Comment la technologie reconnecte les individus | Mathieu Nebra | TEDxPanthéonSorbonne

Cette présentation a été faite lors d'un événement TEDx local, produit indépendamment des conférences TED.

Mathieu Nebra est le co-fondateur d'une plateforme d'e-Education leader en Europe avec 3 millions d’utilisateurs, Openclassrooms. Il est aussi le créateur de nombreux cours sur la plateforme, auteur d’ouvrages et passionné d’innovations. En 2015, il a été désigné parmi les MIT Innovators Under 35. Mathieu a initié son projet en 1999, alors qu’il avait 13 ans et souhaitait encourager les jeunes à apprendre le code. Il développe alors, accompagné de Pierre Dubuc, un site web offrant des tutoriels reconnus pour leur pédagogie innovante, accessible et conviviale. Pendant quelques années, cette activité ne fut qu’un hobby pour les deux jeunes co-fondateurs.

Quand j'étais petit,

il y a une phrase que ma mère
me répétait très souvent :

« Mais sors un peu,

tu es encore
scotché devant l’ordinateur. »

Cette phrase,

je crois que je l'ai
entendue un bon milliard de fois.

Et c'est vrai,

il faut comprendre ma mère.

Son gamin était là,
planté devant un écran,

pendant des heures
et il ne bougeait pas.

Je ne sortais pas.
Je ne prenais pas le soleil.

Elle devait s'inquiéter
de mon taux de vitamine D.

Je ne sais pas...
C'est une maman !

Pourtant, en réalité,
j'étais tout sauf isolé.

J'étais connecté à plus de monde

que la génération de mes parents
ne l'avait jamais été.

Je tissais des liens

et je construisais, sans le savoir,

les fondations de mon propre avenir.

Ce qui m'amène ici
devant vous aujourd'hui.

Mon histoire, elle commence en 1999.

J'ai 13 ans et aussi loin
que je me souvienne,

j'ai eu un ordinateur à la maison.

J'ai commencé très jeune.

Pourtant, à 13 ans,
je commence à m'ennuyer.

J'ai utilisé cet ordinateur
dans tous les sens.

Et maintenant,
je veux aller plus loin.

Je veux créer.

Je veux créer des logiciels.

Je veux créer des sites web.

Alors,

du coup, mon premier réflexe,

c'est d'aller en librairie

chercher un livre pour débuter
dans la création de site web.

J'arrive en librairie,

et là je suis déçu,

parce qu'au dos de chacun
de ces livres, était écrit :

« Cet ouvrage est destiné
à des professionnels du numérique. »

Et pour un débutant comme moi,
il n'y avait rien.

Je ne me suis pas arrêté là.

Heureusement.

Et j'ai choisi un de ces livres.

En fait, mes parents me l'ont
offert pour Noël une année.

C'était le genre de cadeau de Noël
que j'aimais recevoir.

Et, j'ai appris comme ça.

J'ai appris à créer un site web.

Mais en lisant ce livre, j'avais
une impression qui me revenait souvent.

C'est qu'il était vraiment beaucoup plus
compliqué que ce qu'il aurait dû être.

Alors une fois le livre lu,

mon premier réflexe a été de le réécrire,

de le ré-écrire de la façon
dont j'aurais aimé l'apprendre.

Je suis devenu un peu
schizophrène en fait.

Je me suis dit : « Tiens Matthieu,
voilà ce qu'il faut que tu saches.

Tu commences comme ça,
puis tu fais ça,

puis si ça paraît compliqué
et prend du temps,

ne t'inquiète pas,
ça va le faire, ça va venir. »

Ce cours, je l'ai mis en ligne
gratuitement, ouvert à tous.

Et c'est comme ça qu'en 1999,
le Site du Zéro était né.

C'était un site, ouvert à tous.

Au départ évidemment, il n'y avait
personne, juste des amis à moi,

qui en ont parlé à leurs amis,
qui en ont parlé à leurs amis.

Et 17 ans plus tard, aujourd'hui,
le site est toujours en ligne.

J'ai jamais lâché l'affaire.

Certes il a changé de nom,
« Openclassroms » aujourd'hui,

et il y a en ligne plus de 1000 cours
rédigés par une communauté de passionnés.

Chaque mois, plus de trois millions
de personnes dans le monde

viennent se former sur ce site.

Trois millions, c'est beaucoup.

Et quand je rencontre des gens
qui sont venus sur le site,

ce qu'ils me disent en général,

c'est évidemment, ça leur a permis
d'apprendre, de comprendre,

mais aussi que ça leur a permis
de trouver un travail,

voire même pour certains
un but dans la vie.

On a du mal à imaginer l'impact

que ça peut avoir
sur la vie de tous ces gens.

