La France est une mosaïque de culture, soyons fiers ! | Sylvie Ohayon | TEDxChampsElyseesWomen
-
0:07 - 0:12(Applaudissements)
-
0:14 - 0:15Bonsoir tout le monde,
-
0:15 - 0:18merci d'être là pour nous toutes et tous.
-
0:19 - 0:23Quand Béatrice Duboisset m'a proposé
d'intervenir pour le TEDx sur la mixité, -
0:23 - 0:25un père musulman, une mère juive,
-
0:25 - 0:28une origine sociale modeste,
-
0:28 - 0:30un chemin de parvenue
de petite bourgeoise parisienne, -
0:30 - 0:32je me suis dit : « Bon, c'est pour moi ! »
-
0:34 - 0:37J'ai gardé mes notes avec moi
parce que je suis émotive, -
0:37 - 0:40le seul problème est que j'ai du mal
à prendre la parole en public -
0:40 - 0:42et en plus ce matin, en bonne juive,
-
0:42 - 0:44je me suis réveillée avec 39°C de fièvre.
-
0:44 - 0:47Je vais vous demander
un petit peu d'indulgence. -
0:48 - 0:49(Applaudissements)
-
0:49 - 0:49Merci.
-
0:55 - 1:00Comme je disais, j'ai été élevée
dans une cité à la Courneuve, -
1:00 - 1:03où bien que la mairie communiste
se soit bien occupée de nous, -
1:03 - 1:06je me faisais souvent un peu chier.
-
1:06 - 1:07J'étais fille unique.
-
1:07 - 1:11Et puis je n'avais pas 14 ans,
j'avais plutôt 8-9 ans, -
1:12 - 1:14j'ai découvert Babcock,
-
1:14 - 1:18Ce sont d'anciens entrepôts
reconvertis en bibliothèque. -
1:18 - 1:24Je suis rentrée dans la bibliothèque et ai
découvert « Pot-Bouille » d’Émile Zola. -
1:25 - 1:29« Pot-Bouille »,
ce sont les Rougon-Macquart. -
1:29 - 1:33Et là, je découvre que les riches
peuvent être pauvres. -
1:33 - 1:35Je découvre un autre monde.
-
1:35 - 1:38La richesse de façade,
derrière les façades haussmanniennes, -
1:38 - 1:40il peut y avoir de la pauvreté humaine.
-
1:40 - 1:42Ça y est, j'étais mordue.
-
1:42 - 1:45Comme l'a dit Arnaud,
j'ai plongé dans la littérature. -
1:45 - 1:49C'est gratuit, c'est silencieux,
c'est pas cher. -
1:49 - 1:52Je me suis mise à dévorer les livres.
-
1:52 - 1:54Comme à quelque chose, malheur est bon,
-
1:55 - 1:56travaillant bien à l'école,
-
1:56 - 1:57aimant les livres,
-
1:57 - 2:01l'ascenceur social s'est naturellement
ouvert devant moi. -
2:01 - 2:02Je suis montée :
-
2:03 - 2:05bons résultats au bac,
-
2:05 - 2:07désectorisation,
-
2:07 - 2:08Sorbonne,
-
2:08 - 2:10Maîtrise,
-
2:10 - 2:11DEA,
-
2:11 - 2:13DESS.
-
2:13 - 2:16Ce que j'oublie de mentionner,
c'est que ma première année de DEUG, -
2:16 - 2:20j'arrive, et là,
il y a une fille de ministre, -
2:20 - 2:23la fille de Chevènement,
pour ne pas la nommer, -
2:23 - 2:25(Rires)
-
2:26 - 2:27qui me dit :
-
2:27 - 2:31« Tu as quand même un phrasé particulier,
t'es vraiment une fille des rues. » -
2:32 - 2:35C'est vrai que j'arrive de la Courneuve,
tous les soirs j'y rentre, -
2:35 - 2:38Je fais mon trajet en RER,
à pied, en métro. -
2:38 - 2:40Le trajet est long, de la Terre à la Lune.
-
2:40 - 2:41Et là,
-
2:42 - 2:44je lui mets une droite.
-
2:44 - 2:46(Rires)
-
2:46 - 2:49(Applaudissements)
-
2:50 - 2:52Vous me croirez ou pas,
-
2:52 - 2:56la fille Villeroy&Boch,
qui était en DEUG de lettres avec moi, -
2:56 - 2:57qui s'appelait Juliette,
-
2:57 - 2:58très sympa,
-
2:58 - 3:01elle était anorexique comme moi,
donc ça nous faisait des liens, -
3:02 - 3:04elle vient vers moi et elle me dit :
-
3:04 - 3:07« Fais très gaffe : les pauvres,
ça cogne avec les poings, -
3:07 - 3:09mais les riches avec les avocats. »
-
3:09 - 3:10Je me suis dit, à ce moment-là,
-
3:10 - 3:14que la mixité sociale,
ça ne serait pas pour tout de suite. -
3:15 - 3:17Je continue mes études.
