Je ne suis que directeur adjoint du BETA. Merci pour l'introduction. Si mon directeur voit sur Internet que je prends sa place... ... ça commencera mal. Moi, je suis enseignant-chercheur à l'université de Strasbourg, en économie, et je travaille donc sur la propriété intellectuelle, beaucoup sur le droit d'auteur, et j'avais des diapositives, mais je me rends compte qu'elles sont assez mauvaises et assez inadaptées à l'endroit, donc on va faire sans diapositives. Donc je me rends compte depuis un bout de temps, comme beaucoup de gens, que finalement le droit d'auteur n'est plus du tout adapté à l'économie numérique : Internet, la numérisation des œuvres, la diffusion facile, et je donc vais essayer, j'utilise dans mes recherches des concepts économiques dont je vais essayer de me passer aujourd'hui, pour vous montrer que les économistes peuvent contribuer à ce débat et peuvent montrer que finalement, les règles de droit d'auteur doivent changer, parce qu'aujourd'hui, c'est vraiment un frein à beaucoup de choses, et dans notre jargon économique, on dirait que finalement le droit d'auteur n'est plus du tout une source de création de richesse, mais de plus en plus va freiner la créativité. Alors pour commencer, je vais commencer par deux petites histoires qui vont montrer une chose importante, parce que ce n'est pas évident pour beaucoup de monde et notamment pour beaucoup de juristes, ce n'est pas évident que les règles de droit doivent changer. Pour beaucoup de gens, les règles de droit sont inscrites dans le marbre. Le droit, c'est le droit, et il ne dépend pas du contexte. C'est assez faux en tout cas pour les économistes. Les économistes, depuis très longtemps, ont développé ce qu'on appelle une vision fonctionnaliste de la propriété intellectuelle, et du droit plus généralement, qui dit finalement que le droit remplit une fonction. Ce n'est pas quelque chose de naturel, ce n'est pas quelque chose de gravé dans le marbre, mais le droit remplit une fonction. Cette fonction pour les économistes, c'est d'améliorer la richesse de nos économies, et la manière dont le droit remplit cette fonction, dépend naturellement du contexte. Et si le contexte change, eh bien, les règles de droit peuvent être amenées à changer. Alors, simplement deux exemples qui illustrent à mon sens parfaitement cette vision fonctionnaliste du droit. Le premier exemple, c'est [celui] de la propriété foncière. C'est un exemple que je tire d'un auteur que vous connaissez peut-être, qui est Lawrence Lessig, qui a beaucoup contribué à la création des creative commons et qui a fait plusieurs d'ailleurs speeches, des vrais speeches TED et pas TEDx. Lawrence Lessig nous explique que la propriété foncière aux États-Unis, -- vous savez que c'est quelque chose de sacré -- c'est inscrit dans la constitution, on ne rigole pas avec la propriété privée aux États-Unis, et originalement, bizarrement, elle est définie en trois dimensions. C'est-à-dire que vous n'êtes pas seulement propriétaire de votre terrain, vous êtes propriétaire de tout ce qu'il y a en dessous, et de tout ce qu'il y a au-dessus, jusqu'au ciel, Alors si on trouve du pétrole sous votre terrain, il est à vous, et évidemment la constitution américaine, c'est fin du XVIIIème siècle, il n'y avait pas d'avions, et début du XXe siècle, eh bien il y a les premiers vols transcontinentaux aux États-Unis, et évidemment il y a les premiers procès. Il y a des grands propriétaires fonciers qui ont fait des procès aux compagnies aériennes américaines qui faisaient New York-Chicago, parce que ces compagnies-là survolaient leurs terrains sans payer de droit de passage. La propriété foncière étant définie en trois dimensions, vous n'avez pas le droit de survoler un terrain sans l'accord du propriétaire. Et donc c'est une affaire, il y a eu des procès en appel, les juges ont toujours donné raison aux propriétaires fonciers, parce qu'un juge fait respecter la loi, il ne l'invente pas. Et donc c'est allé jusqu'à la Cour Suprême des États-Unis, et la Cour Suprême a eu un choix assez cornélien, soit on respecte le droit et on tue dans l'œuf une technologie, les avions, qui est source de richesse économique et qui est source de progrès et qui profite au consommateur. Donc, soit on respecte le droit et on tue potentiellement cette technologie, soit on fait évoluer le droit pour l'adapter à la technologie. Et évidemment la Cour Suprême américaine a décidé de modifier la loi, et de dire que finalement les avions pourraient survoler les propriétés foncières américaines sans payer de droits de passage et sans demander l'autorisation