sous ce cours passe
    une ligne de métro : neuf stations !
  • 9:21 - 9:23
    À l’entrée du cours Francia,
  • 9:23 - 9:27
    il y a beauscoup de belles villas
    style Liberty, début vingtième.
  • 9:28 - 9:31
    Nous, nous habitons un peu plus loin,
    vers Rivoli. La banlieue de Turin.
  • 9:32 - 9:34
    Dans mon immeuble vivent
    des employés de bureaux,
  • 9:34 - 9:37
    qui courent au travail très tôt le matin.
  • 9:37 - 9:40
    L’appartement où je vis,
    ce n’est pas chez moi.
  • 9:40 - 9:43
    C’est le lieu où j’ai grandi,
    l’appartement de mes parents.
  • 9:43 - 9:47
    Ils sont vieux, ils m’ont laissé
    leur appartement meublé
  • 9:47 - 9:49
    et ont déménagé à la campagne.
  • 9:51 - 9:54
    Laisse-moi te raconter
    comment j’ai trouvé le courage
  • 9:54 - 9:56
    d’aller à la gendarmerie
    et dénoncer Andrea.
  • 9:56 - 9:58
    Tout d'abord, j'ai résisté :
  • 9:58 - 9:59
    Francesca était en CM1
  • 9:59 - 10:02
    quand il m’a frappée
    avec les pieds sur le tapis.
  • 10:02 - 10:04
    Le lendemain, elle a tout raconté
    à sa maîtresse.
  • 10:04 - 10:08
    Inquiète, celle-ci voulait aller
    voir Andrea et lui parler.
  • 10:08 - 10:12
    Ce n’était pas bien que ma fille
    aille raconter ce genre de choses partout.
  • 10:12 - 10:13
    Je l’ai suppliée de ne rien dire :
  • 10:13 - 10:16
    Il nous aurait frappées à mort,
    elle et moi.
  • 10:16 - 10:19
    J’avais pris ma décision,
  • 10:19 - 10:21
    pour Francesca, aujourd’hui en sixième.
  • 10:23 - 10:26
    J'ai parlé avec la maîtresse,
    avec la gendarmerie
  • 10:26 - 10:28
    et enfin aux urgences,
    où ils ont vu les bleus.
  • 10:28 - 10:32
    Cela n’était pas la pire fois :
    j’avais déjà été frappée bien pis !
  • 10:32 - 10:34
    Mais cela a suffi pour la plainte.
  • 10:34 - 10:37
    Quelques semaines après,
    j'ai contacté des avocats, à Turin.
  • 10:37 - 10:39
    J’ai fait appel à un avocat
    pour le procès pénal,
  • 10:39 - 10:42
    et à un autre pour l’aspect civil.
  • 10:42 - 10:46
    Pas d'aide juridictionnelle.
    Je voulais une personne de confiance.
  • 10:46 - 10:49
    J’ai dépensé tout ce que j’avais
    dans les honoraires d’avocat.
  • 10:49 - 10:50
    Un sacrifice énorme.
  • 10:51 - 10:55
    Aujourd’hui, Andrea me donne
    500 euros par mois par enfant.
  • 10:55 - 10:58
    Il aurait dû me donner davantage,
    riche comme il est.
  • 10:58 - 11:00
    Mais les propriétés
    sont au nom de sa mère.
  • 11:01 - 11:05
    Ça lui est égal si ses enfants
    n’ont plus les mêmes opportunités,
  • 11:05 - 11:09
    et je fais des sacrifices pour payer
    les cours d’anglais et de violon.
  • 11:09 - 11:12
    Les enfants ont changé de niveau de vie.
  • 11:12 - 11:15
    Ils renoncent à beaucoup de choses,
    ils fréquentent l’école publique.
  • 11:15 - 11:18
    Pourtant, ils ne se plaignent pas,
  • 11:18 - 11:21
    ils n’ont jamais demandé
    de retourner chez leur père.
  • 11:22 - 11:25
    Ils ne regrettent pas
    la vieille maison de campagne
  • 11:25 - 11:28
    avec les plafonds voûtés
    décorés de fresques,
  • 11:28 - 11:31
    la terrasse, les belles arcades.
  • 11:32 - 11:36
    Je travaille à mi-temps,
    secrétaire dans un musée à 900 € par mois.
  • 11:36 - 11:37
    J’ai beaucoup de frais,
  • 11:37 - 11:40
    même si mes parents ne demandent
    que 500 € de loyer, une somme symbolique.