-
3:17 - 3:19DESS, DEA, Wonderbra.
-
3:21 - 3:25Stagiaire dans la pub,
assistante de Frédéric Beigbeder, -
3:25 - 3:26pour ne pas le nommer,
-
3:26 - 3:28j'ai décidé de balancer
tout le monde ce soir. -
3:28 - 3:30(Rires)
-
3:31 - 3:34On vient me voir et on me tend
une annonce qui dit : -
3:34 - 3:36« Look at me in the eyes
and tell me you love me. » -
3:36 - 3:39Regarde-moi dans les yeux
et dis-moi que tu m'aimes, Wonderbra. -
3:39 - 3:42On me dit : « Toi la stagiaire,
tu fais des lettres, -
3:42 - 3:43traduis-nous ça en français. »
-
3:43 - 3:46Je n'étudiais pas l'anglais,
mais pourquoi pas ? -
3:46 - 3:49Et là, je dis : « Regardez-moi
dans les yeux, j'ai dit les yeux. » -
3:49 - 3:51Prix internationaux, à Cannes, etc.
-
3:51 - 3:56Évidemment, je n'ai pas la récompense,
je retourne finir mon doctorat. -
3:56 - 3:58Mais j'entame une carrière
dans la publicité, -
3:58 - 4:04parce que le patron - Pascal Maury -
de l'agence TBWA à l'époque, -
4:04 - 4:05monte FCB et me dit :
-
4:05 - 4:07« Je te donne
10 000 fr. par mois -
4:07 - 4:09pour venir faire des petites phrases
de rédactrice. » -
4:09 - 4:11Pour moi, 10000 fr. par mois,
-
4:11 - 4:13moi qui étais boursière, c'était le Graal.
-
4:13 - 4:16Je cesse mon doctorat,
je commence une carrière dans la pub. -
4:17 - 4:20Je raconte ça dans mon livre :
« Papa was not a Rolling Stone ». -
4:20 - 4:22Je l'ai adapté au cinéma.
-
4:22 - 4:24J'ai raconté dans ce livre
et dans ce film, -
4:24 - 4:28que j'ai quitté la pub à l'âge de 39 ans
après un divorce, un burn-out, -
4:29 - 4:31une garde alternée non voulue...
-
4:33 - 4:35J'ai commencé à faire
ce dont j'avais envie, -
4:35 - 4:37c'est-à-dire raconter la vie
de mes contemporains, -
4:37 - 4:41raconter quelque chose
qui me tient à cœur : -
4:41 - 4:43qu'est-ce qu'être un citoyen français,
-
4:43 - 4:46une petite française de banlieue
dans la France d'aujourd'hui ? -
4:46 - 4:48Le livre a du succès, le film aussi.
-
4:48 - 4:50Et puis, récemment,
-
4:51 - 4:52depuis un an à peu près,
-
4:52 - 4:55je suis régulièrement invitée
par des mairies, -
4:55 - 4:57dernièrement à Lyon et à Grenoble
-
4:57 - 5:01pour projeter mon film dans des salles
et ensuite animer des débats. -
5:01 - 5:08Là, je découvre dans les quartiers
populaires de Lyon, -
5:10 - 5:12un monde fait de favelas,
-
5:12 - 5:15- on ne peut pas appeler ça autrement -
-
5:15 - 5:20avec des enfants qui sont
complètement déconnectés de l'école, -
5:20 - 5:23trois-quarts des foyers
qui sont monoparentaux. -
5:23 - 5:27Et puis une désaffection de tout ce qui,
moi, m'a tenue debout : -
5:27 - 5:29les valeurs de la république.
-
5:29 - 5:30Je prends mes notes.
-
5:35 - 5:38Je commence à discuter avec ces jeunes,
j'ai animé beaucoup de débats, -
5:38 - 5:40c'est pour ça que
je vous en parle ce soir. -
5:40 - 5:42Là, on me dit :
« Il n'y a pas de boulot, -
5:42 - 5:47la France, c'est de la merde,
les Juifs sont riches, les Noirs puent, -
5:49 - 5:52les Arabes, ils sont tous voilés,
ils vont tous nous crever. » -
5:52 - 5:55Tout le monde en avait après
tout le monde en fait. -
5:56 - 5:57Je me dis : « Merde. »
-
5:57 - 5:58Alors je commence à raconter :
-
5:58 - 6:01« Moi, j'ai grandi dans les années 80...
-
6:01 - 6:03- Ouais, comme ma rem !
