Ces blessures que l'on ne voit pas | Edith Bouvier | TEDxToulouse
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0:13 - 0:17J'ai envie de vous dévoiler
les failles des journalistes aujourd'hui. -
0:17 - 0:21Alors je ne vais pas vraiment vous parler
des histoires, des ragots, -
0:21 - 0:23des commentaires sur la vie privée,
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0:23 - 0:27ou des histoires de censure
même au Figaro, -
0:27 - 0:29parce que je pense que ça
vous vous y connaissez mieux que moi. -
0:29 - 0:32Ce dont j'ai envie de vous parler,
c'est des blessures qu'on ne voit pas. -
0:32 - 0:34C'est des failles de l'intérieur.
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0:34 - 0:37C'est au retour de reportage,
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0:37 - 0:39des regards qui se figent,
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0:39 - 0:43des besoins de s'isoler,
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0:43 - 0:46des difficultés à communiquer ;
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0:46 - 0:50c'est une impossibilité d'exprimer
ce qu'on a à l'intérieur. -
0:53 - 0:55Pourquoi j'ai envie de vous parler de ça,
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0:55 - 0:58c'est que le 22 février 2012,
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0:58 - 1:01je me trouvais en Syrie effectivement,
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1:01 - 1:04dans un centre de presse
de la ville de Baba Amr, -
1:04 - 1:06en Syrie, à Homs,
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1:06 - 1:11en aparté, c'est bombardé
en ce moment de nouveau, -
1:11 - 1:15et comme aujourd'hui,
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1:15 - 1:21les bombardements ont commencé
à 8h20, très précisément, à nous cibler, -
1:21 - 1:24inlassablement, à se rapprocher de nous,
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1:24 - 1:29jusqu'à tuer Rémi Ochlik,
qui était un très grand photographe, -
1:29 - 1:32talentueux, beau comme un cœur.
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1:32 - 1:34Jusqu'à tuer Marie Colvin,
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1:34 - 1:37qui était « The Hero » pour moi,
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1:37 - 1:39le grand reporter qui avait tout vécu.
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1:39 - 1:44Jusqu'à blesser gravement
Paul Conroy, son photographe, -
1:44 - 1:47et deux miraculés :
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1:47 - 1:50Javier Espinosa et Williams Daniels,
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1:50 - 1:53les photographes avec qui
j’essayais de travailler -
1:53 - 1:57qui ont été donc sauvés
sans aucune blessure. -
1:57 - 2:02Et moi il y a plein d'éclats d'obus
qui ont perforé ma jambe, mes cuisses, -
2:02 - 2:06et qui ont réduit mon fémur
en plein de petits éclats de miettes. -
2:07 - 2:10On a réussi à s'en sortir,
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2:10 - 2:12grâce au courage des Syriens,
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2:12 - 2:14grâce au courage de Williams Daniels.
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2:14 - 2:18On est arrivé en France le 02 mars 2012,
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2:18 - 2:22et j'ai passé plusieurs semaines
à l’hôpital, enfermée, bloquée, -
2:22 - 2:25plus dans un hôpital militaire,
donc en termes d'enfermement, -
2:25 - 2:27ils sont assez forts,
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2:27 - 2:31et là j'ai eu de la chance en fait,
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2:31 - 2:34parce qu'il y avait des médecins
qui ont sauvé ma jambe, -
2:34 - 2:36grâce à eux, je suis debout
devant vous aujourd'hui, -
2:36 - 2:40et puis qui ont sauvé ma tête,
parce qu'ils m'ont forcée à parler -
2:40 - 2:43Il y a une fois où je me suis endormie,
il ne faut pas le dire au monsieur, -
2:43 - 2:45mais ils m'ont fait parler,
ils m'ont fait parler de la mort, -
2:45 - 2:47ils m'ont fait parler de voir un ami mort,
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2:47 - 2:49ils m'ont fait parler
de ce que j'avais vécu -
2:49 - 2:51et ça m'a vachement aidée.
