Y a-t-il des différences cognitives entre les sexes ? Il faut vraiment que je sois fou pour avoir choisi d'aborder une question aussi sulfureuse avec vous ! Pourtant, il y a de bonnes raisons de le faire et les raisons vous les connaissez : ce sont les statistiques que vous connaissez bien. Par exemple : les femmes sont plus souvent en recherche d'emploi que les hommes, qu'elles sont moins rémunérées que les hommes à poste équivalent, qu'elles accèdent moins souvent que les hommes à des postes d'encadrement et de direction, alors même qu'elles sont tout aussi qualifiées que les hommes, voire même plus en moyenne. Donc ces statistiques sont tout à fait choquantes et j'imagine que vous partagez avec moi le désir de faire progresser tous ces chiffres jusqu'à 50 %. Alors après, évidemment, différentes approches s'opposent sur la manière de parvenir à ce but. Si vous avez suivi un petit peu les débats dans les médias récemment sur ce sujet, vous avez sans doute constaté que le leitmotiv principal qui revient consiste à tout simplement nier qu'il existe des différences cognitives ou cérébrales entre les sexes. Ou en tout cas que, s'il en existe, eh bien, elles sont tout à fait marginales, ou bien qu'elles sont l'effet de stéréotypes ou qu'elles sont des biais d'éducation entre les garçons et les filles. Alors personnellement, je trouve cette approche particulièrement risquée, parce qu'elle fait reposer un principe moral sur des faits qui peuvent être observés ou pas dans le monde réel. Alors imaginez que demain une nouvelle recherche scientifique soit publiée et démontre qu'il existe bel et bien des différences cognitives entre les sexes, et alors là patatras tout s'écroule et tout d'un coup les gens vont se dire : effectivement, il y en avait, j'avais bien raison de discriminer les femmes à l'embauche et de moins les rémunérer que les hommes. Donc on voit bien qu'il y a un problème dans cette argumentation. Il y en a d'autant plus que cette argumentation s'est déjà effondrée, parce qu'il existe déjà des preuves de différences cognitives entre les sexes. C'est ce que je vous propose aujourd'hui, de commencer à passer un peu en revue les données qui montrent effectivement que c'est le cas, puis nous reviendrons à notre question initiale. Alors il y a des différences cognitives entre les sexes, mais lesquelles ? Toutes celles dont on parle ne sont pas forcément réelles. Par exemple, au 19e siècle, on croyait que les femmes étaient moins intelligentes que les hommes, comme l'a dit le célèbre neurologue Paul Broca, en raison peut-être de la plus petite taille de leur cerveau. Face à une telle affirmation, il y a deux attitudes possibles. On peut soit dire, c'est totalement inacceptable donc c'est forcément faux, mais vous concéderez que ça revient un peu à prendre ses désirs pour des réalités. Ou alors on peut avoir une approche plus scientifique, et regarder les données voyons si les données viennent à l'appui de cette hypothèse. Alors si on regarde les données, d'abord : y a-t-il une différence de volume cérébral entre les sexes ? Oui, il y en a une : les hommes ont un cerveau qui est en moyenne 9 % plus gros que celui des femmes. Deuxième question : est-il vrai qu'il y a un lien entre volume cérébral et intelligence générale, telle qu'on peut la mesurer par des tests de quotient intellectuel ? La réponse est à nouveau oui, ce que vous voyez illustré par ces lignes ici. Les différences de volume cérébral entre les personnes expliquent à peu près 10 % des différences de quotient intellectuel. Troisième point : est-ce qu'il s'ensuit que les femmes ont nécessairement un quotient intellectuel plus faible que les hommes ? C'est en regardant les données qu'on peut y répondre. Voici les données dans une étude particulière qui a été confirmée par bien d'autres. Vous voyez sur l'axe des x le volume du cerveau des personnes, sur l'axe des y leur quotient intellectuel, les hommes sont en noir, les femmes sont en blanc. Ce que vous voyez, si on regarde sur l'axe des x, c'est effectivement que les hommes ont un cerveau plus volumineux que les femmes. Si on regarde les lignes qui montrent le lien entre taille du cerveau et QI, vous voyez bien qu'au sein des hommes il y a bien une relation, et au sein des femmes, il y a bien une relation aussi. Regardez maintenant le QI sur l'axe des y, vous voyez qu'en moyenne il n'y a pas de différence de QI entre les femmes et les hommes. Ça permet, à partir d'une approche scientifique, de donner une réponse ferme et définitive à Broca, qui est : non les hommes et femmes ne diffèrent pas en termes d'intelligence générale. Alors est-ce qu'il s'ensuit qu'il n'y a aucune différence ? Pas nécessairement. Il peut y en avoir des plus subtiles. Par exemple, au niveau du cerveau, si on regarde différentes régions cérébrales, il y en a qui diffèrent entre les hommes et les femmes. Cette image vous montre que