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Matrone des temps modernes | Martha Diomandé | TEDxRennes

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    Bonsoir à tous.
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    Je suis Martha Diomandé,
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    artiste chorégraphe,
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    fille et petite-fille de matrone.
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    Matrone, dans un premier temps,
    c'est des accoucheuses traditionnelles.
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    Et un peu plus loin,
    ce sont des exciseuses.
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    Les matrones, c'est des femmes
    qui sont importantes dans la société.
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    C'est des femmes à qui on confie
    nos enfants pour acquérir une sagesse.
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    C'est ce que nous savons des matrones
    dans la culture africaine.
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    J'ai été excisée à l'âge de 7ans
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    parce que simplement
    je portais le nom d'une matrone,
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    ma grand-mère.
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    Pour vous dire un peu
    la voyance des matrones,
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    quand j'avais 7 ans,
    ma grand-mère avait prédit
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    que j'allais partir de la Côte d'Ivoire
    à l'âge de 15 ans,
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    puisque c'est à l'âge de 15 ans
    que l'excision se pratique chez nous.
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    Et elle avait vu juste :
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    à 15 ans j'étais déjà dans l'avion
    et j'étais en tant que danseuse en France.
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    Donc pour vous parler de mon excision...
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    L'excision, c'est quoi ?
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    L'excision, pour être vulgaire,
    c'est l'ablation du clitoris.
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    Maintenant dans ma culture,
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    l'excision, ça peut être vu
    comme un passage à l'âge adulte.
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    L'excision, c'est aussi une grosse fête
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    où famille, enfants, oncles, tout le monde
    veut faire plaisir à la petite fille.
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    L'excision dans ma culture,
    il y a des femmes ou des filles
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    qui l'attendent comme un jour de Noël.
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    Et l'excision, c'est aussi cette douleur
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    que nous avons tous en commun,
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    quelles que soient les raisons
    pour lesquelles on la pratique.
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    Cette douleur atroce,
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    cette incompréhension,
    avec tout cet engouement autour de toi
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    où tu te sens comme une princesse,
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    où on te fait plein de cadeaux,
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    cette douleur que tu reçois
    le jour où l'excision est pratiquée...
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    Cette douleur qu'on ne peut pas expliquer,
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    où tu as l'impression
    de tuer tout le monde,
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    où tu te sens trahie quelques secondes.
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    Et après cette douleur,
    quel que soit le lieu où ça a été fait,
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    quand tu regardes le visage de ces femmes
    qui sont autour de toi,
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    qui viennent de te faire si mal,
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    tu sens en elles
    qu'elles ont autant pleuré que toi
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    parce que pour elles, dans l'ignorance,
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    elles pensent que tu dois
    devenir comme elles.
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    Et elles sont soulagées
    que tu n'y sois pas restée.
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    Donc quelque part, l'excision
    pour vous l'expliquer aujourd'hui,
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    je vais vous dire tout simplement que
    c'est de la douleur,
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    c'est un acte de bravoure,
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    parce que quand tu lis dans leurs yeux,
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    c'est comme si tu devenais comme elles,
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    comme si tu appartenais
    à une tribu de femmes.
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    Ce qui est important dans une société.
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    J'en passe...
    Ça, c'est quand j'avais 7 ans.
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    J'arrive en France,
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    en tant que artiste chorégraphe donc,
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    et je monte une association.
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    Mon objectif n'était pas d'abord
    de lutter contre l'excision.
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    Ce que je vous explique,
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    c'est que la lutte
    n'était pas mon objectif premier.
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    C'était déjà de me faire connaître
    en tant que danseuse.
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    Ce que j'ai fait.
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    Je me suis fait connaitre à Rennes.
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    Et un jour, il y avait une conférence :
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    je suis allée à la mairie,
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    il y avait une conférence
    sur l'excision.
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    Quelque part,
    ça m'a interpelée,
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    parce que être fille
    et petite-fille de matrone,
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    quelque part, quand tu entends excision,
    ça te parle.
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    Et là moi je vais tout simplement
    à cette conférence, comme tout le monde.
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    Et là, j'arrive à la conférence...
