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La vie privée n'est pas un bug dans le code | Isabelle Falque-Pierrotin | TEDxIssylesMoulineaux

  • 0:09 - 0:10
    Bonjour à tous !
  • 0:11 - 0:14
    Je crois qu'on a tous les jours 20 ans !
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    Et que l'Europe a tous les jours 20 ans
  • 0:16 - 0:18
    et a probablement encore
    beaucoup de choses à dire
  • 0:18 - 0:19
    sur beaucoup de sujets.
  • 0:19 - 0:23
    Alors effectivement, moi je voudrais
    essayer de vous démontrer,
  • 0:23 - 0:25
    en tout cas vous expliquer
  • 0:25 - 0:27
    pourquoi la vie privée n'est
    pas un bug dans le code.
  • 0:27 - 0:32
    Et pour ça, je voudrais commencer
    par vous parler d'Argos.
  • 0:32 - 0:35
    Est-ce que vous connaissez Argos ?
  • 0:36 - 0:40
    Argos était un géant
  • 0:40 - 0:43
    qui vivait il y a 25 siècles.
  • 0:44 - 0:49
    Et Argos avait été chargé par Héra,
    la femme de Zeus,
  • 0:50 - 0:55
    de surveiller Io,
    une nymphe que Zeus voulait conquérir.
  • 0:56 - 0:59
    Et Argos avait une
    particularité pour ça,
  • 0:59 - 1:03
    c'est qu'Argos avait cent yeux :
  • 1:03 - 1:08
    50 pour dormir, 50 pour surveiller.
  • 1:08 - 1:11
    Alors évidemment, Argos
    était extrêmement efficace.
  • 1:12 - 1:16
    Zeus essaie de tromper Argos.
  • 1:16 - 1:22
    Il se métamorphose en nuage,
    mais n'arrive pas à tromper Argos.
  • 1:22 - 1:28
    Alors, il envoie son fils, Hermès,
    le messager ailé.
  • 1:28 - 1:33
    Et Hermès va charmer
    Argos avec une mélopée
  • 1:33 - 1:36
    et va finir par couper la tête d'Argos.
  • 1:36 - 1:38
    Io s'échappe ;
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    Zeus la poursuit à travers toute l'Europe,
  • 1:41 - 1:46
    et Héra pour racheter la mort d'Argos
  • 1:46 - 1:52
    décide de mettre ses 100 yeux
    sur le corps de son animal favori,
  • 1:52 - 1:53
    le paon.
  • 1:55 - 1:57
    Alors pourquoi est-ce que
    je vous raconte cette histoire ?
  • 1:57 - 1:59
    Je vous raconte cette histoire
  • 1:59 - 2:03
    parce que, dans le fond,
    elle nous parle de nous !
  • 2:04 - 2:09
    C'est une histoire européenne, sombre,
  • 2:09 - 2:15
    de géant, de surveillance
    et de vie privée.
  • 2:15 - 2:20
    Et je crois qu'aujourd'hui,
    à l'heure des révélations de Snowden,
  • 2:20 - 2:22
    à l'heure des GAFA
    (Google, Apple, Facebook, Amazon),
  • 2:22 - 2:23
    nous aussi,
  • 2:23 - 2:27
    nous avons à nous poser
    la même question que Zeus.
  • 2:27 - 2:32
    Jusqu'où sommes-nous prêts à aller
    pour défendre notre vie privée ?
  • 2:32 - 2:35
    Éliminer Argos ?
  • 2:35 - 2:38
    Ou bien cette question n'a-t-elle
    dans le fond, plus de raison d'être,
  • 2:38 - 2:41
    parce que la vie privée
    comme certains le disent,
  • 2:41 - 2:45
    comme certains le pensent :
    « Tout le monde s'en fout ! »
  • 2:46 - 2:49
    Alors quel est le point de départ ?
  • 2:49 - 2:52
    On en a dit un mot
    dans l'intervention précédente.
