Comment je suis devenue féministe freelance | Éloïse Bouton | TEDxChampsElyseesWomen

Cette présentation a été faite lors d'un événement TEDx local, produit indépendamment des conférences TED.

Journaliste indépendante pour l'Obs, Brain magazine et Glamour.

Il n'y a pas un féminisme mais des féminismes. Il n'y a pas une femme mais des femmes. Le féminisme est une lutte contre le patriarcat qui dicte les codes de notre société.

Diplômée de l’Institut Français de Presse (IFP) à Paris II-Assas et d'un Master 2 professionnel de journalisme bilingue français anglais (Paris III), elle commence par des piges pour L'Obs, La Tribune et Rolling Stone en 2006 avant de travailler pendant un an pour une agence de communication et pendant six mois pour un label de musique numérique. Elle travaille aujourd'hui comme journaliste indépendante en société et culture, notamment pour l'Obs, Brain Magazine et Glamour. Elle est spécialisée dans les droits des femmes, les féminismes et le hip hop.

Après un rapide passage par Osez le Féminisme, elle milite à La Barbe pendant un an, puis à Femen qu'elle quitte en février 2014. Elle est désormais militante féministe « sans étiquette », membre du collectif de femmes journalistes Prenons la Une, et collabore ponctuellement avec diverses personnes et associations dont La Barbe, Georgette Sand, Droits Humains Pour Tou-te-s et Midi Minuit du Matrimoine et l'Institut en Santé Génésique.

(Applaudissements)

Bonsoir.

Je suis la première femme

exhibitionniste sexuelle en France.

Alors, je vous préviens
tout de suite :

je n'ai jamais agressé d'enfant ;

je ne me balade pas complètement à poil

sous un imper dans le métro.

Mais pourtant en décembre 2014,

j'ai été condamnée
pour exhibition sexuelle

par le tribunal
de grande instance de Paris

à un mois de prison avec sursis
et 3500 € d'amende,

pour ça :

C'était la première fois qu'une femme
était condamnée pour ce délit.

Et ça, comme vous pouvez le voir,
c'est moi,

à l'église de la Madeleine,
à Paris, en décembre 2013.

A l'époque, le gouvernement en Espagne

voulait restreindre les conditions
d'accès à l'avortement

et moi je militais avec Femen

et on avait décidé d'organiser
une série d'actions individuelles

dans plusieurs villes européennes

pour défendre le droit à l'IVG.

Parce que oui, j'ai été Femen.

Mais j'ai aussi été Barbue,

J'ai aussi Os[é] le Féminisme.

Et j'ai presque été Chienne de garde.

Parce qu'il n'y a pas un seul féminisme,
mais des féminismes.

Moi, j'ai commencé à me dire féministe
vers l'âge de 16 ans

quand j'ai découvert
de grandes intellectuelles féministes

comme par exemple
l'écrivaine Violette Leduc,

mais aussi la rappeuse américaine
Queen Latifah,

ou encore le groupe de punk Bikini Kill

qui est un des pionniers
du courant Riot Girl.

Après j'ai attendu quelques années,

jusqu'à l'âge de 23 ans environ,

pour m'engager dans différents mouvements.

J'en ai fait plusieurs parce
qu'à l'époque, je cherchais une structure

qui englobe
toutes les problématiques féministes

à chaque fois, j'avais l'impression
que les mouvements où j'allais

s'intéressaient à une thématique
seulement en particulier.

Mais du coup, à Osez le Féminisme,
j'ai découvert

un véritable laboratoire d'idées

de vrais débats de fond

notamment avec leur campagne
« Osez le clito »

qui visait à briser
le tabou du plaisir féminin.

Puis ensuite avec la Barbe,

la Barbe est un groupe d'activistes
affublées de barbe postiche

qui dénoncent la sous-représentation
ou l'absence de femmes

dans les lieux de pouvoir.

Avec la Barbe donc, j'ai découvet
un mode d'action caustique et théâtral

qui me plaisait beaucoup

comme leur action
au festival de Cannes en 2012

qui dénonçait une sélection
de films 100% masculine.