  • 3:53 - 3:56
    Je pense que c'est là que tout a basculé.
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    J'arrive à cette conférence.
    J'écoute,
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    et tous les mots que j'entends,
    franchement, je ne les reconnais pas.
  • 4:03 - 4:07
    Je ne reconnais pas l'excision
    que j'avais dans ma tête,
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    cette définition de l'excision,
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    parce que c'était considéré
    comme un crime.
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    Dans la salle,
    il y avait des sujets comme...
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    Ces femmes qui font ça à leurs enfants,
    c'est des sauvages.
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    Pour moi, je me suis sentie blessée,
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    je me suis sentie humiliée,
    je me suis sentie sale à cette conférence
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    parce que ma mère qui m'a excisée à 7 ans
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    n'était pas une criminelle.
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    Ni ma grand-mère.
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    Ni ce que j'avais vu
    dans le visage de ces femmes.
  • 4:40 - 4:45
    Mais je reste patiente pour pouvoir
    poser des questions à la dame,
  • 4:45 - 4:47
    lui demander pourquoi
    elle a tenu de tels propos.
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    Je reste, et plus tard,
    je vois que j'ai eu raison,
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    parce que dans cette même conférence,
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    elle a dit des choses
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    qui ont fait que je me suis retrouvée
    en tant que femme
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    dans les accouchements difficiles,
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    les rapports non désirés,
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    les douleurs que nous avons.
  • 5:10 - 5:13
    Donc je suis sortie
    de cette conférence mitigée.
  • 5:13 - 5:20
    Voilà en quoi l'Europe m'a permis
    d'avancer dans quelque chose.
  • 5:20 - 5:25
    Je suis sortie révoltée, et en même temps,
    avec une prise de conscience.
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    Donc, ce n'était pas si mauvais.
  • 5:27 - 5:30
    Maintenant je me dis
    qu'il faut faire quelque chose.
  • 5:31 - 5:34
    Si tous les mots dans lesquels
    tu te retrouves aujourd'hui,
  • 5:34 - 5:38
    ça veut dire que dans ta communauté,
    il y a beaucoup de femmes
  • 5:38 - 5:41
    qui sont comme toi,
    mais qui n'ont pas cette possibilité
  • 5:41 - 5:44
    de se retrouver en Europe
    ou d'assister à une conférence.
  • 5:44 - 5:47
    Et vu comment cette conférence a démarré,
  • 5:49 - 5:50
    son côté brutal,
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    je ne pense pas qu'une femme de ma région
    serait restée jusqu'à la fin.
  • 5:54 - 5:56
    Donc, il faut lutter autrement,
  • 5:56 - 5:59
    parce que, quand on parle des traditions,
  • 5:59 - 6:02
    il y a une frustration qui fait
    qu'on ferme les oreilles,
  • 6:02 - 6:04
    on n'a plus envie d'aller plus loin.
  • 6:04 - 6:07
    Et je pense que l'ouverture
    que l'Europe m'a donnée,
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    c'est ce qui a fait que,
    malgré ma frustration,
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    j'ai pu rester sur place jusqu'à la fin.
  • 6:12 - 6:13
    Donc lutter autrement.
  • 6:13 - 6:14
    Comment ?
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    Là, je me retrouve avec moi-même
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    et je vais me battre contre moi-même.
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    Vous savez le tabou,
    c'est important.
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    Il y a des gens qui écrivent des livres.
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    On lutte contre l'excision
    depuis des décennies,
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    mais ça ne finit pas.
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    Le plus gros problème, c'est ce tabou.
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    Moi j'avais décidé de lutter,
    mais je n'avais pas les armes,
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    parce que j'avais l'impression
    de trahir ma famille.
  • 6:40 - 6:43
    Même parler de douleur
    devant les gens,
  • 6:43 - 6:45
    pour moi, c'était comme si je trahissais,
  • 6:46 - 6:47
    donc je ne pouvais pas.
  • 6:47 - 6:50
    J'avais envie de lutter,
    mais je ne savais pas comment.
  • 6:50 - 6:52
    Il ne suffit pas de dire : « Je lutte ! »
  • 6:52 - 6:55
    Tu luttes, mais qu'est-ce que
    tu mets en place ?