  • 2:52 - 2:57
    Le point de départ, c'est qu'on est entré
    dans la « datification » du monde.
  • 2:57 - 3:02
    Toutes nos activités intellectuelles,
    privées, professionnelles,
  • 3:02 - 3:04
    se traduisent par des données,
    par des flux de données.
  • 3:04 - 3:09
    Et donc les individus, effectivement,
    sont de plus en plus, [catalogués],
  • 3:09 - 3:12
    catégorisés, analysés, rangés
  • 3:12 - 3:14
    en fonction des données qu'ils laissent.
  • 3:14 - 3:17
    Et, évidemment,
    en fonction de ces données,
  • 3:17 - 3:20
    ils sont potentiellement
    sous surveillance.
  • 3:20 - 3:23
    Alors, pour justifier cette surveillance,
  • 3:23 - 3:26
    le premier argument dans le fond
    qui nous est donné,
  • 3:26 - 3:31
    c'est : « Mais si vous avez peur
    de la surveillance,
  • 3:31 - 3:36
    dans le fond, c'est que vous avez
    quelque chose à cacher ! »
  • 3:36 - 3:40
    Je dirais au regard de cet argument,
    je crois que nous sommes tous coupables !
  • 3:40 - 3:45
    Car on a tous, bien sûr,
    quelque chose à cacher !
  • 3:45 - 3:46
    Mais c'est plus grave que ça !
  • 3:46 - 3:49
    Si on pense comme ça,
  • 3:49 - 3:51
    et cette manière de raisonner,
  • 3:51 - 3:54
    c'est l'argument de tous
    les régimes totalitaires du monde,
  • 3:54 - 3:57
    de toutes les inquisitions du monde.
  • 3:57 - 3:59
    Si on pense comme ça,
  • 3:59 - 4:02
    dans le fond on considère
    que la vie privée, c'est juste un secret.
  • 4:02 - 4:05
    C'est presque déjà de la culpabilité.
  • 4:05 - 4:08
    Mais la vie privée, ce n'est pas ça.
  • 4:08 - 4:11
    La vie privée, c'est simplement
    la possibilité qu'a chacun d'entre nous,
  • 4:11 - 4:13
    dans le fond, d'être soi.
  • 4:13 - 4:16
    D'être soi, de pouvoir s'exprimer,
  • 4:16 - 4:21
    de pouvoir se comporter
    indépendamment du regard des autres.
  • 4:21 - 4:23
    Et on voit bien que la vie privée, ici,
  • 4:23 - 4:26
    ce n'est pas simplement
    un enjeu personnel.
  • 4:26 - 4:28
    C'est un enjeu presque politique,
  • 4:28 - 4:31
    c'est l'autonomie de la personne.
  • 4:31 - 4:32
    C'est la démocratie finalement.
  • 4:33 - 4:35
    Donc je crois
    que sur ce premier argument,
  • 4:35 - 4:38
    il faut vraiment le rejeter fermement.
  • 4:38 - 4:41
    Puis on nous dit :
  • 4:41 - 4:46
    « La vie privée,
    ce n'est pas la peine de la défendre.
  • 4:46 - 4:47
    On l'a déjà abandonnée ! »
  • 4:47 - 4:52
    On l'a délibérément,
    nous tous, vendue même :
  • 4:52 - 4:54
    aux GAFA,
  • 4:54 - 4:56
    aux uns et aux autres
    qui nous proposent des services
  • 4:56 - 4:59
    parce que c'est tellement commode.
  • 4:59 - 5:01
    C'est vrai ! C'est vrai
  • 5:01 - 5:06
    et je crois que vous comme moi,
    comme nous tous,
  • 5:06 - 5:10
    on est tous des drogués au numérique.
