Mon histoire | Zineb El Rhazoui | TEDxKalamata

Quelques mois après l'attaque de Charlie Hebdo qui a choqué le monde entier, Zineb est venue à TEDxKalamata pour un puissant discours.
Au cours de cette conférence, elle partage son point de vue sur les droits de l'Homme, le racisme et la liberté d'expression.

Cette présentation a été donnée lors d'un événement TEDx local utilisant le format des conférences TED mais organisé indépendamment. En savoir plus : http://ted.com/tedx

Bonjour tout le monde. Merci d'être ici.

Je souhaiterais avant tout
m’excuser pour mon anglais.

Je pense qu'il est aussi bon que le vôtre.

Je n'ai pas de diapositives
à vous montrer.

La seule que je veuille
vous montrer est celle-ci,

car je vais vous raconter
ce qu'il est arrivé à mes collègues

et ce qui continuera à arriver
si l'on ne fait rien,

si l'on continue d'attendre

et qu'on ne réalise pas
que nous sommes tous menacés,

non seulement nous, mais aussi
nos valeurs, notre modèle de société.

Laissez-moi me présenter.
Je m'appelle Zineb El Rhazoui.

Je suis née au Maroc, d'un père
marocain et d'une mère française.

J'ai grandi au Maroc,
dans la culture musulmane

et j'ai commencé à lutter pour la liberté

en 2009.

J'ai eu de nombreux soucis
avec le régime local,

car au Maroc, l'Islam
est la religion d'État.

J'ai dû quitter le Maroc après cela,

et pour faire court, j'ai rejoint
Charlie Hebdo en 2011

et j'ai commencé à travailler avec eux

dans une atmosphère rigolote

mais en défendant de très fortes
et très simples valeurs.

Vous savez, hier, nous étions
là pour la répétition,

et je parlais avec Inna Shevchenko
des Femen, qui interviendra plus tard,

et elle me disait quelque chose,

elle me disait : « Zineb, est-ce que
tu réalises que dans ce très bel endroit,

il y a 2 000 ans, les gens parlaient
de choses plus intéressantes

que celles dont nous parlerons ce soir ? »

Parce que ce soir, je veux juste
partager un message très basique.

Mon message est que les gens
qui font des caricatures drôles

comme celle-ci,

ou qui écrivent des blagues

sur le pouvoir, la religion, l'argent,
la politique, sur vous et sur moi,

ne doivent pas être tués.

(Applaudissements)

Au mois de janvier dernier,
je n'étais pas présente

lorsque les frères Kouachi
ont exécuté huit de mes collègues

et quatre autres personnes
à Charlie Hebdo.

J'ai rejoint la France un jour après,

et aujourd'hui, tout comme
certains rescapés,

je vis sous protection policière,

j'ai un très lourd
protocole de protection.

Donc, quand j'achète du pain,
des gardes du corps m'accompagnent.

Quand je vais aux toilettes dans un café,

un de mes gardes du corps
se tient debout à côté de la porte.

Je vais au supermarché,
avec mes gardes du corps.

Quand j'exerce mon métier de journaliste,
des gardes du corps m'accompagnent.

Je vis au cœur de Paris, je vis
dans cette belle ville qui est Paris,

où normalement les gens comme moi
ne devraient pas être protégés.

Normalement, les gardes du corps
travaillent avec des VIP,

avec des politiciens,

pas avec de simples journalistes
comme moi qui écrivent ou dessinent.

Mais je me demande

pourquoi souvent les gens
qui font l'objet de fatwas, comme moi -

je dois d'abord vous parler de ces fatwas.

La menace a commencé le 18 janvier,

lorsqu'on a publié ce que les médias
ont appelé le numéro des survivants.

Luz, mon collègue, a fait ce beau dessin

qui représente quelqu'un supposé être
le prophète Mahomet en train de pleurer,

délivrant un message de pardon
et disant : « Je suis Charlie »,

bien sûr, parce que ça doit être drôle.

Certaines personnes, des gens
de Daech, les fondamentalistes,

ont trouvé que c'était une provocation.

Et vous savez, leurs compères avaient tué
mes collègues une semaine avant,

mais ils ont trouvé
que c'était une provocation !

On a commencé à recevoir
des menaces venant de Daech,

disant : « Vous avez échappé par miracle
à notre glorieuse attaque à Paris

où vos frères en athéisme,

les journalistes de Charlie
Hebdo ont été tués,

mais croyez-nous,
nous ne fermerons pas l’œil

avant d'avoir séparé
votre tête de votre corps. »

Au même moment, une vidéo
YouTube a été publiée

par un groupe qui s'est nommé
les « Anonymous Islamic Youth »

me promettant que je serai
bientôt condamnée à mort,

ils n'ont pas précisé quand
mais ont dit bientôt.