les régions en bleu ont des volumes de matière grise plus grands chez les hommes que chez les femmes en moyenne, alors que les zones rouges ont des volumes de matière grise plus grands chez les femmes que chez les hommes. Je ne vais pas passer en détail toutes les régions, mais certaines sont dans le système limbique, autrement dit ce que l'on pourrait appeler le cerveau émotionnel. Si on regarde au niveau cognitif, est-ce que ça se traduit par des différences dans des performances dans des tests ? Là encore, la réponse est oui. Il y a un tas de fonctions cognitives dans lesquelles les hommes et les femmes diffèrent un petit peu. Vous en voyez une illustration ici. Il s'agit de deux tests cognitifs. Le premier, qu'on voit en haut, c'est un peu le jeu des sept erreurs. C'est-à-dire vous avez une planche avec un certain nombre d'objets. Vous la regardez, on vous la cache et puis on vous montre la 2ème planche et vous devez trouver les objets qui ont changé de place. Donc c'est une tâche de mémoire des localisations spatiales. La tâche qu'il y a en dessous : on vous montre un objet en 3D et puis, après, on vous en montre plusieurs autres qui sont le même objet après rotation, mais il y en a un parmi eux qui est un intrus et qui n'est le même objet par rotation mais son image miroir. On vous demande de détecter cet intrus. L'une de ces tâches est mieux réalisée par les hommes, alors que l'autre est mieux réalisée par les femmes. Est-ce que vous êtes capables de deviner laquelle est laquelle ? On va vous mettre à l'épreuve. Vous allez voter tout de suite à main levée. Les personnes qui pensent que la tâche de localisation spatiale est mieux réalisée par les hommes et la tâche de rotation mentale est mieux réalisée par les femmes, levez la main. Allez, je veux vous voir, Il n'y en a pas beaucoup. Est-ce que vous êtes timides ? Les personnes qui pensent exactement le contraire, levez la main. Là tout de suite on voit plus de mains. Et donc je peux vous dire que la majorité d'entre vous effectivement ont l'intuition correcte. C'est-à-dire que les femmes sont meilleures dans les tâches de mémorisation des localisations des objets, alors que les hommes sont, en moyenne, meilleurs dans des tâches où il faut manipuler des objets dans l'espace. Alors, des tâches comme ça il y en a plein et évidemment, il ne suffit pas de montrer que les hommes et les femmes diffèrent sur tel ou tel test. Parce que, qu'est-ce que ça prouve ? Ça ne prouve pas que la différence est innée. Il existe plein de facteurs qui induisent de telles différences de performances. Donc il peut y avoir l'éducation : c'est un fait que les garçons ne sont pas éduqués de la même manière que les filles, qu'on ne les encourage pas dans les mêmes activités, qu'on ne les entraîne pas aux mêmes choses. Il peut y avoir aussi des biais de stéréotype. Je vais vous illustrer ce biais de stéréotype par cette étude américaine fameuse dans laquelle ils ont administré un test de mathématiques assez complexe à des étudiants à l'université. Dans une première version, avec l'instruction selon laquelle, c'est un test de maths dans lequel typiquement les hommes ont de meilleures performances que les femmes. Les résultats observés se conformaient tout à fait à cette suggestion, à savoir que les hommes ont eu de meilleurs résultats que les femmes. Dans une deuxième version, ils ont administré exactement le même test de maths, mais en changeant uniquement les instructions, et en disant : voici un test de maths dans lequel il n'y a aucune différence entre les sexes. Et là les résultats ont été qu'il n'y avait aucune différence entre les sexes. Donc vous voyez que finalement, par une simple suggestion, on peut induire dans l'esprit des gens, des stéréotypes auxquels ils vont finir par se conformer. C'est un peu comme une prophétie auto-réalisatrice. Et donc, du coup, on se dit : ah mais oui mais des stéréotypes comme ça, il y en a plein, surtout des stéréotypes peu valorisants pour les femmes. Et du coup, si les femmes l'intériorisent et se conforment à ce stéréotype, eh bien ça pourrait expliquer de nombreuses différences qui sont observées. Pour le savoir, encore une fois il faut examiner les données. Donc là je vous montre une longue liste de tests dans lesquels on a comparé les performances des hommes et des femmes. Ceux qui ne diffèrent pas entre les hommes et les femmes, ce sont ceux qui sont sur la ligne du milieu, ceux qui sont avec les barres en rose qui penchent vers la gauche, sont les tests qui sont à l'avantage des femmes et ceux qui sont avec les barres en bleus qui penchent vers la droite, ce sont les tests qui sont à l'avantage des hommes ; la taille des barres reflète la taille de la différence entre les sexes, sur une échelle statistique que je ne vais pas vous expliquer. Mais pour fixer les idées, regardez la barre bleue qui est tout en bas. C'est la taille de la différence