45 mètres de haut,
Je vous présente, l'empereur,
4 mètres de circonférence.
Impressionnant, n'est-ce pas ?
Il a 250 ans.
Cela veut dire que ce sapin est né
avant la Révolution Française.
Il a 35 ans lorsque Beethoven
compose « l'Hymne à la joie »,
100 ans lors de l'Exposition
Universelle de Paris,
200 ans lors de la rédaction
de la Déclaration Universelle
des Droits de l'Homme.
Il surplombe les cent hectares
d'une forêt que je gère.
Imaginez un instant...
Depuis que sa graine a germé,
il a connu mille saisons,
250 fois la douceur printanière,
puis la chaleur, la sécheresse estivale.
Il a vu 250 fois ses copains, les hêtres,
perdent leurs feuilles,
puis la rigueur de l'hiver,
le vent, le froid, la neige.
En fait, dans mon métier
de gestionnaire forestier,
j'ai un rapport au temps un petit peu
différent de la plupart d'entre vous.
Quand je coupe un arbre qui a 200 ans,
je visualise la trouée,
la clairière que cela va créer,
les graines qui vont ainsi germer,
pousser, grandir,
et devenir des arbres.
Je visualise mon action à l'échelle
d'un arbre et du massif forestier,
mais surtout, je suis amené
à travailler ma longueur de vue.
Qu'est-ce qui fait que ces graines
une fois devenues arbres,
composeront la forêt de demain ?
Je prévois mes actions, mes interventions
dans un plan de gestion,
un plan de vie, si vous préférez,
à un an, cinq ans, trente ans, cent ans.
Mon horizon, c'est le siècle.
Qu'est-ce que cela m'apprend ?
C'est tout d'abord l'humilité,
l'honnêteté intellectuelle.
Je ne triche pas avec le temps.
Je ne peux pas tirer sur l'arbre
pour qu'il pousse plus vite.
Je dois composer avec un existant
que la nature et les forestiers
ont forgé au fil des siècles avant moi.
Mon action est de poursuivre
cette œuvre pour les siècles à venir,
tout en fournissant à l'homme
le bois dont il a besoin.
Et ma responsabilité,
au moment de faire mes choix,
est de respecter
l'histoire de chaque forêt.
Qu'est-ce qui va lui être utile ?
Qu'est-ce qui va galvaniser
sa force collective ?
Car une forêt,
c'est d'abord une société.
C'est un arbre,
plus un arbre, plus un arbre,
exactement comme les gouttes d'eau
font les grandes rivières, les fleuves,
puis les océans.
Chaque arbre apporte ce qu'il peut
et prend ce dont il a besoin
ni plus, ni moins.
L'immobilité des arbres laissent croire
qu'ils sont dans l'inaction,
alors qu'ils sont
dans l'action permanente.
Ils tendent leurs feuilles,
leurs branches, leurs cimes,
vers la lumière à chaque instant.
Ils captent le moindre photon.
Ils captent la moindre goutte d'eau
pour se développer
et renforcer leurs racines et leur tronc.
Chaque arbre est utile à sa manière.
L'un apporte de l'ombrage,
l'autre sa protection contre le vent,
celui-ci ses feuilles pour l'humus,
celui-là ses racines
pour aller capter l'eau en profondeur.
Tous produisent de l'oxygène,
dépolluent l'air,
purifient l'eau, fixent les sols,
régulent le climat,
produisent des fruits, du bois,
et participent à l'équilibre
de la forêt et du monde.
Chacun apporte ce qu'il peut.
Mais l'arbre ne constitue pas la forêt.
Il fait partie du peuplement.
Il apporte sa volonté, son élan vital.
Dans mon quotidien, j'ai constaté
que la force d'une forêt
est dans la symbiose,
une association intime et durable
entre les individus,
une communauté d'intérêt si vous préférez.
J'ai pu voir comment les arbres
sont en synergie.
Les petits hêtres poussent
sous le couvert des vieux sapins,
et les petits sapins poussent
sous le couvert des vieux hêtres.
