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Ces blessures que l'on ne voit pas | Edith Bouvier | TEDxToulouse

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    J'ai envie de vous dévoiler
    les failles des journalistes aujourd'hui.
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    Alors je ne vais pas vraiment vous parler
    des histoires, des ragots,
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    des commentaires sur la vie privée,
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    ou des histoires de censure
    même au Figaro,
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    parce que je pense que ça
    vous vous y connaissez mieux que moi.
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    Ce dont j'ai envie de vous parler,
    c'est des blessures qu'on ne voit pas.
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    C'est des failles de l'intérieur.
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    C'est au retour de reportage,
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    des regards qui se figent,
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    des besoins de s'isoler,
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    des difficultés à communiquer ;
  • 0:46 - 0:50
    c'est une impossibilité d'exprimer
    ce qu'on a à l'intérieur.
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    Pourquoi j'ai envie de vous parler de ça,
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    c'est que le 22 février 2012,
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    je me trouvais en Syrie effectivement,
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    dans un centre de presse
    de la ville de Baba Amr,
  • 1:04 - 1:06
    en Syrie, à Homs,
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    en aparté, c'est bombardé
    en ce moment de nouveau,
  • 1:11 - 1:15
    et comme aujourd'hui,
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    les bombardements ont commencé
    à 8h20, très précisément, à nous cibler,
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    inlassablement, à se rapprocher de nous,
  • 1:24 - 1:29
    jusqu'à tuer Rémi Ochlik,
    qui était un très grand photographe,
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    talentueux, beau comme un cœur.
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    Jusqu'à tuer Marie Colvin,
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    qui était « The Hero » pour moi,
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    le grand reporter qui avait tout vécu.
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    Jusqu'à blesser gravement
    Paul Conroy, son photographe,
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    et deux miraculés :
  • 1:47 - 1:50
    Javier Espinosa et Williams Daniels,
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    les photographes avec qui
    j’essayais de travailler
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    qui ont été donc sauvés
    sans aucune blessure.
  • 1:57 - 2:02
    Et moi il y a plein d'éclats d'obus
    qui ont perforé ma jambe, mes cuisses,
  • 2:02 - 2:06
    et qui ont réduit mon fémur
    en plein de petits éclats de miettes.
  • 2:07 - 2:10
    On a réussi à s'en sortir,
  • 2:10 - 2:12
    grâce au courage des Syriens,
  • 2:12 - 2:14
    grâce au courage de Williams Daniels.
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    On est arrivé en France le 02 mars 2012,
  • 2:18 - 2:22
    et j'ai passé plusieurs semaines
    à l’hôpital, enfermée, bloquée,
  • 2:22 - 2:25
    plus dans un hôpital militaire,
    donc en termes d'enfermement,
  • 2:25 - 2:27
    ils sont assez forts,
  • 2:27 - 2:31
    et là j'ai eu de la chance en fait,
  • 2:31 - 2:34
    parce qu'il y avait des médecins
    qui ont sauvé ma jambe,
  • 2:34 - 2:36
    grâce à eux, je suis debout
    devant vous aujourd'hui,
  • 2:36 - 2:40
    et puis qui ont sauvé ma tête,
    parce qu'ils m'ont forcée à parler
  • 2:40 - 2:43
    Il y a une fois où je me suis endormie,
    il ne faut pas le dire au monsieur,
  • 2:43 - 2:45
    mais ils m'ont fait parler,
    ils m'ont fait parler de la mort,
  • 2:45 - 2:47
    ils m'ont fait parler de voir un ami mort,
  • 2:47 - 2:49
    ils m'ont fait parler
    de ce que j'avais vécu
  • 2:49 - 2:51
    et ça m'a vachement aidée.
  • 2:51 - 2:52
    Je ne voulais pas le dire au début,
  • 2:52 - 2:54
    mais je pense que ça m'a vachement aidée.
  • 2:56 - 2:59
    Parce que dans mon métier,
    on ne parle pas de ça.
  • 2:59 - 3:02
    Parce que dans mon métier,
    on ne raconte pas ces blessures là.
  • 3:02 - 3:06
    Parce que dans mon métier,
    on est fort et on repart au combat,
  • 3:06 - 3:07
    on n'est jamais fatigué.