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    Donc je me suis mise à réfléchir,
  • 6:58 - 7:02
    et je me suis dit : « Je vais lutter,
    mais sans heurter.
  • 7:02 - 7:05
    Je vais lutter dans la tolérance. »
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    Et à partir de là,
    puisque je ne pouvais pas parler,
  • 7:09 - 7:11
    je me suis dit :
    « Je vais créer un spectacle
  • 7:12 - 7:17
    qui va me permettre de sensibiliser
    et de toucher un public ici
  • 7:17 - 7:20
    parce qu'en Europe,
    l'excision est perçue comme un crime. »
  • 7:21 - 7:24
    Et du coup, il y a
    une partie de la population
  • 7:24 - 7:25
    qui ne se sent pas concernée,
  • 7:25 - 7:28
    et du coup, l'excision
    continue dans les villages,
  • 7:28 - 7:29
    et en France on est averti,
  • 7:29 - 7:31
    mais dans les villages,
    on n'est pas averti.
  • 7:31 - 7:32
    Donc avec ce spectacle,
  • 7:33 - 7:35
    j'ai réussi à toucher mes bénévoles,
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    j'ai réussi à faire comprendre un peu...
  • 7:39 - 7:41
    Sachant que ça n'a pas été facile
  • 7:41 - 7:42
    parce que dans un premier temps
  • 7:42 - 7:45
    on croyait que je voulais
    que l'excision continue.
  • 7:45 - 7:46
    Hé non !
  • 7:46 - 7:49
    Il fallait juste lutter
    dans le respect des gens.
  • 7:49 - 7:53
    Pour moi, les gens dans les villages
    n'étaient pas assez avertis,
  • 7:53 - 7:55
    c'est pourquoi l'excision continuait.
  • 7:55 - 7:58
    Après cette période, qui a duré 4 ans,
  • 7:58 - 8:00
    je me suis dit : « Maintenant
    que j'ai des bénévoles,
  • 8:00 - 8:03
    il faut aller sur le terrain
    pour voir comment
  • 8:03 - 8:05
    on peut faire changer les choses là-bas,
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    parce qu'ici, on est averti,
    mais tant que, là-bas, ça ne change pas,
  • 8:09 - 8:11
    l'excision ne va jamais s'arrêter. »
  • 8:11 - 8:13
    Donc je fais un premier voyage
  • 8:14 - 8:16
    chez moi, la première fois...
  • 8:16 - 8:19
    Et là je me rends compte
    que je ne m'étais pas trompée :
  • 8:20 - 8:24
    l'excision était encore
    au centre de toutes les conversations.
  • 8:24 - 8:27
    Et moi, j'avais quitté mon village
    depuis l'âge de 7 ans.
  • 8:28 - 8:31
    Donc si aujourd'hui on milite en France,
    en Europe, partout,
  • 8:32 - 8:34
    cela fait déjà 30 ans,
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    et 100% des femmes
    sont encore excisées chez moi,
  • 8:38 - 8:42
    cela veut dire que
    le message n'est pas passé !
  • 8:42 - 8:44
    Ça veut dire quelque part
    que les gens concernés
  • 8:44 - 8:46
    ne sont pas avertis.
  • 8:47 - 8:50
    Donc je me suis dit : « Je ne vais pas
    aller comme une citoyenne,
  • 8:50 - 8:54
    en me disant que je suis quitte
    en France, je vais changer les choses. »
  • 8:54 - 8:55
    D'abord, premier objectif :
  • 8:55 - 8:57
    rassembler des femmes,
  • 8:57 - 8:59
    créer une association
    d'aide aux femmes démunies,
  • 8:59 - 9:03
    simplement, avec des matrones,
    des acolytes,
  • 9:03 - 9:06
    - c'est un peu comme les aides-soignantes
    auprès des infirmiers
  • 9:06 - 9:07
    et des sages-femmes.
  • 9:08 - 9:12
    Donc des matrones, des acolytes,
  • 9:12 - 9:14
    toutes les classes d'âge
    qui ne se mélangent pas
  • 9:14 - 9:15
    dans la communauté,
  • 9:15 - 9:17
    il faut les mélanger,
  • 9:17 - 9:18
    déjà pour casser un mythe :
  • 9:18 - 9:21
    on ne parle pas d'excision
    avec les plus jeunes.
