Je vais vous parler d'une initiative
qui me semble importante
dans le champ de la psychanalyse
qui sont les Centres Psychanalytiques
de Consultation et de Traitement.
Donc, après la réalité virtuelle,
la réalité psychique,
qui nous offre également
beaucoup de surprises
pour autant qu'on y prête l'oreille.
J'ai construit un exposé,
comme nous le faisons
dans nos rencontres entre psychanalystes.
Je vais vous le présenter.
C'est donc un travail construit,
que je vais vous lire, qui a le mérite
d'être publiable et consultable.
Les CPCT sont destinés à faciliter
l'accès à la psychanalyse
à des sujets en souffrance psychique,
quel que soit leur niveau
social ou professionnel.
C'est l'idée de base.
Ce lieu accueille, traite et oriente
toute personne qui en fait la demande.
Les traitements sont gratuits
et limités à quatre mois,
soit 16 séances au maximum.
Ça peut s'arrêter avant.
Les psychanalystes impliqués,
qui sont psychiatres ou psychologues
de formation, y sont bénévoles.
Tous sans exception se réfèrent
à l'enseignement de Lacan.
C'est un point important à souligner,
pour autant que l'action analytique
dépend de la théorie
à laquelle on se réfère.
Même si on n'a pas de théorie,
on fonctionne avec des a priori au fond.
Le concept de CPCT est une initiative
de l'École de la Cause freudienne
qui est une association
reconnue d'utilité publique.
Les CPCT sont implantés
dans les grandes villes,
et en général, subventionnés
par les conseils généraux
ou les municipalités.
Ils répondent à trois enjeux
que je liste rapidement,
ensuite, je passerai à une partie
un peu plus clinique
pour que vous ayez
une idée du travail qui s'y fait.
D'abord, des enjeux cliniques :
plusieurs centaines de patients
nous sont adressés chaque année,
soit par les structures sociales,
soit par les structures associatives,
donc il y a un partenariat qui se fait.
C'est vraiment l'idée d'implanter
la psychanalyse dans la cité,
et non pas la laisser,
comme souvent on l'imagine,
dans une tour d'ivoire
ou réservée à certains.
Premier enjeu, enjeu clinique :
mettre la psychanalyse
à la portée du tutti quanti.
Deuxième enjeu : enjeu de recherche.
Au fond, la question
qu'on s'est posée en 2007,
c'est : que devient l'acte analytique
à partir du moment où on fait sauter
les standards habituels
qui sont le paiement et la durée ?
La durée qui est posée,
au départ, comme illimitée,
alors que là, on a un traitement
qui est limité dans le temps.
Donc on fait sauter ces deux standards,
qu'est-ce qui reste de l'acte analytique ?
Ces résultats de recherche
sont mis régulièrement à ciel ouvert
au cours de conférences publiques
qu'on appelle des rendez-vous cliniques.
C'est une façon de restituer
les produits du travail.
Il y a également des enjeux politiques
dont vous avez peut-être entendu parler,
c'est-à-dire dans le débat,
qui parfois tourne au combat,
entre la psychanalyse
et d'autres méthodes.
C'est au fond ne pas déserter
le terrain des traitements courts.
Il y a des enjeux aussi.
Le dispositif est le suivant :
la personne est reçue par un consultant
dans un premier temps,
pour déterminer
l'opportunité du traitement
et, point important,
dégager les enjeux d'un travail,
ce qu'on ne fait pas
dans une cure classique.
On n'essaye pas de serrer
une question ou un objectif a priori.
Le traitement est ensuite
assuré par un autre clinicien.
Il n'est pas question
de psychanalyse en modèle réduit,
vous l'entendez,
il s'agit de sensibiliser
à la relation analytique
en mettant en œuvre de façon preste,
pragmatique, les concepts.
Au fond, on se rend compte que parfois,
la levée d'un seul refoulement
permet au sujet de rebondir
ou de sortir d'une impasse subjective.
Sans engager vraiment un travail de fond,
ça permet de débloquer les choses.
Les deux moments cruciaux de l'analyse,
vous le savez peut-être,
sont, comme aux échecs,
le début de partie et la fin de partie.
J'ai donc choisi de vous faire part
de quelques entretiens préalables
où se repère l'ouverture à l'inconscient.