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2:51 - 2:52Je ne voulais pas le dire au début,
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2:52 - 2:54mais je pense que ça m'a vachement aidée.
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2:56 - 2:59Parce que dans mon métier,
on ne parle pas de ça. -
2:59 - 3:02Parce que dans mon métier,
on ne raconte pas ces blessures là. -
3:02 - 3:06Parce que dans mon métier,
on est fort et on repart au combat, -
3:06 - 3:07on n'est jamais fatigué.
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3:07 - 3:10On est sale, on pue,
mais on repart au combat. -
3:11 - 3:13Alors je vais faire
un parallèle avec l'armée, -
3:13 - 3:17parce que c'est un peu les mêmes
situations, malheureusement souvent, -
3:17 - 3:22officiellement il y a 15 % des soldats
qui reviennent de conflits -
3:22 - 3:25qui sont traumatisés psychologiquement.
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3:25 - 3:28C'est énorme, et encore
c'est des chiffres officiels, -
3:28 - 3:31ça veut dire qu'il y en a beaucoup
qui à l'intérieur sont mal en point -
3:31 - 3:33et qui ne le diront jamais.
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3:39 - 3:42Chaque jour, il y a 18 vétérans américains
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3:42 - 3:44qui tentent de mettre fin à leur vie
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3:44 - 3:47et qui se suicident.
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3:47 - 3:53C'est bien pire que le bilan officiel
des combats en Afghanistan et en Irak. -
3:54 - 3:56J'aimerais vous donner
des chiffres sur mon métier, -
3:56 - 3:59mais la grande muette
ce n'est pas l'armée, c'est nous. -
3:59 - 4:02Nous, on ne parle pas
de ça, comme je l'ai dit. -
4:02 - 4:05Il y a un psychologue,
psychiatre américain -
4:05 - 4:06qui a un peu essayé
de travailler là-dessus, -
4:06 - 4:11qui a essayé d'interroger
des journalistes de guerre ou pas, -
4:11 - 4:14et le chiffre déjà il est assez horrible :
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4:14 - 4:1928 % de la première catégorie,
des reporters de guerre, -
4:19 - 4:23souffrent de ce qu'on appelle un PTSD :
un syndrome de stress post-traumatique, -
4:23 - 4:25je vais revenir là dessus après,
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4:25 - 4:28et 24 % d'une grave dépression.
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4:30 - 4:36Alors qu'est-ce que c'est
que ce PTSD, donc ? -
4:36 - 4:39On parle plutôt de PTSD,
c'est le nom en anglais, -
4:39 - 4:42je ne vous le ferai pas avec la traduction
parce que ça va être ridicule, -
4:42 - 4:45mais en français ça veut dire
syndrome de stress post-traumatique, -
4:45 - 4:47SSPT,
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4:47 - 4:48mais il n'y a que les Américains
qui ont bossé là dessus, -
4:48 - 4:50nous on s'en fout,
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4:50 - 4:53ça ne nous concerne pas,
on est plus fort que ça. -
4:54 - 4:55Qu'est-ce que c'est ?
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4:55 - 4:57Alors j'ai appris la phrase psy par cœur,
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4:57 - 5:00j'ai fait trois séances de psy,
c'est ma seule connaissance. -
5:00 - 5:03Le PTSD est une réaction psychologique
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5:03 - 5:06survenue suite à ...
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5:06 - 5:08Ah c'est là que ça me manque
à chaque fois, -
5:10 - 5:12une atteinte physique ou psychologique
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5:12 - 5:16survenue ou pas,
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5:16 - 5:22mettant en danger l'intégrité physique
ou psychologique du patient. -
5:25 - 5:28Ça veut dire que c'est
toutes ces choses en reportage -
5:28 - 5:30qu'on voit et qu'on n'aurait pas dû voir.
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5:30 - 5:32Ces corps morts à côté de soi.