-
6:03 - 6:04(Rires)
-
6:04 - 6:07- A une époque où la publicité
chantait des chansons, -
6:08 - 6:11où on avait des mains jaunes,
'Touche pas à mon pote' -
6:11 - 6:13les filles non voilées
mais on s'en foutait, -
6:13 - 6:16on faisait le ramadan, kippour,
on se mélangeait. -
6:16 - 6:19On envoyait des sacs de riz en Afrique,
sans savoir s'ils arrivaient. -
6:20 - 6:23En tout état de cause, ça circulait.
-
6:23 - 6:25On allait les uns vers les autres.
-
6:25 - 6:26Ce n'était pas parfait,
-
6:26 - 6:28la vie à la Courneuve,
ce n'était pas le Club Med. -
6:28 - 6:31Mais quand même et ça,
je l'ai raconté dans deux livres -
6:31 - 6:32on a quand même bien ri,
-
6:32 - 6:35et surtout on allait
les uns vers les autres. -
6:36 - 6:38J'ai discuté avec ces jeunes-là,
-
6:38 - 6:40j'ai discuté avec des élus locaux
-
6:40 - 6:44et là, les élus locaux me disent :
« Vous accrochez pas mal les jeunes, -
6:44 - 6:45que pourriez-vous proposer
-
6:45 - 6:48pour que les gens
aillent les uns vers les autres ? -
6:49 - 6:54- Je ne sais pas, je ne suis pas
le Messie, je n'ai pas de solution. -
6:54 - 6:58Déjà, si on commençait à partager,
-
6:58 - 7:00et puis merde,
-
7:00 - 7:03pourquoi ne pas s'appuyer sur
ce que le pays a de magnifique : -
7:03 - 7:04les valeurs de la république ? »
-
7:06 - 7:08La France, c'est quoi ?
-
7:08 - 7:10Je voyage dans le monde entier,
je voyage beaucoup. -
7:10 - 7:14La France, c'est la CMU,
l'aide médicale universelle, -
7:14 - 7:16c'est un cas unique au monde.
-
7:16 - 7:18N'importe qui, ça date de Napoléon,
-
7:18 - 7:21qui traverse le pays peut
se faire soigner gratuitement. -
7:21 - 7:22La France, c'est quoi ?
-
7:22 - 7:24C'est pouvoir étudier gratuitement.
-
7:24 - 7:28Et mieux, un jour à New-York quand
je disais qu'on me payait pour étudier, -
7:28 - 7:30on ne m'a pas crue.
-
7:30 - 7:32J'avais 3 000 francs par trimestre,
-
7:32 - 7:342 900 francs par trimestre
pour aller étudier à la Sorbonne, -
7:34 - 7:36et pendant longtemps.
-
7:37 - 7:40J'essayais d'expliquer ça aux jeunes.
-
7:40 - 7:44La solution que j'ai soumise,
je ne sais pas si elle est bonne, -
7:44 - 7:51il faut commencer à se réapproprier
le drapeau qui fait l'unité de ce pays, -
7:51 - 7:52sa mixité justement,
-
7:52 - 7:55cette mosaïque de cultures, de langues
-
7:55 - 7:59parce qu'on a tous des origines
plus ou moins diverses et bigarrées, -
7:59 - 8:01de cuisines, de régions.
-
8:01 - 8:04La France en soi est un pays mosaïque.
-
8:04 - 8:08La France en soi est un pays tout petit
où il y a tous les paysages, -
8:08 - 8:10où historiquement, il y a
plusieurs langues qui cohabitent. -
8:11 - 8:12J'ai évoqué ce truc-là.
-
8:12 - 8:13Pourquoi ?
-
8:13 - 8:17On m'a dit : « Oh la la, Marine Le Pen. »
-
8:17 - 8:21Eh là non ! Là j'ai paraphrasé
Romain Gary et j'ai dit... -
8:21 - 8:23Attendez, il faut que je me souvienne...
-
8:24 - 8:27« Le patriotisme, c'est l'amour des siens.
-
8:27 - 8:30Le nationalisme,
c'est la haine de l'autre. » -
8:30 - 8:31Applaudissez.
-
8:31 - 8:33(Applaudissements)
-
8:38 - 8:42Je n'ai plus de salive, donc je reprends
mes notes pour récupérer. -
8:44 - 8:46Bien sûr, elles sont dans le désordre.
-
8:49 - 8:52Ma solution, c'est ça,
c'est une solution un peu béta : -
8:53 - 8:56je pense que nous les mamans,
et même les papas ici, -
8:56 - 9:01on a ce devoir de redonner
les valeurs de la patrie à nos enfants. -
9:01 - 9:02Moi je n'avais pas de père,
-
9:02 - 9:04Là, vous pleurez...
