Bonjour. Comment allez-vous ? Ils ont pris mon badge mais je voulais vous demander : quelqu'un a-t-il écrit son nom sur son badge en arabe ? Quelqu'un ? Personne ? Ok, alors... Ce n'est pas très grave. Il y a peu de temps et pas très loin d'ici, je suis allée dîner dans un restaurant avec une amie. J'ai demandé au serveur : « Avez-vous la liste de plats ? » il me regarde curieusement, pensant ne pas avoir bien entendu et il a demandé : (Anglais) « Pardon ? » Donc j'ai répété : « La liste de plats, s'il vous plaît. Vous savez ce que c'est ? » « Oui, je sais. On appelle ça (Anglais) un menu ou (Français) un menu. He, viens voir qu'est-ce qu'elle veut ? » Il semblait dégoûté. Bien qu'il me draguait, il se disait : « Je ne la regarderais pas même si elle était la dernière fille sur Terre. La liste de plats ? C'est quoi ça ? » Ces deux mots sont suffisants quand on est un Libanais pour juger une femme dans son restaurant comme arriérée ou ignorante. « Comment ose-t-elle parler de cette manière ? » Alors, ça m'a fait réfléchir. Je me sentais mal. Oui, bien sûr, je me sentais blessée. Je n'avais pas le droit de parler ma langue maternelle dans mon pays. Comment est-ce possible ? Comment en est-on arrivé là ? Nous ici, et beaucoup comme moi, peuvent atteindre un point dans leur vie où ils oublient tout ce qui est déjà arrivé, seulement pour prouver qu'ils sont contemporains et civilisés. Vais-je oublier ma culture et toutes mes pensées, toutes mes connaissances et tous mes souvenirs ? Peut-être que les histoires d'enfance sont les plus beaux souvenirs de la guerre. Vais-je oublier tout ce que j'ai appris en arabe juste pour m'intégrer ? Juste pour me fondre dans la masse ? Est-ce logique ? Néanmoins, j'ai essayé de le comprendre. Je ne veux pas le juger de la même manière que lui m'a jugée. L'arabe ne répond pas à nos besoins, Il n'y répond pas. Ce n'est ni une langue de recherche, ni de production scientifique, ni même une langue dont vous aurez besoin à l'université ou au travail. Nous n'aurons pas besoin de connaitre l'arabe pour les recherches avancées et bien sûr, elle n'est pas demandée dans les aéroports parce que si nous parlons arabe, ils nous mépriseront. Où alors doit-on l'utiliser ? On peut se le demander. Vous voulez parler arabe ? Où va-t-on l'utiliser ? D'accord, c'est une réalité existante mais il y a une réalité plus importante qu'il faut prendre en compte. La langue arabe, notre langue maternelle - selon des recherches abondantes, pour parler couramment d'autres langues, il faut d'abord maîtriser sa langue maternelle. Être créatif quand on parle une langue étrangère a pour pré-requis la bonne acquisition de la langue maternelle. Comment ça se passe ? Quand Gibran Khalil Gibran a commencé son parcours, il a commencé à écrire en arabe. Ses idées, son imagination, sa doctrine, sa métaphysique, sa philosophie, il a pris tout cela de cet enfant qui s'est assis au village et qui s'est habitué à une certaine odeur, à une certaine voix et à une certaine pensée. Alors, quand il a commencé à écrire en anglais, il avait une connaissance fine de ses pensées et ressentis. Même quand il écrit en anglais, en lisant ses écrits en anglais, on sent la même odeur, on éprouve les mêmes impressions, on peut figurer que c'est la même personne qui excelle en anglais et celui qui vit à la campagne, dans un village à Mont-Liban. En voici un exemple qui ne peut être réfuté. Ensuite, il est dit : si vous voulez tuer une nation, la seule façon de le faire est de tuer sa langue. Et ce fait est connu des nations développées. Les Allemands, les Français, les Japonais, les Chinois, toutes