  • 3:07 - 3:10
    On est sale, on pue,
    mais on repart au combat.
  • 3:11 - 3:13
    Alors je vais faire
    un parallèle avec l'armée,
  • 3:13 - 3:17
    parce que c'est un peu les mêmes
    situations, malheureusement souvent,
  • 3:17 - 3:22
    officiellement il y a 15 % des soldats
    qui reviennent de conflits
  • 3:22 - 3:25
    qui sont traumatisés psychologiquement.
  • 3:25 - 3:28
    C'est énorme, et encore
    c'est des chiffres officiels,
  • 3:28 - 3:31
    ça veut dire qu'il y en a beaucoup
    qui à l'intérieur sont mal en point
  • 3:31 - 3:33
    et qui ne le diront jamais.
  • 3:39 - 3:42
    Chaque jour, il y a 18 vétérans américains
  • 3:42 - 3:44
    qui tentent de mettre fin à leur vie
  • 3:44 - 3:47
    et qui se suicident.
  • 3:47 - 3:53
    C'est bien pire que le bilan officiel
    des combats en Afghanistan et en Irak.
  • 3:54 - 3:56
    J'aimerais vous donner
    des chiffres sur mon métier,
  • 3:56 - 3:59
    mais la grande muette
    ce n'est pas l'armée, c'est nous.
  • 3:59 - 4:02
    Nous, on ne parle pas
    de ça, comme je l'ai dit.
  • 4:02 - 4:05
    Il y a un psychologue,
    psychiatre américain
  • 4:05 - 4:06
    qui a un peu essayé
    de travailler là-dessus,
  • 4:06 - 4:11
    qui a essayé d'interroger
    des journalistes de guerre ou pas,
  • 4:11 - 4:14
    et le chiffre déjà il est assez horrible :
  • 4:14 - 4:19
    28 % de la première catégorie,
    des reporters de guerre,
  • 4:19 - 4:23
    souffrent de ce qu'on appelle un PTSD :
    un syndrome de stress post-traumatique,
  • 4:23 - 4:25
    je vais revenir là dessus après,
  • 4:25 - 4:28
    et 24 % d'une grave dépression.
  • 4:30 - 4:36
    Alors qu'est-ce que c'est
    que ce PTSD, donc ?
  • 4:36 - 4:39
    On parle plutôt de PTSD,
    c'est le nom en anglais,
  • 4:39 - 4:42
    je ne vous le ferai pas avec la traduction
    parce que ça va être ridicule,
  • 4:42 - 4:45
    mais en français ça veut dire
    syndrome de stress post-traumatique,
  • 4:45 - 4:47
    SSPT,
  • 4:47 - 4:48
    mais il n'y a que les Américains
    qui ont bossé là dessus,
  • 4:48 - 4:50
    nous on s'en fout,
  • 4:50 - 4:53
    ça ne nous concerne pas,
    on est plus fort que ça.
  • 4:54 - 4:55
    Qu'est-ce que c'est ?
  • 4:55 - 4:57
    Alors j'ai appris la phrase psy par cœur,
  • 4:57 - 5:00
    j'ai fait trois séances de psy,
    c'est ma seule connaissance.
  • 5:00 - 5:03
    Le PTSD est une réaction psychologique
  • 5:03 - 5:06
    survenue suite à ...
  • 5:06 - 5:08
    Ah c'est là que ça me manque
    à chaque fois,
  • 5:10 - 5:12
    une atteinte physique ou psychologique
  • 5:12 - 5:16
    survenue ou pas,
  • 5:16 - 5:22
    mettant en danger l'intégrité physique
    ou psychologique du patient.
  • 5:25 - 5:28
    Ça veut dire que c'est
    toutes ces choses en reportage
  • 5:28 - 5:30
    qu'on voit et qu'on n'aurait pas dû voir.
  • 5:30 - 5:32
    Ces corps morts à côté de soi.
  • 5:32 - 5:35
    Ces enfants qui vont mourir
    dans pas très longtemps de la faim.
  • 5:35 - 5:38
    Ces gens malades, ces gens brûlés,
  • 5:38 - 5:39
    ces femmes violées,
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    ces femmes que leur mari
    a tenté de tuer,
  • 5:42 - 5:45
    parce qu'elles avaient pris le téléphone
    et qu'elles n'auraient pas dû,
  • 5:45 - 5:48
    ou pour des raisons tout aussi
    obscures d'ailleurs souvent.
