Il existe une légende urbaine qui dit que si tout le monde en Chine sautait en l'air ensemble, alors la Terre quitterait son axe. Croyez-moi, j'ai fait les calculs, et je peux dire que l'axe de la Terre n'est pas en danger. En même temps, je sais que je prends le risque d'être contredit un jour ou l'autre... Néanmoins, même une personne seule, si elle saute en l'air, peut, pour ainsi dire, faire bouger la Terre. Le problème, c'est que vous ne la faites pas beaucoup bouger. Supposons que nous puissions mesurer, pas le nombre de scientifiques qui sautent en l'air, mais faire une mesure si précise qu'elle pourrait nous renseigner sur le changement et la forme de l'espace lui-même produit par une étoile explosant à l'autre bout de la galaxie. Cela semble vraiment de la science-fiction, mais en fait, une telle machine existe déjà. Elle s'appelle un interféromètre laser, et c'est l'un des instruments scientifiques les plus sophistiqués que nous ayons jamais construits. Et dans quelques années, il va nous offrir - nous en sommes convaincus - une toute nouvelle façon de voir l'univers, appelée astronomie des ondes gravitationnelles. Les ondes gravitationnelles ne sont pas la même chose que la lumière ; elles ne font pas partie du spectre de la lumière que nous appelons le spectre électromagnétique, qui s'étend des ondes radio aux rayons gamma. Nous avons déjà beaucoup de types de lumière différents, et au cours des 60 dernières années, nous sommes devenus experts à sonder l'univers à leur recherche. Qu'il s'agisse de construire un radiotélescope géant au sol ou d'installer un observatoire des rayons gamma dans l'espace, nous avons utilisé ces différentes fenêtres sur le cosmos pour nous dire des choses assez étonnantes sur le fonctionnement de notre univers. Nous avons sondé la naissance et la mort des étoiles. Nous avons exploré le cœur des galaxies. Nous avons même commencé à trouver des planètes comme la Terre qui tournent autour d'autres étoiles. Mais le spectre des ondes gravitationnelles sera complètement différent. Il nous ouvrira une fenêtre sur l'univers et sur certains des événements les plus violents et les plus énergétiques du cosmos : des étoiles qui explosent, des trous noirs qui entrent en collision, peut-être même le Big Bang lui-même. Qu'allons-nous apprendre sur l'univers grâce aux ondes gravitationnelles ? Eh bien, le plus excitante est peut-être ce que nous ne connaissons pas encore, les « inconnues inconnues », les choses dont nous ne savons même pas que nous les ignorons. Cela va prendre encore quelques années, mais on y est presque. Avant de parler des ondes gravitationnelles, réfléchissons à la gravité. Un autre légende urbaine dont vous avez tous sûrement entendu parler est celui de la pomme tombant sur la tête d'Isaac Newton. Je ne suis pas vraiment sûr qu'il y ait vraiment eu un fruit dans cette histoire, mais où qu'il ait puisé son inspiration, Newton a eu une idée très intelligente. Il a en effet découvert qu'il pouvait utiliser la même loi physique pour décrire à la fois une pomme tombant d'un arbre et la Lune en orbite autour de la Terre. Et il a appelé cela la loi universelle de la gravité. Et elle dit en gros que tout dans le cosmos attire tout le reste. C'est une belle théorie et c'est aussi très utile sur le plan pratique. Elle nous permet de faire toutes sortes de choses utiles, et ce depuis plus de 300 ans. Elle nous permet de faire voler des avions, d'envoyer une fusée sur la Lune et de la faire revenir. Mais il y a un problème avec la loi de la gravité de Newton, un problème philosophique. À un niveau très fondamental, cela n'a pas vraiment de sens, car Newton dit qu'il y a une force entre la Terre et la Lune, mais comment la Lune sait qu'elle est censée orbiter autour de la Terre ? Comment cette force passe-t-elle réellement de la Terre à la Lune ? C'est un problème auquel Albert Einstein s'est intéressé au début du XXe siècle. Et Einstein a trouvé une réponse vraiment remarquable. Albert Einstein fut probablement le premier scientifique célèbre. Même s'il est mort en 1955, en 1999, les rédacteurs du Time l'ont élu « Personnalité du XXe siècle ». Je dois toutefois mentionner qu'un vote a eu lieu sur le site web et qu'Elvis Presley a gagné. (Rires) Je suis fan du King comme tout le monde, mais je préfère le choix de la rédaction. En fait, j'ai même ma propre figurine d'Einstein à l'université. (Rires) Qu'a donc fait exactement Einstein, s'il était la personnalité du XXe siècle ? Eh bien, il nous a fait repenser ce qu'est réellement la gravité. Pour Einstein, la gravité n'est pas tant une force entre la Terre et la Lune, ou les pommes et les arbres, mais plutôt une courbure ou un pliage de l'espace et du temps eux-mêmes. Une bonne