Bonsoir à tous. Je suis Martha Diomandé, artiste chorégraphe, fille et petite-fille de matrone. Matrone, dans un premier temps, c'est des accoucheuses traditionnelles. Et un peu plus loin, ce sont des exciseuses. Les matrones, c'est des femmes qui sont importantes dans la société. C'est des femmes à qui on confie nos enfants pour acquérir une sagesse. C'est ce que nous savons des matrones dans la culture africaine. J'ai été excisée à l'âge de 7ans parce que simplement je portais le nom d'une matrone, ma grand-mère. Pour vous dire un peu la voyance des matrones, quand j'avais 7 ans, ma grand-mère avait prédit que j'allais partir de la Côte d'Ivoire à l'âge de 15 ans, puisque c'est à l'âge de 15 ans que l'excision se pratique chez nous. Et elle avait vu juste : à 15 ans j'étais déjà dans l'avion et j'étais en tant que danseuse en France. Donc pour vous parler de mon excision... L'excision, c'est quoi ? L'excision, pour être vulgaire, c'est l'ablation du clitoris. Maintenant dans ma culture, l'excision, ça peut être vu comme un passage à l'âge adulte. L'excision, c'est aussi une grosse fête où famille, enfants, oncles, tout le monde veut faire plaisir à la petite fille. L'excision dans ma culture, il y a des femmes ou des filles qui l'attendent comme un jour de Noël. Et l'excision, c'est aussi cette douleur que nous avons tous en commun, quelles que soient les raisons pour lesquelles on la pratique. Cette douleur atroce, cette incompréhension, avec tout cet engouement autour de toi où tu te sens comme une princesse, où on te fait plein de cadeaux, cette douleur que tu reçois le jour où l'excision est pratiquée... Cette douleur qu'on ne peut pas expliquer, où tu as l'impression de tuer tout le monde, où tu te sens trahie quelques secondes. Et après cette douleur, quel que soit le lieu où ça a été fait, quand tu regardes le visage de ces femmes qui sont autour de toi, qui viennent de te faire si mal, tu sens en elles qu'elles ont autant pleuré que toi parce que pour elles, dans l'ignorance, elles pensent que tu dois devenir comme elles. Et elles sont soulagées que tu n'y sois pas restée. Donc quelque part, l'excision pour vous l'expliquer aujourd'hui, je vais vous dire tout simplement que c'est de la douleur, c'est un acte de bravoure, parce que quand tu lis dans leurs yeux, c'est comme si tu devenais comme elles, comme si tu appartenais à une tribu de femmes. Ce qui est important dans une société. J'en passe... Ça, c'est quand j'avais 7 ans. J'arrive en France, en tant que artiste chorégraphe donc, et je monte une association. Mon objectif n'était pas d'abord de lutter contre l'excision. Ce que je vous explique, c'est que la lutte n'était pas mon objectif premier. C'était déjà de me faire connaître en tant que danseuse. Ce que j'ai fait. Je me suis fait connaitre à Rennes. Et un jour, il y avait une conférence : je suis allée à la mairie, il y avait une conférence sur l'excision. Quelque part, ça m'a interpelée, parce que être fille et petite-fille de matrone, quelque part, quand tu entends excision, ça te parle. Et là moi je vais tout simplement à cette conférence, comme tout le monde. Et là, j'arrive à la conférence... Je pense que c'est là que tout a basculé. J'arrive à cette conférence. J'écoute, et tous les mots que j'entends, franchement, je ne les reconnais pas. Je ne reconnais pas l'excision que j'avais dans ma tête, cette définition de l'excision, parce que c'était considéré comme un crime. Dans la salle, il y avait des sujets comme... Ces femmes qui font ça à leurs enfants, c'est des sauvages. Pour moi, je me suis sentie blessée, je me suis sentie humiliée, je me suis sentie sale à cette conférence parce que ma mère qui m'a excisée à 7 ans n'était pas une criminelle. Ni ma grand-mère. Ni ce que j'avais vu dans le visage de ces femmes. Mais je reste patiente pour pouvoir poser des questions à la dame, lui demander pourquoi elle a tenu de tels propos. Je reste, et plus tard, je vois que j'ai eu raison, parce que dans cette même conférence, elle a dit des choses qui ont fait que je me suis retrouvée en tant que femme dans les accouchements difficiles, les rapports non désirés, les douleurs que nous avons. Donc je suis sortie de cette conférence mitigée. Voilà en quoi l'Europe m'a permis d'avancer dans quelque chose. Je suis sortie révoltée, et en même temps, avec une prise de conscience. Donc, ce n'était pas si mauvais. Maintenant je