... La 1ère. (sigle de la chaîne)
(Sigle de l'émission Vacarme) Vacarme
(Karine) Je deviendrai
l'ombre de moi-même.
Ça c'est... je pense que je suis...
c'est ce qui m'attend.
Mais c'est les autres qui vont devoir,
ça sera dur pour les autres,
s'ils sont encore là.
Moi, je vais me... m'effacer,
finalement, c'est ça.
L'Alzheimer, c'est l'oubli de tout,
c'est l'effacement des souvenirs.
Ça va être dur pour les autres.
(Musique avec bips)
Vacarme.
Ma mémoire, c'est moi!
Marc Giouse, Véronique Marti.
(Véronique Marti) Bonjour à tous.
Karine est une femme
d'un peu plus de cinquante ans.
Elle est artiste céramiste
et avec son mari Pascal,
elle vit à Prangins, sur la côte vaudoise.
Ils ont quatre enfants.
Karine fait partie d'une minorité:
celle des jeunes Alzheimer.
Ils sont environ 2700 en Suisse,
entre 45 et 64 ans,
à souffrir de cette maladie qui touche
en principe les personnes plus âgées.
Mais le chiffre est probablement
sous-estimé,
car beaucoup de malades s'ignorent,
selon la psychologue Marianna Gawrysiak,
qui anime un groupe d'écoute et d'entraide
pour les jeunes Alzheimer à Marsens,
dans le canton de Fribourg.
Karine pensait d'abord
à une grosse fatigue, un burn-out,
mais en consultant son médecin,
le diagnostic est tombé comme un couperet.
Qu'est-ce qui change quand on perd
petit à petit ses capacités cognitives?
Et quand la mémoire s'effrite,
que reste-t-il de la personnalité?
Voici "Un coeur à nu",
un reportage de Cécile Guérin,
réalisé par Matthieu Ramsauer.
(Sigle de l'émission Vacarme)
(Cécile Guérin) J'ose vous demander
de vous mettre un peu plus proche de moi,
comme ça quand je...
ou alors si vous êtes mal ass...
Oui, sinon je me lève et tout ça?
(Voix superposées)
C'est plus confortable, mais...
(CG) Merci, en tout cas,
de me recevoir chez vous.
(Musique)
Est-ce que vous arrivez à me dire,
en fait quand est-ce que ça s'est déclaré
et au départ, comment vous vous
en êtes aperçue? Alors, Karine?
(Karine) Comment est-ce qu'on va dire ça?
Parce qu'en fait,
moi je m'en suis pas rendu compte,
j'ai toujours été un peu... tête en l'air,
avec un parcours artistique, avec --
(CG) Vous êtes artiste?
(K) -- tout ce... Voilà.
Avec tout ce côté où tout d'un coup,
il y a une idée qui se présente,
et puis on se jette dessus, et puis
on essaie de l'exploiter à quelque part.
Enfin je veux dire, pff,
moi j'ai rien vu. J'ai rien vu.
(CG) Et vous, Pascal, est-ce que vous avez
le même, la même lecture,
ou vous avez vu des choses,
ou est-ce que, finalement, dans la vie,
comme Karine est artiste et a ce...
je sais pas, je vous connais pas,
mais je me dis...
(Pascal) Oui, c'était un peu,
c'était un peu l'excuse,
l'excuse facile qu'on se donnait.
Puis on est... quand on vit
sous le même toit, quand on est conjoint,
on est presque trop proche,
on n'a pas de recul sur la situation.
Donc on est presque trop proche
pour voir ces choses.
Et nous, c'est dans d'autres situations,
des amis qui nous ont alertés.
Un week-end des 50 ans d'un copain
où tu avais eu comme
des incohérences de langage
et puis, où il avait dit:
"Mais c'est quand même bizarre
comment elle s'exprime."
Et puis après, quand tu avais essayé
de travailler au tea-room...
à Saint-Cergues
et que tu te souvenais
plus au bout de cinq minutes
tu te souvenais plus
comment on faisait un cappuccino,
tu étais incapable de reproduire
ce qu'on t'avait montré avant.