métaphore consiste à imaginer la Terre placée sur une feuille de caoutchouc tendue comme un trampoline. La masse de la Terre, la très grande masse de la Terre, va beaucoup courber cette feuille de caoutchouc, et alors vous n'avez plus vraiment besoin que la Lune ressente une force qui vienne de la Terre. La Lune ne fait que suivre les courbes naturelles de l'espace et du temps autour de la Terre. En fait, Einstein a également dit qu'on ne devait plus se représenter l'espace et le temps comme des choses séparées. Vous entendez donc les gens parler de la structure de l'espace-temps. Einstein a dit que la gravité est une courbure de l'espace-temps. Ou, comme l'a très bien dit un autre physicien, John Wheeler : « L'espace-temps indique à la matière comment se déplacer, et la matière indique à l'espace-temps comment se courber. » Tout cela semble magnifique et fondamental sur la nature de l'univers, mais il y a aussi beaucoup d'applications pratiques. Ici sur Terre, dans la faible gravité terrestre, il y a une prédiction très remarquable de la théorie d'Einstein, que vous n'avez probablement jamais remarquée. Saviez-vous par exemple que les horloges fonctionnent plus lentement à la surface de la Terre qu'en altitude, parce que le champ gravitationnel est plus fort. Vous vous souvenez peut-être de cette scène du film « Mission Impossible 4 », où Tom Cruise grimpe le long du Burj Khalifa, le plus haut bâtiment au monde. Mais même à 800 mètres au-dessus du sol - je suis sûr qu'il était trop occupé pour le voir - mais la montre de Tom aurait été quelques milliardièmes de seconde plus rapide qu'elle ne l'aurait été au niveau du sol. Alors qu'est-ce que quelques milliardièmes de seconde ? Eh bien, c'est en fait suffisant pour faire une différence pour le GPS. Les données des satellites GPS doivent être ajustées car le temps passe plus vite à l'altitude des satellites. Et cela représente 40 microsecondes par jour. Les signaux radio et micro-ondes de ces satellites peuvent parcourir une dizaine de kilomètres en 40 microsecondes. Pensez donc à votre GPS, s'il n'était précis qu'à 10 kilomètres près. Nous nous perdrions tous très vite. La théorie de la gravité d'Einstein, sa théorie générale de la relativité, a vraiment des effets pratiques sur notre vie quotidienne. Mais c'est dans l'Espace qu'on la voit le mieux. En fait, si la gravité consiste à faire plier l'espace-temps, on peut faire une expérience de pensée. On peut imaginer que si on pouvait mettre suffisamment de matière dans un espace assez petit, on finirait par courber l'espace-temps à tel point que même la lumière ne pourrait pas échapper aux griffes de la gravité. On se retrouve avec un trou noir. Les trous noirs ont été imaginés à l'époque d'Einstein. En fait, en 1916, juste après qu'Einstein a publié sa théorie, il y a eu un merveilleux article écrit par un jeune scientifique, qui était au front - c'était la Première Guerre mondiale - Karl Schwarzschild. Et il établit la théorie des trous noirs. Les trous noirs semblent appartenir au domaine de la science-fiction, mais nous pensons que les trous noirs existent réellement, et que, même pour la lumière, s'échapper d'un trou noir serait vraiment Mission Impossible. Nous trouvons des trous noirs dans les débris d'étoiles explosées, il semble même que nous en trouvions sous forme supermassive au cœur de pratiquement toutes les galaxies de l'univers. Imaginez que vous preniez un trou noir et le déplaciez à une vitesse proche de celle de la lumière. Cela bouleverserait l'espace-temps, comme si on lâchait un boulet de canon sur la toile d'un trampoline : cela créerait des ondulations qui se propageraient. Ces ondulations sont ce que nous appelons des ondes gravitationnelles. Elles seraient donc produites par des choses comme les trous noirs, ou leurs cousins gravitationnels un peu moins extrêmes appelés étoiles à neutrons. Si on en faisait entrer 2 en collision à une vitesse proche de celle de la lumière, cela produirait vraiment des ondes. C'est ce que nous recherchons en nous lançant dans ce nouveau domaine de l'astronomie des ondes gravitationnelles. Ah, si c'était aussi simple ! C'est le plan, mais le faire est difficile, car même si les ondes gravitationnelles secouent l'espace-temps de façon colossale là où il y a les trous noirs, comme des ondulations sur un étang, en se répandant dans l'univers, elles deviennent de plus en plus faibles. Au moment où elles arrivent sur Terre, les secousses de l'espace-temps que nous essayons de mesurer sont en gros de l'ordre d'un millionième de millionième de millionième de mètre. C'est assez difficile à mesurer. Alors comment faire ? Au risque de ressembler à un de ces spectacles de magie à Las Vegas, tout est fait avec des