Tous ces sujets dont je vais vous parler -
rapidement bien entendu,
on appelle ça des vignettes cliniques -
tous ces sujets sont aux prises,
vous allez le voir,
avec la question de la solitude,
mais il y a une vérité cynique
de la psychanalyse
qu'il faut rappeler de façon
un peu laconique, là :
on est seul, au fond,
quand on est enfermé
dans sa prison de fantasmes,
de nostalgie, d'ennui, de haine, etc.
C'est une solitude psychique d'abord.
Derrière tout ça, il y a souvent
une insatisfaction secrète.
Freud espérait que chaque sujet
puisse traduire dans sa langue
cette part secrète, obscure, de l'être,
pour rentrer dans un lien à l'autre.
C'est un peu cette tâche qu'on poursuit.
Comment sortir d'abord
de sa propre solitude ?
Voici quelques vignettes assez rapides
que j'ai construites de façon resserrée
puisque je reçois en première intention
depuis deux ans maintenant.
La première vignette
que j'ai appelée « l'amoureuse ».
Avec cette patiente,
la consultation a été ultra-rapide
parce qu'elle était en retard
mais surtout parce que
la teneur de l'entretien
a permis de conclure très vite
et dire oui au traitement.
Madame B est une femme de la quarantaine.
Elle est, en arrivant, sur un petit nuage.
Heureuse, gaie, souriante,
elle est amoureuse et ravie de l'être.
Le problème est que l'homme
qu'elle aime et dont elle est aimée,
n'est pas son mari
mais un collègue de travail.
Elle est dans l'embarras.
Nous lui disons : « Vous ne demandez
tout de même pas au CPCT
de vous guérir de l'amour ? »
« Eh bien, c'est
tout à fait ça ! » dit-elle.
Elle dépeint l'homme que je crois être
son amant dans un premier temps,
comme l'opposé de son mari :
il est attentif, il est charmant,
il lui fait des compliments
et surtout, il lui parle beaucoup.
Treize ans de vie commune ont usé
son couple, le désir a disparu.
Le mari se doute de quelque chose,
il la harcèle,
mais quand elle veut parler,
dit-elle, plus personne.
Au fond, elle a son idée sur la manière
de résoudre le conflit.
Quelle est cette façon qu'elle imagine,
surprenante, de résoudre les choses ?
Il faudrait qu'on l'aide, dit-elle,
à « transposer » -
c'est vraiment son mot -
ce nouvel amour sur son mari.
Autrement dit, elle voudrait
faire revenir les couleurs d'origine,
comme dit Souchon.
Cet amour nouveau lui fait
du bien mais la rend coupable.
Nous lui demandons explicitement
ce qu'il en est de sa sexualité.
Il n'y en a pas,
la relation est platonique.
S'est-elle refusée ?
Non, l'homme ne l'a pas proposé.
Voudrait-elle de cette aventure ?
C'est toujours non.
Au fond, avec les deux partenaires,
elle se prive de l'orgasme.
La solitude de ce sujet est sexuelle.
L'analyste lui dit :
« Ces deux hommes que tout oppose
ne sont pas si différents pour vous,
de ce point de vue.
Elle n'a jamais vu ça comme ça.
La surprise signe
la mobilisation de l'inconscient
et permet l'ouverture
du travail psychique.
Le ton de l'entretien
n'est plus du tout à la légèreté.
Faire surgir le désir,
fût-ce par son absence,
sous le voile trompeur de l'amour -
ou idéalisant, on peut dire, de l'amour -
permet d'arrêter l'entretien
sur un instant de voir
et d'ouvrir le temps du traitement.
Sa question est remise à l'endroit.
Voilà un petit peu comment
s'est amorcé pour ce sujet
le travail dans un temps très court
de dix minutes, un quart d'heure.
Deuxième vignette, « le chouchou »,
je l'ai appelé le chouchou.
Ce sujet est dans l'urgence.
Sans travail depuis deux ans,
il voit sa vie de couple
se dégrader une fois de plus.
Il a dégagé le cycle infernal
dans lequel il est pris.
Il met en place des choses
et ne les assume pas.
Il traîne cela depuis l'adolescence.
Au lycée, il ne travaillait pas,
à l'université non plus.
Il se plaint de ne pas savoir se battre.
Il a beaucoup démissionné de ses emplois
et dans sa vie de couple,
il a toujours fui.
Nous remarquons : « C'est embêtant,
le CPCT exige un certain travail.
Nous ne vous demandons pas d'argent,
mais un travail psychique. »
Quelle est son hypothèse ?
Que s'est-il passé à l'adolescence ?