Alors on a quand même vu qu'il y avait
un petit problème, et puis --
(CG) Est-ce que dans la maison,
dans le quotidien,
ça passait, en fait, vous êtes...
(P) C'est-à-dire que dans la maison,
on a toujours un peu intégré
tout le monde,
tout le monde donne
un petit coup de main--
- (CG) Vous êtes une grande famille, hein?
- (P) Oui.
(CG) Deux grands garçons,
deux grandes filles maintenant.
(P) Voilà. Et puis c'était
un petit peu caché.
Et puis on pense pas à ça,
on se dit pas, il y a un problème.
On se dit, ben là, Maman, elle peut plus,
elle est fatiguée,
je sais pas,
il y a quelque chose qui va pas.
Mais on pensait pas qu'il y avait
quelque chose de grave.
(CG) Et donc, du coup,
vous allez voir le médecin,
et est-ce que--
- (K) Oui.
(CG) --assez vite lui, vous donne un diagnostic
ou médecin de famille?
(CG) --médecin de famille.
(K) Médecin de famille,
mais c'était des amis aussi,
que moi je connaissais de longue date.
Puis au bout d'un moment, elle m'a dit:
"Mais écoute, j'aimerais bien avoir
le coeur net, parce que tu dis que...
oui, tu es juste fatiguée,
vous avez déménagé,
vous avez fait plein de choses, voilà--"
- (P) Il y a eu beaucoup--
- (K) Voilà, donc voilà, c'est normal.
Puis elle m'a dit:
"Mais mmmh, moi ça me satisfait pas ça,
cette réponse-là."
Donc elle m'a dit:
"Je vais quand même, on va voir pour...
on veut juste investiguer un peu plus."
Puis je lui dis: "Mais tu fait du...
enfin je veux dire,
tu te fais du souci pour rien,
c'est gentil, mais ça va très bien!
(Elle rit)
Et... mais c'est vrai,
j'étais pas du tout consciente de ça,
sauf que j'étais très fatiguée, voilà.
(CG) Alors du coup,
votre généraliste vous demande
de faire des investigations
plus profondes.
Et est-ce que c'est long avant de faire
un diagnostic, ou ça...
- (K) Je sais pas (elle rit).
- (P) Six mois.
(K) Je sais... Six mois?
- (P) Oui, c'était six mois--
- (CG) Parce qu'il y a des analyses...
(P) --parce que, ils ont fait
des analyses, déjà...
des analyses physiques,
pour voir s'il y avait quelque chose,
s'il y avait une tumeur au cerveau,
s'il y avait... oui, ils ont déjà fait
des analyses comme ça.
Et puis après, ils ont fait
des tests neurologiques,
ils on fait... voilà, donc.
Et puis chaque fois,
il faut prendre rendez-vous.
Et puis en fait, là,
le diagnostic Alzheimer,
il a été, il a été fait par défaut.
Parce qu'ils ont rien trouvé d'autre.
Et puis après, Alzheimer,
c'est un type de démence,
il peut y avoir plusieurs autres...
plusieurs autres types.
Donc, ben voilà. Et puis là,
c'est le diagnostic qui a été posé, quoi.
(CG) Et vous, Karine,
quand vous l'avez entendu,
ce diagnostic un peu par défaut?
(K) Moi, c'était, pour moi, Hiroshima.
Parce que... j'avais jamais entendu
de jeunes, déjà, j'avais quel âge, 50?
(P) Oui. Le médecin a donné le diagnostic
la semaine des 50 ans de Karine, en fait.
- (K) Ah oui, voilà (rire).
- (P) (inaudible).
(K) Yes. Beau cadeau (rire).
Non, mais --
(CG) Donc dévastée par la nouvelle?
(K) Et bien, euh, bien, dévastée...
vous êtes sans voix. Alors voilà.
Puis après, ben,
il faut se relever (rire).
C'est pas toujours évident.
On sait pas dans quelle étagère (rire),
dans le vrai sens du terme.
Et...
non, c'est, c'est, c'est... c'est énorme.
(CG) Et est-ce que... parce qu'on sait
qu'il y a peu de médicaments,
est-ce que vous prenez
des médicaments, ou pour...