Et ensuite j'ai rejoint Femen

parce que leur mode d'action seins nus

et leur utilisation du corps
comme un outil politique

me semblait très percutant

et aussi parce que je trouvais

qu'elles avaient un moyen,

en mettant le féminisme dans la rue,

de le rendre à la fois plus populaire

et aussi plus accessible
à toutes et à tous.

Quand on y réfléchit,
il n'y a pas un seul combat,

Il y a plusieurs combats.

Il n'y a pas la femme en tant
qu'entité mais des femmes.

D'ailleurs sur des sujets
comme le voile ou la prostitution,

est-ce qu'on sait vraiment
si c'est bien, pas bien,

si on est pour, si on est contre,
on ne sait pas vraiment.

D'ailleurs même entre féministes,

on a des points de désaccord
sur ces sujets-là.

On a des points de désaccord
sur le port du voile,

sur la prostitution,

on a aussi des points de désaccord
sur la gestation pour autrui.

Parce qu'il existe plein
de féminismes différents.

Il existe des féministes voilées pour qui

religion et droit des femmes
ne sont pas incompatibles

et qui considèrent que le voile n'est pas
un motif d'oppression des femmes.

Il existe aussi des féministes LGBT
ou Queer

qui, elles, considèrent
que le genre est une construction

et n'est pas un fait naturel.

Il existe également des afro-féministes

qui, elles, pensent que les femmes
noires et afro-descendantes

sont à la fois victimes
de sexisme et de racisme

et qu'elles sont souvent les oubliées
du féminisme mainstream.

Il y a aussi ce qu'on appelle
les féministes essentialistes

qui sont convaincues du fait
qu'il y a des spécificités féminines

comme par exemple
l'instinct maternel ou l'empathie.

Il y a aussi des féministes
universalistes comme Simone de Beauvoir,

qu'on ne présente plus,
qui, elles, pensent

qu'en dépit de nos différences biologiques
entre femmes et hommes,

ça ne justifie pas
la domination masculine.

Il y a encore des féministes écologistes,
qui elles estiment

qu'il y a un lien entre
l'oppression des femmes

et la destruction de notre planète.

Voilà, il y a plein
de féminismes différents.

Au cas où vous l'ignoriez,

toutes les femmes ne pensent pas
de la même façon.

Voilà, du coup aujourd'hui,
moi je suis féministe freelance.

Comme ça, je choisis
les combats que je veux,

les projets que j'ai envie de défendre

et ceux qui me correspondent
le mieux.

Par exemple, en novembre 2015,
j'ai créé Contre Coups,

qui est une compilation
de 12 femmes artistes

qui chantent contre les violences
faites aux femmes,

et tous les bénéfices du disque ont été
reversés à l'Institut en santé génésique

qui est un centre basé
à Saint-Germain en Laye

qui accueille et oriente les femmes
victimes de toute forme de violence.

Il y a un an,
j'ai aussi lancé Madame Rap,

qui est le premier site dédié
aux femmes dans le rap

et qui vise notamment à créer
des ponts entre hip-hop et féminismes,

féminismes avec un « s » au pluriel.

Pour moi, c'était important de montrer

que, contrairement aux idées reçues et
à tous les préjugés qu'on peut avoir,

le rap n'est pas la musique
la plus misogyne qui existe,

ce n'est pas la musique
la plus homophobe qui existe

et que même certaines rappeuses sont de
véritables exemples d'empowerment féminin.

En fait, je me suis aussi rendu compte
qu'être féministe n'est pas forcément

faire des manifestations
ou scander des slogans.

Par exemple, je pense que l'art
ou la culture peuvent être des biais

beaucoup moins clivants et moins frontaux

pour exprimer une pensée féministe.

Quand on voit certaines artistes
comme la rappeuse Nikki Minage

qui, avec une image hyper sexualisée,

entend réinvestir la sexualité
des femmes noires aux États-Unis,

ou la cinéaste française Céline Sciamma,

qui, elle, va

visibiliser des femmes qui
ne le sont pas en général dans la société,

ou l'écrivaine nigériane
Chimamanda Adichie

qui, elle, prône un féminisme inclusif.