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5:32 - 5:35Ces enfants qui vont mourir
dans pas très longtemps de la faim. -
5:35 - 5:38Ces gens malades, ces gens brûlés,
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5:38 - 5:39ces femmes violées,
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5:39 - 5:42ces femmes que leur mari
a tenté de tuer, -
5:42 - 5:45parce qu'elles avaient pris le téléphone
et qu'elles n'auraient pas dû, -
5:45 - 5:48ou pour des raisons tout aussi
obscures d'ailleurs souvent. -
5:48 - 5:52C'est tout un tas de choses
qu'entre nous, on en rigole, -
5:52 - 5:54avec un peu d'ironie,
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5:54 - 5:56en se cachant le fait qu'intérieurement,
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5:56 - 6:00ça nous a juste bouffé le bide
d'entendre tous ces récits, -
6:00 - 6:04et on fait comme si de rien n'était,
comme si on était plus fort que ça, -
6:04 - 6:07et on continue à entendre
toute la journée des histoires atroces, -
6:07 - 6:10à entendre des bombes,
à entendre des tirs et à avancer, -
6:10 - 6:13et à se prendre toutes
ces histoires atroces toute la journée -
6:13 - 6:16et à faire comme si de rien n'était.
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6:16 - 6:19J'ai envie de vous raconter
l'histoire de Lionel. -
6:19 - 6:22Lionel c'est mon copain à l'hôpital.
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6:22 - 6:26En fait, Lionel, je l'ai regardé
tout de suite parce que, -
6:26 - 6:29c'est le seul qui n'était pas
amputé, pas en béquilles, -
6:29 - 6:31ou pas sur un fauteuil roulant.
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6:31 - 6:36Ce qui fait bizarre dans un hôpital
militaire avec que des soldats. -
6:36 - 6:38Alors je lui ai demandé ce qu'il avait,
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6:38 - 6:41et avec une sincérité
et en même temps le visage en vrac, -
6:41 - 6:45il m'a dit : « Moi,
je suis chez les toc toc. » -
6:45 - 6:47Ça fait bizarre quand un mec de 2m20,
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6:47 - 6:50des espèces de mains
grosses comme mes cuisses, -
6:50 - 6:53vous regarde et vous dit
qu'il est chez les toc toc. -
6:53 - 6:55Lionel, moi, c'est mon héro.
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6:55 - 6:57C'est le mec que vous auriez
tous aimé avoir à vos dîners, -
6:57 - 6:59parce qu'il vous fait
la géopolitique du monde -
6:59 - 7:01et des 20 dernières années
en cinq minutes. -
7:01 - 7:03Parce qu'il a tout vécu.
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7:03 - 7:05Lionel, c'est Rambo.
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7:05 - 7:07Lionel, il était à Djibouti,
il était en Somalie, -
7:07 - 7:09il était en Irak, il était au Rwanda.
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7:09 - 7:14C'est un livre de géopolitique,
pour les professeurs, il est génial. -
7:14 - 7:18Sauf que Lionel un jour
il était en Afghanistan, -
7:18 - 7:20et que la bombe,
elle a explosé juste à côté. -
7:20 - 7:23Et Lionel, il a eu de la chance,
il a été sauvé. -
7:23 - 7:25Il n'a eu aucune égratignure.
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7:25 - 7:27Il a plein de potes qui sont morts,
mais Lionel il n'avait rien. -
7:27 - 7:32Alors il est resté sur le terrain,
alors il a continué. -
7:32 - 7:36Mais au retour, Lionel,
il n'allait pas bien du tout. -
7:36 - 7:37D'un coup, il a explosé,
-
7:37 - 7:40d'un coup il était incapable
de sortir de chez lui, -
7:40 - 7:43d'un coup, il avait
une boule dans le ventre -
7:43 - 7:45et il insultait ses gosses et sa femme.
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7:45 - 7:47Sauf qu'il ne pouvait pas
leur dire ce qu'il avait, -
7:47 - 7:49parce que d'une, il ne savait pas,
-
7:49 - 7:52et de deux, il ne faisait
que des opérations secrètes -
7:52 - 7:56et totalement secrètes,
-
7:56 - 7:58et qu'il ne pouvait pas
leur raconter ce qu'il avait vu -
7:58 - 8:00et ce qu'il avait vécu,
et ce qu'il avait enduré -
8:00 - 8:03et ce qu'il avait subi.