à condition qu'ils volent au dessus d'une certaine altitude. Donc ça, ça date de 1946, et ça montre bien une vision fonctionnaliste du droit, le droit doit s'adapter au contexte, et notamment au contexte technologique. Alors le deuxième exemple, il est tiré de la propriété intellectuelle, et... ... finalement on est à la fin des années 1970, et là il y a une technologie assez étrange qui arrive, c'est les premiers magnétoscopes. Évidemment, qu'est-ce qu'on fait avec un magnétoscope ? On enregistre des films, des émissions télé, etc. Alors comme l'avion, le magnétoscope, c'est une source de richesse économique extraordinaire. C'est fondamental pour les consommateurs, on peut enregistrer son match de foot qu'on a raté parce qu'on travaillait. On peut enregistrer des films. Donc, c'est vraiment une source de richesse économique. Le problème, c'est que le magnétoscope est source de violation du droit d'auteur. On n'a pas le droit d'enregistrer quelque chose qui est protégé par droit d'auteur. Donc à nouveau il y a eu un procès retentissant, Hollywood contre Sony, un procès qui est allé jusqu'à la Cour Suprême des États-Unis, les premiers juges ont donné raison à Hollywood, et à nouveau, les juges de la Cour Suprême américaine ont eu un choix à faire, un choix pas évident. Soit on respecte la loi, et dans ce cas-là, on tue le magnétoscope, et on ne sait pas dans quelle société on vivrait aujourd'hui. S'il y a pas de magnétoscope, il n'y a peut-être pas de lecteurs DVD, Il n'y a peut-être pas de smartphone. On ne sait pas, ça aurait peut-être pu avoir des influences irréversibles sur l'évolution technologique. Soit donc on adapte le droit à cette nouvelle technologie, et c'est à nouveau ce que les juges de la Cour Suprême ont décidé de faire en 1984 aux États-Unis et en 1988 en France, on a introduit le droit à la copie privée. C'est-à-dire n'importe qui peut copier des choses, enregistrer des films, à condition que ça reste dans la sphère privée. Vous pouvez le montrer à vos enfants, à votre famille, à des copains. Vous ne pouvez pas vendre ce que vous avez enregistré, et vous ne pouvez pas le montrer publiquement. Donc à nouveau, c'est un bon exemple, qui montre que le droit doit s'adapter à l'évolution technologique. J'y reviendrai tout à la fin de ma présentation, c'est plus qu'une anecdote selon moi, mais évidemment, dix ans après ce procès lors duquel Hollywood avait passé des années à se plaindre, à pleurnicher, j'ai envie de dire, à expliquer que si on autorisait le magnétoscope, il n'y aurait plus de films, il n'y aurait plus rien, c'est la fin de la création, etc, dix ans après la fin de ce procès, plus de 50 % du chiffre d'affaire d'Hollywood est réalisé en vendant des cassettes vidéo, et plus tard on vendant des DVD. Donc mon interprétation, c'est que le changement technologique ne tue pas la créativité mais appelle des nouveaux modèles d'affaires, des nouvelles organisations. Évidemment, on reviendra là-dessus en parlant d'Internet. Alors ces deux exemples montrent que le droit d'auteur doit s'adapter, et historiquement, le droit d'auteur a toujours été pour les économistes une manière d'arbitrer entre deux choses. Le droit d'auteur, c'est une manière d'arbitrer entre créer des incitations à investir dans la création. S'il n'y a pas de droit d'auteur, tout le monde peut tout copier gratuitement, et donc il n'y aura peut-être de la créativité, parce qu'on sait que les motivations des créateurs sont essentiellement intrinsèques, les gens ont besoin de créer. Donc il y aura peut-être de la création, mais il n'y aura peut-être pas d'industrie créative. Il n'y aura peut être pas de gens qui voudront investir massivement dans la diffusion des créations, parce qu'effectivement, si on peut tout copier, on n'a pas intérêt à investir. D'un premier côté, il faut inciter les gens à investir dans la création, mais d'un autre côté, l'exclusivité créée par le droit d'auteur, le droit d'auteur, c'est un droit exclusif donné aux auteurs et aux ayants-droit, cette exclusivité, elle a un coût pour le consommateur, puisqu'elle empêche le consommateur de bénéficier de la musique, des DVD, de tout ce qui est enregistrable. Le consommateur doit payer pour ça, il ne peut pas en bénéficier gratuitement. Donc il y a un coût évidemment. Il faut arbitrer, si vous voulez, entre l'incitation à créer et la diffusion des œuvres qui est bénéfique en soi pour le consommateur. Ce que je vais essayer de vous montrer maintenant, c'est que, cet équilibre entre incitation et diffusion, il a été profondément bouleversé par l'arrivée des nouvelles technologies, essentiellement