Et quelques semaines plus tard,

il y avait deux hashtags
sur Twitter en arabe.

Le premier disait :

« Le devoir de tuer Zineb El Rhazoui
pour venger le prophète »

et le deuxième :

« Localisez Zineb El Rhazoui
pour la tuer ».

Donc, il y avait de sérieuses tentatives
de me localiser à Paris.

Ils ont également donné
la justification religieuse

de pourquoi il était devenu obligatoire
pour chaque musulman de me tuer.

Ils ont donné plusieurs méthodes
pour m'exécuter.

Donc, si l'on a pas de balle ou de bombe,

isolez-moi quelque part, brisez
ma tête avec de grosses pierres,

coupez-moi la tête ou brûlez-moi,
ou au moins brûlez ma maison.

Alors je me demande
pourquoi je suis menacée.

Et aussi, pourquoi très souvent,
les gens dont la tête est mise à prix

sont généralement issus
de la culture musulmane.

Ce fut le cas pour Salman Rushdie,
il est né dans une famille musulmane.

Taslima Nasreen. Kamel
Daoud, l'écrivain algérien,

Nawal El Saadawi, féministe
et écrivaine égyptienne.

Raif Badawi qui est toujours
emprisonné en Arabie Saoudite.

Cheikh Ould Mkhaitir,
le bloggeur mauritanien

qui est condamné à mort.

Tous ces gens ont leur tête mise à prix

ou sont condamnés à mort
parce qu'ils ont critiqué la religion.

Et je vais vous dire pourquoi à mon sens.

Parce que je pense que les gens comme nous

sont la contradiction vivante
à cet écran de fumée

que les fondamentalistes
veulent mettre dans nos têtes.

Si vous avez le même discours
que j'ai sur l'Islam -

j'ai grandi dans cette religion,

je l'ai étudiée durant 16 ans
à l'école marocaine,

je parle arabe, j'enseignais
l'arabe en Égypte,

donc je connais mon sujet.

Mais si vous en tant que peuple grec,

si les Occidentaux, les Européens
disent la même chose que moi,

on leur dit : « Oh, vous êtes islamophobe.

Cela signifie que vous êtes
raciste, alors taisez-vous. »

Mais quand des gens comme nous
tiennent ce discours,

ils ne peuvent pas dire
que nous sommes racistes.

Ils peuvent dire que nous sommes
les Arabes qui s'auto-détestent,

mais rien de très sérieux.

Donc, ces gens, les fondamentalistes,

dans les pays où l'Islam
est la religion d'État,

où ils ont le pouvoir,

dans ces pays,
si vous critiquez leur religion,

ils vous mettent en prison
ou vous tuent.

Mais en Europe, ils n'ont pas
d'outil légal pour nous faire taire.

Donc, ils nous accusent
d'être islamophobe puis raciste.

Alors étudions cette notion,
ce concept d'islamophobie.

Pourquoi diable quand un Chrétien
critique sa religion,

on dit qu'il est anticlérical ?

On ne dit pas qu'il est christianophobe.

Mais quand un Musulman
critique sa religion, il est islamophobe.

Première question.

Deuxième question,

pourquoi sommes-nous censés considérer
les Musulmans comme une race ?

Et pourquoi considérons-nous
que les Musulmans

sont condamnés à être gouvernés
par leur propre tradition ?

Ne sont-ils pas capables de partager
les mêmes valeurs universelles que nous ?

Pourquoi accuser ceux
qui critiquent l'Islam d'être raciste ?

Ce sont juste des gens qui disent :

« Nous sommes pour l'égalité
entre les hommes et les femmes

et nous considérons que tout être humain
devrait appliquer cette égalité. »

Pourquoi exclure les Musulmans
de cette égalité ?

Pourquoi les exclure
des valeurs universelles ?

N'est-ce pas exactement du racisme ?

N'est-ce pas du racisme de dire :

« Nous, Occidentaux, voulons
certaines valeurs pour notre société,

mais pour ce qui est de ces gens,

nous comprendrons
qu'ils fassent différemment

car nous ne voulons pas être racistes. »

C'est exactement du racisme pour moi.

Et vous savez, cette islamophobie en fait,

c'est une imposture intellectuelle,

qui a été inventée, qui a été crée
la première fois par les mollahs iraniens,

pour nous faire taire, mais en réalité,
ça ne marche pas vraiment.

Ce mot est entré cette année
dans le dictionnaire.

Il y est écrit
que l'islamophobie signifie

l'hostilité envers l'Islam
et les Musulmans.

Donc ici, il y a une confusion

entre critiquer des idées
et critiquer des gens.

Ce sont deux choses très différentes.

Et le Conseil de l'Europe

a aussi adopté récemment
cette définition de l'islamophobie,

à savoir exprimer des idées
hostiles ou négatives

envers l'Islam ou les Musulmans

et que cela est considéré comme raciste.

