... La 1ère. (sigle de la chaîne)
(Sigle de l'émission Vacarme) Vacarme
(Karine) Je deviendrai l'ombre de moi-même.
Ça c'est cl..., je pense que je suis... c'est ce qui m'attend.
Mais c'est les autres qui vont devoir, ça sera dur pour les autres,
s'ils sont encore là.
Moi, je vais me... m'effacer, finalement, c'est ça.
Alzheimer, c'est l'oubli de tout, c'est l'effacement des souvenirs.
Ça va être dur pour les autres.
(Musique avec bips) Vacarme. Ma mémoire, c'est moi! Marc Giouse, Véronique Marti.
(Véronique Marti ?) Bonjour à tous.
Karine est une femme d'un peu plus de cinquante ans.
Elle est artiste céramiste et avec son mari Pascal, elle vit à Prangins, sur la côte vaudoise.
Ils ont quatre enfants.
Karine fait partie d'une minorité: celle des jeunes Alzheimer.
Ils sont environ 2700 en Suisse, entre 45 et 64 ans,
à souffrir de cette maladie qui touche en principe les personnes plus âgées.
Mais le chiffre est probablement sous-estimé,
car beaucoup de malades s'ignorent, selon la psychologue Marianna Gawrysiak,
qui anime un groupe d'écoute et d'entraide pour les jeunes Alzheimer à Marsens,
dans le canton de Fribourg.
Karine pensait d'abord à une grosse fatigue, un burn-out,
mais en consultant son médecin, le diagnostic est tombé comme un couperet.
Qu'est-ce qui change quand on perd petit à petit ses capacités cognitives?
Et quand la mémoire s'effrite, que reste-t-il de la personnalité.
Voici "Un coeur à nu", un reportage de Cécile Guérin, réalisé par Matthieu Ramsauer.
(Sigle de l'émission Vacarme)
(Cécile Guérin) J'ose vous demander de vous mettre un peu plus proche de moi,
comme ça quand je... ou si vous êtes mal ass... Oui, sinon je me lève et tout ça?
(Voix superposées puis:) C'est plus confortable, mais...
(CG) Merci, en tout cas, de me recevoir chez vous.
Est-ce que vous arrivez à me dire, en fait quand est-ce que ça s'est déclaré
et au départ, comment vous vous en êtes aperçue? Alors, Karine?
(Karine) Comment est-ce qu'on va dire ça?
Parce qu'en fait, moi je m'en suis pas rendu compte, j'ai toujours été un peu... tête en l'air,
avec un parcours artistique, avec --
(CG) Vous êtes artiste?
(K) -- tout ce... Voilà.
Avec tout ce côté où tout d'un coup, il y a une idée qui se présente,
et puis on se jette dessus, et puis on essaie de l'exploiter à quelque part.
Enfin je veux dire, pff, moi j'ai rien vu. J'ai rien vu.
CG) Et vous, Pascal, est-ce que vous avez le même, la même lecture,
ou vous avez vu des choses, ou est-ce que, finalement, dans la vie,
comme Karine est artiste et a ce... je sais pas, je vous connais pas, mais je me dis...
(Pascal) Oui, c'était un peu, c'était un peu l'excuse, l'excuse facile qu'on se donnait.
Puis on est... quand on vit sous le même toit, quand on est conjoint,
on est presque trop proche, on n'a pas de recul sur la situation.
Donc on est presque trop proche pour voir ces choses.
Et nous, c'est, dans d'autres situations, des amis qui nous ont alertés.
Un week-end des 50 ans d'un copain
où tu as vu (check) comme des inconséquences de langage
et puis, où il avait dit, mais c'est quand même bizarre comment elle s'exprime.
Et puis après, quand tu avais essayé de travailler au tea-room... à Saint-Cergues
et que tu te souvenais plus au bout de cinq minutes
tu te souvenais plus comment on faisait un cappuccino,
tu étais incapable de reproduire ce qu'on t'avait montré avant.
Alors on a quand même vu qu'il y avait un petit problème, et puis --
(CG) Est-ce que dans la maison, dans le quotidien, ça passait, en fait, vous êtes...
(P) C'est-à-dire que dans la maison, nous, on a toujours un peu intégré tout le monde,
tout le monde donne un petit coup de main --
(CG) Une grande famille, hein?
(P) Oui.
(CG) Deux grands garçons, deux grandes filles maintenant.
(P.) Voilà. Et puis c'était un petit peu caché.