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8:03 - 8:05Alors Lionel est un homme,
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8:05 - 8:08il n'a pas beaucoup réfléchit,
il est reparti en Afghanistan -
8:08 - 8:10en se disant, je vais soigner
le mal par le mal. -
8:10 - 8:11Je vais refaire la guerre,
-
8:11 - 8:14de toute façon, c'est
tout ce qu'il sait faire. -
8:14 - 8:17Ce n'est pas vrai, c'est ce qu'il pense.
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8:17 - 8:20Et il est reparti en Afghanistan,
il a passé sept ans encore, -
8:20 - 8:23à faire la guerre, à voir
des bombes tomber, -
8:23 - 8:24à voir ses potes mourir,
-
8:24 - 8:26et à être blessé,
à voir des bombes tomber, -
8:26 - 8:28à voir ses potes mourir.
-
8:28 - 8:30Puis il est rentré et s'est rendu compte
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8:30 - 8:32que ça n'allait vraiment
pas beaucoup mieux. -
8:32 - 8:34Et il a explosé,
-
8:34 - 8:36je l'ai rencontré
à l'hôpital militaire de Percy, -
8:36 - 8:38parce qu'il ne faisait plus
que des cauchemars. -
8:38 - 8:39Parce que Lionel, il ne dort plus,
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8:39 - 8:42il refuse de dormir parce que
quand il dort, il fait des cauchemars. -
8:42 - 8:44Parce qu'il n'a plus de vie,
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8:44 - 8:47parce que comme il me le dit,
à l'intérieur, il est mort. -
8:47 - 8:49On le voit là, mais il n'est plus.
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8:49 - 8:52Il n'est plus dans notre monde.
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8:52 - 8:55Et Lionel, le problème
c'est qu'il n'est pas tout seul. -
8:55 - 8:57C'est que dans l'armée
française aujourd'hui, -
8:57 - 8:58on se rend compte qu'il y en a d'autres.
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8:58 - 9:00Dans l'armée américaine,
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9:00 - 9:02il y a plein de films qui ont parlé de ça,
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9:02 - 9:04donc on sait qu'il y en a d'autres,
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9:04 - 9:07et dans les journalistes aussi.
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9:08 - 9:12Et le souci c'est que nous,
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9:12 - 9:16comme ces blessures on ne les voit pas,
on a du mal à les appréhender. -
9:16 - 9:17On pense que c'est
un petit coup de fatigue, -
9:17 - 9:19on pense que ça va passer,
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9:19 - 9:25on se dit qu'on aurait dû le voir,
qu'on aurait dû le comprendre, -
9:26 - 9:29le problème c'est qu'on ne sait
jamais quand ça va se déclencher. -
9:29 - 9:32Le problème c'est que ça peut
se déclencher au retour de reportage, -
9:32 - 9:35mais il suffit d'une étincelle,
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9:35 - 9:36d'un moment, d'un conflit avec sa femme,
-
9:36 - 9:39d'un conflit avec la voiture en face,
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9:39 - 9:41pour que ça pète,
-
9:41 - 9:43pour qu'à l'intérieur, on explose.
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9:43 - 9:46Je vais encore vous parler d'un pote,
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9:46 - 9:49j'ai plein de héros dans le métier,
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9:49 - 9:51il est photographe,
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9:51 - 9:55il a couvert lui aussi tous
les conflits, décidément... -
9:55 - 9:59de la Bosnie au Rwanda, au Kosovo,
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9:59 - 10:00à l'Irak,
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10:00 - 10:04il a été partout, il est
photographe de guerre, -
10:04 - 10:06donc il a vu ça pendant des années,
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10:06 - 10:09et puis en octobre dernier,
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10:09 - 10:11il a été cambriolé.