ces nations sont conscientes de ce fait. C'est pourquoi elles adoptent des lois pour protéger leur langue. C'est pourquoi ils la sanctifient. C'est pourquoi elles produisent et dépensent beaucoup d'argent pour la développer. En savons-nous plus qu'eux ? D'accord, nous ne sommes pas un pays développé, sans aucun accès à une réflexion aussi avancée mais nous voulons rattraper ce monde civilisé. Des pays comme nous ont décidé maintenant de développer, de faire des recherches et de rattraper ces pays. Comme la Turquie, la Malaisie et d'autres. Ils utilisent leur langue pour s'élever comme si c'était un diamant. Ils l'ont préservée et elle est proche d'eux. En effet, un produit provenant de Turquie, ou d'un autre pays, sans un mot de turc dessus, ce n'est pas un produit turc. Vous ne croiriez pas qu'il s'agit d'un produit local. On le consommerait stupidement comme nous le faisons la plupart du temps. Donc, pour innover et produire, ils ont dû préserver leur langue. Si je dis « Liberté, souveraineté, indépendance », comme on dit en arabe, qu'est-ce qui vous vient à l'esprit ? Rien ? (Rires) Peu importe qui, comment, et pourquoi, mais savez-vous que la langue n'est pas un discours et quelques mots qu'on prononce, jamais ! La langue représente des phases particulières de notre vie auxquelles nos émotions se rapportent grâce aux mots. C'est pourquoi, en disant « Liberté, souveraineté, indépendance », chacun d'entre vous a une certaine image qui lui vient à l'esprit. Avec certains mots et sentiments pour un certain jour ou une période historique. La langue ne se limite donc pas à l'alignement de lettres et de mots. C'est une idée intérieure liée à notre façon de penser et à la façon dont nous percevons autrui et dont les autres nous perçoivent. Quel est notre matériel intellectuel ? Pourquoi dit-on que cette personne sait et une autre ne sait pas ? Donc, quand je vous dire (Anglais) « Liberté, Souveraineté, indépendance »... ou quand votre fils vous dit : « Vous suivez toujours ce truc de liberté, ce symbole », que ressentez-vous ? Si vous vous sentez bien, très bien, on n'aura plus de problèmes. Vous allez devoir être indulgent avec moi parce que je vais dire n'importe quoi. L'idée est que ces expressions nous rappellent certaines choses. Mon amie est francophone et elle est mariée à un Français. Je lui demandais comment elle allait et elle a dit que tout allait bien sauf une fois où elle a passé une nuit entière à essayer de lui traduire ce que signifie « To'borni » [NdT : « Je mourrais pour toi. »] (Rires) (Applaudissements) Parce qu'elle lui a dit « To'borni » par erreur, il se demandait : « Qui peut être aussi brutal ? » ou peut-être voulait-elle se suicider ? « M'enterrer » par exemple ? C'est quelque chose de vraiment bénin mais regardez combien cela nous fait nous sentir impuissant. Je ne peux pas dire ce mot doux à mon mari parce qu'il ne le comprendra pas. Et il a raison, c'est ainsi qu'il pense. Puis elle m'a dit qu'il écoutait les chansons de Fairouz. Mais une nuit qu'il était assis à côté d'elle, elle a essayé de lui traduire les paroles Pour qu'il puisse ressentir ce qu'elle ressentait en écoutant Fairouz, elle voulait traduire. « J'ai tendu la main et je t'ai volé. Et parce que vous leur appartenez, voilà la catastrophe, « J'ai retiré mes mains et je t'ai abandonné » Traduisez-moi cela. D'accord. Qu'avons-nous fait pour protéger la langue arabe ? Nous avons fait de ce sujet une question de société civile et nous avons lancé une campagne pour protéger la langue arabe même si beaucoup de gens me l'ont dit : «Ne vous embêtez pas avec ça » ; pas de problème. La