Et puis on pense pas à ça, on se dit pas, il y a un problème.
On se dit, ben là, Maman, elle peut plus, elle est fatiguée,
je sais pas, il y a quelque chose qui va pas.
Mais on pensait pas qu'il y avait quelque chose de grave.
(CG) Et donc, du coup, vous allez voir le médecin, et est-ce que --
(K) Oui.
CG) -- assez vite lui, vous donne un diagnostic ou --
(P) Médecin de famille (check)
(CG) -- médecin de famille.
(K) Médecin de famille, mais c'était des amis aussi,
que moi je connaissais de longue date.
Puis au bout d'un moment, elle me dit:
"Mais écoute, j'aimerais bien avoir le coeur net, parce que tu dis que...
"oui, tu es juste fatiguée, vous avez déménagé, vous avez fait plein de choses, enfin voilà--"
(P) Il y a eu beaucoup --
(K) Voilà, donc voilà, c'est normal."
Puis elle m'a dit: "Mais mmmh, moi ça me satisfait pas, ça, cette réponse-là."
Donc elle m'a dit:
"Je vais quand même, on va voir pour... on veut juste investiguer un peu plus."
Puis je lui dis: "Mais tu fait du... enfin je veux dire, tu te fais du souci pour rien,
"c'est gentil, mais ça va très bien!" (Elle rit)
Et... mais c'est vrai, j'étais pas du tout consciente de ça, sauf que j'étais très fatiguée, voilà.
(CG) Alors du coup, votre généraliste vous demande de faire des investigations plus profondes.
Et est-ce que c'est long avant de faire un diagnostic, ou ça...
(K) Je sais pas (elle rit).
(P) Six mois.
(K) Je sais... Six mois?
(P) Ou, c'était six mois --
(CG) Parce qu'il y a des analyses...
(P) -- parce que, ils ont fait des analyses, déjà, des analyses physiques,
pour voir s'il y avait quelque chose, s'il y avait une tumeur au cerveau,
s'il y avait... oui, ils ont déjà fait des analyses comme ça.
Et puis après, ils ont fait des tests neurologiques, ils on fait... voilà, donc.
Et puis chaque fois, il faut prendre rendez-vous.
Et puis en fait, la, le diagnostic Alzheimer, il a été, il a été fait par défaut.
Parce qu'ils ont rien trouvé d'autre.
Et puis après, Alzheimer, c'est un type de démence,
il peut y avoir plusieurs autres... plusieurs autres types.
Donc voilà. Et puis là, c'est le diagnostic qui a été posé, quoi.
(CG) Et vous, Karine, quand vous l'avez entendu, ce diagnostic un peu par défaut?
(K) Moi, c'était, pour moi, Hiroshima.
Parce que... j'avais jamais entendu de jeunes, déjà, j'avais quel âge, 50?
(P) Oui. Le médecin a donné le diagnostic la semaine des 50 ans de Karine, en fait.
(K) Ah oui, voilà (elle rit).
(P) (pas compris).
(K) Yes: beau cadeau (elle rit).
(CG) Donc dévastée par la nouvelle?
(K) Et bien, euh, bien, dévastée... vous êtes sans voix. Alors voilà.
Puis après, ben, il faut se relever (elle rit). C'est pas toujours évident.
On sait pas dans quelle étagère (elle rit), dans le vrai sens du terme.
Et... non, c'est, c'est, c'est... c'est, énorme.
(CG) Et est-ce que... parce qu'on sait qu'il y a peu de médicaments,
est-ce que vous prenez des médicaments, ou pour...
(K) J'ai un patch que je dois mettre sur... coller sur ma, sur moi, quoi,
pas toujours au même endroit.
(CG) Avec un médicament à l'intérieur?
(K) Voilà. Il faut pas toucher à l'intérieur parce que c'est un produit,
voilà, un médicament relativement fort, mais c'est tout.
Après, le reste, alors il m'a demandé, il m'a fait une très belle...
est-ce que j'ai déjà dit?
Je vais me répéter, hein, deux-trois fois, mais (elle rit).
Il' m'a donné une très belle ordonnance, la première fois.
Il m'a dit: "Madame, il vous faut lire." (elle rit)
J'ai dit: "ç..., on peut pas me faire plus plaisir que ça!"
(CG) Il y a d'autres choses que vous faites?
Je demande aussi à votre com... mari, Pascal,
des choses qui pourraient aider, ou?
