J’ai appris une nouvelle incroyable il y a peu de temps. Une étude très sérieuse a démontré qu’on est champions du monde. Non mais vous vous rendez compte ? On est champions du monde ! Enfin la France est championne du monde.... de pessimisme ! La France qui est sûrement le pays avec le plus d’avantages sociaux, a en même temps les gens les plus tristes. C’est fou ça. Non ? C’est de ça dont je suis venue vous parler aujourd’hui. On parle souvent d’inégalités sociales, et moi j’ai envie de vous parler d’inégalité de la joie. Je suis art-thérapeute, et j’interviens dans les services de soins palliatifs et de cancérologie pour adultes depuis douze ans. J’accompagne les personnes gravement malades et en fin de vie, et je tente de les apaiser. De leur donner de la joie. Quand j’y vais, je suis une « neztoile ». C’est-à-dire un personnage fantastique, formé à la relation d’aide. Je souffle le désir de vie, et je réveille la joie. Les patients ont des ressources incroyables. Ils m’ont tout appris. On croit qu’on les accompagne, mais en fait, ce sont eux qui font tout le travail. Ils m’ont appris de tels enseignements, de telles vérités, que j’ai envie de vous les transmettre joyeusement. On n'est pas du tout à égalité dans nos ressources de vie et de joie, face à la maladie et la mort. Il y aurait une nature d’homme avec des ressources de joie, et une autre nature d’homme qui n’aurait pas de ressources de joie. Comme ceux qui voient le verre à moitié vide et ceux qui le voient à moitié plein. Je pense à cet homme qui souffre d’un cancer du rectum en phase avancée. Il est allongé sur son lit d’hôpital, et ce qui est incroyable, c’est qu’il pleure. Mais il pleure, non de tristesse, mais de joie ! Il ne cesse de répéter : « Oh, ce que je suis heureux. Le bonheur c’est simple, c’est la joie. » Avec la famille, oui, on s’est pris tous la main, et on l’entoure, et lui il ne cesse de répéter : « Oh ce que je suis heureux. Non mais ce sont des larmes de joie. Je suis très heureux, vous êtes tous là à mes côtés ! » Non mais vous vous rendez compte. En fait, au lieu de se plaindre, il est dans le contentement. Pour intensifier d’avantage sa joie, je lui demande ses plus beaux souvenirs. Et lui il chante et il rit. Rien ne l’arrête. Son corps est allongé, mais c’est tout son Être qui se tient debout. Sa femme me dit un peu plus tard dans le couloir combien toute sa vie il a toujours été dans la joie. C’est un être de joie. Il transforme toujours tout en positif. Vous vous rendez compte. Il a tenu sa joie jusqu’à sa fin de vie. Est-ce que je pourrais faire de la sorte pour ma fin de vie ? Est-ce que j’ai les ressources ? Et vous ? Bon, c’est sûr que c’est un cas rare, ce patient de la joie qui rit autant. Je n’en rencontre pas beaucoup. Par contre j'en accompagne souvent qui éprouvent de grandes joies dans la traversée de leur maladie même jusqu’à la fin de vie. Comment ? vous allez me dire. En se concentrant avant tout sur ce qui est essentiel en eux. Sur une joie intime. Intrinsèque. Un état d’être plus grand que le corps. Si on arrive à faire sentir à une personne qui souffre qu’elle est bien plus grande que son corps, on a marqué un bon point vers sa joie. Je pense à cette personne recroquevillée en fœtus que je vais voir en cancérologie dans sa chambre d’hôpital. Il se lamente. Il me dit : « Mais pourquoi moi ? Pourquoi j’ai ce cancer ? J’ai toujours été gentil. » Alors je lui propose une phrase ressource pour l’aider dans toute sa traversée de la maladie. Il me répond : « Je ne mérite pas cette maladie. » Alors je l’invite à se remémorer tous les plus beaux souvenirs de sa vie. Et il me raconte. Il me raconte la nature. Il me parle de la mer, de la montagne. Il me parle de sa Croatie chérie et des gens, il adore les gens. Après l’évocation du bonheur, sa phrase se transforme. Il dit : « Je suis plus que la maladie. » A la fin de ma visite, il dit : « Ah non. J’ai mieux. Mon cœur est bien plus grand que la maladie. » Il me tend ses bras, on s’embrasse. Mais vous vous rendez compte ? Son point de vue sur ce qu’il traverse a changé grâce à l’évocation du bonheur. De victime, il est passé à créateur. Intéressant, non ? Alors pour les rendre plus heureux, ceux qui souffrent, apprenons à réveiller notre joie et transmettons-la. C’est le principe de base. Face à l’imminence de la mort, les patients m’ont appris la formidable capacité de l’humain à se concentrer sur le positif. Sur tout ce qui est vivant. Et je pense à cette personne que j’accompagne en ce moment qui s’appelle Danielle, qui a 41 ans, qui est en soins palliatifs, qui ne peut plus marcher, qui est devenue incontinente et qui se bat coûte que coûte pour vivre. Elle ne cesse de me répéter : « Ah, mais quand mon mari vient, je profite de chaque instant. Que la vie est précieuse. Mais je n’arrête pas de le dire à mes amis : ‘Mais profitez de la vie avant qu’il ne soit trop tard.’ Mais pourquoi ils ne m’entendent pas ? » me dit-elle souvent en pleurant. Pourquoi les gens ne savent pas la chance qu’ils ont de vivre en bonne santé. Peu de choses sont graves dans la vie. Mais vivez, vivez avant qu’il ne soit trop tard. Les patients m’ont aussi appris, que toute expérience, même douloureuse, est source d’ouverture. C’est souvent la question que je pose en service de cancérologie : « Alors, par cette maladie, quelle est donc la nouvelle opportunité ? » « Alors là, je n’ai jamais vu la vie comme ça », me répond cet homme, qui se dit vide. Cet homme qui est sans cheveux et sans énergie, qui a couru toute sa vie. Trente minutes, il a la réponse. « Ah oui la nouvelle opportunité, vivre le présent. » Et je pense à tout ceux qui me disent : profiter plus de l’essentiel, faire le tri des amis, dire plus aux gens qui les aiment. Faire plus de choses avec du sens. Dire plus aux gens qu’on les aime. En fait, on croit toujours que le bonheur est lié à ce qu’on possède. Tandis qu’on perd tout, on réalise que l’essentiel, il se vit dans le cœur et qu’elle est là la vraie richesse. Allégeons ce qui se vit. Ne nions pas la souffrance, mais changeons d’étage. Ça me fait penser à cette petite dame que j’ai vue en service de cancérologie. Et quand je vais la voir, elle se dit profondément dépressive, car elle ne peut plus rien faire. Je lui ai dit : « Mais ah bon, qu’est-ce que tu ne peux plus faire ? » Alors elle me dit : « Eh bien, je ne peux plus faire mes courses. Je ne peux plus faire de grands repas. Je ne peux plus faire le ménage. » Quoique là, je trouve ça plutôt pas mal, moi. « Je ne peux plus, oui, inviter mes amis, faire de grands repas. » Alors je lui prends la main, et je lui dis : « Et ça », et je lui envoie plein d’amour. Et elle m’en envoie en retour. Et il y a un flux incroyable qui passe entre nous. Et je lui dis : « Et ça, Est-ce que tu peux encore ? » Elle sourit, « Ah oui, oui. Je peux. » Et sa fille complice aussi sourit. Alors d’un seul coup, elle se met à dire tout ce qu’elle aime faire. Elle aime regarder les gens qui sont beaux. Les jolies filles, les jolis hommes aussi. Alors je lui ai dit : « Et alors. Est-ce que contempler la beauté, tu peux faire aussi ? » Elle me dit : « Ah oui. Je peux faire. » Alors je me retourne vers l’assemblée de patients et je leur dis : « Qui est-ce qui a regardé pousser les fleurs ces jours-ci ? » Ils baissent tous la tête et ils disent non. Et si on prenait le temps de regarder ce qui nous touche vraiment. Je reviens vers la vieille dame qui se dit encore dépressive, et je lui mets la main sur le cœur. « Ce qui est sûr, c’est que tu peux toujours aimer. Ça, tu peux toujours le faire. Et si tu rentres dans cet espace, tu trouveras de la joie. » Elle sourit : « Ah oui. » Alors je leur dis : « Et si la liberté était là ? Aimer. Regarder pousser les fleurs. Prendre le temps. Aimer. Regarder pousser les fleurs. Prendre le temps. » Quand j’ai quitté la salle d’attente, la petite dame, elle avait complètement changé d’énergie. Elle avait la ressource essentielle, mais le savait-elle ? Et si nous pouvions changer de regard sur qui nous sommes et sur ce que nous traversons. Ce qui est sûr, c’est que toutes ces histoires que j’ai vécues m’ont totalement convaincue. La joie, ça se travaille, tous les jours. Oui, oui. Vraiment tous les jours ! On pourrait alors dégager plusieurs vérités essentielles. Ce serait une espèce de grammaire du bonheur. Premier temps, la conjugaison : le présent. Le bonheur, c’est maintenant. Deuxièmement. Donnons du sens à ce que nous vivons. Troisièmement. Ayons un rêve, et réalisons-le avant qu’il ne soit trop tard. Quatre. Réalisons que le simple fait de vivre est déjà merveilleux et mettons de la joie dans tout ce que nous faisons. Cinq. Sourions toujours plus, c’est toujours plus facile. Six. Soyons contents de ce que nous avons plutôt que de vouloir toujours plus. Et surtout, surtout, sept. Aimons, et mettons-le dans toutes nos actions. Peu importe le métier que l’on fait. Peu importe. Peu importe la vie que l’on a, la réussite sociale ou non. Le plus important, c’est comment on réussit à mettre du sens dans sa vie, comment on aime, et comment on vit dans plus de joie. Soyons des créateurs, des artistes de la joie. On me dit souvent que je fais un métier extraordinaire. Mais alors non. Pas du tout. Par contre, je le fais sûrement de manière extraordinaire. Tout le monde peut faire son métier de manière extraordinaire. C’est-à-dire avec plus de joie, et avec plus de sens. Arrêtons d’être des champions du monde du malheur. N’attendons pas d’être sur notre lit de mort pour réaliser que le bonheur, c’est maintenant. C’est la bonne nouvelle du jour : mettons nos vêtements de joie et rendons les autres plus heureux. Si on ne peut pas changer la vie, on peut changer le regard qu’on a sur elle. Je vous remercie. (Applaudissements)