(K) J'ai un patch que je dois mettre
sur... coller sur ma, sur moi, quoi,
pas toujours au même endroit.
(CG) Avec un médicament à l'intérieur?
(K) Voilà. Il faut pas toucher
à l'intérieur parce que c'est un produit,
voilà, un médicament relativement fort,
mais c'est tout.
Après, le reste, alors il m'a demandé,
il m'a fait une très belle...
est-ce que j'ai déjà dit?
Je vais me répéter, hein,
deux-trois fois, mais (rire).
Il m'a donné une très belle ordonnance,
la première fois.
Il m'a dit:
"Madame, il vous faut lire." (rire)
J'ai dit: "ça, on peut pas
me faire plus plaisir que ça!"
(CG) Il y a d'autres choses
que vous faites?
Je demande aussi à votre com...
mari, Pascal,
des choses qui pourraient aider, ou?
(P) Oui, c'est tout ce qui stimule
la mémoire, en fait.
Parce que ce qu'on nous dit,
c'est que ça...
ça freine l'évolution
de la maladie, voilà.
Mais il y a rien pour guérir la maladie.
Un miracle, voilà, ça c'est,
ça c'est une autre--
mais on discute sur un autre plan
(rire).
(P) Si on discute sur le plan médical,
il y a pas de médicament.
Tous les médicaments
qui sont donnés en général
aux gens qui ont ces maladies,
qui ont ces démences,
c'est des médicaments pour soigner des...
des conséquences,
s'ils deviennent agressifs
ou s'ils arrivent plus à dormir.
Bon, voilà: des choses comme ça.
Chaque cas est différent.
Bon, on de la chance
de pouvoir participer...
il y a quand même...
les associations Alzheimer
sont très actives.
On peut participer...
pour mon épouse,
il y a un groupe de jeunes Alzheimer,
donc les jeunes Alzheimer,
c'est avant l'âge de la retraite.
Et puis, moi pour mon cas
et pour mes enfants,
on peut participer
à un groupe de proches aidants.
Parce qu'en fait le...
celui qui est déjà malade,
ben il est malade, OK,
mais vous, vous avez rien demandé,
vous devenez proche aidant,
du jour au lendemain.
(CG) Il faut adapter votre vie,
tout le temps?
(P) Voilà.
(Orgue, aussi sur la suite)
(P) Nous, on a un groupe qui se réunit,
un groupe de parole où on peut partager.
Et là, on se rend compte,
avec les témoignages des autres,
de toute la palette de conséquences
qu'il peut y avoir.
Moi, je me considère encore
dans les chanceux, parce que la maladie,
elle évolue d'une manière
qui est encore gérable, entre guillemets,
si on peut vraiment utiliser ce mot.
Et on arrive à suivre,
on arrive à faire face,
et on arrive à s'organiser.
(Orgue)
(CG) Marianna Gawrysiak,
je viens de rencontrer
Karine et son mari, cet après-midi.
Et puis vous, vous les connaissez bien,
puisqu'ils font partie de ce groupe
de jeunes malades Alzheimer.
En fait, vous recevez Karine
avec d'autres personnes qui sont...
tout jeunes et qui ont
cette maladie d'Alzheimer?
(Marianna Gawrysiak) Exactement,
donc, c'est un groupe qui existe,
un groupe romand
qui regroupe des jeunes personnes
qui vivent avec une forme de démence.
Effectivement, Karine, ça fait deux ans
qu'elle fait partie intégrante
de ce groupe
qui s'appelle Carpe diem.
Donc il s'agit de rencontres mensuelles,
ici à Marsens.
(CG) Et vous, vous êtes... psychologue,
vous les aidez, en fait, dans ce chemin,
dans cette maladie?
Qu'est-ce qui se passe,
dans ce type de maladie?
On perd la mémoire?
(MG) Alors bien sûr,
c'est un des symptômes,
des problèmes de mémoire,
mais on doit imaginer plutôt
que c'est une maladie
qui s'installe insidieusement,
et on vit avec cette maladie
pendant 12, 15, parfois 20 ans.
Donc c'est un long processus
qui s'installe,
comme si la personne était
dans un brouillard:
les repères sont de moins en moins clairs.