  • 5:10 - 5:12
    On est tous consommateurs de ces services
  • 5:12 - 5:16
    et je pense
    qu'on n'échangerait pas facilement
  • 5:16 - 5:17
    tout ce que cela nous apporte,
  • 5:17 - 5:21
    en termes de confort de vie,
    en termes de localisation de nos amis,
  • 5:21 - 5:24
    en termes relationnels,
    en termes d'information...
  • 5:25 - 5:29
    On n'a pas envie de renoncer à ça !
  • 5:29 - 5:34
    Mais dire cela, ça n'est pas dire
    qu'on ne veut pas de vie privée !
  • 5:35 - 5:37
    Toutes les études le montrent.
  • 5:37 - 5:40
    Les individus, ce qu'ils veulent,
  • 5:40 - 5:43
    ce n'est pas renoncer
    à s'exposer en ligne.
  • 5:43 - 5:45
    Ce qu'ils veulent, c'est contrôler,
  • 5:45 - 5:49
    avoir la maîtrise
    de leurs données personnelles en ligne.
  • 5:49 - 5:52
    Et pouvoir définir eux
  • 5:52 - 5:56
    ce qu'il y a de public,
    et ce qu'il y a de privé.
  • 5:56 - 6:00
    Ce qu'ils veulent, c'est la fin
    du chèque en blanc, en quelque sorte,
  • 6:00 - 6:03
    donné aux fournisseurs de services,
    et à travers lequel,
  • 6:03 - 6:06
    les fournisseurs de services peuvent faire
    n'importe quoi à partir de nos données.
  • 6:06 - 6:09
    Ils veulent pouvoir dire :
    « C'est en fonction de mes choix
  • 6:09 - 6:12
    et pas des choix du fournisseur
  • 6:12 - 6:17
    que finalement la vie privée et la
    vie publique se dessinent en ligne. »
  • 6:18 - 6:21
    Troisième argument, on nous dit :
  • 6:21 - 6:25
    « Dans le fond la vie privée, c'est bien
    mais c'est compliqué,
  • 6:25 - 6:29
    c'est lourd et ça empêche l'innovation, »
  • 6:29 - 6:32
    toute cette belle innovation,
    dont on vient de parler,
  • 6:32 - 6:34
    « de se développer. »
  • 6:34 - 6:39
    Ça je crois que c'est l'argument
    qui est presque le plus insidieux.
  • 6:39 - 6:43
    Et c'est un argument
    que l'on trouve surtout en France.
  • 6:43 - 6:46
    Moi, je dis à toux ceux
    qui sont là dans la salle,
  • 6:46 - 6:49
    s'il y en a qui pensent vraiment cela,
  • 6:49 - 6:52
    qui pensent vraiment
    que la protection des données personnelles
  • 6:52 - 6:55
    est un obstacle concret
    à l'innovation
  • 6:55 - 6:59
    et qui ont des exemples
    concrets à faire valoir,
  • 6:59 - 7:02
    qu'ils viennent me voir,
    qu'ils viennent à la CNIL
  • 7:02 - 7:05
    nous exprimer et nous faire part
    de leur problème
  • 7:05 - 7:08
    et nous trouverons des solutions.
  • 7:08 - 7:11
    Cela fait la deuxième ou troisième fois
  • 7:11 - 7:14
    que j'invite, en fonction de cet argument,
  • 7:14 - 7:17
    les uns et les autres à venir
    et personne n'est venu.
  • 7:17 - 7:21
    Donc, à titre personnel, je ne suis pas
    complètement convaincue de cet argument.
  • 7:21 - 7:24
    J'ai l'impression que c'est un argument,
  • 7:24 - 7:28
    dans le fond, qui est quand même
    assez facile sur le plan médiatique.
  • 7:28 - 7:29
    Mais opérationnellement,
  • 7:29 - 7:32
    je ne vois pas véritablement
    que cet argument marche.
  • 7:32 - 7:34
    Je vois, au contraire,
  • 7:34 - 7:35
    que la protection
    des données personnelles,
  • 7:35 - 7:39
    ça peut être un magnifique
    argument concurrentiel.
