Bonsoir,
Il paraît que pour bien commencer
une conférence TED,
il faut commencer
par une phrase du genre
« Imaginez... » un truc inspirant.
Alors,
Imaginez
un virus
potentiellement mortel
qui se propagerait super facilement,
dans l'air, les objets...
Un virus qui muterait tellement vite
qu'on ne trouverait pas
de traitement efficace
ou de vaccin universel,
mais surtout un virus tellement sournois
que personne ne s'en méfierait.
Ça existe.
Ça s'appelle la grippe.
(Rires)
Un virus comme ça, vous me direz,
ce n'est pas très grave.
Sachez qu'un virus comme ça
peut ravager
la moitié de l'humanité
à la prochaine pandémie.
Mais je vois bien
ce que vous pensez.
« Mais non la grippe,
ça donne la fièvre et puis ça repart. »
Méfiez-vous !
Pas du tout.
La grippe saisonnière par exemple,
celle que vous attrapez en automne,
ça tue entre 250 000 et 500 000 personnes
chaque année en Île-de-France,
dans le monde, pardon !
(Rires)
Quand même.
C'était pas loin...
Ça touche surtout les personnes fragiles,
les bébés, les personnes âgées
ou les personnes immunodéprimées
dont le système immunitaire
ne fonctionne pas très bien.
Là, vous allez me dire :
« Je ne suis pas fragile, je m'en fiche. »
Ne faites pas trop les malins
parce qu'il y a d'autres virus :
les grippes pandémiques,
qui celles-là vont plutôt être mortelles
pour des jeunes en forme
dont le système immunitaire va très bien.
J'en vois qui se dise
que la roue tourne...
Alors la grippe pandémique,
il y a un exemple : en 2009,
le virus H1N1 qui avait tué à l'époque
« que » 18 000 personnes dans le monde.
On a eu de la chance,
ça aurait pu être bien pire.
Par exemple, la grippe espagnole
en 1918 avait tué
entre 40 et 100 millions de personnes.
C'est une autre échelle.
Là aussi, vous allez me dire :
« En 1918 ils avaient peut-être
d'autres préoccupations que la grippe. »
Certes.
Cela dit, nous aussi avons
d'autres préoccupations que la grippe.
(Rires)
Je dis ça, je dis rien.
Aujourd'hui, on a aussi des traitements
qu'on donne aux personnes infectées
mais ils ne sont pas très efficaces,
du moins pas assez efficaces
pour qu'on puisse dire
qu'on sait guérir la grippe.
On a aussi des vaccins, ceux qu'on vous
propose tous les ans en automne
mais là aussi, il y a un mais.
Ces vaccins protègent contre 3 virus
dont on prédit
que ce sont les plus susceptibles
de vous infecter cet automne.
Mais si on se plante,
et qu'un nouveau virus arrive,
vous avez beau être vacciné,
vous êtes malade quand même.
Si ce nouveau virus qui arrive
est une grippe pandémique,
donc la très dangereuse,
on peut mettre au point un vaccin
spécifiquement
pour cette grippe pandémique,
comme on l'a fait en 2009.
Qui parmi vous s'est fait vacciner
en 2009 contre le virus H1N1 ?
Au moins une dizaine.
A la prochaine pandémie,
90 % de l'amphi est infecté
et on n'a pas de traitement pour eux.
Voilà !
Vous pensez : « Que font les chercheurs ?
Pourquoi ils ne trouvent pas
un traitement
ou un vaccin universel ? »
On essaye, mais pour l'instant,
on est comme qui dirait
face à nos limites !
Je suis dans le thème !
Et on va tous mourir par contre !
(Rires)
(Applaudissements)
Là, j'ai mis une bonne ambiance.
Normalement, c'est là
où vous avez besoin
que j'enchaîne sur un truc positif.
Rassurez-vous, parce que pendant ma thèse
avec les chercheurs
avec qui je travaillais,
on a mis au point
un nouveau traitement innovant
qui marche contre
tous les virus de la grippe
et dont on espère qu'il sera
bientôt mis sur le marché.
C'est pas vrai !
(Rires)
Pas du tout !
Enfin si, on va tous mourir,
ça c'est vrai.
Mais le traitement, on n'a pas trouvé.
C'est ce que j'ai dit aux organisateurs
de la conférence
pour pouvoir vous parler ce soir.
(Rires)
J'avais envie...
Voilà... du coup il me reste 7 min...
Vous avez payé vos places,
je ne vais pas partir comme ça.
Je vais vous raconter ma vie.
Tenez, par exemple,
vous devez vous demander :
« Cette jeune chercheuse
passionnée par ces virus,
elle a dû toujours
vouloir devenir chercheuse. »
Eh bien pas du tout !