la numérisation des œuvres de l'esprit. Aujourd'hui on peut quasiment tout numériser et tout diffuser facilement sur Internet. Donc la numérisation plus Internet, a complètement bouleversé cet équilibre fragile entre incitation et diffusion, et aujourd'hui, il y a deux problèmes essentiels qui sont liés aux droits d'auteurs sur lesquels je vais m'attarder et qui plaident finalement pour une modification en profondeur des règles de droit d'auteur, et je terminerai là-dessus. Le premier problème aujourd'hui lié au droit d'auteur, c'est que pour la première fois dans l'histoire de l'humanité, je pense, on vit dans un monde où on peut diffuser des œuvres de l'esprit de manière quasiment gratuite. La copie est gratuite. Si je prends l'exemple d'un CD, ou prenons l'exemple d'un livre ou d'un manuscrit écrit, aujourd'hui on peut faire un copier-coller quasiment gratuitement. Le seul coût, c'est le coût de l'électricité pour faire tourner un ordinateur. On peut copier un film, on peut copier une chanson quasiment gratuitement. Ça n'est jamais arrivé dans l'histoire de l'humanité. Avant l'imprimerie, pour copier un livre, il fallait des moines scribes qui passaient des années à essayer de faire des belles enluminures. Après l'imprimerie, ça restait coûteux. Ensuite on a eu des magnétoscopes, ce n'était pas gratuit quand même. Aujourd'hui pour la première fois, copier des œuvres numérisées est quasiment gratuit. Ce qui signifie, je vais passer la démonstration économique qui est plutôt complexe, mais économiquement on peut montrer qu'aujourd'hui la perte du droit d'auteur, la perte pour le consommateur générée par le droit d'auteur est encore plus importante. On a aujourd'hui du fait que la copie est devenue quasiment gratuite, s'opposer à cette copie génère un coût qui est encore plus important. Je vais prendre un exemple qui est relativement parlant et qui, je pense, me permettra d'éviter la démonstration technique, prenons l'exemple des films Walt Disney. Imaginez si les films Walt Disney n'étaient pas dans le domaine public. Ils ne le sont pas, pardon. Imaginez qu'ils soient dans le domaine public. Si la plupart des films Walt Disney étaient dans le domaine public, n'importe qui à travers le monde aujourd'hui pourrait regarder des films Walt Disney. Ça, ça génère une richesse extraordinaire pour le consommateur. Le problème aujourd'hui, c'est que les films Walt Disney sont encore protégés par [le] droit d'auteur, et donc il faut les acheter très cher, 10 à 15, parfois plus, 20 ou 25 euros à la Fnac pour ne pas les citer. Donc le droit d'auteur génère une perte pour le consommateur, qui est aujourd'hui absolument énorme. Et le problème, moi ce qui m'embête très souvent quand on écoute les débats grand public, c'est qu'on ne parle que d'incitation. Quand on parle de droit d'auteur, on ne parle que d'incitation, on ne parle jamais du coût de la non-diffusion, le coût de l'exclusivité pour le consommateur. Et ce coût-là, il est tout aussi important que les incitations. Je ne suis pas en train de dire que les incitations, ce n'est pas important, il faut des incitations, mais il faut équilibrer les incitations avec la diffusion. Et aujourd'hui, on a un déséquilibre qui me semble absolument flagrant. Deuxième point, je vais aller un petit peu plus vite, le droit d'auteur peut aujourd'hui freiner la création. C'est paradoxal, parce que le droit d'auteur a été mis en place pour inciter à créer, mais aujourd'hui, on est dans un monde... alors la création a toujours été faite par combinaison, de manière plus ou moins inconsciente ou consciente. Quand on crée, on s'inspire du passé. C'est la métaphore des épaules de géants, on est tous sur des épaules de géants. On s'inspire de choses du passé. Ce qui a changé aujourd'hui, c'est que de plus en plus, on peut créer en faisant des copier-coller. C'est le principe du remix, c'est le principe des mash up. Vous prenez des bouts de chansons, des bouts de films, vous combinez ça et vous mettez sur YouTube. Le copier-coller n'était pas possible avant la numérisation et Internet, ou en tout cas, le copier-coller était très coûteux. Seuls des individus qui disposaient de matériel technique sophistiqué pouvaient faire des copier-coller. Et donc, aujourd'hui Internet rend très facile la création par copier-coller, et n'importe qui peut créer des choses. Alors ensuite on peut critiquer la valeur créative des choses qu'il y a sur YouTube. On peut dire que 99 % des choses sur YouTube n'ont aucun intérêt, c'est pas la question, le problème, c'est que ça reste de la création, bonne ou pas, et le droit