  • 7:39 - 7:42
    Pourquoi ? parce que, dans le fond,
    ça rassure les clients,
  • 7:42 - 7:44
    ça rassure les citoyens
  • 7:44 - 7:47
    de savoir quel est le traitement
    de données personnelles
  • 7:47 - 7:49
    qui va être reconnu.
  • 7:49 - 7:52
    Donc, je crois qu'on peut au contraire
  • 7:52 - 7:55
    construire une innovation
    beaucoup plus durable,
  • 7:55 - 7:56
    beaucoup plus solide
  • 7:56 - 7:59
    en respectant la protection
    des données personnelles.
  • 7:59 - 8:04
    Voilà très brièvement ce que
    je voulais partager avec vous.
  • 8:04 - 8:06
    Je crois que la protection
    des données personnelles,
  • 8:06 - 8:09
    ce n'est pas un vestige du passé.
  • 8:09 - 8:14
    Effectivement, je crois que
    ça n'est pas un bug dans le code.
  • 8:14 - 8:16
    Je crois, au contraire,
    que c'est une pépite.
  • 8:16 - 8:19
    C'est une pépite politique,
    la condition de la démocratie.
  • 8:19 - 8:21
    C'est une pépite économique.
  • 8:21 - 8:24
    Et à ce titre,
    et je voudrais terminer par cela.
  • 8:24 - 8:27
    Je crois qu'il faut être
    extrêmement vigilant
  • 8:27 - 8:29
    sur ce qui se passe aujourd'hui en Europe.
  • 8:29 - 8:31
    En Europe, vous le savez,
  • 8:31 - 8:34
    nous avons un cadre juridique
    qui est la directive de 1995
  • 8:34 - 8:38
    qui fixe le régime juridique de
    protection des données en Europe.
  • 8:38 - 8:43
    Ce cadre est en train d'être
    reconstruit, rénové
  • 8:43 - 8:49
    et à l'aune de tous les lobbies
    et de toutes les actions et les pressions
  • 8:49 - 8:53
    qui s'exercent auprès du Parlement,
    auprès de la Commission,
  • 8:53 - 8:55
    on voit bien que ce sujet
  • 8:55 - 9:00
    est un sujet d'intense convoitise
    au plan international.
  • 9:00 - 9:04
    Donc je crois
    qu'il ne faut pas se voiler la face.
  • 9:04 - 9:06
    La vie de tous les jours
    et la vie des données personnelles,
  • 9:06 - 9:07
    c'est un combat.
  • 9:07 - 9:12
    Nous devons à l'aune de cette rénovation
    du cadre juridique
  • 9:12 - 9:16
    promouvoir cet atout
    économique et politique
  • 9:16 - 9:19
    que constitue la protection
    de la vie privée.
  • 9:19 - 9:23
    Je reviendrais pour finir à Argos.
  • 9:23 - 9:28
    Je crois que,
    on ne peut plus supprimer Argos.
  • 9:29 - 9:32
    Argos fait partie de nos vies désormais.
  • 9:32 - 9:36
    Ce qu'il faut,
    c'est le mettre sous surveillance !
  • 9:36 - 9:37
    Merci à tous !
  • 9:37 - 9:42
    (Applaudissements)
Title:
La vie privée n'est pas un bug dans le code | Isabelle Falque-Pierrotin | TEDxIssylesMoulineaux
Description:

Par rapport à une certaine forme de fatalité que l'on entend sur le thème « fin de la vie privée », Isabelle a une conviction bien arrêtée. Elle va nous expliquer que ce n'est pas une fatalité et que ce droit que nos aïeux ont gagné contre des régimes totalitaires n'est pas à abandonner sur l'autel de la connectivité et de la transparence. Le citoyen consommateur doit pouvoir exercer son droit à la vie privée.

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Video Language:
French
Team:
closed TED
Project:
TEDxTalks
Duration:
09:44

French subtitles

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