  • 9:21 - 9:23
    donc il fallait casser quelque chose.
  • 9:23 - 9:26
    Et cette association,
    les femmes, les matrones,
  • 9:26 - 9:29
    ont accepté pour la première fois
    d'être dans la même catégorie
  • 9:30 - 9:31
    que toutes les femmes du village.
  • 9:31 - 9:34
    Ça, c’était pour moi ma première victoire.
  • 9:34 - 9:36
    Je leur ai dit : « On va essayer
    de créer une association.
  • 9:36 - 9:39
    Je dois rentrer en France,
    je n'ai pas d'argent,
  • 9:39 - 9:41
    mais on va demander des subventions. »
  • 9:41 - 9:43
    Quand je suis rentrée,
    j'ai dit à mes bénévoles :
  • 9:43 - 9:44
    « On commence maintenant.
  • 9:44 - 9:45
    On a dansé en France,
  • 9:45 - 9:48
    maintenant, il va falloir
    aller sur le terrain. »
  • 9:48 - 9:50
    Donc il faut chercher des subventions,
  • 9:50 - 9:53
    ça va être difficile
    pour être soutenu,
  • 9:53 - 9:55
    parce que j'ai
    un autre discours sur l'excision.
  • 9:56 - 9:59
    Je parle du respect de la tradition,
    et en Europe, c'est vu comme un crime,
  • 9:59 - 10:02
    donc il va falloir qu'on s'investisse
    dans un premier temps
  • 10:02 - 10:04
    si on veut que ça change là-bas.
  • 10:04 - 10:06
    Donc les choses ont commencé,
  • 10:06 - 10:08
    mes bénévoles ont payé leur transport,
  • 10:08 - 10:10
    leur billet d'avion,
    comme moi,
  • 10:10 - 10:12
    et on a demandé des subventions,
  • 10:12 - 10:16
    on a investi dans le premier projet
    d'aide aux femmes,
  • 10:16 - 10:19
    donc les acolytes ont commencé
    le premier travail,
  • 10:19 - 10:21
    ce qui a motivé d'autres femmes.
  • 10:21 - 10:24
    Deuxième volet du projet :
  • 10:24 - 10:29
    il fallait absolument toucher
    maintenant les matrones
  • 10:29 - 10:31
    parce que mon objectif,
    c'était les matrones.
  • 10:32 - 10:33
    Deuxième volet.
  • 10:33 - 10:34
    J'ai dit aux matrones :
  • 10:34 - 10:37
    « Qu'est-ce que vous pensez
    de l'excision ?
  • 10:37 - 10:40
    Qu'est-ce que vous pensez aujourd'hui,
    dans notre communauté,
  • 10:40 - 10:43
    de l'arrêt de l'excision,
    qui a été décidé par l’État,
  • 10:43 - 10:45
    parce que l’État interdit l'excision. »
  • 10:45 - 10:48
    Mais en fait les gens ne vont pas
    sur le terrain pour militer
  • 10:48 - 10:51
    parce qu'ils ont peur justement
    de la puissance de ces femmes,
  • 10:51 - 10:54
    ce sont des femmes
    qui ont des connaissances des plantes,
  • 10:54 - 10:56
    il y a des femmes
    qui sont aussi mystiques,
  • 10:56 - 10:59
    donc entre ce que l’État peut dire,
    et ce qui se passe sur le terrain,
  • 10:59 - 11:00
    ça fait deux.
  • 11:00 - 11:03
    Donc je pose la question
    pour ne pas que ça vienne de moi.
  • 11:03 - 11:07
    Et là les matrones,
    ça a été comme une explosion :
  • 11:08 - 11:10
    elles étaient frustrées.
  • 11:10 - 11:11
    Elles m'ont dit :
  • 11:11 - 11:16
    « Vous voyez, ma fille,
    il y a 60 ethnies en Côte d'Ivoire,
  • 11:16 - 11:19
    pourquoi ils ne s'attaquent pas
    à la tradition des autres ?