de la taille du corps entre les sexes. Les hommes sont en moyenne un petit peu plus grands que les femmes. Ça, ce n'est pas controversé ! Et cette différence a une taille qui est de deux sur cette échelle statistique, ce qui est représenté ici. En comparaison, la plupart des différences cognitives entre les sexes ne sont en fait pas très grandes. Elles sont inférieures à 1 sur cette échelle donc en prenant un homme et une femme au hasard et en les comparant sur ces tests, ils ont moins de chances d'être différents que si on prend deux hommes au hasard ou deux femmes au hasard. Ce sont des différences qui sont modestes, on va dire. Peuvent-elles être entièrement expliquées par des biais de stéréotype ? Pour ça il faut les comparer aux effets de stéréotype représentés par la zone grisée. Vous voyez qu'effectivement un certain nombre de ces différences dans le milieu, qui sont faibles, peuvent être entièrement attribuées à des effets de stéréotype, potentiellement. Il y en a aussi qui sont un peu plus grandes et qui probablement ne peuvent pas être entièrement dues à des effets de stéréotype. Et je vais illustrer sur un exemple particulier, qui est l'agressivité. Le fait que les différences sont modestes, mais malgré tout, elles peuvent avoir une certaine importance. Donc l'agressivité, comment ça se mesure ? Par exemple, par des questionnaires où il faut répondre à des dizaines de questions qui vous interrogent sur vos attitudes, sur vos réactions dans un certain nombre de situations. Et on cumule les scores à toutes ces questions, et à la fin, on produit un score sur 200 ou 250. Et là vous avez la distribution des scores des hommes en bleu et la distribution des scores des femmes en rouge. Ce que vous voyez c'est que ces distributions sont un peu décalées : la moyenne des hommes est un peu supérieure à celle des femmes. On pourrait dire les hommes sont en moyenne plus agressifs que les femmes. Mais, les deux distributions se recouvrent énormément, donc il y a aussi beaucoup de femmes qui sont plus agressives que beaucoup d'hommes. On pourrait dire: cette différence est si minime qu'elle n'a strictement aucune importance. Si on voit les données de façon différente, si on s'intéresse à la proportion d'hommes et de femmes qui dépasse un certain score alors dans les petits scores, on a un homme pour une femme, mais quand on arrive à des scores qui sont moyens, on a 2 hommes pour une femme, quand on arrive à 150 on a 4 hommes pour une femme et à 200 on a 8 hommes pour une femme. Chiffre peut-être à rapprocher par exemple, d'une autre statistique qui est les auteurs d'homicide, il y a environ 10 hommes pour une femme. Donc on voit par cet exemple que, même lorsqu'une différence moyenne est très petite et qu'il y a un gros recouvrement entre les deux distributions, il peut y avoir des conséquences très importantes au niveau sociétal. Alors, on a parlé de différences cognitives entre les sexes, de différences de personnalités comme ici. Il y a aussi des différences de préférence. C'est-à-dire que spontanément hommes et femmes sont attirés par des objets et des activités différents. Et ces différences s'observent dès l'enfance. Dès les cours de récréation en maternelle, on voit bien que les garçons sont attirés par des jeux un petit peu plus actifs, turbulents, compétitifs, alors que les filles vont être attirées par des jeux plus calmes et aussi plus sociaux et coopératifs. Ce sont des stéréotypes mais aussi des observations qu'on peut faire chez le très jeune enfant. Évidemment, on peut penser que la manière dont nous éduquons les garçons et les filles n'est pas indifférente à ces observations. Mais peuvent-elles les expliquer entièrement ? Est-ce que des biais d'éducation peuvent expliquer entièrement ces différences ? Eh bien, pour le savoir il faut regarder à des âges plus jeunes, avec des méthodologies appropriées. Par exemple, dans mon laboratoire, on a des méthodes pour étudier la perception du nourrisson. Par exemple, on peut regarder si le nourrisson préfère regarder plus longtemps un stimulus visuel ou un autre. Ce qu'on observe dans ce genre d'expérience, c'est que des bébés, lorsque ce sont des filles vont préférer regarder plus longtemps le visage féminin, mais lorsque ce sont des garçons, vont préférer regarder plus longtemps cette image abstraite qui, vous ne le voyez pas, mais il y a une ficelle avec une boule qui pend, une espèce de mobile. Vous voyez que dès le plus jeune âge en l'occurrence une expérience le montre dès la naissance, les garçons et les filles ont déjà des préférences pour des objets différents. On voit aussi quelques différences au niveau de capacités cognitives, comme la fameuse rotation mentale dans l'espace. Donc on montre l'objet en 3D à ce bébé et puis on le fait tourner, on le présente sous différentes orientations et puis, au bout d'un moment, on présente l'image miroir de cet