  • 5:48 - 5:52
    C'est tout un tas de choses
    qu'entre nous, on en rigole,
  • 5:52 - 5:54
    avec un peu d'ironie,
  • 5:54 - 5:56
    en se cachant le fait qu'intérieurement,
  • 5:56 - 6:00
    ça nous a juste bouffé le bide
    d'entendre tous ces récits,
  • 6:00 - 6:04
    et on fait comme si de rien n'était,
    comme si on était plus fort que ça,
  • 6:04 - 6:07
    et on continue à entendre
    toute la journée des histoires atroces,
  • 6:07 - 6:10
    à entendre des bombes,
    à entendre des tirs et à avancer,
  • 6:10 - 6:13
    et à se prendre toutes
    ces histoires atroces toute la journée
  • 6:13 - 6:16
    et à faire comme si de rien n'était.
  • 6:16 - 6:19
    J'ai envie de vous raconter
    l'histoire de Lionel.
  • 6:19 - 6:22
    Lionel c'est mon copain à l'hôpital.
  • 6:22 - 6:26
    En fait, Lionel, je l'ai regardé
    tout de suite parce que,
  • 6:26 - 6:29
    c'est le seul qui n'était pas
    amputé, pas en béquilles,
  • 6:29 - 6:31
    ou pas sur un fauteuil roulant.
  • 6:31 - 6:36
    Ce qui fait bizarre dans un hôpital
    militaire avec que des soldats.
  • 6:36 - 6:38
    Alors je lui ai demandé ce qu'il avait,
  • 6:38 - 6:41
    et avec une sincérité
    et en même temps le visage en vrac,
  • 6:41 - 6:45
    il m'a dit : « Moi,
    je suis chez les toc toc. »
  • 6:45 - 6:47
    Ça fait bizarre quand un mec de 2m20,
  • 6:47 - 6:50
    des espèces de mains
    grosses comme mes cuisses,
  • 6:50 - 6:53
    vous regarde et vous dit
    qu'il est chez les toc toc.
  • 6:53 - 6:55
    Lionel, moi, c'est mon héro.
  • 6:55 - 6:57
    C'est le mec que vous auriez
    tous aimé avoir à vos dîners,
  • 6:57 - 6:59
    parce qu'il vous fait
    la géopolitique du monde
  • 6:59 - 7:01
    et des 20 dernières années
    en cinq minutes.
  • 7:01 - 7:03
    Parce qu'il a tout vécu.
  • 7:03 - 7:05
    Lionel, c'est Rambo.
  • 7:05 - 7:07
    Lionel, il était à Djibouti,
    il était en Somalie,
  • 7:07 - 7:09
    il était en Irak, il était au Rwanda.
  • 7:09 - 7:14
    C'est un livre de géopolitique,
    pour les professeurs, il est génial.
  • 7:14 - 7:18
    Sauf que Lionel un jour
    il était en Afghanistan,
  • 7:18 - 7:20
    et que la bombe,
    elle a explosé juste à côté.
  • 7:20 - 7:23
    Et Lionel, il a eu de la chance,
    il a été sauvé.
  • 7:23 - 7:25
    Il n'a eu aucune égratignure.
  • 7:25 - 7:27
    Il a plein de potes qui sont morts,
    mais Lionel il n'avait rien.
  • 7:27 - 7:32
    Alors il est resté sur le terrain,
    alors il a continué.
  • 7:32 - 7:36
    Mais au retour, Lionel,
    il n'allait pas bien du tout.
  • 7:36 - 7:37
    D'un coup, il a explosé,
  • 7:37 - 7:40
    d'un coup il était incapable
    de sortir de chez lui,
  • 7:40 - 7:43
    d'un coup, il avait
    une boule dans le ventre
  • 7:43 - 7:45
    et il insultait ses gosses et sa femme.