me dis qu'il faut faire quelque chose. Si tous les mots dans lesquels tu te retrouves aujourd'hui, ça veut dire que dans ta communauté, il y a beaucoup de femmes qui sont comme toi, mais qui n'ont pas cette possibilité de se retrouver en Europe ou d'assister à une conférence. Et vu comment cette conférence a démarré, son côté brutal, je ne pense pas qu'une femme de ma région serait restée jusqu'à la fin. Donc, il faut lutter autrement, parce que, quand on parle des traditions, il y a une frustration qui fait qu'on ferme les oreilles, on n'a plus envie d'aller plus loin. Et je pense que l'ouverture que l'Europe m'a donnée, c'est ce qui a fait que, malgré ma frustration, j'ai pu rester sur place jusqu'à la fin. Donc lutter autrement. Comment ? Là, je me retrouve avec moi-même et je vais me battre contre moi-même. Vous savez le tabou, c'est important. Il y a des gens qui écrivent des livres. On lutte contre l'excision depuis des décennies, mais ça ne finit pas. Le plus gros problème, c'est ce tabou. Moi j'avais décidé de lutter, mais je n'avais pas les armes, parce que j'avais l'impression de trahir ma famille. Même parler de douleur devant les gens, pour moi, c'était comme si je trahissais, donc je ne pouvais pas. J'avais envie de lutter, mais je ne savais pas comment. Il ne suffit pas de dire : « Je lutte ! » Tu luttes, mais qu'est-ce que tu mets en place ? Donc je me suis mise à réfléchir, et je me suis dit : « Je vais lutter, mais sans heurter. Je vais lutter dans la tolérance. » Et à partir de là, puisque je ne pouvais pas parler, je me suis dit : « Je vais créer un spectacle qui va me permettre de sensibiliser et de toucher un public ici parce qu'en Europe, l'excision est perçue comme un crime. » Et du coup, il y a une partie de la population qui ne se sent pas concernée, et du coup, l'excision continue dans les villages, et en France on est averti, mais dans les villages, on n'est pas averti. Donc avec ce spectacle, j'ai réussi à toucher mes bénévoles, j'ai réussi à faire comprendre un peu... Sachant que ça n'a pas été facile parce que dans un premier temps on croyait que je voulais que l'excision continue. Hé non ! Il fallait juste lutter dans le respect des gens. Pour moi, les gens dans les villages n'étaient pas assez avertis, c'est pourquoi l'excision continuait. Après cette période, qui a duré 4 ans, je me suis dit : « Maintenant que j'ai des bénévoles, il faut aller sur le terrain pour voir comment on peut faire changer les choses là-bas, parce qu'ici, on est averti, mais tant que, là-bas, ça ne change pas, l'excision ne va jamais s'arrêter. » Donc je fais un premier voyage chez moi, la première fois... Et là je me rends compte que je ne m'étais pas trompée : l'excision était encore au centre de toutes les conversations. Et moi, j'avais quitté mon village depuis l'âge de 7 ans. Donc si aujourd'hui on milite en France, en Europe, partout, cela fait déjà 30 ans, et 100% des femmes sont encore excisées chez moi, cela veut dire que le message n'est pas passé ! Ça veut dire quelque part que les gens concernés ne sont pas avertis. Donc je me suis dit : « Je ne vais pas aller comme une citoyenne, en me disant que je suis quitte en France, je vais changer les choses. » D'abord, premier objectif : rassembler des femmes, créer une association d'aide aux femmes démunies, simplement, avec des matrones, des acolytes, - c'est un peu comme les aides-soignantes auprès des infirmiers et des sages-femmes. Donc des matrones, des acolytes, toutes les classes d'âge qui ne se mélangent pas dans la communauté, il faut les mélanger, déjà pour casser un mythe : on ne parle pas d'excision avec les plus jeunes. donc il fallait casser quelque chose. Et cette association, les femmes, les matrones, ont accepté pour la première fois d'être dans la même catégorie que toutes les femmes du village. Ça, c’était pour moi ma première victoire. Je leur ai dit : « On va essayer de créer une association. Je dois rentrer en France, je n'ai pas d'argent, mais on va demander des subventions. » Quand je suis rentrée, j'ai dit à mes bénévoles : « On commence maintenant. On a dansé en France, maintenant, il va falloir aller sur le terrain. » Donc il faut chercher des subventions, ça va être difficile pour être soutenu, parce que j'ai un autre discours sur l'excision. Je parle du respect de la tradition, et en Europe, c'est vu comme un crime, donc il va falloir qu'on s'investisse