Toutes ces femmes
sont féministes à leur manière

et elles le sont de manière
complètement libre

et détachée de tout enjeu politicien.

Elles proposent des choses,
elles font avancer les choses,

et jamais elles n'opposent
les hommes et les femmes.

Parce que, que les choses soient claires,
le féminisme n'a jamais été,

et ce n'est pas, une lutte
contre les hommes.

C'est une lutte contre le patriarcat.

C'est-à-dire les codes intégrés
qui dictent notre société.

Être féministe, c'est juste dire :

« OK, je remets cette norme
dominante en question

et je réfléchis à un moyen
de la déconstruire

et de reconstruire une société
et un monde plus équitable. »

En fait, franchement,
c'est juste ça le féminisme.

C'est juste dire comment faire
pour qu'on se traite

toutes et tous de manière égale

et comment agir dans ce sens.

Quand on y réfléchit, il y a plein de
manières différentes d'être féministe.

On peut être une femme entrepreneur
qui monte sa propre boîte ;

une mère célibataire qui mène
de front sa vie privée,

sa vie professionnelle et tout le reste ;

une femme qui choisit de ne pas avoir
d'enfants et qui le clame haut et fort ;

une femme qui a été violée et qui décide
de raconter son histoire,

qui raconte son viol pour inspirer
d'autres femmes victimes également

à briser le silence et à se réparer.

Ça peut être aussi être lesbienne
et faire son coming-out

pour là encore inspirer d'autres femmes

et devenir une sorte de rôle modèle.

De toute façon,
le féminisme doit être inclusif.

C'est vraiment quelque chose que j'ai
réalisé il y a quelques années,

en me disant :

« Voilà pour que ça marche,

il faut vraiment que ça englobe toutes
les personnes minorées dans la société. »

Que ce soit les femmes,
les LGBTQIA,

les personnes racisées,

les handicapés,

les rondes, les ronds,

les jeunes, les moins jeunes,

les pauvres,

toutes les religions

et les athées bien sûr !

Les hommes peuvent
être féministes à leur manière.

Ils peuvent agir de manière féministe.

Par exemple, un patron qui décide
de payer de la même manière

ses employées femmes
et ses employés hommes.

Un père qui décide de poser sa journée

pour aller chercher
son enfant malade à l'école

pour que sa femme reste au travail

ou un homme en réunion qui
a conscience d'occuper tout l'espace

et de parler tout le temps

et qui choisit de se taire pour laisser
les autres femmes prendre la parole.

Ce sont des exemples

mais ce sont des comportements
qui sont déjà féministes.

Le problème,
ce ne sont pas ces comportements,

c'est le terme féministe qui porte encore
aujourd'hui une connotation péjorative.

Moi, je le vois bien, par exemple,
dans des dîners ou dans des soirées

où quand je dis que je suis féministe,

certaines personnes se crispent,

pas toutes heureusement,

mais certaines se crispent

et me prennent tout de suite
pour une espèce d'hystérique misandre,

castratrice et frustrée souvent,

alors que quand je dis
la même chose autrement,

que je me bats pour l'égalité
entre les femmes et les hommes,

tout le monde trouve ça trop cool,
trop génial, trop rock and roll

et je passe un peu
pour mère Teresa ou Batman.

Alors, il faut arrêter

d'avoir une définition aussi
simpliste du féminisme

et vraiment accepter
nos féminismes, au pluriel,

dans toute leur richesse
et leur diversité.

Pour que le terme « féminisme »
ne soit plus un gros mot,

il faut que
tous les féministes s'assument.

Par exemple, ce soir dans cette salle,
je suis sûre qu'il y a plein de féministes

soit qui l'ignorent encore,

soit qui n'assument pas
cette appellation.

Pour que les choses changent,
il faut que toutes et tous,

on commence à dire
qu'on est féministes.

Dans vos prochains dîners
ou vos prochaines soirées,

je ne vous demande pas de faire
comme moi et de vous balader seins nus,

ou de montrer vos seins
en signe de protestation

et de risquer éventuellement
une accusation pour exhibition sexuelle,

mais je vous demande juste de dire :

« Eh bien oui, moi aussi,
je suis féministe. »

Merci.

(Applaudissements)