-
9:04 - 9:06(Rires)
-
9:06 - 9:07J'ai grandi sans père.
-
9:08 - 9:11Mon père pour moi, c'était quoi ?
-
9:11 - 9:13C'était l'école,
c'est les bourses que je recevais. -
9:13 - 9:16C'est le fait que, quoi qu'il arrive,
-
9:16 - 9:19je sais à peu près que mon pays
ne me laissera pas tomber. -
9:19 - 9:20Mon père ?
-
9:20 - 9:22Quand on m'a virée de la pub à 39 ans,
-
9:22 - 9:25en plein divorce avec des frais
et deux jeunes enfants : -
9:25 - 9:27c'est 23 mois d'Assedic.
-
9:27 - 9:30Je n'ai pas vu ça beaucoup sur la planète.
-
9:30 - 9:32Je voudrais juste qu'on rappelle ça
-
9:32 - 9:34à la jeunesse de ce pays
qui désespère un peu, -
9:35 - 9:37la jeunesse des quartiers,
-
9:37 - 9:38que j'ai rencontrée.
-
9:38 - 9:41Vraiment j'ai été saisie
par le désamour de ces enfants, -
9:41 - 9:43pour leur pays, pour leur nation.
-
9:43 - 9:45Il y a une petite black qui me dit :
-
9:45 - 9:47« Attends madame,
moi je vais te dire. -
9:47 - 9:49Quand je marche dans la rue,
je suis à Lyon. -
9:49 - 9:51Après, quand je monte l'ascenseur,
-
9:51 - 9:54c'est comme si je prends l'avion,
quand je rentre, je suis au Sénégal. » -
9:55 - 9:58Je lui ai dit : « C'est bien,
juste quand tu es dans la rue, -
9:58 - 10:01essaye de voir ce que l'école t'offre.
-
10:01 - 10:02Accroche-toi à l'école !
-
10:02 - 10:04- Oui, mais je suis noire.
-
10:04 - 10:06- Tu sais, j'étais dans une cité,
93120 La Courneuve, -
10:06 - 10:08c'était chaud aussi pour le CV.
-
10:08 - 10:09Mais accroche-toi !
-
10:09 - 10:12Ta récompense n'en sera que
plus savoureuse. » -
10:14 - 10:18Pour finir, je voudrais vous montrer
l'image d'une femme. -
10:20 - 10:24Elle est née en Tunisie, elle est venue
en France à l'âge de 32 ans -
10:25 - 10:28Elle était très attachée à son pays.
-
10:28 - 10:31Elle est arrivée en France et elle a
embrassé les valeurs de ce pays. -
10:31 - 10:34Cette femme,
c'est ma grand-mère, elle a 93 ans. -
10:34 - 10:36Elle ne peut pas être là aujourd'hui.
-
10:37 - 10:40Elle nous a appris, ses 10 enfants,
-
10:40 - 10:43ses 28 petits-enfants,
pas les arrières-petits-enfants, -
10:43 - 10:45elle nous a appris à aimer ce pays,
-
10:45 - 10:47à le respecter,
à voir ce qu'il avait de beau. -
10:47 - 10:50Elle a été récompensée
il y a quelques années -
10:50 - 10:51du seul diplôme
qu'elle ait jamais eu : -
10:51 - 10:54c'est la médaille d'or
de la famille française. -
10:54 - 10:55Je suis très fière d'elle
-
10:55 - 10:59et je lui dédie mon intervention
à ce TEDx et je vous embrasse. -
10:59 - 11:02(Applaudissements)
- Title:
- La France est une mosaïque de culture, soyons fiers ! | Sylvie Ohayon | TEDxChampsElyseesWomen
- Description:
-
Romancière, scénariste, réalisatrice.
Avec un père musulman et une mère juive, je pensais que j’étais légitime pour parler de mixité.
Sylvie Ohayon a passé son enfance dans la cite des 4000 à La Courneuve, qu’elle a quittée en 1996. Après des études de lettres, elle est devenue créative dans la publicité. Sylvie Ohayon est l'auteur de quatre romans tous publiés aux Éditions Robert Laffont 2 : « Papa was not a Rolling Stone », qui a reçu le prix de Closerie des Lilas en 2013, « Les Bourgeoises » en 2012, « Bonnes à (re)marier », « L’Une contre l’autre » en janvier 2015. Elle a co-adapté ses deux premiers romans avec Sylvie Veyrhède. Après « Papa was not a Rolling Stone » sorti en 2014, « Les Bourgeoises » sera sa seconde réalisation.
Cette présentation a été donnée lors d'un événement TEDx organisé indépendamment des conférences TED. http://ted.com/tedx
- Video Language:
- French
- Team:
- closed TED
- Project:
- TEDxTalks
- Duration:
- 11:13