dans un premier temps si on veut que ça change là-bas. Donc les choses ont commencé, mes bénévoles ont payé leur transport, leur billet d'avion, comme moi, et on a demandé des subventions, on a investi dans le premier projet d'aide aux femmes, donc les acolytes ont commencé le premier travail, ce qui a motivé d'autres femmes. Deuxième volet du projet : il fallait absolument toucher maintenant les matrones parce que mon objectif, c'était les matrones. Deuxième volet. J'ai dit aux matrones : « Qu'est-ce que vous pensez de l'excision ? Qu'est-ce que vous pensez aujourd'hui, dans notre communauté, de l'arrêt de l'excision, qui a été décidé par l’État, parce que l’État interdit l'excision. » Mais en fait les gens ne vont pas sur le terrain pour militer parce qu'ils ont peur justement de la puissance de ces femmes, ce sont des femmes qui ont des connaissances des plantes, il y a des femmes qui sont aussi mystiques, donc entre ce que l’État peut dire, et ce qui se passe sur le terrain, ça fait deux. Donc je pose la question pour ne pas que ça vienne de moi. Et là les matrones, ça a été comme une explosion : elles étaient frustrées. Elles m'ont dit : « Vous voyez, ma fille, il y a 60 ethnies en Côte d'Ivoire, pourquoi ils ne s'attaquent pas à la tradition des autres ? Pourquoi est-ce qu'ils trouvent que nous on pratique l'excision et que l'on n'a pas d'explication ? Ils veulent simplement nous mettre en prison. Mais cela n'arrête rien, parce que nous, c'est nos traditions. » Elles m'ont expliqué tout ce qui les poussait, et l'éducation de nos enfants, parce que nous l'excision, c'est aussi la partie où on passe le message d'éducation de nos enfants. Nos traditions, où les mettre? J'ai écouté tout cela, comme si j'étais un peu bête, Je les ai écoutées et dit : « Moi, je crois en ça, et moi, et moi, j'ai été excisée.» Je suis l'exemple même qu'une excisée n'est pas bête. Mais tôt ou tard, l'excision va s'arrêter de manière brutale, parce que le monde entier veut que l'excision s'arrête. Soit on se met ensemble, on valorise vos connaissance des plantes, vous devenez des accoucheuses, on fait une formation, et on ressort votre côté qui est important dans la communauté, parce que vous restez des femmes importantes. Aujourd'hui, une femme africaine qui passe dans les mains d'une matrone ressort gagnante, parce qu'elle a l'éducation française et l'éducation africaine, et elle en a besoin. Donc mon objectif aujourd'hui, ce n'est pas de vous dire d'arrêter l'excision, mais c'est de travailler ensemble pour trouver une solution. Comment garder cette tradition, sans l'acte de couper le clitoris de quelqu'un. » Donc, ma première conversation avec les matrones, ça a été ça. Donc je leur ai dit : « Maintenant je vais vous envoyer des sages-femmes qui vont vous former. » Déjà, cela n'était pas gagné, parce que une matrone accoucheuse et une matrone exciseuse, la matrone exciseuse a plus de grade que la matrone accoucheuse. mais la chose a été acceptée. Donc je rentre en France. Martha a dit : « Je vais vous former... mais elle n'est pas formatrice ! » Donc j'arrive en France, et là je commence à faire des conférences avec le Docteur Harlicot, parce que je donne aussi des conférences avec des chirurgiens réparateurs, pour expliquer un peu l'importance de l'excision, et puis comment il faut s'y prendre. Donc on va à l'école des sages-femmes, à [l'hôpital] Pontchaillou. Le but, c'est d'apprendre à ces femmes quel contact elles peuvent avoir avec les femmes excisées. Et là je fais une belle rencontre : Claudie Robert, qui enseigne aux sages-femmes. On s'est rencontrées, et 3 mois après, elle m'a suivie en Côte d'Ivoire. Donc, ça, c'est une deuxième victoire. J'avais une formatrice, et une vraie ! Donc on arrive en Côte d'Ivoire, et pour la première formation, je lui dis : « Claudie, tu fais la formation, mais dans un premier temps, tu n'es pas excisée, et tu es blanche. Il faut que l'on gagne la confiance des matrones. On ne parle pas d'excision. tu fais la première formation, et on rentre en France. Et après, on va préparer le terrain. » OK. On arrive, on fait la formation. Les matrones sont motivées. Il y avait 10 matrones. Deuxième formation. On en avait 50 ! J'en ai alors profité pour leur dire : « Comme vous faites des accouchements dans les cases, etc..., et que nous n'avons pas de lieux de sensibilisation, ce serait bien que l'on vous fasse une case de