Alors je vous propose une petite anecdote

qui m'est arrivée il y a quelques années.

J'étais en train de faire
les courses de Noël, la veille de Noël,

à la dernière minute comme d'habitude,

et là, il y a un jeune
qui me reconnaît dans la rue.

Il s'approche de moi, il me fait :

« Je vous remercie beaucoup
parce que c'est génial,

j'ai vraiment tout appris
grâce à vous, c'est génial.

Merci, merci, merci beaucoup. »

Je fais : « Bah... de rien, super ! »

Et puis, en fait, il fait :

« Bougez pas,
je veux vous offrir quelque chose.

Je reviens, bougez pas. »

Alors moi, j'attends quelques minutes.

Et effectivement, le jeune était
un Africain qui venait étudier en France.

Il avait appris en ligne sur le site,
lui permettant de venir en France.

Et il était aussi livreur de sushis
sur son temps libre.

Et c'est comme ça qu'il m'a offert
deux gros sacs de sushis,

la veille de Noël.

C'est pour ça, que dans ma famille,

cette année-là, on a mangé
des sushis à Noël.

(Rires)

J'ai beaucoup de chance

parce que j'ai découvert très tôt
ce que j'aimais faire.

J'aime enseigner.

Pourtant, encore aujourd'hui,

quand je dis que j'enseigne
et que j'enseigne en ligne,

les gens me regardent bizarrement.

Parce que pour les gens,
enseigner, c'est un truc sérieux.

Ça se passe

dans une salle de classe,

avec un prof qui a le savoir
sur une estrade

et qui diffuse son savoir
à une assemblée d'élèves

qui prennent sagement des notes.

C'est comme ça
qu'on enseigne aujourd'hui.

C'est aussi comme ça qu'on enseignait
il y a plus de 200 ans.

Vous avez ici une gravure du CNAM
qui a près de 200 ans,

qui montre qu'il n'y a pas
tellement de différence

par rapport à la salle
de classe d'aujourd'hui.

Pourtant, les choses ont changé.

Le monde a changé.

La technologie aujourd'hui est partout.

Mais pas dans la salle de classe.

Honnêtement, quand elle y arrive,

des fois c'est pire.

On parachute des tableaux numériques
interactifs ou des iPad

dans les mains des élèves

et on leur dit : « Tenez, apprenez !

Grâce à ça,

vous serez plus intelligents. »

C'est pas comme ça que ça marche.

C'est pas comme ça que ça marche.

La technologie, ce n'est qu'un outil.

C'est le tableau, c'est la craie.

La technologie, elle est formidable
et dangereuse à la fois.

Tout comme la maîtrise du feu avait
été formidable et dangereuse à la fois.

Tout dépend de l'usage qu'on en fait.

Aujourd'hui,

je considère qu'on en est à la préhistoire

de la technologie dans l'éducation.

Quand des gens vont en ligne apprendre,

ils pensent la 1e fois

qu'ils vont aller sur des vidéos
YouTube en boucle.

Et c'est vrai, une partie de la pédagogie
en ligne se passe comme ça.

Il y a des gens qui regardent
des vidéos et ils apprennent.

Mais ceux qui sont allés récemment
sur des formations en ligne

savent que ça va beaucoup plus loin.

Non seulement, vous pouvez
vous inscrire à un parcours de formation

complet

qui vous amène vers un métier

mais en plus, ces parcours
aujourd'hui sont reconnus,

reconnus par l’État,
par les entreprises

et vous donnent des diplômes
strictement équivalents

à ceux des formations classiques.

En plus de ça,

vous êtes en continu
accompagné par un mentor.

Le mentor, qui c'est ?

C'est un expert du secteur,
un professionnel,

et à bien des égards,
c'est aussi un psychologue.

C'est quelqu'un que vous allez
voir par visioconférence

une fois par semaine

en privé.

La première fois, il va vous demander :

« Salut, qui tu es ?

Qu'est-ce que tu fais dans la vie ?

C'est quoi ton objectif
pour la formation ? »

Et puis ensuite,
il va essayer de deviner votre niveau.

Il va ensuite vous donner des objectifs,

du genre : « Lis ce cours
pour la semaine prochaine

et essaye de faire cet exercice. »

Et vous, pendant une semaine,
vous allez travailler,

Vous allez essayer de faire
ce qu'on vous a demandé.

En cas de difficulté, vous communiquez
avec d'autres élèves sur des forums,

jusqu'à arriver à faire l'exercice.

Au bout d'une semaine,
vous retrouvez votre mentor

par visioconférence à nouveau,
il fait le point avec vous.

« Alors, comment ça s'est passé ? »

A partir de là, il y a deux possibilités.