Donc, si l'on considère que dans des pays
comme la France par exemple,

le racisme n'est pas une opinion,

le racisme est interdit
par la loi en France.

Donc, si l'on considère
que l'islamophobie,

qui est le fait de critiquer
l'Islam, soit du racisme,

vous êtes obligé par la loi d'avoir
une opinion positive sur l'Islam.

N'est-ce pas du fascisme ?

Considérons une seconde notion,

un second écran de fumée

que les fondamentalistes
veulent mettre dans nos esprits

pour nous empêcher
de critiquer leur fondamentalisme.

Vous savez, aux États-Unis par exemple,

j'y ai été récemment,

ils ont un nouveau concept
appelé la zone neutre.

Que signifie la zone neutre ?

La zone neutre signifie
que vous venez à ma conférence,

vous payez pour venir à ma conférence,

personne ne vous y a obligé,

mais vous n'êtes pas d'accord avec moi,
donc vous voulez que je me taise.

La zone neutre est l'endroit dans lequel
on a le droit de ne pas être offensé.

Donc si vous ne voulez pas être offensé,

vous ne venez pas,
vous éteignez votre télévision,

vous n'achetez pas Charlie Hebdo,

ou vous passez votre chemin.

Mais si vous venez, écoutez-moi

et je serai en mesure
de vous écouter également.

Et en fait, ce droit
à ne pas être offensé n'existe pas.

Le seul droit qui existe
est le droit à la liberté d'expression.

La liberté d'expression
est un droit qui existe.

(Applaudissements)

Donc, ce que je veux vous dire à tous,

c'est que l'on doit être très
conscients des techniques,

des techniques très compliquées

utilisées par les fondamentalistes

pour changer les notions

et mettre un poison dans certaines valeurs
qui étaient très simples,

qui sont très claires,

comme la démocratie, la laïcité,
la liberté d'expression

et le racisme.

Le racisme existe en Europe,

mais le racisme n'est pas le fait
de critiquer une religion,

ou le fait de critiquer une idée,

le racisme est le fait de dépouiller
quelqu'un de ses droits,

ou le fait d'appliquer
des clichés généraux

à des gens qui sont supposés
appartenir à une communauté,

que ce soit une religion,
une race ou une couleur.

Ceci est du racisme.

Le racisme n'est pas de critiquer
l'Islam ou toute autre idée,

parce que l'Islam est une idée
et l'Islam est un pouvoir.

L'Islam est un pouvoir politique

dans les pays où l'Islam
est la religion d'État.

Votre vie est régie par l'Islam.

Par exemple, je suis née au Maroc.

Je suis considérée par la loi comme étant
musulmane alors que je suis athée.

Mais je suis obligée d'être considérée
comme musulmane par la loi.

Ma vie est condamnée
à être régie par l'Islam.

Je suis condamnée à épouser un Musulman,
même si j'aime un homme non musulman,

je ne peux pas l'épouser,
c'est interdit par la loi.

Je n’hérite que la moitié
de ce qu'un homme hérite,

bien que je paye mon café au même prix.

Alors pourquoi diable n'ai-je pas
le droit de critiquer ce pouvoir ?

N'est-ce pas du racisme ?

N'est-ce pas du racisme de dire :

« Vous êtes née dans une culture

donc vous ne pouvez pas
accéder aux valeurs universelles. »

On doit tous être conscients de cela,

et l'on doit tous comprendre
que dans ce monde, ici en Europe,

de nombreux événements comme celui-ci
ont été annulés à des fins de sécurité,

qu'il y a des gens qui parlent,
qui sont menacés,

dont les vies sont détruites
par ces menaces,

dont les vies sont détruites
par ce monstre sans visage

qui peut être partout

et qui veut nous empêcher de défendre

nos valeurs universelles de liberté.

Donc je pense que
l'on doit être conscients

qu'aujourd'hui je suis menacée
en tant que personne,

mais peu importe ma personne,
peu importe les gens,

c'est une question de valeurs.

Et plus on en est conscients,
moins cher sera le prix à payer.

Avec Charlie Hebdo, on a payé le prix fort

pour notre liberté d’expression,

parce que nous étions isolés.

Beaucoup de gens, même en France,
n'ont pas compris de quoi l'on parlait.

Beaucoup de gens ont dit : « Ce n'est pas
important de faire ces blagues,

nous pouvons cesser ces blagues
et ne pas offenser les autres. »

Mais en réalité, ce n'est pas une question
d'offenser ou pas les autres,

c'est une question de civilisation,

et le droit au blasphème

est exactement la frontière
entre la barbarie et la civilisation

et c'est ce pourquoi nous l'avons fait.

Merci.

(Applaudissements)