matrones, parce qu'une maternité, c'est la concurrence au corps médical. Mais une case de matrones, dans tous les villages, les matrones accouchent, qu'il y ait un lieu ou pas, qu'il y ait une maternité ou pas, des femmes qui sont excisées, qui n'ont pas envie qu'une femme qui n'est pas excisée qui a eu tous ces diplômes, les touchent. Il vaut donc mieux un endroit où on peut vous sensibiliser et en même temps vous permettre de faire des accouchements dans l'hygiène. » Et là je pense que ça a été le truc qui a tout changé dans le village. Les matrones ont accepté cela comme si c'était leur projet et elles y ont participé. Et après, on a décidé ensemble que les matrones qui allaient travailler dans cette maternité ne devaient plus exciser. Donc on avait 20 matrones, elles ont choisi 10 matrones, pour l'instant qui travaillent dans cette maternité et qui ne pratiquent plus du tout l'excision. Donc, j'ai profité de cela. Et j'ai dit : « Pendant le temps qu'on négocie, puisque c'est une négociation, je ne veux pas les forcer, parce que tout ce que nous avons fait, pour qu'ils nous donnent 9 matrones, et les acolytes qui ont arrêté de pratiquer l'excision, on ne les a pas mises en prison. Je ne les ai jamais insultées. Pendant les formations, on les a sensibilisées sans qu'on leur fasse une réunion de sensibilisation. C'est dans la formation que tout est passé. J'ai dit à Claudie de faire passer toutes les transmissions, et du coup elles vont se rendre compte, petit à petit, que il y a un sujet, parce qu'il ne faut pas qu'elles se sentent agressées, elles ne seront plus prêtes à nous écouter ! » Et ça, ça a marché, parce qu'elles ont commencé à comparer. Les matrones qui meurent pour la transmission. Dans notre région, beaucoup de femmes meurent du VIH mais personne ne fait allusion à la pratique de l'excision. On a le taux le plus élevé de VIH chez nous. Et elles ont commencé à se poser cette question-là. Donc pour moi aujourd'hui, quand je vous parle de changer les choses, changer une tradition, c'est proposer quelque chose. Un changement, c'est proposer d'accompagner des gens dans le changement. Pas dans le préjugé. Parce que ces femmes-là, elles étaient frustrées depuis des décennies et du coup, l'excision avait évolué : ils n'attendaient plus 14 ans, mais c'était maintenant à l'âge de 7ans, 8 ans, qu'ils pratiquaient l'excision dans les villages, à cause de la peur de la police ou du gouvernement qui pouvait faire des arrestations. Donc l'excision maintenant se faisait de manière massive. Et là aujourd'hui, elles sont au courant des conséquences, mais sans se sentir blessées. Et petit à petit, les choses peuvent changer. Pour moi, petit à petit, j'essaye de faire comprendre les choses aux gens et de ne pas rester sur les préjugés. Donc aujourd'hui, l'association parraine des enfants et cela avec l'accord de tout le village, que ce soit le chef du village, la mère, le père. ils nous donnent des enfants que l'on parraine, et en retour, ces enfants ne sont pas excisés. Au moins personne n'est jugé, il n'y a pas de litige entre les familles. Parce que ce qui est dangereux dans cette tradition, c'est que si tu montes le fils contre la mère, après cela crée d'autres problèmes. Et il faut garder aussi ce passage à l'âge adulte. Il faut garder ce passage qui fait de moi aujourd'hui une citoyenne mais qui a un autre regard sur le monde. Cette sagesse-là, j'aimerais que ma fille Stéphanie, elle l'ait. J'aimerais que ma fille ne soit pas excisée mais qu'elle soit passée dans les mains des matrones et avec ce projet, les matrones pourront donner ce passage à l'âge adulte sans passer par le clitoris, sans couper le clitoris. Je préfère être brusque comme cela, parce que c'est comme ça qu'il faut l'appeler. Parce que c'est cet acte-là qu'on ne peut pas accepter. Enlever ça alors qu'on peut avoir tout ce qui est bien, tout ce qui est positif là-dedans. Ce passage-là, on peut le faire autrement. Sur tout ce que l'on appelle les traditions, j'ai envie de garder le côté festif de l'excision, garder le côté connaissance des plantes, de le valoriser, pour que les matrones restent à leur place et que la communauté africaine puisse garder sa tradition et puisse avoir des changements à long terme. Voilà. Et je voulais partager une chanson qui me rappelle tout ce que j'ai envie de garder de l'excision... (Applaudissements) (Elle chante) Merci ! (Applaudissements)