Figurez-vous que moi, depuis toute petite,
je rêvais de devenir vétérinaire.
J'avais fait une prépa
et j'ai raté le concours.
Après j'ai fait
une école d'ingénieur agronome,
car dans agronome,
il y avait animaux d'élevage.
Ça serait pas mal !
J'ai envisagé un peu tous les trucs
qu'on me proposait, sauf la recherche !
Parce qu'à l'époque la recherche,
ça ne m'inspirait pas trop.
En deuxième année d'école,
on nous disait :
« Faut que tu partes à l'étranger
pendant 6 mois,
faire ce que tu veux,
mais à l'étranger. »
Mon deuxième rêve dans la vie,
après devenir vétérinaire
- ça c'était foutu -
c'était d'aller vivre au Québec.
Donc j'ai cherché un stage au Québec
et j'ai trouvé un stage
de recherche.
Raté.
La recherche, le Québec.
La recherche, le Québec.
Bah le Québec !
Je suis donc partie au Québec
et j'ai découvert qu'en fait
la recherche, c'est trop cool.
Je ne sais pas si on vous l'a dit
mais c'est vraiment sympa, la recherche.
Je suis rentrée en France et j'ai décidé
de faire de la recherche.
J'ai cherché un stage
puis une thèse à l'INRA,
l'Institut National
de Recherche Agronomique
qui travaille sur des espèces agronomiques
et sur leurs maladies, comme la grippe.
J'ai pu faire une thèse en immunologie.
J'étais contente.
à un détail près :
c'est que quand on fait
une école d'ingénieur agronome,
on n'apprend pas l'immunologie.
Je ne comprenais rien.
(Rires)
Je suis arrivée dans un labo
avec plein de chercheurs
experts de leur domaine
qui me parlaient de plein de trucs
et je ne comprenais rien.
Comme quand votre petite nièce
commence à vous expliquer
que pour faire évoluer un Pokemon Psy,
il faut utiliser une pierre Lune
et vous la regardez
en faisant : « Ah ! »
Vous ne comprenez rien.
J'ai fait ça pendant six mois.
Bon évidemment, au bout d'un moment,
j'ai fini par comprendre et surtout
par parler la langue des immunologistes
et là, phénomène bizarre,
c'est quand moi je parlais
à d'autres personnes
que ces personnes
ne comprenaient plus rien.
Je devais leur dire des trucs
qui étaient probablement intéressants
et eux ils devaient comprendre :
« Tu vois, pour faire évoluer
ton pokemon psy
il faudrait prendre une pierre Lune. »
Ça, c'était jusqu'à au jour
où j'ai participé
à un concours de vulgarisation,
où je devais expliquer
ma thèse en 180 secondes.
Ça fait trois minutes, ne calculez pas.
Je devais faire en sorte qu'elle soit
compréhensible par tout le monde.
Ça a marché : tout le monde a compris
et tout le monde s'est intéressé
à ce que je faisais.
Ça m'a plu.
Depuis, je fais de la vulgarisation
à côté de mon travail.
On m'a proposé de faire
une conférence TEDx par exemple.
Ça s'est bien passé.
Et puis ensuite on fait
de la vulgarisation
avec des amis sur YouTube,
où on explique le système immunitaire
de façon un peu pointue mais pas trop,
mais un peu quand même.
Et voilà !
Pourquoi je vous raconte ça ?
Pas pour faire de la pub
pour ma chaîne YouTube,
mais parce que je vais quand même
vous raconter
ce que j'ai fait pendant ma thèse.
Il me reste 4 min 30.
Je vais vous expliquer.
Pendant ma thèse,
on a travaillé sur une espèce
que vous connaissez sûrement tous,
Sus Scrofa, non ?
Pour les non initiés,
on appelle ça le cochon.
Le cochon qui comme chacun sait,
est un excellent modèle biomédical,
tant au niveau physiologique
que génétique,
ou autrement dit :
tout est bon dans le cochon !
Le cochon, notamment,
attrape la grippe, comme nous.
Il a les mêmes symptômes que nous :
de la fièvre, une perte d'appétit, etc.
En plus, il peut attraper les mêmes virus
que nous, voire nous les transmettre.
Donc comprendre comment
fonctionne la grippe chez le cochon,
ça nous permet
de mieux comprendre
comment fonctionne la grippe chez l'homme.
Et pour comprendre
comment fonctionne la grippe,
il faut aussi comprendre
comment fonctionne le système immunitaire
qui se bat contre la grippe.
C'était le sujet de ma thèse :
comprendre comment le système immunitaire
du cochon se bat contre la grippe.
Au début de ma thèse,
on savait déjà des choses
surtout chez la souris.