  • 11:20 - 11:24
    Pourquoi est-ce qu'ils trouvent que nous
    on pratique l'excision
  • 11:24 - 11:26
    et que l'on n'a pas d'explication ?
  • 11:26 - 11:29
    Ils veulent simplement
    nous mettre en prison.
  • 11:29 - 11:32
    Mais cela n'arrête rien,
    parce que nous, c'est nos traditions. »
  • 11:32 - 11:34
    Elles m'ont expliqué
    tout ce qui les poussait,
  • 11:34 - 11:35
    et l'éducation de nos enfants,
  • 11:35 - 11:38
    parce que nous l'excision,
    c'est aussi la partie où on passe
  • 11:38 - 11:40
    le message d'éducation
    de nos enfants.
  • 11:40 - 11:42
    Nos traditions,
    où les mettre?
  • 11:42 - 11:43
    J'ai écouté tout cela,
  • 11:43 - 11:44
    comme si j'étais un peu bête,
  • 11:44 - 11:46
    Je les ai écoutées et dit :
  • 11:46 - 11:49
    « Moi, je crois en ça, et moi, et moi,
    j'ai été excisée.»
  • 11:49 - 11:52
    Je suis l'exemple même
    qu'une excisée n'est pas bête.
  • 11:52 - 11:56
    Mais tôt ou tard, l'excision va s'arrêter
    de manière brutale,
  • 11:56 - 12:00
    parce que le monde entier veut
    que l'excision s'arrête.
  • 12:00 - 12:02
    Soit on se met ensemble,
  • 12:02 - 12:04
    on valorise vos connaissance des plantes,
  • 12:04 - 12:06
    vous devenez des accoucheuses,
  • 12:06 - 12:07
    on fait une formation,
  • 12:07 - 12:14
    et on ressort votre côté
    qui est important dans la communauté,
  • 12:14 - 12:16
    parce que vous restez
    des femmes importantes.
  • 12:16 - 12:19
    Aujourd'hui, une femme africaine
    qui passe dans les mains d'une matrone
  • 12:19 - 12:21
    ressort gagnante,
  • 12:21 - 12:24
    parce qu'elle a l'éducation française
    et l'éducation africaine,
  • 12:24 - 12:25
    et elle en a besoin.
  • 12:25 - 12:28
    Donc mon objectif aujourd'hui,
    ce n'est pas de vous dire
  • 12:28 - 12:29
    d'arrêter l'excision,
  • 12:29 - 12:33
    mais c'est de travailler ensemble
    pour trouver une solution.
  • 12:33 - 12:35
    Comment garder cette tradition,
  • 12:36 - 12:38
    sans l'acte de couper
    le clitoris de quelqu'un. »
  • 12:39 - 12:42
    Donc, ma première conversation
    avec les matrones, ça a été ça.
  • 12:42 - 12:43
    Donc je leur ai dit :
  • 12:43 - 12:47
    « Maintenant je vais vous envoyer
    des sages-femmes qui vont vous former. »
  • 12:47 - 12:49
    Déjà, cela n'était pas gagné,
  • 12:50 - 12:54
    parce que une matrone accoucheuse
    et une matrone exciseuse,
  • 12:54 - 12:58
    la matrone exciseuse a plus de grade
    que la matrone accoucheuse.
  • 12:58 - 13:00
    mais la chose a été acceptée.
  • 13:00 - 13:01
    Donc je rentre en France.
  • 13:01 - 13:05
    Martha a dit : « Je vais vous former...
    mais elle n'est pas formatrice ! »
  • 13:05 - 13:09
    Donc j'arrive en France,
    et là je commence à faire des conférences
  • 13:10 - 13:13
    avec le Docteur Harlicot,
    parce que je donne aussi des conférences
  • 13:13 - 13:16
    avec des chirurgiens réparateurs,
    pour expliquer un peu
  • 13:16 - 13:19
    l'importance de l'excision,
    et puis comment il faut s'y prendre.
  • 13:19 - 13:21
    Donc on va à l'école des sages-femmes,
  • 13:22 - 13:23
    à [l'hôpital] Pontchaillou.