Il s'est renfermé, dit-il,
il faisait la gueule.
Sa mère d'ailleurs l'appelait « l'ours ».
Ours est le nom de solitude de ce sujet.
Il rejetait la société et ses standards :
être bon, rapide, performant.
Il se sentait décalé
même avec ses copains.
« Rien n'a duré, dit-il,
et aujourd'hui je suis seul. »
Dans cette famille nombreuse,
il était déjà seul.
Et aujourd'hui encore, il n'arrive
même plus à parler à sa femme.
Nous insistons, que s'est-il
passé à l'adolescence ?
« Dans la fratrie des six enfants,
étonnamment, c'était moi le chouchou.
J'ai toujours entendu :
''Tu es le plus beau,
le plus gentil, le plus intelligent." »
Mais c'est un bon début dans la vie, ça !
Lui, songeur : « Et j'ai tout fait
pour gâcher ça. »
L'analyste interprète :
« Non, je ne crois pas.
Je pense au contraire que vous faites tout
pour rester le chouchou.
Vous êtes toujours dans cette position,
l'autre vous doit tout
et vous n'avez aucun effort à faire,
et d'ailleurs, vous n'en faites pas. »
Ce renversement de perspective
le fait sourire,
mais ne l'étonne pas vraiment.
Nous arrêtons l'entretien ;
voilà une bonne piste de travail.
Ici, le surgissement
de l'identification au chouchou -
identification ancienne
mais toujours active
qui immobilise le sujet,
vous l'avez entendu,
l'autre versant de l'ours -
laisse entrevoir le point secret
de jouissance qui fait sa solitude :
il ne travaille pas, il attend
que l'autre travaille pour lui.
C'est le point secret de sa solitude.
Vraie ou fausse, l'hypothèse a le mérite
d'amorcer le travail psychique
et de lui donner une orientation.
Donc, voilà encore une ouverture
et un démarrage de travail.
Troisième vignette, que j'ai appelée
« le mari de la sorcière ».
Chez ce sujet, au contraire,
la solitude est inassumée
et niée au point de constituer
une objection au traitement.
La consultation produit
une pseudo-hystérisation
mais cela ne suffit pas pour faire
une demande de traitement recevable.
Le sujet sera invité à reprendre
un rendez-vous ultérieurement,
ce qu'il ne fera pas.
Le problème est mis en scène
d'emblée de façon théâtrale
chez ce jeune comédien,
il commence en disant :
« J'ai combien de temps ? »
Puis il décrit avec force détails
de violentes scènes de ménage
où sa compagne, dépeinte comme une folle,
menace de le poignarder,
menace de se jeter par la fenêtre.
Le couple se bat, s'insulte,
s'envoie des objets à la figure,
et tout cela devant
deux enfants en bas âge.
M. M met tout sur le compte
de la maladie mentale de sa compagne.
Il l'a même suivie chez sa psychanalyste
qu'il a appelée par la suite pour dénoncer
les comportements de sa femme
et s'assurer qu'elle ait bien dit
ce qu'il fallait dire.
Depuis peu, ayant appris
qu'elle avait pris rendez-vous au CPCT,
il fait au fond la même démarche
en espérant qu'on l'aiderait
à comprendre cette furie.
Il méconnaît totalement qu'à se faire
témoin des crises de cette femme,
il alimente une jouissance
à deux démesurée,
jouissance qu'il tente ici
de faire partager au clinicien.
L'analyste finit par lui dire :
« C'est un vrai psychodrame,
votre vie de couple ! »
Il ne se démonte pas.
« Pourquoi cela vous arrive-t-il à vous ?
- C'est une sorcière, » dit-il,
mais il aime cette femme.
Il attend du CPCT l'opération même
qu'il met en oeuvre dans la consultation -
il répète plusieurs fois,
« il s'agit de vider un trop-plein » -
soit se délecter de la narration
de disputes qui dégénèrent.
Entrevoit-il une causalité à tout cela ?
C'est parce qu'elle a arrêté
sa psychothérapie.
Nous l'incitons à tenir ses deux enfants
à l'écart des combats.
En revanche, nous estimons qu'il n'est pas
prêt pour engager un travail de parole.
Aucune ouverture ne s'est faite
pendant ce travail préliminaire,
aucun bougé ne s'est avéré possible.
Il ne repère pas l'usage de jouissance
qu'il fait de sa parole.
