Bienvenue
à notre prochaine participante.
Cette jeune femme s'appelle
Giulia Enders.
Elle étudie à l'université Goethe
de Francfort-sur-le-Main.
Un tonnerre d'applaudissements
pour l'inviter sur scène.
Ah, tu es déjà là !
Tu as 10 minutes.
J'étudie donc la médecine.
Eh oui ! Et ce qui est génial
quand on étudie la médecine,
c'est d'aller prendre le thé
chez ses tantes.
A l'inévitable question
sur les études,
ma soeur peine à expliquer
ce qu'est le design de communication
et je réponds :
"Je fais médecine".
J'ai alors droit
à des mines réjouies.
C'est très agréable,
mais généralement de courte durée.
Vient ensuite la question
de ma future spécialisation.
Je marque une pause
pour les ménager et dis :
"Depuis le 1er semestre, je fais
une fixette sur le tube digestif.
Tout a commencé avec l'anus,
ce domaine me fascine."
L'exaltation disparaît alors
pour faire place
à un silence embarrassé.
Puis, j'entends
à l'autre bout de la pièce :
"Et à quoi mène
le design de communication ?"
C'est bien regrettable,
car "les boyaux, c'est beau".
"LES BOYAUX, C'EST BEAU"
J'ignore ce qu'elles s'imaginent.
Sans doute qu'on étudie
des tonnes d'excréments,
de toutes formes et consistances
possibles et imaginables.
Ou les excréments d'autres encore,
qu'on préférerait éviter.
"FAIRE CACA SUR LES GENS
EN 12 LECONS FACILES"
Ou d'obscures méthodes de détox...
"LES BIENFAITS DU CELERI"
...qui nous font sortir comme ça
de chez le médecin.
Ou encore des vidéos virales
si éloquentes
qu'à la vue des réactions
qu'elles suscitent,
on n'a même plus besoin
de les regarder.
La science aussi
déteste les intestins,
mais sa haine n'a d'égale
que sa fascination.
Leur surface fait 100 fois
celle de ma peau.
Ce tube si étroit
a un tel système immunitaire
et produit tant d'hormones
que 100 trillions de bactéries
peuvent y vivre,
soit l'humanité au carré...
fois deux.
Son système nerveux
est à ce point autonome
que si j'en coupe un morceau
et que je le pince,
il grommelle gentiment.
"J'AIME TES INTESTINS"
C'est complexe
et ça effraye la science.
Ma grand-mère dit que si on adore
une chose qui rebute au départ,
il faut y aller par étape et
se mouiller la nuque avant de plonger.
Commençons donc par l'oesophage.
Il se contracte
et fait descendre la nourriture.
L'estomac se balance,
la réduit en morceaux
et l'envoie dans l'intestin grêle.
Là, elle est malaxée
comme par magie
et encore réduite.
Elle traverse le gros intestin
et ressort par l'anus.
Mais si on creuse une des étapes,
dans mon cas celle de l'anus...
on se rend compte que c'est
plus complexe qu'il n'y paraît.
Je m'y suis intéressée à cause
d'une question de mon coloc :
"Giulia, toi qui fais médecine,
comment fait-on caca ?"
J'ai découvert que l'anus
est un organe très communicatif.
Il est à la croisée
de deux niveaux de conscience.
Ici, se trouve
le sphincter interne
et là, le sphincter externe.
On connaît bien ce dernier.
Si je vous demande de faire...
Enfin, avec l'anus...
Beaucoup le font,
mais on ne le voit pas.
On constate que c'est faisable.
Mais si je vous demande...
Si maintenant, je vous demande
de fermer le sphincter interne,
c'est plus difficile.
Ou ça a fonctionné
pour quelqu'un ?
On s'aperçoit qu'on ne peut pas
le contrôler consciemment.
Remontons le conduit.
Lorsque la nourriture digérée
bute contre le sphincter interne,
une ouverture réflexe
laisse passer un morceau test.
Cet espace intermédiaire
est parsemé de cellules sensorielles.
Elles vérifient si ce qui arrive
est solide ou gazeux
et en informent le cerveau.
Immédiatement, le cerveau se dit :
"Ah, je dois faire caca."
Il fait alors ce que sa célèbre
conscience sait si bien faire
et nous présente
notre environnement.
Il dit par exemple :
"Dis, j'ai jeté un oeil,
on est au Science Slam, là.
Un gaz, ça passerait à la rigueur,
en sourdine,
mais du solide, tu oublies."
On repousse alors tout ça
en arrière...
dans la salle d'attente.
Tôt ou tard, ça devra sortir.
Et de retour à la maison,
affalé sur le canapé,
la voie est libre.
Mais l'anus n'est que
le sommet de l'iceberg.
"Qu'a-t-elle dit, Gerda ?"
"Je crois qu'elle a dit que l'anus
n'est que le sommet de l'iceberg."
Et c'est véritablement le cas.
On n'en perçoit et n'en contrôle
que deux centimètres.
Mais tout le reste...
Pour savoir
ce qui se passe là en bas,
intéressons-nous d'abord
à la zone intermédiaire.