Par exemple,
on savait que dans le poumon,
on a des murs de cellules
qui ressemblent à ça : les épithélium,
qui protègent l'intérieur
du corps de l'air l'extérieur.
Quand la grippe entre dans le poumon,
elle infecte les cellules
de ce mur et elle les tue.
Ça fait des trous, ça fragilise le poumon
et si le système immunitaire est en forme,
ce n'est pas un problème,
il va réparer ces trous
et se battre contre la grippe.
Mais si le système immunitaire
est affaibli
comme je le disais
pour la grippe saisonnière,
là ça pose problème.
Mais surtout,
avec une grippe pandémique
- rappelez-vous,
la grippe plus dangereuse -
cette grippe va infecter
beaucoup de ces cellules
et en tuer beaucoup.
Ces cellules vont appeler à l'aide,
c'est ce qu'on appelle l'inflammation.
Là, le poumon se transforme
en champ de bataille.
Les défenses,
c'est le système immunitaire.
Il y a par exemple des brancardiers :
les macrophages qui vont évacuer
les cellules mortes et calmer les blessés,
donc qui calment l'inflammation.
Il y a aussi des sentinelles :
les cellules dendritiques qui elles,
repèrent les virus et foncent
prévenir l'armée des lymphocytes
pour qu'elles viennent se battre.
Et surtout, chez la souris on a trouvé
des jeunes soldats : les monocytes
qui se baladent dans le sang
et quand ils entendent
des appels à l'aide, ils débarquent
pour essayer d'aider
comme ces cellules dendritiques
qui peuvent sauver l'organisme.
Oui mais voilà.
Ces jeunes soldats n'ont jamais
connu la guerre.
Devant l'horreur du champ de bataille,
tous ces cadavres et tous ces ennemis,
ils paniquent.
Ils appellent eux aussi à l'aide.
Ça devient un cercle vicieux,
de plus en plus de soldats,
qui appellent à l'aide,
puis de plus en plus de soldats.
C'est le système immunitaire lui-même
qui se met à faire
des dégâts à l'organisme.
Ce n'est pas le virus qui est dangereux.
C'est la réponse immunitaire.
C'est ce qui se passe chez la souris.
Ça vous fait une belle jambe,
mais c'est important.
Chez la souris, on s'est rendu compte
que si on réduisait le nombre
de ces jeunes soldats,
la grippe n'était plus dangereuse.
C'est une idée de traitement.
Pour éviter que la grippe soit dangereuse,
cibler des cellules du système immunitaire
C'est sympa, ça marche chez la souris.
Je vous rappelle que la souris,
c'est grand comme ça,
surtout petit détail qui a son importance
quand on travaille sur la grippe :
la souris n'attrape pas la grippe.
(Rires)
Voilà.
C'est bête mais il faut y penser.
Il faut l'infecter avec des virus
spécialement adaptés et même là,
elle n'a pas les mêmes
symptômes que nous.
Ce traitement, c'est bien joli mais est-ce
que ça marcherait chez nous ?
La question à se poser :
« Est-ce que ça marcherait
chez une espèce
qui elle attrape la grippe
et réagit comme nous ? »
comme
le cochon !
Donc j'ai fait ça pendant ma thèse.
J'ai essayé d'identifier toutes
ces cellules dans le poumon du cochon.
J'ai notamment identifié
ces jeunes soldats
qui existent aussi chez le cochon
et qui ont l'air, là aussi,
de participer à l'inflammation.
Visiblement, on a trouvé
une cible thérapeutique potentielle
pour se battre contre la grippe
chez une espèce qui attrape la grippe.
Et c'est gagné !
Non !
Mais on a bien avancé !
Maintenant qu'on connaît ces cellules,
on va pouvoir mieux comprendre la grippe
mais aussi
d'autres maladies respiratoires.
Chez le cochon mais par extension
aussi chez l'homme.
Surtout, ce principe
dont je viens de vous parler,
de ne pas forcément cibler le méchant
mais plutôt essayer de comprendre
ce qui se passe dans le système
immunitaire et de le régler,
ça s'appelle les immunothérapies.
C'est un peu les traitements du futur.
En ce moment, c'est développé
contre plein de maladies,
comme les allergies, mais surtout
contre plein de type de cancers.
Retenez ça, en partant ce soir :
à l'avenir, avec les traitements du futur,
on n'essayera plus forcément de tuer
le méchant qui vous attaque,
on essaiera plutôt de comprendre
ce qui cloche chez nous et de le corriger.
C'est une superbe métaphore politique,
vous ne trouvez pas ?
(Rires)
Là, on sort un peu de mes compétences
de chercheuse en immunologie
et de dresseuse de Pokemons.
J'ai fini.
(Applaudissements)