  • 11:40 - 11:43
    Ils sont profs en retraite,
    avec des problèmes de santé.
  • 11:43 - 11:47
    Ils s’en sortent mais je ne peux pas
    leur en demander davantage :
  • 11:47 - 11:51
    ils font déjà beaucoup, et en tout cas
    ils n’ont pas beaucoup d'argent.
  • 11:51 - 11:54
    Ils sont très réligieux,
    et après bien des réserves,
  • 11:54 - 11:55
    ils ont fini par accepter
  • 11:55 - 11:58
    que j’aie quitté mon mari
    et demandé la séparation.
  • 11:58 - 12:03
    Et il y a deux ans, ils me disaient
    d’être patiente, de tendre l’autre joue.
  • 12:03 - 12:08
    Mes frères, par contre,
    n’ont pas vraiment accepté ma choix.
  • 12:08 - 12:11
    Ils vivent hors de Turin,
    et je les vois rarement.
  • 12:11 - 12:14
    Saint Père, je vais bientôt conclure,
  • 12:14 - 12:18
    mais laisse-moi te raconter
    les réactions d’Andrea et de sa famille.
  • 12:18 - 12:21
    Quand je l’ai quitté, il l’a mal pris.
  • 12:21 - 12:24
    Aujourd’hui, il joue
    le grand seigneur blessé
  • 12:24 - 12:27
    et dans sa narration,
    c’est moi qui passe pour folle.
  • 12:27 - 12:29
    Jusqu'au vendredi,
    il est aux services des urgences.
  • 12:29 - 12:32
    Le samedi, bénévole à la Croix Verte
  • 12:32 - 12:34
    et, quelques fois,
    auprès de personnes âgées.
  • 12:34 - 12:36
    Le dimanche, toujours à l’église.
  • 12:36 - 12:40
    Moi, je suis celle qui a tout inventé.
  • 12:40 - 12:41
    Il a porté plainte contre moi.
  • 12:41 - 12:44
    Au tribunal, cinq dossiers
    attendent d’être traités.
  • 12:45 - 12:49
    Ma belle-mère a eu la pire réaction :
    une bête blessée dans son orgueil.
  • 12:49 - 12:51
    Elle pensait que l’omerta
    aurait tout protégé.
  • 12:51 - 12:55
    Pour elle, je suis une sorcière
    à enfermer dans une maison de fous.
  • 12:55 - 12:57
    Elle ne comprend pas
    comment j’ai pu relever la tête,
  • 12:57 - 13:00
    renoncer à ma vie
    de bourgeoise de campagne
  • 13:00 - 13:04
    pour vivre dans un appartement
    de banlieue, non restauré.
  • 13:04 - 13:07
    Je n’ai donné qu'une couche de blanc,
    elle a gardé toute le reste.
  • 13:07 - 13:11
    Quelques robes et pas de bijoux,
    Andrea ne m’en a jamais offert.
  • 13:12 - 13:13
    Le collier de perles ?
  • 13:13 - 13:17
    Un cadeau de maman pour mes 18 ans,
    c’est la tradition en Piémont.
  • 13:18 - 13:21
    Je ne suis pas retournée
    au village : c’est son territoire.
  • 13:21 - 13:25
    Entrer là, et prendre
    mes affaires, ça m'est interdit.
  • 13:25 - 13:28
    Je suis partie sans préavis
    en juin, il y a deux ans.
  • 13:28 - 13:30
    L’année scolaire allait se terminer.
  • 13:30 - 13:33
    J'ai pu seulement retirer
    les bulletins à l'école.
  • 13:33 - 13:35
    Un soir qu'il était de garde, à l’hôpital,
  • 13:35 - 13:38
    j’ai pris les enfants
    et on est allés à Turin,
  • 13:38 - 13:40
    80 kilomètres dans la vieille voiture
  • 13:40 - 13:45
    qu'Andrea se ferait restituer
    quelques mois après, grâce aux avocats.
  • 13:45 - 13:49
    Au village, nous n’avons laissé
    aucun ami, ni moi ni mes enfants.
  • 13:49 - 13:53
    Ils étaient isolés, leur père
    ne voulait personne chez lui.
  • 13:53 - 13:58
    Ça a été dur, mais j’y suis arrivée.
    Nous y sommes arrivés.
  • 13:59 - 14:00
    Saint Père, je ne te demande rien.
  • 14:00 - 14:03