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10:11 - 10:12C'est un truc basique,
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10:12 - 10:14c'est peut-être arrivé
à certains d'entre vous, -
10:14 - 10:16ce n'est jamais agréable,
-
10:16 - 10:18mais là, pour une fois, la violence,
-
10:18 - 10:22elle entrait dans ce qu'il a
de plus intime, chez lui. -
10:22 - 10:23Ce n'était plus sur le terrain,
-
10:23 - 10:27il n'avait plus l'appareil
photo pour le cacher, -
10:27 - 10:33c'était chez lui, c'était son chien
qui était blessé par le cambrioleur, -
10:33 - 10:35c'était ses affaires qu'on avait touché,
-
10:35 - 10:39c'était son intégrité à lui,
personnelle, qu'on avait violée, -
10:39 - 10:43et depuis il fait des cauchemars,
-
10:43 - 10:46depuis il ne dort plus, depuis
il n'arrive plus à être tout seul, -
10:46 - 10:50depuis il a toujours besoin
d'un ami pour l'héberger, -
10:50 - 10:54pour l'aider, pour l'écouter.
-
10:54 - 10:58Depuis, il a eu de la chance,
il est en train de se remettre, -
10:58 - 11:00il a trouvé un psy pour parler de ça,
-
11:00 - 11:03il a réussi à comprendre
ce qui se passait, -
11:03 - 11:08parce que à un moment,
à force de voir des images, -
11:08 - 11:12il a mis le doigt sur l'image
qui l'avait traumatisé tout au fond. -
11:12 - 11:15Il s'est souvenu de ses potes
morts sur le terrain en Bosnie, -
11:15 - 11:17ça remontait à loin.
-
11:17 - 11:21Il s'est souvenu de cette femme
qui était morte dans la neige -
11:21 - 11:24et de son incapacité à l'aider,
à faire quoi que ce soit. -
11:24 - 11:27Il était là, impuissant, à coté d'elle.
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11:27 - 11:30Ce truc, il avait pensé
être passé à coté, -
11:30 - 11:33puis en fait, il était resté là.
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11:33 - 11:35Ça faisait 30 ans
qu'il était à côté d'elle -
11:35 - 11:38et qu'il ne s'en rendait même pas compte.
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11:39 - 11:42Aujourd'hui, lui, ses démons s'envolent,
-
11:42 - 11:46mais être journaliste de guerre,
-
11:46 - 11:51ça parait à tout le monde à chaque fois
-
11:51 - 11:53totalement étrange.
-
11:53 - 11:56Pourquoi vous faites ça ?
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11:56 - 11:58Alors il faut vous expliquer
un truc, c'est que, -
11:58 - 11:59je n'aime pas la guerre.
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11:59 - 12:01Je ne regarde pas de films de guerre,
-
12:01 - 12:03je n'aime pas du tout la violence,
-
12:05 - 12:07je n'aime pas du tout
le bruit et les balles, -
12:07 - 12:11je déteste cette espèce de clic...
-
12:14 - 12:16... du fusil qu'on arme.
-
12:16 - 12:19Je déteste entendre des rafales
se rapprocher de moi. -
12:19 - 12:21Je déteste encore plus
-
12:21 - 12:24entendre des bombardements
se rapprocher de moi, -
12:24 - 12:26c'est très désagréable,
-
12:26 - 12:29et je déteste être obligée de me baisser
-
12:29 - 12:31et courir en permanence
pour éviter les tirs, -
12:31 - 12:33je n'ai pas le temps
de comprendre ce qui se passe, -
12:33 - 12:35avoir des yeux derrière la tête,
-
12:35 - 12:37parce qu'il faut être
en permanence vigilent -
12:37 - 12:42de ce qui se passe autour de soi,
de contrôler, de faire gaffe à tout. -
12:42 - 12:44C'est une fatigue, c'est un stress
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12:44 - 12:47et c'est en même temps une espèce
d’adrénaline incroyable, -
12:47 - 12:51qui fait qu'on a une boule au ventre,
qu'on en a marre, on en peut plus, -
12:51 - 12:53on a les larmes aux yeux,
on a qu'une envie c'est de rentrer, -
12:53 - 12:55mais une fois qu'on est à la maison,
-
12:55 - 12:57on a envie de repartir.