  • 13:23 - 13:27
    Le but, c'est d'apprendre à ces femmes
    quel contact elles peuvent avoir
  • 13:27 - 13:29
    avec les femmes excisées.
  • 13:29 - 13:31
    Et là je fais une belle rencontre :
  • 13:31 - 13:34
    Claudie Robert,
    qui enseigne aux sages-femmes.
  • 13:34 - 13:36
    On s'est rencontrées, et 3 mois après,
  • 13:37 - 13:38
    elle m'a suivie en Côte d'Ivoire.
  • 13:39 - 13:42
    Donc, ça, c'est une deuxième victoire.
  • 13:42 - 13:44
    J'avais une formatrice,
    et une vraie !
  • 13:44 - 13:45
    Donc on arrive en Côte d'Ivoire,
  • 13:46 - 13:47
    et pour la première formation,
  • 13:47 - 13:48
    je lui dis :
  • 13:48 - 13:51
    « Claudie, tu fais la formation,
    mais dans un premier temps,
  • 13:51 - 13:53
    tu n'es pas excisée, et tu es blanche.
  • 13:53 - 13:55
    Il faut que l'on gagne
    la confiance des matrones.
  • 13:56 - 13:59
    On ne parle pas d'excision.
    tu fais la première formation,
  • 13:59 - 14:02
    et on rentre en France.
    Et après, on va préparer le terrain. »
  • 14:03 - 14:06
    OK. On arrive, on fait la formation.
  • 14:06 - 14:07
    Les matrones sont motivées.
  • 14:07 - 14:11
    Il y avait 10 matrones.
  • 14:11 - 14:13
    Deuxième formation.
  • 14:13 - 14:14
    On en avait 50 !
  • 14:17 - 14:20
    J'en ai alors profité pour leur dire :
  • 14:20 - 14:24
    « Comme vous faites des accouchements
    dans les cases, etc...,
  • 14:24 - 14:26
    et que nous n'avons pas
    de lieux de sensibilisation,
  • 14:26 - 14:29
    ce serait bien que l'on vous fasse
    une case de matrones,
  • 14:29 - 14:30
    parce qu'une maternité,
  • 14:31 - 14:33
    c'est la concurrence au corps médical.
  • 14:33 - 14:36
    Mais une case de matrones,
    dans tous les villages,
  • 14:36 - 14:37
    les matrones accouchent,
  • 14:37 - 14:38
    qu'il y ait un lieu ou pas,
  • 14:38 - 14:40
    qu'il y ait une maternité ou pas,
  • 14:40 - 14:42
    des femmes qui sont excisées,
    qui n'ont pas envie
  • 14:42 - 14:44
    qu'une femme qui n'est pas excisée
  • 14:44 - 14:45
    qui a eu tous ces diplômes,
  • 14:45 - 14:46
    les touchent.
  • 14:46 - 14:51
    Il vaut donc mieux un endroit
    où on peut vous sensibiliser
  • 14:51 - 14:55
    et en même temps vous permettre de
    faire des accouchements dans l'hygiène. »
  • 14:55 - 15:00
    Et là je pense que ça a été le truc
    qui a tout changé dans le village.
  • 15:00 - 15:04
    Les matrones ont accepté cela
    comme si c'était leur projet
  • 15:05 - 15:06
    et elles y ont participé.
  • 15:06 - 15:09
    Et après, on a décidé ensemble
  • 15:10 - 15:13
    que les matrones qui allaient travailler
    dans cette maternité
  • 15:13 - 15:14
    ne devaient plus exciser.
  • 15:15 - 15:16
    Donc on avait 20 matrones,
  • 15:17 - 15:19
    elles ont choisi 10 matrones,
  • 15:19 - 15:21
    pour l'instant qui travaillent
    dans cette maternité
  • 15:21 - 15:23
    et qui ne pratiquent
    plus du tout l'excision.
  • 15:24 - 15:26
    Donc, j'ai profité de cela.