(P) Oui, c'est tout ce qui stimule la mémoire, en fait.
Parce que ce qu'on nous dit, c'est que ça...
ça freine l'évolution de la maladie, voilà.
Mais il y a rien pour guérir la maladie.
Un miracle, voilà, ça c'est, ça c'est une autre --
mais on discute sur un autre plan
(P et K rient).
Si on discute sur le plan médical, il y a pas de médicament.
Tous les médicaments qui sont donnés en général
aux gens qui ont ces maladies, qui ont ces démences,
c'est des médicaments pour soigner des... des conséquences,
s'ils deviennent agressifs ou s'ils arrivent plus à dormir.
Bon, voilà: des choses comme ça. Chaque cas est différent.
Bon, on de la chance de pouvoir participer...
il y a quand même... les associations Alzheimer sont très actives.
On peut participer:
pour mon épouse, il y a un groupe de jeunes Alzheimer,
donc les jeunes Alzheimer, c'est avant l'âge de la retraite.
Et puis, moi pour mon cas et pour mes enfants,
on peut participer à un groupe de proches aidants.
Parce qu'en fait le... celui qui devient malade, ben il est malade, OK,
mais vous, vous avez rien demandé,
vous devenez proche aidant, du jour au lendemain. Et--
(CG) Il faut adapter votre vie, tout le temps?
(P) Voilà.
(Orgue, aussi sur la suite de ce que P. dit)
(P) Nous, on a un groupe qui se réunit,
un groupe de parole où on peut partager.
Et là, on se rend compte, avec les témoignages des autres,
de toute la palette de conséquences qu'il peut y avoir.
Moi, je me considère encore dans les chanceux, parce que la maladie,
elle évolue d'une manière qui est encore gérable, entre guillemets,
si on peut vraiment utiliser ce mot.
Et on arrive à suivre, on arrive à faire face, et on arrive à s'organiser.
(Orgue)
(CG) Marianna Gawrysiak, je viens de rencontrer
Karine et son mari, cet après-midi.
Et puis vous, vous les connaissez bien,
parce qu'ils font partie de ce groupe de jeunes malades Alzheimer.
En fait, vous recevez Karine avec d'autres personnes qui sont...
tout jeunes et qui ont cette maladie d'Alzheimer?
(Marianna Gawrysiak) Exactement, donc, c'est un groupe qui existe,
un groupe romand qui regroupe des jeunes personnes
qui vivent avec une forme de démence.
Effectivement, Karine, ça fait deux ans qu'elle fait partie intégrante de ce groupe
qui s'appelle "Carpe diem".
Donc il s'agit de rencontres mensuelles, ici à Marsens.
(CG) Et vous, vous êtes... psychologue,
vous les aidez, en fait, dans ce chemin, dans cette maladie?
Qu'est-ce qui se passe, dans ce type de maladie?
On perd la mémoire?
(MG) Alors bien sûr, c'est un des symptômes des problèmes de mémoire,
mais on doit imaginer plutôt
que c'est une maladie qui s'installe insidieusement,
et on vit avec cette maladie pendant 12, 15, parfois 20 ans.
Donc c'est un long processus qui s'installe,
comme si la personne était dans un brouillard:
les repères sont de moins en moins clairs.
Et puis effectivement, progressivement,
il y a des pertes de mémoire, des difficultés à trouver ses mots,
difficultés de gérer réellement le temps,
organiser son emploi du temps, etc.
Il n'y a pas un tableau clinique type.
C'est chaque personne,
il y a des symptômes particuliers,
un rythme d'évolution aussi individuel.
Donc, finalement, on peut
-- je veux pas choquer --
mais on peut bien vivre avec cette maladie.
La clé, pour moi, et c'est ce qui rend unique l'existence de ce groupe,
il s'agit de ces jeunes personnes qui sont effectivement déjà touchées
par une maladie difficile,
mais qui gardent une pleine conscience de leur état
et luttent pour rester actifs, luttent pour faire face à cette maladie,
de continuer à vivre.
D'ailleurs notre nom, "Carpe diem", veut dire justement ça,
donc c'est tellement important de faire comprendre à tout le monde
que, Dieu merci, tout n'est pas perdu en même temps.
Et c'est un long processus qui leur laisse beaucoup de temps
pour vivre des belles choses. Sincèrement.
(CG) Alors moi, ce qui m'intéressait, c'était de savoir,
quand il y avait perte de mémoire, petit à petit,
qu'est-ce qui se passe au niveau de l'identité psychologique?