Et puis effectivement, progressivement,
il y a des pertes de mémoire,
des difficultés à trouver ses mots,
difficultés de gérer réellement le temps,
organiser son emploi du temps, etc.
Il n'y a pas un tableau clinique type.
C'est chaque personne,
il y a des symptômes particuliers,
un rythme d'évolution aussi individuel.
Donc, finalement, on peut--
je veux pas choquer--
mais on peut bien vivre
avec cette maladie.
La clé, pour moi,
et c'est ce qui rend unique
l'existence de ce groupe,
il s'agit de ces jeunes personnes
qui sont effectivement déjà touchées
par une maladie difficile,
mais qui gardent
une pleine conscience de leur état
et luttent pour rester actifs,
luttent pour faire face à cette maladie,
de continuer à vivre.
D'ailleurs notre nom, Carpe diem,
veut dire justement ça,
donc c'est tellement important
de faire comprendre à tout le monde
que, Dieu merci, tout n'est pas perdu
en même temps.
Et c'est un long processus
qui leur laisse beaucoup de temps
pour vivre des belles choses. Sincèrement.
(CG) Alors moi, ce qui m'intéressait,
c'était de savoir,
quand il y a ces pertes de mémoire,
petit à petit,
qu'est-ce qui se passe
au niveau de l'identité psychologique?
Ou je sais pas comment on pourrait dire,
à un niveau de l'intériorité?
Comment ça se passe?
Est-ce qu'on est la même personne?
(MG) Ah, absolument! On reste
la même personne jusqu'au bout.
Comme je disais,
même s'il y a des petits problèmes
de mémoire, au début,
qui se réfèrent principalement
à des faits récents,
donc cette capacité d'apprentissage
des nouvelles choses
qui est difficile au début,
petit à petit, c'est vrai,
certains souvenirs plus anciens
peuvent disparaître aussi,
mais l'identité de la personne reste.
Ce qui reste le plus fortement
ancré en eux,
c'est leur capacité émotionnelle
et relationnelle
de réagir à ce qu'ils vivent.
Donc leur identité reste,
leur personnalité reste la même.
Karine, c'est une personne extrêmement
chaleureuse, excentrique, ouverte,
pleine de qualités, très, très créative,
mais elle est comme ça:
Karine, elle est comme elle était avant.
(Musique en mineur, aussi sur la suite)
(CG) Par rapport à votre identité,
on perd les souvenirs récents,
on perd certaines aptitudes?
Mais qui on est vraiment à l'intérieur,
c'est la même chose?
(K) Aucune idée.
Non, mais je pense! (rire)
(CG) Pascal, c'est --
Karine, c'est votre femme depuis...
je sais pas depuis combien de temps
vous êtes mariés, mais--
(K) Trente ans.
(P) Trente ans.
Non non, on change de...
on change d'interlocuteur,
si on peut dire.
On change de personne,
on change de vis-à-vis.
(CG) Vous avez l'impression
d'avoir une autre personne?
(P) C'est plus du tout la même chose.
Oui, tout à fait.
Mais il y a quand même moins,
il y a moins de complicité
de par là, le manque de perception
de certaines choses.
(K) Non.
(P) Parce qu'avant, en plus,
on travaillait ensemble,
on partageait vraiment, vraiment tout,
toutes les joies et tous les soucis, et tout.
Et puis là c'est,
c'est inévitable que moi,
je retienne des choses,
je lui raconte pas tout.
(CG) Mmm.
(P) Là, là, il y a eu une cassure,
quand même.
(CG) Et les émotions, les sentiments,
par rapport à...
vous dites: "C'est une autre personne"
mais le couple, enfin l'émotion
que vous avez avec votre femme?
(P) Oui, ça, ça reste,
ça reste parce que la personne
qu'on aime, ça reste.
Mais de nouveau, c'est un choix.
Parce que c'est tellement gros,
comme changement, comme modification,
c'est tellement gros, ce qui nous arrive,
que...
vraiment, je deviendrais pas
quelqu'un qui dit:
"Je peux pas et je me taille."
(K) J'aimerais pas devenir acariâtre.