  • 15:26 - 15:27
    Et j'ai dit :
  • 15:27 - 15:30
    « Pendant le temps qu'on négocie,
    puisque c'est une négociation,
  • 15:30 - 15:31
    je ne veux pas les forcer,
  • 15:31 - 15:33
    parce que tout ce que nous avons fait,
  • 15:33 - 15:36
    pour qu'ils nous donnent 9 matrones,
    et les acolytes
  • 15:36 - 15:39
    qui ont arrêté de pratiquer l'excision,
    on ne les a pas mises en prison.
  • 15:39 - 15:41
    Je ne les ai jamais insultées.
  • 15:41 - 15:42
    Pendant les formations,
  • 15:42 - 15:44
    on les a sensibilisées
  • 15:44 - 15:47
    sans qu'on leur fasse
    une réunion de sensibilisation.
  • 15:48 - 15:50
    C'est dans la formation que
    tout est passé.
  • 15:50 - 15:53
    J'ai dit à Claudie de faire passer
    toutes les transmissions,
  • 15:53 - 15:56
    et du coup elles vont se rendre compte,
    petit à petit, que
  • 15:57 - 15:59
    il y a un sujet,
  • 15:59 - 16:02
    parce qu'il ne faut pas
    qu'elles se sentent agressées,
  • 16:02 - 16:04
    elles ne seront plus prêtes
    à nous écouter ! »
  • 16:04 - 16:05
    Et ça, ça a marché,
  • 16:06 - 16:07
    parce qu'elles ont commencé à comparer.
  • 16:07 - 16:09
    Les matrones qui meurent
  • 16:09 - 16:10
    pour la transmission.
  • 16:10 - 16:11
    Dans notre région,
  • 16:12 - 16:16
    beaucoup de femmes meurent du VIH
  • 16:16 - 16:18
    mais personne ne fait allusion
  • 16:19 - 16:20
    à la pratique de l'excision.
  • 16:20 - 16:23
    On a le taux le plus élevé
    de VIH chez nous.
  • 16:24 - 16:26
    Et elles ont commencé
    à se poser cette question-là.
  • 16:27 - 16:28
    Donc pour moi aujourd'hui,
  • 16:28 - 16:32
    quand je vous parle de changer
    les choses, changer une tradition,
  • 16:32 - 16:33
    c'est proposer quelque chose.
  • 16:34 - 16:37
    Un changement,
    c'est proposer d'accompagner
  • 16:37 - 16:38
    des gens dans le changement.
  • 16:39 - 16:40
    Pas dans le préjugé.
  • 16:40 - 16:41
    Parce que ces femmes-là,
  • 16:41 - 16:43
    elles étaient frustrées
    depuis des décennies
  • 16:44 - 16:47
    et du coup, l'excision avait évolué :
  • 16:47 - 16:48
    ils n'attendaient plus 14 ans,
  • 16:48 - 16:51
    mais c'était maintenant à l'âge de 7ans,
  • 16:51 - 16:53
    8 ans, qu'ils pratiquaient l'excision
    dans les villages,
  • 16:53 - 16:56
    à cause de la peur de la police
    ou du gouvernement
  • 16:56 - 16:58
    qui pouvait faire des arrestations.
  • 16:59 - 17:01
    Donc l'excision maintenant
    se faisait de manière massive.
  • 17:01 - 17:05
    Et là aujourd'hui, elles sont
    au courant des conséquences,
  • 17:05 - 17:07
    mais sans se sentir blessées.
  • 17:07 - 17:10
    Et petit à petit,
    les choses peuvent changer.
  • 17:10 - 17:12
    Pour moi, petit à petit,
  • 17:12 - 17:15
    j'essaye de faire comprendre
    les choses aux gens
  • 17:15 - 17:17
    et de ne pas rester sur les préjugés.
  • 17:17 - 17:19
    Donc aujourd'hui, l'association
    parraine des enfants
  • 17:19 - 17:21
    et cela avec l'accord de tout le village,
  • 17:21 - 17:24
    que ce soit le chef du village,
    la mère, le père.
  • 17:24 - 17:26
    ils nous donnent des enfants
    que l'on parraine,
  • 17:26 - 17:28
    et en retour, ces enfants
    ne sont pas excisés.
  • 17:28 - 17:30
    Au moins personne n'est jugé,
  • 17:30 - 17:33
    il n'y a pas de litige entre les familles.