  • 7:45 - 7:47
    Sauf qu'il ne pouvait pas
    leur dire ce qu'il avait,
  • 7:47 - 7:49
    parce que d'une, il ne savait pas,
  • 7:49 - 7:52
    et de deux, il ne faisait
    que des opérations secrètes
  • 7:52 - 7:56
    et totalement secrètes,
  • 7:56 - 7:58
    et qu'il ne pouvait pas
    leur raconter ce qu'il avait vu
  • 7:58 - 8:00
    et ce qu'il avait vécu,
    et ce qu'il avait enduré
  • 8:00 - 8:03
    et ce qu'il avait subi.
  • 8:03 - 8:05
    Alors Lionel est un homme,
  • 8:05 - 8:08
    il n'a pas beaucoup réfléchit,
    il est reparti en Afghanistan
  • 8:08 - 8:10
    en se disant, je vais soigner
    le mal par le mal.
  • 8:10 - 8:11
    Je vais refaire la guerre,
  • 8:11 - 8:14
    de toute façon, c'est
    tout ce qu'il sait faire.
  • 8:14 - 8:17
    Ce n'est pas vrai, c'est ce qu'il pense.
  • 8:17 - 8:20
    Et il est reparti en Afghanistan,
    il a passé sept ans encore,
  • 8:20 - 8:23
    à faire la guerre, à voir
    des bombes tomber,
  • 8:23 - 8:24
    à voir ses potes mourir,
  • 8:24 - 8:26
    et à être blessé,
    à voir des bombes tomber,
  • 8:26 - 8:28
    à voir ses potes mourir.
  • 8:28 - 8:30
    Puis il est rentré et s'est rendu compte
  • 8:30 - 8:32
    que ça n'allait vraiment
    pas beaucoup mieux.
  • 8:32 - 8:34
    Et il a explosé,
  • 8:34 - 8:36
    je l'ai rencontré
    à l'hôpital militaire de Percy,
  • 8:36 - 8:38
    parce qu'il ne faisait plus
    que des cauchemars.
  • 8:38 - 8:39
    Parce que Lionel, il ne dort plus,
  • 8:39 - 8:42
    il refuse de dormir parce que
    quand il dort, il fait des cauchemars.
  • 8:42 - 8:44
    Parce qu'il n'a plus de vie,
  • 8:44 - 8:47
    parce que comme il me le dit,
    à l'intérieur, il est mort.
  • 8:47 - 8:49
    On le voit là, mais il n'est plus.
  • 8:49 - 8:52
    Il n'est plus dans notre monde.
  • 8:52 - 8:55
    Et Lionel, le problème
    c'est qu'il n'est pas tout seul.
  • 8:55 - 8:57
    C'est que dans l'armée
    française aujourd'hui,
  • 8:57 - 8:58
    on se rend compte qu'il y en a d'autres.
  • 8:58 - 9:00
    Dans l'armée américaine,
  • 9:00 - 9:02
    il y a plein de films qui ont parlé de ça,
  • 9:02 - 9:04
    donc on sait qu'il y en a d'autres,
  • 9:04 - 9:07
    et dans les journalistes aussi.
  • 9:08 - 9:12
    Et le souci c'est que nous,
  • 9:12 - 9:16
    comme ces blessures on ne les voit pas,
    on a du mal à les appréhender.
  • 9:16 - 9:17
    On pense que c'est
    un petit coup de fatigue,
  • 9:17 - 9:19
    on pense que ça va passer,
  • 9:19 - 9:25
    on se dit qu'on aurait dû le voir,
    qu'on aurait dû le comprendre,
  • 9:26 - 9:29
    le problème c'est qu'on ne sait
    jamais quand ça va se déclencher.
  • 9:29 - 9:32
    Le problème c'est que ça peut
    se déclencher au retour de reportage,
  • 9:32 - 9:35
    mais il suffit d'une étincelle,
  • 9:35 - 9:36
    d'un moment, d'un conflit avec sa femme,
  • 9:36 - 9:39
    d'un conflit avec la voiture en face,
  • 9:39 - 9:41
    pour que ça pète,
  • 9:41 - 9:43
    pour qu'à l'intérieur, on explose.
  • 9:43 - 9:46
    Je vais encore vous parler d'un pote,
  • 9:46 - 9:49
    j'ai plein de héros dans le métier,
  • 9:49 - 9:51
    il est photographe,
  • 9:51 - 9:55
    il a couvert lui aussi tous
    les conflits, décidément...