Non, à un moment donné, j'avais peur.
J'avais peur d'être, de devenir,
l'ombre de moi...
enfin, je deviendrai l'ombre de moi-même,
ça c'est...
je pense que je suis,
c'est ce qui m'attend.
(CG) Ça fait peur?
(K) Ben, ben oui, mais je sais
que je serai pas consciente,
à ce moment-là. (rire)
Et ce sera plus facile peut-être
pour moi, dans un sens,
je sais pas, c'est ça.
Mais c'est les autres qui vont le voir,
ça sera dur pour les autres,
s'ils sont encore là.
Ça c'est, c'est le côté...
Moi, je vais me... m'effacer.
Finalement c'est ça, l'Alzheimer,
c'est l'oubli de tout,
c'est l'effacement de, de, des souvenirs:
ça va être dur pour les autres.
(CG ) Comme ça c'est bon?
(musique, aussi sur ce qui suit)
(P) Si tu y penses,
tu m'appelles quand tu as fini.
Parce que moi,
je dois aller sur Nyon, en fait.
(P) D'accord?
Je serai un moment à l'épicerie,
et puis après je dois aller sur Nyon,
d'accord? OK?
- (K) Oui.
- (CG) Alors je vous accompagne, Karine?
- (P) On essaie?
- (K) D'accord.
(CG) OK, parfait. Merci beaucoup.
(K) Attends, j'ai pris mes clés?
(P) Oui, tu as ta clé.
(K) J'ai mes clés, tu es sûr?
- Ah, au moment de partir, c'est vrrrrrrsh!
- (CG) (petit rire)
(K) Là, je vais prendre mon...
suivant comment et je remonte.
- (P) (inaudible)
- (K) Mon autre bonnet, parce que--
(P) Mais tu m'appelles?
Parce que je dois venir à Nyon.
- (K) D'accord. ...... (inaudible) voilà.
- (P) D'accord?
- (K) OK.
- (P) Tchô.
(K) Alors moi, mon bonheur à moi,
c'est mon mari.
(CG) Pourquoi vous l'avez pas dit
devant lui, vous êtes--
- (K) Mais je le lui dis assez!
- (CG) --pudique. C'est vrai?
- (K) Non, je le lui dis assez.
- (CG) Il est extraordinaire.
(K) Oui.
(K) Hello, je ferme? Euh--
(la musique s'arrête)
(CG) Oui oui, oui.
On va suivre donc, Marine,
qui a son atelier. Allez-y.
Et vous venez chaque--
(Marine) Une fois par semaine.
- (CG) Une fois par semaine?
- (Marine) Oui.
(K?) Oh, qu'il fait chaud (rire)
(CG) Ouaouh! Ah, ça sent la peinture.
Qu'est-ce que vous allez faire,
alors, cet après-midi, Marie?
(Marie) Alors, et bien,
le temps d'arriver et de s'installer,
ça dure en principe une heure, voilà.
C'est vraiment un espace
qui est comme l'art thérapie
que je pratique depuis bientôt 20 ans.
Moi, je prépare avant,
je me mets en condition de la rencontre.
Et puis, il y a, il y a un suivi:
on essaie de faire un livre,
de rassembler des choses.
En tout cas de les cadrer
et de les mettre dans un...
de relier, de faire des liens, voilà.
Et puis après, il y a le moment où Karine,
elle va faire quelque chose
avec le pinceau ou avec autre chose.
(CG) Et puis vous, Karine,
quand vous venez ici, ben, ça y est,
les envies émergent de créer,
de vous exprimer?
Vous avez dit:
"J'ai besoin d'un moyen pour m'exprimer."
- (K) Mais oui.
- (CG) Vous le trouvez, là?
(K) Tout à... alors absolument.
Ben moi, je dirais simplement,
c'est juste du bonheur.
On sort des paramètres du boulot,
de machin que...
il faut absolument pas oublier ça,
et tout ça.
Là, on se lâche, et puis...
comme ce qui était auparavant
facile pour moi ne l'est plus du tout,
comme je me dénude en moi-même,
dans le sens que...
j'ai vraiment l'impression, voilà,
d'être vidée à l'intérieur par la maladie,
c'est important de me retrouver
dans cette odeur-là,
dans cette atmosphère, et--
(CG) C'est comme si vous vous resserriez
autour de qui vous êtes vraiment?