objet. Donc ça n'est plus le même objet obtenu par rotation. Ce qu'on observe, c'est que les bébés garçons remarquent la différence, ça se traduit par une augmentation de leurs temps de regard vers ce nouvel objet. Alors que les filles, vous le voyez sur les deux barres de gauche, elles, ne manifestent pas de différence dans leur temps de regard, donc a priori ne détectent pas la différence entre l'objet et son image miroir. Et là on parle d'expériences qui ont été effectuées entre trois et cinq mois, autrement dit à un âge où il est quand même assez peu plausible qu'on ait déjà biaisé la cognition de ces bébés par des traitements différents entre les garçons et les filles. Alors, s'il peut y avoir de différences aussi précoces, d'où viennent-elles ? Eh bien on a une petite idée des mécanismes qui sont à l'œuvre. Vous savez qu'il existe des différences génétiques entre les hommes et les femmes dans leurs chromosomes sexuels. Le fait que le fœtus mâle possède un chromosome Y va différencier ses gonades en testicules, très précocement, et ses testicules vont sécréter de la testostérone, qui va imprégner les tissus progressivement en atteignant un pic aux alentours de 15 semaines de gestation. Mais si vous regardez la ligne en pointillés en bas, chez le fœtus fille, la testostérone reste à zéro pendant tout le développement. Le fait que cette testostérone imprègne tous les tissus va masculiniser les tissus, va modifier un petit peu les cellules pour leur faire adopter une forme qui est spécifique au sexe mâle. Ce phénomène se produit aussi dans le cerveau et conduit à des différences de structure et de fonction, et à des différences de comportement. Ces choses sont très bien démontrées dans différentes espèces animales parce que chez l'animal, on peut faire des expériences où on manipule les taux de testostérone fœtale. Vous imaginez bien qu'on ne s'autorise pas ce genre d'expériences chez l'humain et par conséquent on n'a pas la preuve formelle que la même chose se passe exactement ainsi chez l'humain. Malgré tout, ce qu'on sait en biologie sur l'être humain est compatible avec l'idée que les mêmes mécanismes soient à l'œuvre chez l'être humain. Alors, pour résumer : on a vu que, oui, des différences cognitives entre les hommes et les femmes, il en existe bel et bien. Elles ne sont pas énormes, elles sont de taille modérée, autrement dit elles ne justifient pas une répartition des rôles très différenciée entre hommes et femmes dans la société. Mais elles sont fiables. Pour certaines, on peut les observer dès l'enfance, voire même dès la naissance, et on commence à en connaître on va dire au moins partiellement, les bases cérébrales, les origines hormonales et génétiques. Alors, il y a des différences. Et alors ! Et alors ! Est-ce que ça justifie de discriminer les femmes à l'embauche, de les payer moins ? Mais non, évidemment ! Pas parce qu'il y a des différences, rien ne peut justifier cette discrimination, quelles que soient les différences mises en évidence. Donc on voit bien qu'on est à côté de la plaque en fait. Il s'agit d'une confusion entre l'égalité en droit et l'égalité de fait. Quand on dit que les êtres humains naissent libres et égaux en droit, on n'est pas en train d'observer un fait, on est en train d'affirmer une valeur. Et on a envie de continuer à affirmer cette valeur, quelles que soient les observations qu'on puisse faire, et quelles que soient les différences qu'on puisse observer entre les individus. Parce que, de toute façon, des différences, il y en a partout, et il y en aura toujours ! Nous sommes tous différents et, en fait, pour que nous soyons tous égaux, il faudrait non seulement qu'on soit tous des clones, et donc tous de même sexe, et, qu'en plus, on soit tous élevés dans des conditions de laboratoire strictement à l'identique. Ça fait envie à quelqu'un ? Non, bon. Donc des différences, il y en a partout. Finalement c'est ça qui fait l'intérêt de la vie humaine aussi. C'est la diversité et c'est ça aussi qui permet d'espérer que plutôt que d'avoir peur de nos différences, on peut essayer de capitaliser sur nos différences et reconnaître que nous avons aussi des qualités pouvant être complémentaires. D'ailleurs, l'idée de justice et d'équité est encore plus importante. Ce qui est injuste, c'est de défavoriser une personne parce qu'on l'évalue sur les qualités moyennes, réelles ou supposées, de son sexe ou du groupe auquel elle appartient. Ça, c'est fondamentalement injuste, alors que la justice, c'est simplement d'évaluer les personnes sur la base de leurs qualités individuelles, indépendamment de leur sexe ou d'un autre groupe auquel elles appartiennent. Pour conclure, je pense que c'est ce qu'il faut revendiquer pour les femmes. Ce n'est pas l'égalité de fait en tous points avec les hommes. C'est une égalité en droit, et c'est la justice et l'équité. Je vous remercie. (Applaudissements)