  • 9:55 - 9:59
    de la Bosnie au Rwanda, au Kosovo,
  • 9:59 - 10:00
    à l'Irak,
  • 10:00 - 10:04
    il a été partout, il est
    photographe de guerre,
  • 10:04 - 10:06
    donc il a vu ça pendant des années,
  • 10:06 - 10:09
    et puis en octobre dernier,
  • 10:09 - 10:11
    il a été cambriolé.
  • 10:11 - 10:12
    C'est un truc basique,
  • 10:12 - 10:14
    c'est peut-être arrivé
    à certains d'entre vous,
  • 10:14 - 10:16
    ce n'est jamais agréable,
  • 10:16 - 10:18
    mais là, pour une fois, la violence,
  • 10:18 - 10:22
    elle entrait dans ce qu'il a
    de plus intime, chez lui.
  • 10:22 - 10:23
    Ce n'était plus sur le terrain,
  • 10:23 - 10:27
    il n'avait plus l'appareil
    photo pour le cacher,
  • 10:27 - 10:33
    c'était chez lui, c'était son chien
    qui était blessé par le cambrioleur,
  • 10:33 - 10:35
    c'était ses affaires qu'on avait touché,
  • 10:35 - 10:39
    c'était son intégrité à lui,
    personnelle, qu'on avait violée,
  • 10:39 - 10:43
    et depuis il fait des cauchemars,
  • 10:43 - 10:46
    depuis il ne dort plus, depuis
    il n'arrive plus à être tout seul,
  • 10:46 - 10:50
    depuis il a toujours besoin
    d'un ami pour l'héberger,
  • 10:50 - 10:54
    pour l'aider, pour l'écouter.
  • 10:54 - 10:58
    Depuis, il a eu de la chance,
    il est en train de se remettre,
  • 10:58 - 11:00
    il a trouvé un psy pour parler de ça,
  • 11:00 - 11:03
    il a réussi à comprendre
    ce qui se passait,
  • 11:03 - 11:08
    parce que à un moment,
    à force de voir des images,
  • 11:08 - 11:12
    il a mis le doigt sur l'image
    qui l'avait traumatisé tout au fond.
  • 11:12 - 11:15
    Il s'est souvenu de ses potes
    morts sur le terrain en Bosnie,
  • 11:15 - 11:17
    ça remontait à loin.
  • 11:17 - 11:21
    Il s'est souvenu de cette femme
    qui était morte dans la neige
  • 11:21 - 11:24
    et de son incapacité à l'aider,
    à faire quoi que ce soit.
  • 11:24 - 11:27
    Il était là, impuissant, à coté d'elle.
  • 11:27 - 11:30
    Ce truc, il avait pensé
    être passé à coté,
  • 11:30 - 11:33
    puis en fait, il était resté là.
  • 11:33 - 11:35
    Ça faisait 30 ans
    qu'il était à côté d'elle
  • 11:35 - 11:38
    et qu'il ne s'en rendait même pas compte.
  • 11:39 - 11:42
    Aujourd'hui, lui, ses démons s'envolent,
  • 11:42 - 11:46
    mais être journaliste de guerre,
  • 11:46 - 11:51
    ça parait à tout le monde à chaque fois
  • 11:51 - 11:53
    totalement étrange.
  • 11:53 - 11:56
    Pourquoi vous faites ça ?
  • 11:56 - 11:58
    Alors il faut vous expliquer
    un truc, c'est que,
  • 11:58 - 11:59
    je n'aime pas la guerre.
  • 11:59 - 12:01
    Je ne regarde pas de films de guerre,
  • 12:01 - 12:03
    je n'aime pas du tout la violence,
  • 12:05 - 12:07
    je n'aime pas du tout
    le bruit et les balles,
  • 12:07 - 12:11
    je déteste cette espèce de clic...
  • 12:14 - 12:16
    ... du fusil qu'on arme.
  • 12:16 - 12:19
    Je déteste entendre des rafales
    se rapprocher de moi.