Ou -- je sais pas comment on pourrait dire -- à un niveau de l'intériorité?
Comment ça se passe? Est-ce qu'on est la même personne?
(MG) Ah, absolument! On reste la même personne jusqu'au bout.
Comme je disais,
même s'il y a des petits problèmes de mémoire, au début,
qui se réfèrent principalement à des faits récents,
dans ce cas particulier, l'apprentissage des nouvelles choses
qui est difficile au début, petit à petit, c'est vrai,
certains souvenirs plus anciens peuvent disparaître aussi,
mais l'identité de la personne reste.
Ce qui reste le plus fortement ancré en eux,
c'est leur capacité émotionnelle et relationnelle de réagir à ce qu'ils vivent.
Donc leur identité reste, leur personnalité reste la même.
Karine, c'est une personne extrêmement chaleureuse, excentrique, ouverte,
pleine de qualités, très, très créative, mais elle est comme ça:
Karine, elle est comme elle était avant.
(Quelques notes en mineur)
(CG) Par rapport à votre identité, on perd les souvenirs récents,
on perd certaines aptitudes?
(Mêmes notes en mineur; la musique continue sur ce qui suit)
(CG) Mais qui on est vraiment à l'intérieur, c'est la même chose?
(Musique)
(K) Aucune idée. Non, mais je pense! (elle rit)
(Musique)
(CG) Pascal, Karine, c'est votre femme depuis,
je sais pas depuis combien de temps vous êtes mariés, mais--
(K) Trente ans. (P) Trente ans. (CG) Trente ans.
(P) Non non, on change de...
on change d'interlocuteur, si on peut dire.
On change de personne, on change de vis-à-vis. C'est plus du tout --
(CG) Vous avez l'impression d'avoir une autre personne?
(P) -- la même chose. Oui, tout à fait.
Mais il y a quand même moins, il y a moins de complicité
de par la, le manque de perception de certaines choses.
(K) Non. (check)
(P) Parce qu'avant, en plus, on travaillait ensemble,
on partageait vraiment, vraiment tout,
toutes les joies et tous les soucis, tout.
Et puis là c'est, c'est inévitable que moi, je retienne des choses,
je lui raconte pas tout.
(CG) Mmm.
(P) Là, là, il y a eu une cassure, quand même.
(CG) Et les émotions, les sentiments, par rapport à...
vous dites: "C'est une autre personne"
mais le couple, enfin l'émotion que vous avez avec votre femme?
(P) Oui, ça, ça reste,
parce que ça reste quand même la personne qu'on aime, ça reste.
Mais de nouveau, c'est un choix.
Parce que c'est tellement gros,
comme changement, comme modification,
c'est tellement gros, ce qui nous arrive, que vraiment,
je deviendrais pas quelqu'un qui dit: "Je peux pas, je me taille."
(K) J'aimerais pas devenir acariâtre.
Non, à un moment donné, j'avais peur.
J'avais peur d'être, de devenir, l'ombre de moi...
enfin, je deviendrai l'ombre de moi-même, ça c'est clair,
je pense que je suis, c'est ce qui m'attend.
(CG) Ça fait peur?
(K) Ben, ben oui, mais je sais que je serai pas consciente,
à ce moment-là (elle rit).
Et ce sera plus facile peut-être pour moi, dans un sens,
je sais pas, c'est ça.
Mais c'est les autres qui vont devoir,
ça sera dur pour les autres, s'ils sont encore là.
Ça c'est, c'est le côté... Moi, je vais me... m'effacer.
Finalement c'est ça, l'Alzheimer,
c'est l'oubli de tout, c'est l'effacement de, de, des souvenirs:
ça va être dur pour les autres
(CG ou K?) Ça c'est bon?
(musique, aussi sur ce qui suit)
(P) Si tu y penses, tu m'appelles quand tu as fini.
Parce que moi, je dois aller sur Nyon, en fait.
(K) (... check)
(P) D'accord? Je suis un moment à .... (check),
et puis après je dois aller sur Nyon, d'accord?
OK?
(K) Oui.
(CG) Alors je vous accompagne, Karine?
(P) On essaie?
(K) D'accord.
(CG) OK, parfait.
(P) Merci.
(CG) Merci beaucoup.
(K) Attends, j'ai pris mes clés?
(P) Oui, tu as ta clé.