    je voulais simplement
    raconter les événements.
  • 14:04 - 14:07
    Je vais encore à l'église,
    chaque dimanche, avec mes enfants.
  • 14:07 - 14:11
    Ils étaient habitués
    à cette belle église ancienne.
  • 14:11 - 14:14
    Après la messe, les cloches
    sonnaient joyeusement à l’unisson,
  • 14:14 - 14:17
    nous sortions sur la place,
    et le regard s’ouvrait sur les Langhe.
  • 14:17 - 14:21
    Aujourd’hui, nous allons dans la paroisse
    du quartier, au Cours Francia.
  • 14:22 - 14:25
    Ce n’est pas la même chose,
    mais c’est bien comme ça.
  • 14:26 - 14:28
    J’ai parlé de toute cette histoire
  • 14:28 - 14:32
    avec un prêtre rencontré par hasard,
    un jour dans le train,
  • 14:32 - 14:34
    qui m'a marqué.
  • 14:34 - 14:35
    Il s’appelait Père Carlo Caroglio
  • 14:35 - 14:38
    et il disait qu’il faut
    se rebeller contre les violences.
  • 14:38 - 14:40
    C’était un prêtre de ville, moderne.
  • 14:40 - 14:44
    Il était originaire d’Alexandrie,
    et il avait vécu longtemps à Novare.
  • 14:44 - 14:48
    Avant de devenir prêtre,
    il avait étudié la chimie, comme toi.
  • 14:50 - 14:52
    Don Carlo n'était pas
    comment le curé du village
  • 14:52 - 14:55
    qui encore, aujourd’hui, dit à Andrea :
  • 14:55 - 14:58
    « Tu ne dois pas te sentir coupable
    si ta femme t’a quitté.
  • 14:58 - 15:01
    Si une femme t’abandonne,
    c’est parce qu’elle ne t’aime pas.
  • 15:01 - 15:04
    C’est elle qui doit avoir honte,
    elle n’est pas digne de toi » .
  • 15:06 - 15:08
    Andrea me rouait de coups,
  • 15:08 - 15:09
    puis il allait voir le prêtre,
  • 15:09 - 15:11
    il disait qu’il se repentait
  • 15:11 - 15:13
    et le curé l’absolvait.
  • 15:13 - 15:17
    C’est pour cela qu’Andrea
    pense être du côté du bien.
  • 15:17 - 15:20
    Je n’ai rien d’autre à ajouter,
    je n’en ai plus le temps.
  • 15:20 - 15:23
    Je m’en remets à ta bonté
    et à ta compréhension.
  • 15:24 - 15:26
    Je voudrais seulement te dire une chose :
  • 15:27 - 15:31
    fais en sorte que les prêtres
    n’absolvent pas - toujours et partout –
  • 15:32 - 15:34
    les hommes violents.
  • 15:34 - 15:37
    Mes sentiments les plus sincères, Ginevra.
  • 15:38 - 15:42
    (Applaudissements)
Title:
Lettre au Pape François ! Farian Sabahi | TEDxMilano
Description:

Cette présentation a été faite lors d'un évènement TEDx local, produit indépendamment des conférences TED.

Pour en savoir plus, visitez http://ted.com /tedx

Dans une lettre au Pape, Farian raconte comment son mari violent l'a battue régulièrement, avec l'assentiment de tous, y compris du prêtre du village, avant de trouver le courage de le quitter, quitte à tout perdre, pour protéger ses enfants. Elle demande au pape de faire changer le regard des prêtres sur les violences conjugales. Farian Sabahi est une écrivaine, une journaliste, une professeure universitaire et une experte de Moyen-Orient. Elle enseigne "Histoire des Pays Islamiques" à l'Université de Turin, et a aussi enseigné à l'Université de Genève et à l'Université Bocconi de Milan.
Farian a écrit, parmi d'autres livres, "Histoire de l'Iran", "Islam : l'identité inquiète d'Europe", "Nous, les femmes de Téhéran."

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Video Language:
Italian
Team:
closed TED
Project:
TEDxTalks
Duration:
15:47

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