miroirs et des lasers. Vous prenez un rayon laser, vous l'envoyez sur un miroir, vous le divisez en deux rayons qui vont à angle droit l'un par rapport à l'autre, les faites rebondir sur un miroir, les recombinez, puis vous regardez ce que vous avez. Si les deux rayons ont parcouru exactement la même distance, ils sont parfaitement en phase l'un avec l'autre. Ce sont des ondes lumineuses, comme toutes les formes de lumière, donc les trains d'ondes correspondront. Mais s'ils ont parcouru une distance différente, ils seront déphasés, ils interféreront l'un avec l'autre - on appelle ce phénomène « interférence », c'est pourquoi ces choses sont appelées interféromètres laser. Un interféromètre laser est donc une chose intéressante à avoir si vous voulez essayer d'attraper une onde gravitationnelle. N'oubliez pas qu'il s'agit de signaux incroyablement minuscules, donc ce sera un énorme défi technique d'en construire un. Einstein a donc dit que lorsqu'une onde gravitationnelle passe, elle va étirer et comprimer l'espace-temps dans notre voisinage, mais d'une quantité incroyablement minuscule. Nous essayons donc d'utiliser le faisceau laser et son modèle d'interférence pour nous dire si une onde gravitationnelle est passée. Mais il faut vraiment pousser l'expérience à une autre taille. Et c'est là que LIGO entre en jeu - Observatoire des ondes gravitationnelles par interférométrie laser. Il s'agit du projet scientifique le plus ambitieux et le plus sophistiqué jamais entrepris par la National Science Foundation aux États-Unis. En fait, il y a deux LIGO. Il y en a un en Louisiane et un autre dans l'État de Washington. Et avec deux autres interféromètres, GEO en Allemagne et Virgo en Italie, c'est notre système d'alerte pour les ondes gravitationnelles. Ils sont construits dans des endroits plutôt isolés, et je pense que leurs voisins ne comprennent pas vraiment leur utilité. Un collègue du LIGO passait en avion au-dessus du site de Livingston ; une passagère a vu le détecteur et a dit : « J'ai une théorie sur ce système. C'est une machine secrète gouvernementale à remonter le temps. » Il ne savait pas trop comment répondre, mais il a dit : « OK, mais pourquoi elle a une forme de L ? » Et elle a dit : « Ah, ils doivent bien revenir. » (Rires) Le voyage dans le temps est vraiment de la science-fiction, mais les ondes gravitationnelles, nous espérons que dans quelques années, ce sera un fait scientifique. Maintenant, c'est difficile. Ces effets minuscules que nous essayons de mesurer pourraient être cachés par des perturbations dues aux secousses au sol ; pas à cause de ce qu'il se passe dans l'univers, mais à cause de phénomènes beaucoup plus banals ici sur Terre. Il faut donc mettre les miroirs sur des systèmes d'amortisseurs très complexes qui repoussent les limites de la technologie des matériaux. Même les vibrations de l'air dans le rayon laser pourraient masquer le signal, nous devons donc envoyer les lasers dans le système de vide le plus poussé au monde, seulement un millième de milliardième de la pression atmosphérique terrestre. Réunissez tout ça, dépensez quelques centaines de millions de dollars, et espérez que vous allez les trouver, mais il faut beaucoup de scientifiques pour le faire. À Glasgow, nous faisons donc partie de la collaboration scientifique LIGO. Plus de 900 scientifiques et ingénieurs dans le monde entier sont à la recherche d'ondes gravitationnelles. Nous n'en avons pas encore trouvé, mais avec plusieurs détecteurs - ce n'est pas « un acheté, un offert », c'est parce que si vous détectez un signal dans les deux détecteurs LIGO, cela aide à se convaincre qu'on a vraiment quelque chose. Et si on la voit aussi dans Virgo et GEO, c'est encore mieux. Nous allons donc très bientôt disposer d'un réseau mondial de détecteurs avancés, car les LIGO ne sont pas encore assez sensibles pour faire le travail. Mais nous leur donnons plus de miroirs lourds, des lasers plus puissants, de meilleurs amortisseurs, et nous espérons que d'ici 2016 environ, nous aurons un réseau d'interféromètres avancés pour la recherche des ondes gravitationnelles. Combien de temps devrons-nous attendre pour obtenir un signal ? Nous ne le savons pas vraiment, mais nous pensons que cela ne devrait pas dépasser quelques mois. Lors d'une conférence l'an dernier, un groupe en Pologne a essayé de proposer une date. Nous étions un peu ironiques quand nous avons prédit la date du 1er janvier 2017, car j'ai fait remarquer qu'il n'y aurait pas grand-monde au travail à Glasgow ce jour-là. (Rires) Mais les ondes gravitationnelles arrivent. On est sur le point d'ouvrir cette nouvelle fenêtre sur l'univers et c'est une période passionnante pour un astrophysicien. Merci beaucoup. (Applaudissements)