  • 12:19 - 12:21
    Je déteste encore plus
  • 12:21 - 12:24
    entendre des bombardements
    se rapprocher de moi,
  • 12:24 - 12:26
    c'est très désagréable,
  • 12:26 - 12:29
    et je déteste être obligée de me baisser
  • 12:29 - 12:31
    et courir en permanence
    pour éviter les tirs,
  • 12:31 - 12:33
    je n'ai pas le temps
    de comprendre ce qui se passe,
  • 12:33 - 12:35
    avoir des yeux derrière la tête,
  • 12:35 - 12:37
    parce qu'il faut être
    en permanence vigilent
  • 12:37 - 12:42
    de ce qui se passe autour de soi,
    de contrôler, de faire gaffe à tout.
  • 12:42 - 12:44
    C'est une fatigue, c'est un stress
  • 12:44 - 12:47
    et c'est en même temps une espèce
    d’adrénaline incroyable,
  • 12:47 - 12:51
    qui fait qu'on a une boule au ventre,
    qu'on en a marre, on en peut plus,
  • 12:51 - 12:53
    on a les larmes aux yeux,
    on a qu'une envie c'est de rentrer,
  • 12:53 - 12:55
    mais une fois qu'on est à la maison,
  • 12:55 - 12:57
    on a envie de repartir.
  • 12:58 - 13:03
    Après il y a aussi
    le plaisir de ce travail,
  • 13:03 - 13:07
    le plaisir et le sentiment
    de faire un métier intéressant
  • 13:07 - 13:10
    et de raconter des histoires
    qu'il faut vous raconter,
  • 13:10 - 13:14
    mais il y a aussi cette adrénaline là,
    il ne faut pas se mentir.
  • 13:16 - 13:19
    Le problème c'est que ça ne concerne pas
    que les journalistes de guerre,
  • 13:19 - 13:21
    ça concerne toutes
    les catégories de journalistes,
  • 13:21 - 13:24
    parce que, malheureusement
    on est régulièrement confrontés
  • 13:24 - 13:26
    à des scènes qu'on n'aurait pas dû voir,
  • 13:26 - 13:30
    et des choses qui n'arrivent pas
    dans le quotidien de tout un chacun.
  • 13:30 - 13:32
    Ce n'est pas normal de se retrouver
    dans un camp de réfugiés
  • 13:32 - 13:35
    avec des enfants de deux ans
    qui meurent à tire-larigot.
  • 13:35 - 13:39
    Ce n'est pas normal de discuter
    avec des femmes violées, toute la journée.
  • 13:39 - 13:40
    Ce n'est pas normal de discuter
  • 13:40 - 13:43
    avec des femmes qui ont été
    brûlées par leur mari.
  • 13:43 - 13:47
    C'est tout un tas de scènes
    et d'histoires qui nous hantent
  • 13:47 - 13:49
    en fait au retour.
  • 13:49 - 13:53
    J'ai une copine,
  • 13:53 - 13:55
    qui est journaliste de culture,
  • 13:55 - 13:59
    qui fait aussi un peu de société,
    qui fait un peu d’Afrique,
  • 13:59 - 14:02
    et qui par hasard l'année dernière,
    s'est retrouvée en Libye,
  • 14:02 - 14:04
    et par hasard à Tripoli,
  • 14:04 - 14:06
    elle s'est retrouvée
    au milieu d'un charnier.
  • 14:08 - 14:10
    Et là, il y a quelque chose
    d'encore plus indescriptible,
  • 14:10 - 14:12
    c'est l'odeur de la mort.
  • 14:12 - 14:16
    C'est la vision de corps en décomposition
    de femmes, d'hommes, d'enfants,
  • 14:16 - 14:18
    depuis plusieurs jours, semaines.
  • 14:18 - 14:23
    C'est ce sentiment de recul qu'on a.
  • 14:23 - 14:26
    Elle a fait son truc,
    elle a fait ses reportages,
  • 14:26 - 14:27
    elle est rentrée,
    elle pensait que tout allait bien,
  • 14:27 - 14:29
    qu'elle avait géré,
  • 14:29 - 14:31
    mais elle n'avait pas géré.
  • 14:31 - 14:33
    Quelques mois plus tard,
  • 14:33 - 14:35
    elle s'est réveillée
    en sursaut au milieu de la nuit
  • 14:35 - 14:39
    et incapable se savoir ce qui l'a hanté.
  • 14:39 - 14:42
    Et il a fallu creuser, il a fallu parler,
  • 14:42 - 14:46
    il a fallu essayer de comprendre
    d'où venaient ses démons,
  • 14:46 - 14:48
    et ses démons, ils revenaient à la Libye.