  • 17:33 - 17:35
    Parce que ce qui est dangereux
    dans cette tradition,
  • 17:35 - 17:38
    c'est que si tu montes
    le fils contre la mère,
  • 17:38 - 17:40
    après cela crée d'autres problèmes.
  • 17:40 - 17:43
    Et il faut garder aussi
    ce passage à l'âge adulte.
  • 17:44 - 17:46
    Il faut garder ce passage
    qui fait de moi aujourd'hui
  • 17:46 - 17:50
    une citoyenne mais qui a
    un autre regard sur le monde.
  • 17:50 - 17:52
    Cette sagesse-là,
  • 17:52 - 17:54
    j'aimerais que ma fille
    Stéphanie, elle l'ait.
  • 17:55 - 17:57
    J'aimerais que ma fille
    ne soit pas excisée
  • 17:57 - 17:59
    mais qu'elle soit passée
    dans les mains des matrones
  • 18:00 - 18:01
    et avec ce projet,
  • 18:01 - 18:04
    les matrones pourront donner
    ce passage à l'âge adulte
  • 18:05 - 18:07
    sans passer par le clitoris,
  • 18:08 - 18:09
    sans couper le clitoris.
  • 18:09 - 18:11
    Je préfère être brusque comme cela,
  • 18:11 - 18:13
    parce que c'est comme ça
    qu'il faut l'appeler.
  • 18:13 - 18:15
    Parce que c'est cet acte-là
    qu'on ne peut pas accepter.
  • 18:15 - 18:18
    Enlever ça alors qu'on peut avoir
    tout ce qui est bien,
  • 18:18 - 18:20
    tout ce qui est positif là-dedans.
  • 18:20 - 18:21
    Ce passage-là,
  • 18:21 - 18:23
    on peut le faire autrement.
  • 18:23 - 18:25
    Sur tout ce que l'on appelle
    les traditions,
  • 18:25 - 18:29
    j'ai envie de garder
    le côté festif de l'excision,
  • 18:29 - 18:32
    garder le côté connaissance des plantes,
  • 18:32 - 18:33
    de le valoriser,
  • 18:33 - 18:35
    pour que les matrones restent à leur place
  • 18:35 - 18:40
    et que la communauté africaine
    puisse garder sa tradition
  • 18:40 - 18:43
    et puisse avoir des changements
    à long terme.
  • 18:44 - 18:45
    Voilà.
  • 18:45 - 18:48
    Et je voulais partager
    une chanson qui me rappelle
  • 18:49 - 18:52
    tout ce que j'ai envie
    de garder de l'excision...
  • 18:52 - 18:56
    (Applaudissements)
  • 18:59 - 19:40
    (Elle chante)
  • 19:51 - 19:53
    Merci !
  • 19:53 - 19:55
    (Applaudissements)
Title:
Matrone des temps modernes | Martha Diomandé | TEDxRennes
Description:

Martha Diomandé est fille et petite-fille d’exciseuses ivoiriennes. Dans sa culture de tradition animiste, « Homonyme » de sa grand-mère, elle était prédestinée à devenir elle aussi matrone exciseuse. Excisée à l’âge de 7 ans, ce n’est que bien plus tard, à l’occasion d’une conférence en France, qu’elle prend conscience de l’urgence à lutter autrement contre l’excision : pour elle, il faut supprimer l’acte violent aux conséquences avérées, mais préserver la force de la tradition. Si dans un premier temps, le tabou de l’excision l’empêche de militer en public, ses talents de danseuse-chorégraphe lui permettent de faire connaître son association. Grâce à un long travail de sensibilisation, en passant par la formation des accoucheuses, Martha est en passe de réussir son pari : s’appuyer sur les matrones elles-mêmes pour éliminer l’excision !
La tolérance n’est pas une faiblesse, nous dit-elle, mais de la compréhension et du respect naît parfois une puissance insoupçonnée !

Cette présentation a été donnée lors d'un événement TEDx local utilisant le format des conférences TED mais organisé indépendamment. En savoir plus : http://ted.com/tedx

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Video Language:
French
Team:
closed TED
Project:
TEDxTalks
Duration:
19:57

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