(K) J'ai mes clés, tu es sûr?
Ah, au moment de partir, c'est vrrrrrrsh!
(CG) (petit rire)
(K) Là, je vais prendre mon, suivant comment et je remonte.
(P) Qu'est-ce tu as (check)?
(K) Mon autre bonnet, parce que si --
(P) Mais tu m'appelles? Parce que je dis venir à Nyon.
(K) D'accord. ...... (check) voilà.
(P) D'accord?
(K) OK.
(P) Tchô.
(Karine rit)
(K) Alors moi, mon bonheur à moi, c'est mon mari.
(CG) Pourquoi vous l'avez pas dit devant lui, vous êtes --
(K, amusée) Mais je le lui dis assez!
(CG) -- pudique. C'est vrai?
(K) Non, je le lui dis assez.
(CG) Il est extraordinaire.
(K) Oui.
(K) Hello, je ferme? Euh --
(CG) Oui oui, oui. .... (check)
On va suivre donc, Marine, qui a son atelier.
Et vous venez chaque --
(Marine) Une fois par semaine.
(CG) Une fois par semaine.
(Marine) Oui.
(K?) Oh qu'il fait chaud (elle rit)
(CG) Ouaouh! Ah, ça sent la peinture.
Qu'est-ce que vous allez faire, alors, cet après-midi, Marie?
(Marie) Alors, et bien, le temps d'arriver et de s'installer,
ça dure en principe une heure, voilà.
C'est vraiment un espace qui est comme l'art thérapie
que je pratique depuis bientôt 20 ans.
Alors moi, je prépare avant, je me mets en condition de la rencontre.
Et puis, il y a, il y a un suivi:
on essaie de faire un livre, de rassembler des choses.
En tout cas de les cadrer et de les mettre dans un...
de relier, de faire des liens, voilà.
Et puis après, il y a le moment où Karine,
elle va faire des choses avec le pinceau ou avec autre chose.
(CG) Et puis vous, Karine, quand vous venez ici, ben, ça y est, les envies émergent de créer, de vous exprimer? Vous avez dit: "J'ai besoin d'un moyen pour m'exprimer."
(K) Alors oui.
(CG) Vous le trouvez, là?
(K) Tout à... alors absolument. Ben moi, je dirais simplement, c'est juste du bonheur. On sort des paramètres du boulot, de machin, que... il faut absolument pas oublier ça, et tout ça. Là, on se lâche, et puis comme ce qui était auparavant facile pour moi ne l'est plus du tout, comme je me dénude en moi-même, dans le sens que j'ai vraiment l'impression, voilà, d'être vidée à l'intérieur par la maladie, c'est important de me retrouver dans cette odeur-là, dans cette atmosphère, et --
(CG) C'est comme si vous vous resserriez autour de qui vous êtes vraiment?
(K) Voilà, exactement. Et ça c'est, c'est très fort.
(musique, aussi sur ce qui suit)
(CG) Allez, la feuille blanche vous attend.
(Rires)
(Qui?) ... marqué sur un fond noir.
(Marine/Marie?) Tout le temps que tu es là, c'est la feuille blanche qui doit pas faire peur.
(Voix entrecroisées, rires) Allez, on est partis.. tout le monde... Est-ce que vous avez du papier noir?
(Qui?) Et puis, ben, vu que la dernière fois, c'était la craie, de la grosse -- du crayon -- craie grasse, c'est ça que je te propose. Ça te va? Autrement, je peux faire autre chose.
(MG) Quand Karine, elle vous a dit que par moments, elle se sent dénudée, c'est une magnifique expression. Alors, c'est vrai: certains souvenirs s'effacent, la mémoire flanche, comme vous dites, ou se dénude. Alors on peut imaginer comme ça que d'abord, peut-être, un malade, imaginons-la une malade, donc une dame, d'abord elle enlève ses bijoux, elle enlève le maquillage, à un moment donné, peut-être, il n'y a plus de coloration des cheveux. Elle enlève la belle veste élégante, elle enlève peut-être aussi la jolie blouse. Puis elle reste en liquette et elle, elle est là, dénudée, mais le noyau de sa personnalité reste là. Donc c'est peut-être que comme ça qu'on devrait comprendre.
(fin musique)
(MG) La personnalité, bien sûr, change au fil des années de la maladie. Parce qu'effectivement, quand même, d'un point de vue cognitif, il y a des pertes qui sont là, c'est indéniable, petit à petit. 20:42