  • 14:48 - 14:51
    Et aujourd'hui elle va mieux,
  • 14:51 - 14:54
    mais il y avait ce petit diablotin
    qui était en train de grandir
  • 14:54 - 14:56
    au creux de son bide.
  • 14:56 - 14:58
    Et le problème, c'est qu'on
    ne sait pas mettre des mots
  • 14:58 - 15:00
    encore tous sur ce qu'on a vécu
  • 15:00 - 15:02
    et qu'il faut passer
    par ces épisodes atroces
  • 15:02 - 15:05
    de cauchemars, d'isolement, de dépression,
  • 15:05 - 15:10
    pour comprendre ce qu'on a
    et pour avancer dessus.
  • 15:10 - 15:14
    Le problème c'est qu'aujourd'hui
    l'armée française, américaine, anglaise,
  • 15:14 - 15:18
    font le travail pour entourer,
    pour encadrer, pour former
  • 15:18 - 15:21
    leurs troupes à ce genre de chose.
  • 15:21 - 15:24
    Et les humanitaires qu'on côtoie
    également beaucoup sur le terrain,
  • 15:24 - 15:26
    font le travail pour débriefer au retour,
  • 15:26 - 15:28
    pour être formés avant,
  • 15:28 - 15:33
    pour anticiper des possibilités de PTSD,
  • 15:33 - 15:36
    mais nous, on ne fait rien,
  • 15:36 - 15:38
    nous, on gère.
  • 15:39 - 15:44
    Aujourd'hui, parce que
    je ne veux plus qu'il y ait de Lionel,
  • 15:44 - 15:47
    et puis il y a plein d'autres copains
    qui ont été pris en otages,
  • 15:47 - 15:50
    dont le pote a été tué,
    qui ont été violés,
  • 15:50 - 15:52
    dont je ne vous ai pas encore parlé,
  • 15:52 - 15:54
    ça sera pour une autre fois,
  • 15:54 - 15:55
    parce que je ne veux plus
    qu'il y ait de Lionel,
  • 15:55 - 15:57
    je ne veux plus qu'il y ait tout ça,
  • 15:57 - 15:59
    j'essaye de mettre en place une structure,
  • 15:59 - 16:02
    je ne sais pas encore trop
    quelle forme ça prendra,
  • 16:02 - 16:04
    pour que quand on rentre de reportage,
  • 16:04 - 16:07
    qu'on soit en rédaction ou indépendant,
  • 16:07 - 16:11
    comme on pose notre gilet
    pare-balles et notre casque,
  • 16:11 - 16:12
    comme on pose notre valise satellite,
  • 16:12 - 16:15
    ça c'est des trucs que vous
    ne devez pas manier souvent,
  • 16:15 - 16:17
    notre valise satellite
    et notre ordinateur,
  • 16:17 - 16:19
    et bien on pose tout ce qu'on a,
  • 16:19 - 16:21
    tout ce qu'on a vu qu'on aurait pas dû,
  • 16:21 - 16:23
    tout ce qu'on a senti
    qu'on n'aurait pas dû,
  • 16:23 - 16:26
    tout ce trop plein d’émotions,
  • 16:26 - 16:29
    qu'on le pose dans le bureau
    du psy, qu'on lui donne,
  • 16:29 - 16:33
    et qu'on s'en sorte et qu'on avance.
  • 16:33 - 16:36
    Mais voila, il y a encore plein
    d'autres choses à faire là dessus,
  • 16:36 - 16:38
    il y a encore plein
    de choses à travailler,
  • 16:38 - 16:43
    et j’espère venir à TEDx la prochaine fois
    pour vous présenter ma structure.
  • 16:43 - 16:46
    Merci.
    (Applaudissements)
  • 16:46 - 16:47
    (Applaudissements)
Title:
Ces blessures que l'on ne voit pas | Edith Bouvier | TEDxToulouse
Description:

Edith Bouvier nous parle des blessures invisibles dont sont victimes les reporters et de sa volonté de monter une structure visant à prendre en charge psychologiquement les journalistes à leur retour de reportage.

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Video Language:
French
Team:
closed TED
Project:
TEDxTalks
Duration:
16:52

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