-
12:58 - 13:03Après il y a aussi
le plaisir de ce travail, -
13:03 - 13:07le plaisir et le sentiment
de faire un métier intéressant -
13:07 - 13:10et de raconter des histoires
qu'il faut vous raconter, -
13:10 - 13:14mais il y a aussi cette adrénaline là,
il ne faut pas se mentir. -
13:16 - 13:19Le problème c'est que ça ne concerne pas
que les journalistes de guerre, -
13:19 - 13:21ça concerne toutes
les catégories de journalistes, -
13:21 - 13:24parce que, malheureusement
on est régulièrement confrontés -
13:24 - 13:26à des scènes qu'on n'aurait pas dû voir,
-
13:26 - 13:30et des choses qui n'arrivent pas
dans le quotidien de tout un chacun. -
13:30 - 13:32Ce n'est pas normal de se retrouver
dans un camp de réfugiés -
13:32 - 13:35avec des enfants de deux ans
qui meurent à tire-larigot. -
13:35 - 13:39Ce n'est pas normal de discuter
avec des femmes violées, toute la journée. -
13:39 - 13:40Ce n'est pas normal de discuter
-
13:40 - 13:43avec des femmes qui ont été
brûlées par leur mari. -
13:43 - 13:47C'est tout un tas de scènes
et d'histoires qui nous hantent -
13:47 - 13:49en fait au retour.
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13:49 - 13:53J'ai une copine,
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13:53 - 13:55qui est journaliste de culture,
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13:55 - 13:59qui fait aussi un peu de société,
qui fait un peu d’Afrique, -
13:59 - 14:02et qui par hasard l'année dernière,
s'est retrouvée en Libye, -
14:02 - 14:04et par hasard à Tripoli,
-
14:04 - 14:06elle s'est retrouvée
au milieu d'un charnier. -
14:08 - 14:10Et là, il y a quelque chose
d'encore plus indescriptible, -
14:10 - 14:12c'est l'odeur de la mort.
-
14:12 - 14:16C'est la vision de corps en décomposition
de femmes, d'hommes, d'enfants, -
14:16 - 14:18depuis plusieurs jours, semaines.
-
14:18 - 14:23C'est ce sentiment de recul qu'on a.
-
14:23 - 14:26Elle a fait son truc,
elle a fait ses reportages, -
14:26 - 14:27elle est rentrée,
elle pensait que tout allait bien, -
14:27 - 14:29qu'elle avait géré,
-
14:29 - 14:31mais elle n'avait pas géré.
-
14:31 - 14:33Quelques mois plus tard,
-
14:33 - 14:35elle s'est réveillée
en sursaut au milieu de la nuit -
14:35 - 14:39et incapable se savoir ce qui l'a hanté.
-
14:39 - 14:42Et il a fallu creuser, il a fallu parler,
-
14:42 - 14:46il a fallu essayer de comprendre
d'où venaient ses démons, -
14:46 - 14:48et ses démons, ils revenaient à la Libye.
-
14:48 - 14:51Et aujourd'hui elle va mieux,
-
14:51 - 14:54mais il y avait ce petit diablotin
qui était en train de grandir -
14:54 - 14:56au creux de son bide.
-
14:56 - 14:58Et le problème, c'est qu'on
ne sait pas mettre des mots -
14:58 - 15:00encore tous sur ce qu'on a vécu
-
15:00 - 15:02et qu'il faut passer
par ces épisodes atroces -
15:02 - 15:05de cauchemars, d'isolement, de dépression,
-
15:05 - 15:10pour comprendre ce qu'on a
et pour avancer dessus. -
15:10 - 15:14Le problème c'est qu'aujourd'hui
l'armée française, américaine, anglaise, -
15:14 - 15:18font le travail pour entourer,
pour encadrer, pour former -
15:18 - 15:21leurs troupes à ce genre de chose.