Cherchons ce qui,
dans le tube digestif,
est à la fois
conscient et inconscient.
Prenons les 7 émotions universelles
qui se voient sur le visage.
On les retrouve
dans toutes les cultures du monde.
En voici 3 :
la peur, la joie et la tristesse.
Quand on ressent ces émotions,
elles glissent sur notre visage
sans qu'on puisse d'abord
les contrôler.
Voilà qui rappelle
ce sphincter interne,
lui aussi incontrôlable.
Le lien n'est pas si farfelu,
car quand on était un embryon,
notre visage n'était encore
qu'un début de tube digestif.
Puis, on s'est dit :
"Allez, ajoutons un visage autour,
ça rendrait pas mal."
Bref, ce tube musculaire incontrôlé
a commencé là,
voilà pourquoi on ne peut pas
contrôler nos expressions faciales,
contrairement à notre bras.
Je m'interroge donc :
l'intestin est-il en lien
avec ces émotions ?
Peut-il prendre peur ?
A-t-il un charmant sourire ?
Est-il parfois tout triste ?
Descendons un peu
dans les entrailles de cet iceberg.
Cette question du subconscient
divise beaucoup,
car pour certains, l'intestin
est déconnecté des émotions.
Il n'est fait que de cellules
et seuls le cerveau et nos gènes
provoquent nos émotions.
Deux points de vue
s'affrontent donc :
soit le cerveau dicte les émotions
et commande les organes,
soit le tube digestif
influe lui aussi sur nos émotions,
nos pensées et, qui sait,
notre comportement.
Intéressons-nous donc à une chose
qui ne dépend pas de notre ADN :
cette immense flore.
Tout ce petit monde,
présent en chacun de nous,
peut peser jusqu'à 2 kg,
c'est parfaitement normal.
Cette population varie en fonction
d'un ensemble de choses,
comme nos choix alimentaires
ou notre environnement.
C'est notre collection Pokémon
de bactéries intestinales.
Je vous les présenterais bien,
mais 60 % nous sont inconnues,
et on ne peut pas les cultiver.
Elles adorent notre intestin,
alors impossible de les espionner
dans une boîte de Pétri.
Mais cela ne fait
que quelques années qu'on étudie
d'un peu plus près leur influence.
On savait déjà qu'elles renforcent
notre système immunitaire,
qu'elles déterminent
notre groupe sanguin
en jouant
ce même rôle d'intermédiaire,
que si on s'énerve méchamment,
une méchante diarrhée s'ensuit.
Mais qu'en est-il
des travailleurs de l'ombre ?
Quelle influence ont
ces populations très diverses ?
Cette nouvelle tour de Babel,
dont j'ai un peu fait ma passion,
soulève
de nombreuses interrogations.
Si j'ai telle ou telle bactérie,
vais-je grossir,
même en mangeant normalement ?
Certaines me prédisposent-elles
à la dépression ?
D'autres me protègent-elles
du cancer
ou le favorisent-elles ?
A la plupart de ces questions,
les avancées de la recherche
tendent à répondre "oui".
Ce sujet est très fascinant
et ne cesse de me titiller.
Depuis un semestre,
je suis en neuroscience à Francfort.
On y teste
des protéines endogènes
pour savoir si elles protègent
les cellules nerveuses.
Mais moi, je n'ai qu'une hâte :
le faire
avec des protéines bactériennes.
Une étude m'a vraiment soufflée.
On a implanté certaines
bactéries intestinales et constaté,
en cas de stress, quand la paroi
intestinale est plus perméable,
des pertes de mémoire
de 10 à 30 jours.
Avec les probiotiques,
aucun trou de mémoire.
Et là,
on a envie d'en savoir plus,
mais je suis obligée d'abréger.
Mon but est de promouvoir
ce sujet de recherche
trop peu étudié en Allemagne.
Vous aurez appris
que l'anus est communicatif,
et quand une belle femme sourira,
vous penserez à ses intestins.
L'intestin est proche du peuple,
traitez bien la colonie
en chacun de vous.
Apprenez à l'apprécier.
Plus d'un politique doit maintenant
redouter sa concurrence.
Ces dames ont dû
retrouver le sourire.
Merci à vous,
et à ma soeur,
qui a fait ça
grâce au design de communication.
Incroyable !
Accordons à la jeune femme
qui a gagné ce soir
toute notre attention
durant encore 1 minute 30.
Une sorte de rappel
à la sauce scientifique.
A toi de conclure,
je me réjouis.
Oh, comme ça tombe bien !
Durant le chic numéro de balles,
je me suis rendu compte
que j'avais encore oublié
une chose sympa.
Avant, j'ai parlé de ces cellules
qui distinguent gazeux et solide.
Mais un état physique
manquait à l'appel : fluide.
C'est un sujet
un peu délicat à aborder,
mais qui n'a pas eu la diarrhée,
cru devoir péter
et tout eu dans le pantalon ?
L'intestin ne connaît pas "fluide",
il y va au pif. C'était tout !
J'oublie ça à chaque fois,
à Fribourg déjà...