d'auteur s'oppose à cette création. Quand vous faites ça, quand vous faites des copier-coller, vous êtes en violation de droits d'auteur. Et donc aujourd'hui le droit d'auteur peut s'opposer à la création par recombinaison sur Internet. Ce qui reste quand même assez paradoxal, puisque le droit d'auteur n'a pas été créer pour s'opposer à la création, mais il a quand même été créé pour l'encourager. Alors qu'est-ce qu'on devrait faire ? Qu'est-ce que beaucoup d'économistes aujourd'hui vous diraient ? Il faut faire au moins trois choses, je pense. Trois évolutions du droit d'auteur s'imposent. Première évolution qui est fondamentale, il faut rééquilibrer la situation entre producteurs et consommateurs, et pour cela, il faut raccourcir la durée du droit d'auteur. Aujourd'hui un droit d'auteur, ça dure 70 ans après la mort de l'auteur. Vous créez une chanson aujourd'hui, vous mourez dans 60 ans, il y a 130 ans de monopole. 130 ans d'exclusivité, c'est beaucoup trop cher pour le consommateur. Pendant 130 ans, le consommateur devra payer le prix fort. L'exemple Walt Disney. Donc, il faut absolument raccourcir le droit d'auteur, pour que les consommateurs puissent bénéficier des œuvres de l'esprit plus facilement. Et beaucoup de gens aujourd'hui pensent qu'une durée par exemple de 20 ans, serait parfaite. Une durée de 20 ans, ça veut dire que tout ce qui a été créé avant 1994, est légalement et gratuitement téléchargeable sur Internet. Tous les films, toutes les chansons, tout ce qui a été créé avant 1994, serait légalement gratuitement téléchargeable. Imaginez le gain pour le consommateur, et je ne pense pas que ça se ferait au détriment des incitations. Parce que 20 ans de monopole,c'est suffisant. Donc ça, c'est un premier point. Raccourcir la durée du droit d'auteur. Deuxième point, demander à ce que le droit d'auteur, pour en bénéficier, on s'enregistre. Ce serait très facile. Aujourd'hui, par défaut, vous avez un droit d'auteur. Vous créez n'importe quoi, vous le diffusez, vous êtes protégé par droit d'auteur, il n'y a pas besoin de le demander. Le droit d'auteur, vous l'obtenez par défaut. Ce qui crée une situation complètement incertaine. Il y a des droits d'auteur partout, tous les créateurs bénéficient de droit d'auteur, même sans le demander. Je parle ici des droits patrimoniaux, les droits économiques. On pourrait très bien exiger, que [pour] les créateurs qui veulent bénéficier d'un droit d'auteur, qu'il y ait un site, comme ça fonctionne pour les autres droits de propriété intellectuelle, les brevets, les marques, et sur ce site, il faudrait s'enregistrer si vous voulez bénéficier d'un droit d'auteur. Et si vous ne vous enregistrez pas, vous continuez à bénéficier de votre droit de paternité, bien sûr, vous restez le créateur, mais n'importe qui peut vous copier sans vous rémunérer, ce qui ne pose pas de problèmes à beaucoup de créateurs. Moi mes cours par exemple, sont par défaut protégés par droit d'auteur, alors que je ne demande pas de droits d'auteur dessus. Donc on devrait exiger qu'on s'enregistre. Et enfin, troisième point qui là est peut-être plus délicat, il faudrait réussir à définir une frontière entre l'utilisation active et passive. L'utilisation passive, c'est les consommateurs qui utilisent de l'art uniquement pour consommer l'art. Vous écoutez une chanson, vous regardez un film, mais vous ne voulez pas créer. Le consommateur actif, c'est celui qui veut utiliser une œuvre d'art pour créer quelque chose. Ce n'est pas tout à fait la même chose, et si on arrivait de manière juridique, c'est assez compliqué, ça, c'est la troisième possibilité qui serait la plus compliquée à mettre en œuvre, mais si on arrivait à mettre en place une frontière étroite entre utilisation active et passive, on pourrait par exemple dire que l'utilisateur passif, celui qui veut juste consommer l'art, eh bien, il paye, c'est normal, il faut quand même rémunérer les artistes, mais l'utilisateur actif, celui qui veut créer quelque chose, n'aurait pas besoin de demander [l'autorisation] des utilisateurs du passé. Alors, c'est un petit peu ce que je voulais vous dire aujourd'hui, j'espère avoir démontré que vu le nouveau contexte, vu les nouvelles technologies, il faut absolument que les règles de droit d'auteur évoluent, il faut changer les règles de droit, parce que aujourd'hui, le droit d'auteur risque de plus en plus d'être un frein à la création, alors qu'originellement il a été créé pour encourager la création, et donc on observe de plus en plus un véritable détournement du droit d'auteur. Voilà, je vous remercie. (Applaudissements)