(K) Voilà, exactement.
Et ça c'est, c'est très fort.
(Musique, aussi sur ce qui suit)
(CG?) Allez, la feuille blanche
vous attend. (Rires)
(K?) C'est marqué sur un fond noir.
(Marine/Marie?)
Tout le temps que tu es là,
c'est la feuille blanche
qui doit pas faire peur.
(Voix entrecroisées, rires)
Allez, on est partis...
tout le monde...
Est-ce que vous avez du papier noir?
(Marine/Marie?)
Et puis, ben, vu que la dernière fois,
c'était la craie, de la grosse --
(K?) du crayon --
(Marie/Marine?) craie grasse,
c'est ça que je te propose, si ça te va?
Autrement, je prépare autre chose.
(MG) Quand Karine, elle vous a dit
que par moments, elle se sent dénudée,
c'est une magnifique expression.
Alors, c'est vrai:
certains souvenirs s'effacent,
la mémoire flanche,
comme vous dites, on se dénude.
Alors on peut imaginer
comme ça que d'abord, peut-être,
un malade, imaginons-la une malade,
donc une dame,
d'abord elle enlève ses bijoux,
elle enlève le maquillage,
à un moment donné, peut-être,
il n'y a plus de coloration des cheveux.
Elle enlève la belle veste élégante,
elle enlève aussi peut-être
la jolie blouse.
Puis elle reste en liquette
et elle est là, dénudée,
mais le noyau de sa personnalité reste là.
Donc c'est peut-être que comme ça
qu'on devrait comprendre.
(fin musique)
(MG) La personnalité, bien sûr,
change au fil des années de la maladie.
Parce qu'effectivement, quand même,
d'un point de vue cognitif,
il y a des pertes qui sont là,
c'est indéniable, petit à petit.
(CG) Donc toute l'apparence,
cognitive, intellectuelle?
(MG) Voilà, cette apparence,
si vous voulez,
les belles plumes
avec lesquelles on veut pavaner,
ces belles plumes disparaissent,
et reste le noyau de la personnalité,
mais authentique, jusqu'au bout.
Ça veut dire aussi que les émotions
sont là à l'état pur,
tout à fait authentiques.
Et cette même capacité existe
par rapport à l'autre.
Est-ce que toi, tu m'aimes vraiment?
Je sens. Ah, ou tu fais un jeu
et tu as pitié de moi,
et puis ça je sens
que c'est moins authentique.
(CG) Donc la mémoire,
dans ces cas-là, elle...
c'est la mémoire émotionnelle qui reste...
enfin, je sais pas
si on peut appeler ça la mémoire --
(MG) Je crois qu'on peut dire comme ça,
tout à fait: c'est la mémoire émotionnelle
qui reste, émotionnelle et relationnelle.
Oui, tout à fait.
(Murmuré) (CG?) Cette couleur,
c'est incroyable.
- (K) Le doré?
- (CG) Oui. C'est beau.
(A voix haute) (K) Mais... (rire)
Je veux pas être présomptieuse--
comment est-ce qu'on dit?
Oui, présomptieuse?
Non, présomptueuse.
Mais ça fait--
- Est-ce que j'ai déjà utilisé le doré?
- (Marie/Marine?) Non. Première fois.
(K) Ben justement, voilà.
(CG) Et puis alors?
(K) Et bien, oui, ça me plaît,
parce que je me dis...
j'aurais pas pu le faire avant, je crois.
(K) Mais là, je sais que même...
enfin je, moi je...
comment est-ce que je vais dire?
Je perds mes mots.
Là, dans le sens que...
c'est comme si j'étais abattue
par le diagnostic.
(CG) C'est le noir, là?
Le noir qui semble, oui.
(K) Voilà. Ça a été, ça a été un ouragan,
mais à une force tellement énorme
que j'arrivais pas à-- bon,
je pouvais mettre quelques touches de--
- (Qui?) C'est difficile, oui.
- (CG) de couleur?