Mieux vaut dire non à son idée
que le CPCT s'occuperait de son couple.
Au fond, il est venu alerter le centre
de la dangerosité de sa femme
comme il l'a fait par téléphone
avec la psychanalyste de celle-ci.
Là, c'est un non, le sujet est invité
à réfléchir, à reprendre rendez-vous,
ça fait une scansion, il n'insistera pas.
Dernière petite vignette,
« la jeune fille au petit cadre ».
C'est un cas pour lequel
j'ai hésité à dire oui au traitement,
j'ai donc demandé
à la patiente de revenir.
Il s'agit d'une étudiante
qui se dit déboussolée.
Elle sort d'une relation homosexuelle
qui a été très dure pour elle.
Elle a dépassé ses limites
pour garder sa partenaire.
C'est dans le fil d'une vie décousue
qu'elle mène en collant
à la demande de l'autre.
Elle peut rester trois jours
chez un hôte qui l'a invitée pour un soir
sans tenir compte aucun
de son cursus universitaire.
En découvrant peu à peu
sa pente à la soumission,
elle a pris peur,
c'est ce qui motive sa demande.
Elle est attirée, dit-elle,
par les grandes méchantes.
Avec sa copine, elle se laissait faire
au point de disparaître.
Autre point important, elle a noué
une relation amoureuse
avec sa psychothérapeute quelque temps
après l'arrêt des séances
de sa dernière psychothérapie.
Des éléments laissent planer
un doute sur la gravité du cas :
des bizarreries de langage,
de la confusion,
presque rien sur son histoire familiale
et une ambiguïté
sur l'orientation sexuelle.
Je décide de la faire revenir.
Au second rendez-vous, elle est absente
mais elle téléphone :
elle s'est endormie, dit-elle,
et saisit l'occasion de me questionner,
un peu suspicieuse,
sur la raison de ce deuxième entretien.
Je prends le temps au téléphone
de lui expliquer que j'ai besoin
de mieux la connaître pour décider
d'une orientation de travail.
Au deuxième rendez-vous,
elle est alors beaucoup plus précise,
beaucoup plus déterminée
et à la fin, me demande
explicitement de la recevoir,
que ce soit moi
le consultant qui la reçoive.
esquissant déjà
son savoir-y-faire avec l'autre.
Son problème, dit-elle, est qu'elle se met
dans des situations limites.
Par exemple, elle est toujours en retard
et perd énormément de temps.
« J'ai besoin
d'un petit cadre », dira-t-elle.
Eh bien au CPCT, vous aurez à faire
à un petit cadre, justement.
Nous lui rappelons rapidement
le cadre de travail.
Enfin, elle amène des éléments
sur son histoire :
un père violent, qui impose
durement les choses,
et qui la lâche brutalement
à l'âge de 13 ans.
Elle séjourne de plus en plus longuement
chez une grand-mère trop laxiste
puis finit par y habiter ;
la mère, en dépression, a laissé faire.
Son père a parlé beaucoup
mais n'exigeait plus rien, dit-elle.
À 17 ans, elle faisait ce qu'elle voulait.
Actuellement, elle vit du RSA
mais soutire de l'argent au père.
On a déjà repéré qu'elle voulait
lui faire payer l'addition, quand même.
Ce temps préliminaire
en trois phases logiques a permis
que se dénude la question à traiter
chez ce sujet, celle de la limite.
Sa demande ambiguë du petit cadre
se manifeste très vite
dans ce que nous appelons le transfert.
C'est-à-dire, d'abord
elle bouscule le cadre
en oubliant le deuxième rendez-vous
et ensuite en demandant
un traitement d'exception :
être reçue par celui même dont elle sait
qu'il n'est là que pour la consultation.
Au fond, la piste de travail
s'impose d'elle-même.
C'est la question de la limite
qu'il va falloir qu'elle traite.
Le travail psychique peut s'engager
sur ce petit moment préliminaire
où on repère trois temps déjà.
Pour conclure, je dirais
que nous faisons le pari,
dans ces temps assez courts
mais qui ont une certaine teneur,
nous faisons le pari qu'en rencontrant
un fragment de ce qui lui appartient
mais de ce qui est caché à lui-même,
c'est-à-dire au fond,
un fragment de l'inconscient,
le sujet reparte de la consultation
avec l'idée que quelque chose
en lui veut être dit,
soit le désir de prendre la parole
et d'écorner sa solitude.
Je vous remercie.
(Applaudissements)