Mais il existe aussi des rapports
de concurrence, de compétition,
dès le plus jeune âge,
pour finalement trouver leur place
de dominant ou de dominé,
à l'âge adulte, dans le peuplement.
Puis, ces rapports glissent
vers des phénomènes d'interaction,
de coopération.
Les dominants protègent alors les dominés.
Les dominés assurent la stabilité
du peuplement contre le vent.
Moi, ce que j'ai pu constater,
c'est que la force d'une forêt
n'est pas dans l'uniformité,
mais dans la diversité.
Alors, avec un siècle pour horizon,
quelles vont être mes actions
pour favoriser cette symbiose ?
Ici, j'ai fait une coupe
et sa lumière a permis
aux graines de germer.
Ailleurs, j'ai fait une éclaircie
et cela a renforcé le tronc
des arbres contre le vent.
Ailleurs, j'ai sélectionné des arbres
pour produire du bois de charpente.
Cela peut paraître surprenant,
mais quand on coupe un arbre,
on fait croître le potentiel
global de la forêt.
A chaque action, j'ai choisi
qui garder, qui faire tomber.
Cela m'oblige à une prise de recul
importante dans mes décisions.
Je dois sans cesse
affûter mon sens de l'observation,
voir la forêt dans sa globalité,
et apprendre son fonctionnement.
La forêt est mon école de vie.
Elle m'a aidé et m'aide
à mieux comprendre le monde
et moi-même aussi parfois.
Moi, j'y vois des itinéraires
de vie humaine.
Certaines graines ont poussé loin
de leurs parents.
Elles sont légères.
Le vent, les oiseaux
les ont emportées loin.
Elles sont frugales, se satisfont
de peu de richesse dans le sol
pour se développer et créer
un peu d'ombrage à leurs enfants
et créer une nouvelle communauté.
D'autres graines, plus lourdes,
tombent aux pieds de leurs parents
et poussent dans leur giron,
protégées et en même temps,
sous une tutelle qui les oblige
à se frayer un chemin
entre les branches parentales,
pour aller trouver la lumière.
Quand je vois la taille d'une graine,
et qu'avec un peu de terre,
d'eau et de lumière, ça fait ça...
C'est magique !
C'est fascinant !
Nous sommes comme ces graines :
nous avons un potentiel de géant en nous,
et elles nous montrent qu'il faut peu
pour faire de grandes choses :
un but - capter la lumière -
et l'enthousiasme d'aller
plus loin, plus haut, chaque jour,
pendant mille saisons.
Alors et moi, quel est mon but ?
Quel est mon plan de vie ?
Qu'est-ce qui fera que mes actions
seront bénéfiques aux autres,
à notre avenir et à celui de nos enfants ?
Pour moi la vie avant,
c'était trouver un équilibre
dans l'alternance
entre profiter et travailler,
deux éléments pour moi,
opposés, contraires.
Profiter, c'est brûler la chandelle
par les deux bouts,
s'amuser... la fureur de vivre.
Alors que travailler,
c'est fastidieux, laborieux,
ce n'est pas très excitant !
L'arbre m'a montré une troisième voix :
construire.
Je peux avoir un épanouissement.
Je peux avoir un accomplissement
dans la construction, même partielle,
d'une œuvre plus grande que moi,
et que je ne verrai pas achevée.
Chaque jour, je sais que mon action
m'apporte de l'enthousiasme,
parce qu'elle s'inscrit dans quelque
chose d'à la fois naturel,
mais aussi d'immense.
Allez voir les arbres !
Laissez-vous porter par leur majesté,
par ce sentiment d'éternité
qu'ils dégagent,
cette énergie calme et déterminée.
Regardez leur diversité
et leur complémentarité.
Et moi, et vous,
comme l'empereur
et ses copains, les hêtres,
que construisons-nous ?
Quel est notre but ?
Quel est notre plan de vie en sorte ?
Avec un siècle pour horizon,
soyons des arbres.
Ensemble, soyons une forêt !
Merci.
(Applaudissements)