(K) de couleur, mais maintenant,
quand je v...
d'avoir osé prendre le doré
et de l'avoir mis trois fois -- hein?
- (Qui?) Oui.
- (K) Ça fait trois fois là dessus,
je me dis, ah ben alors,
j'ai l'impression que je me redresse.
Et puis finalement, quand je...
sans vraiment réfléchir, je me dis:
ben voilà, j'ai l'impression
que maintenant, je... j'ai passé ça,
je peux passer à une autre phase.
- (CG) Et puis --
- (K) J'ai osé mettre du doré.
- Est-ce que j'ai déjà mis, une fois?
- (Marie/Marine) Non.
- (K) J'ai le droit d'utiliser le doré.
- (CG?) Oui, oui, oui.
(Marie/Marine) Et puis ce que tu
exprimes là, c'est aussi que tu te sens...
Tu as traversé des étapes
et puis tu te sens,
aujourd'hui maintenant, tu te sens bien.
(2 voix) Voilà, exactement,
c'est plus facile.
(Marie/Marine) C'est plus facile,
grâce à un entourage, aussi,
ça, c'est clair qu'il faut...
- (CG?) Alors ça, c'est clair.
(Qui?) Eliminons les sources
de stress, hein.
(Marine/Marie?) Et ça, c'est ce
que ton mari fait aussi.
(2 voix) Oui. Vraiment, il...
(K) Alors il est chou!
Je suis bien entourée, quand même.
(CG) Et le vert et le rouge?
(K) Euh, ben le rouge, c'est quand même
la vie, hein?
- (CG) Oui.
- (K) Puis le vert, euh... aussi!
(CG) Et puis alors après, vous avez fait
comme au crayon --
- (K) Oui, parce qu'on est sur terre
- (CG) --de papier?
- On est sur terre?
(K) On est surtout, on est sur terre,
donc on est toujours...
pas protégés, euh...
des couillons (elle rit),
pour parler tout con (K et CG rient).
(K) Non mais, à quelque part, non,
dans le sens... la vie, elle est dure.
Il y a toujours des gens qui seront là,
qui voudront juste
mettre des punaises, juste--
- (CG) Ah oui.
- (K) --où il faut pas,
ou des trucs comme ça,
je veux dire, des--
- (CG) les obstacles--
- (K) Voilà, exactement.
(CG) Tout ce dont vous parlez,
oui, d'accord.
(K) Voilà.
(CG) Les fameux obstacles, on les sent.
(K) Mais bon, c'était dit un peu,
comme crûment, mais...
(Off) Vacarme...
(Marine/Marie?) Alors voilà, ici,
c'est une arme anti-couillons?
(Rires)
(K) Oui, exactement! (Rires)
(Marie/Marine) Ça a une fonction d'être
hors du temps et de préserver.
- Je crois que c'est assez bien résumé.
- (CG) Voilà.
(Sigle de Vacarme)
(Véronique Marti?) 058 236 236 0
pour réagir au reportage de Cécile Guérin.
Vivez-vous aux côtés d'une personne
atteinte d'Alzheimer?
Et si la maladie est avancée,
qu'est-ce qui vous relie encore
l'un à l'autre?
Et qu'est-ce qui relie encore
la personne atteinte
à celle qu'elle était avant la maladie?
Que reconnaissez-vous d'elle?
058 236 236 0.
(Sigle) Vacarme - Marc Giouse,
Véronique Marti,
Stéphanie Coudray, Diane Dufaux,
Matthieu Ramsauer.
(Véronique Marti) Et puis dimanche,
dans Les échos de Vacarme,
nous poursuivrons notre exploration
des méandres de la mémoire
avec Anne-Claude Juillerat Van der Linden,
neuropsychologue et co-auteur du livre
"Penser autrement le vieillissement"
et Armin von Gunten,
il est chef du service universitaire
de psychiatrie de l'âge avancé du CHUV.
A dimanche entre 9 heures et 10 heures
pour Les échos de Vacarme,
d'ici là, restez à l'écoute
de nos programmes:
voici Passagère, sur La 1ère.
(Passagère: sigle etc jusqu'à 28:00)