Soit vous avez tout réussi sans problème
et là le mentor s'en rend compte,

et dit : « Bah super, on peut accélérer
pour ne pas perdre de temps, on avance. »

Au contraire,
si vous avez des difficultés,

là, le mentor va prendre du temps
pour vous réexpliquer,

ou va vous ramener vers
des exercices plus simples,

pour que vous puissiez
solidifier vos bases.

C'est ce qu'on appelle
de l'adaptive learning.

Ce que je trouve formidable
avec le mentorat,

c'est que de nombreuses barrières
sont en train de tomber :

des barrières géographiques évidemment,

parce qu'ici un Français
peut mentorer un Suisse,

un Suisse peut mentorer un Marocain,

un Marocain mentorer un Canadien.

Mais ce sont aussi les barrières de l'âge,

qui sont en train de tomber.

Regardez un petit peu la diversité
des élèves qui viennent se former.

Et parmi eux, prenez par exemple

Karim qui est le mentor de Florentin,

père de deux enfants,

en reconversion dans le développement web.

Ou encore Stéphane, 51 ans,

qui est professeur
dans une école d'ingénieurs par ailleurs,

et qui est le mentor de Justine,
agronome de formation,

en reconversion
dans la gestion de projets.

Et ça marche !

En six mois, Jean qui était
en procédure de licenciement chez PSA,

a réussi à rebondir

et à créer sa propre société
de développement d'applications mobiles.

Pourtant,

malgré tout ce côté
apparemment miraculeux,

on n'a rien inventé.

Dès les années 80,
un célèbre chercheur en éducation,

Benjamin Bloom, avait découvert

une technique de formation
extrêmement efficace,

la plus efficace qu'il ait
réussi à trouver à ce jour.

Elle combine deux techniques.

Une technique dite de Mastery Learning

dans laquelle l'élève ne va
au niveau supérieur

que s'il a maîtrisé vraiment
le niveau inférieur.

Ça paraît évident mais c'est pas
toujours ce qui arrive en classe,

et une technique de mentorat privé.

Combiner ces deux techniques
et Benjamin s'est rendu compte

de résultats absolument étonnants.

Alors que dans une salle de classe,

les notes des élèves sont
en moyenne réparties comme ça.

En combinant ces deux techniques,

Benjamin a observé que les notes
des élèves étaient réparties comme ça.

En moyenne, un élève était meilleur

que 98% des élèves
d'une salle de classe classique.

98%, c'est beaucoup.

Je sais ce que vous dites.

Ouais, super, c'est bien beau,
mais c'est trop beau pour être vrai.

Il y a forcément anguille sous roche.

Et vous avez raison,
il y a anguille sous roche.

C'est que le mentorat privé,
ça coûte cher.

Donc dans les années 80,
Benjamin Bloom était bien embêté.

Parce qu'il disait :

« Le mentorat privé, c'est super

mais ça coûte trop cher.

Il faut que je trouve une autre
solution aussi efficace. »

C'est devenu un problème en éducation :
le « Bloom's 2 Sigma Problem »,

qu'il n'a jamais réussi à résoudre.

Jamais, mais aujourd'hui,
grâce aux technologies,

on peut mettre en relation un élève
avec son mentor

beaucoup plus rapidement,
beaucoup plus efficacement

pour beaucoup moins cher.

Ce qu'il faut bien comprendre ici,

c'est que, seule,
la technologie n'aurait rien résolu.

En combinant le bon savoir-faire
pédagogique

avec le bon savoir-faire technologique,

les possibilités explosent.

Certains se disent parfois que
je suis peut-être un utopiste.

Pourtant, cette réalité
je la vis tous les jours.

De plus en plus d'élèves sont
en train de se former comme ça.

A mes yeux, ce sont des précurseurs
qui vivent l'éducation de demain.

Ce sont des gens qui m'inspirent,

qui par exemple me posent
des questions comme

Roli, qui est un de nos étudiants
au Gabon,

qui un jour m'a demandé :

« Est-ce que ça serait possible
d'être mis en relation

avec d'autres élèves
de la même région que moi ? »

Ça, ça m'a fait réfléchir.

Je me suis dit : « Ça serait quand même
formidable que grâce à la technologie,

Roli puisse rencontrer son voisin,

son voisin à qui il n'aurait
peut-être jamais parlé,

avec qui il va trouver
des intérêts communs,

et avec qui il va pouvoir
communiquer et apprendre. »

Alors, j'aimerais faire un vœu
avec vous aujourd'hui.

Ce vœu,

ce serait que la technologie
ne soit plus vue comme un obstacle,

comme un objet nébuleux

dont il faut se débarrasser,
mais comme un facilitateur.

Et si au fond, c'était ça
le but ultime de la technologie ?

Reconnecter les individus pour pouvoir
ensuite enfin s'effacer totalement.

Merci.

(Applaudissements)