-
15:21 - 15:24Et les humanitaires qu'on côtoie
également beaucoup sur le terrain, -
15:24 - 15:26font le travail pour débriefer au retour,
-
15:26 - 15:28pour être formés avant,
-
15:28 - 15:33pour anticiper des possibilités de PTSD,
-
15:33 - 15:36mais nous, on ne fait rien,
-
15:36 - 15:38nous, on gère.
-
15:39 - 15:44Aujourd'hui, parce que
je ne veux plus qu'il y ait de Lionel, -
15:44 - 15:47et puis il y a plein d'autres copains
qui ont été pris en otages, -
15:47 - 15:50dont le pote a été tué,
qui ont été violés, -
15:50 - 15:52dont je ne vous ai pas encore parlé,
-
15:52 - 15:54ça sera pour une autre fois,
-
15:54 - 15:55parce que je ne veux plus
qu'il y ait de Lionel, -
15:55 - 15:57je ne veux plus qu'il y ait tout ça,
-
15:57 - 15:59j'essaye de mettre en place une structure,
-
15:59 - 16:02je ne sais pas encore trop
quelle forme ça prendra, -
16:02 - 16:04pour que quand on rentre de reportage,
-
16:04 - 16:07qu'on soit en rédaction ou indépendant,
-
16:07 - 16:11comme on pose notre gilet
pare-balles et notre casque, -
16:11 - 16:12comme on pose notre valise satellite,
-
16:12 - 16:15ça c'est des trucs que vous
ne devez pas manier souvent, -
16:15 - 16:17notre valise satellite
et notre ordinateur, -
16:17 - 16:19et bien on pose tout ce qu'on a,
-
16:19 - 16:21tout ce qu'on a vu qu'on aurait pas dû,
-
16:21 - 16:23tout ce qu'on a senti
qu'on n'aurait pas dû, -
16:23 - 16:26tout ce trop plein d’émotions,
-
16:26 - 16:29qu'on le pose dans le bureau
du psy, qu'on lui donne, -
16:29 - 16:33et qu'on s'en sorte et qu'on avance.
-
16:33 - 16:36Mais voila, il y a encore plein
d'autres choses à faire là dessus, -
16:36 - 16:38il y a encore plein
de choses à travailler, -
16:38 - 16:43et j’espère venir à TEDx la prochaine fois
pour vous présenter ma structure. -
16:43 - 16:46Merci.
(Applaudissements) -
16:46 - 16:47(Applaudissements)
- Title:
- Ces blessures que l'on ne voit pas | Edith Bouvier | TEDxToulouse
- Description:
-
Edith Bouvier nous parle des blessures invisibles dont sont victimes les reporters et de sa volonté de monter une structure visant à prendre en charge psychologiquement les journalistes à leur retour de reportage.
- Video Language:
- French
- Team:
- closed TED
- Project:
- TEDxTalks
- Duration:
- 16:52
Elisabeth Buffard approved French subtitles for Ces blessures que l'on ne voit pas | Edith Bouvier | TEDxToulouse | ||
Elisabeth Buffard accepted French subtitles for Ces blessures que l'on ne voit pas | Edith Bouvier | TEDxToulouse | ||
Elisabeth Buffard edited French subtitles for Ces blessures que l'on ne voit pas | Edith Bouvier | TEDxToulouse | ||
Elisabeth Buffard edited French subtitles for Ces blessures que l'on ne voit pas | Edith Bouvier | TEDxToulouse | ||
Elisabeth Buffard edited French subtitles for Ces blessures que l'on ne voit pas | Edith Bouvier | TEDxToulouse | ||
Mohand Habchi edited French subtitles for Ces blessures que l'on ne voit pas | Edith Bouvier | TEDxToulouse | ||
Mohand Habchi edited French subtitles for Ces blessures que l'on ne voit pas | Edith Bouvier | TEDxToulouse | ||
Mohand Habchi edited French subtitles for Ces blessures que l'on ne voit pas | Edith Bouvier | TEDxToulouse |