campagne lancée avait un slogan qui dit : « Je vous parle depuis l'orient et vous me répondez de l'occident ». On n'a pas dit : « Non, nous ne sommes pas d'accord, nous sommes notre langue ». Nous n'avons pas fait cela car nous ne comprendrons pas les choses de cette façon. Et si quelqu'un vient me voir et affirme haïr l'arabe, nous disons que... Nous essayons d'accepter notre réalité et nous nous convainquons d'une manière qui imite nos rêves et nos ambitions. Comme une façon de s'habiller, on pense selon cette mode. Alors : « Je vous parle depuis l'orient et vous me répondez de l'occident » a mis le doigt sur le problème. Quelque chose de vraiment simple mais innovant et convaincant. Après cela, nous avons lancé une campagne avec des lettres sur les trottoirs. Vous l'avez vu dehors. Une lettre entourée d'une bande jaune et noir et il est écrit : « Ne tuez pas votre langue ». pourquoi ? Sérieusement, ne tuez pas votre langue. Nous devons tous éviter de tuer notre langue car si nous la tuons, nous devrons revenir en arrière et rechercher une identité. Il faudra chercher l'existence. Nous devons repartir de zéro. Et ce n'est pas tout, nous ne pourrons pas être civilisés et contemporains. Puis nous avons pris des photos de jeunes gens et de jeunes filles embrassant une lettre arabe. Des photos « cool » de jeunes gens, parce que nous sommes très « cool ». Et si on vous a surpris à dire cool en anglais, J'adopte le terme «cool» . Laissez-les venir et faire tout ce qu'ils veulent faire. Qu'ils me donnent un meilleur mot qui fonctionne mieux sur notre réalité. Je continuerai à dire « Internet ». Je ne dirai pas : « une la toile d'araignée » parce que ça ne marche pas. Nous ne nous faisons pas d'illusion. Mais pour y arriver nous devons tous être convaincus. Nous ne voulons pas jouer à qui est le meilleur. Nous pensons que la langue a ce pouvoir de nous faire penser et de ressentir d'une façon qui nous fait vibrer. L'idée ici est l'innovation. On innove, même si on n'a pas les moyens de construire une fusée et voler. Chaque personne ici est un projet novateur. L'innovation dans la langue maternelle est la voie. Commençons dès maintenant. Écrivons un roman. Produisons un court métrage. Un seul roman peut nous rendre célèbres dans le monde. Il peut ramener la langue arabe à la première place. Le manque de solutions n'est pas le problème. Certes, il y a des problèmes. Mais faisons attention et soyons convaincu qu'il doit y avoir une solution. Et nous devons faire partie de cette solution. Pour conclure, que pouvez-vous faire aujourd'hui ? Maintenant ? Tweetez ! Qui est en train de tweeter ? Je vous en prie. Vraiment, allez-y, même si le temps est presque terminé. En arabe, anglais, français ou même en chinois. Mais n'écrivez pas « Ma'oul ». (raisonnable) comme « Ma32oul ». Car c'est une catastrophe. Ce n'est pas une langue. Vous entrez dans une langue virtuelle et un monde virtuel et personne ne nous fera quitter cet endroit. C'est la première étape pour changer. Deuxièmement, il y a beaucoup de choses que nous pouvons faire. Aujourd'hui, personne ne convainc personne et nous sommes ici pour être vigilants sur le sujet. Maintenant je vais vous confier un secret. Dès la naissance, un bébé est capable de reconnaitre son père à travers sa langue. Donc, une fois que ma fille est née Je lui dirai ceci, en arabe : « C'est ton père, ma chérie ». je ne lui dirai pas : « This is your dad honey ». Et dans le super marché, Je promets à Noor que si elle me remercie Je ne lui dirais pas : « Dis merci à maman. » Et j'espère que personne ne l'entendra. Abandonnons notre complexe de l'étranger.