WEBVTT

00:00:03.825 --> 00:00:06.995
Lorsque j’étais une petite fille, j’ai demandé à ma mère :

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"Comment je serai, plus tard ? Est-ce que je serai jolie ?

00:00:10.203 --> 00:00:13.143
Je serai jolie ? Je serai jolie ?"

00:00:13.143 --> 00:00:15.375
Et ensuite ?

00:00:15.375 --> 00:00:17.157
Ah oui. "Est-ce que je serai riche ?"

00:00:17.157 --> 00:00:19.218
Ce qui est presque la même chose, selon l'endroit où on fait ses courses.

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Et la question d'être jolie est contagieuse dès la conception,

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elle passe dans les cellules par le sang et le souffle.

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Le mot s'échappe du cœur de nos mères

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et se déverse sur nous en un flot luminescent d'anxiété.

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"Serai-je désirée ? Valable ? Jolie ?"

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Mais la puberté m'a joué des tours de miroir déformant :

00:00:36.672 --> 00:00:39.229
des dents poussant à des angles improbables,

00:00:39.229 --> 00:00:41.667
un nez de travers, un visage équin,

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marqué par la varicelle et décoré par les hormones.

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Ma pauvre mère.

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"Comment est-ce possible ?

00:00:50.121 --> 00:00:53.300
Tu auras une peau de pêche, on va voir un dermato.

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Tu as sucé ton pouce,

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voilà pourquoi tes dents sont comme ça !

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Tu as pris un Frisbee en plein visage à 6 ans ;

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sans cela ton nez aurait été parfait !

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Ne t'en fais pas. On va tout arranger !"

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disait-elle, saisissant ma tête,

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l'examinant sous tous les angles,

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comme si c'était un légume qu'elle envisageait d'acheter.

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Mais je ne suis pas venue parler d'elle.

00:01:13.675 --> 00:01:14.527
Ce n'est pas sa faute.

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Elle aussi, elle a grandi dans cette croyance –

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le meilleur atout, pour sa disgracieuse petite fille,

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sera la restauration de façade.

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À 16 ans, je marinais dans les pommades, les soins et le peroxyde.

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Les dents ceintes d'acier.

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J'étais allongée à l'hôpital, le visage emmailloté dans la gaze

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pour protéger le splendide nez sculpté par le chirurgien.

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Le ventre gonflé d'un litre de mon propre sang, avalé pendant l'anesthésie.

00:01:39.798 --> 00:01:41.880
Chaque convulsion de mes entrailles

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était comme un cri de mon corps :

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"Que leur as-tu laissé te faire ?"

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Comme l'intraveineuse qui m'injectait de la beauté liquide,

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pendant tout ce temps, les voix ne cessaient de murmurer :

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"Serai-je jolie ? Serai-je jolie ?".

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De même pour ma mère, lorsqu'elle a défait l'emballage cadeau

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du bouquet de fille qu'elle avait acheté 10.000 dollars ?

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Jolie ? Jolie.

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Et maintenant, cela fait 10 ans que je n'ai pas vu mon vrai visage.

00:02:09.461 --> 00:02:16.008
Cela fait 10 ans, mais je ne suis pas venue parler de moi.

00:02:16.008 --> 00:02:21.020
Je suis venue parler du cirque automutilatoire dont nous nous sommes faites les clowns.

00:02:21.020 --> 00:02:23.794
Des femmes qui vont parcourir 30 boutiques de 6 centres commerciaux

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pour trouver la robe de cocktail appropriée, mais qui n'ont pas la moindre idée

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de l'endroit où s'accomplir, ou de la manière de porter la joie,

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qui traversent la vie enchaînées à leurs emplettes,

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tyrannisées par ces deux syllabes.

00:02:36.246 --> 00:02:38.081
Des hommes installés sur leur tabouret de bar,

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mornes séducteurs,

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et de toutes celles qui rentreront chez elles

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effondrées parce que ces inconnus ne les auront pas trouvées assez baisables.

00:02:50.335 --> 00:02:53.843
Et aussi de la fille que j'aurai peut-être un jour.

00:02:53.843 --> 00:02:55.101
Je te vois approcher,

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déjà taraudée par l'anxiété, et implorer :

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"Maman, est-ce que je serai jolie ? Est-ce que je serai jolie ?"

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J'effacerai cette question de ta bouche comme un rouge à lèvres de pacotille,

00:03:04.162 --> 00:03:06.279
et je répondrai : "Non !

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Cet adjectif est bien trop pâle pour décrire tout ce que tu seras,

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et jamais un tel mot ne résumera un de mes enfants.

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Tu seras joliment intelligente,

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joliment créative, joliment fascinante.

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Mais tu ne seras jamais

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juste "jolie"."