Il y a trois ans, j'ai débuté le Projet de Récupération de Pellicules. Cela consiste à chercher partout dans le monde des pellicules exposées qui n'ont pas été développées. Puis je développe la pellicule pour tenter de récupérer les clichés qui subsistent. Du coup, je suis la première personne à voir ces images, et j'investis des heures innombrables et des milliers de dollars pour obtenir, développer et scanner les pellicules, et à ce jour, nous avons récupéré plus de 25 000 clichés. Les images dans les archives vont des années 40 jusqu'à la fin des années 2000. Chaque image que nous allons observer aujourd'hui fait partie de l'archive du Project de Récupération. Et beaucoup d'entre elles, à ce jour, n'ont jamais été vues, à part par moi. Alors quand je développe ces pellicules, et je scanne les images, et je les vois pour la première fois, les mêmes questions se bousculent dans ma tête sans cesse, peu importe ce que représente l'image : pourquoi n'a-t-on jamais développé cette pellicule ? Qu'est-il arrivé au photographe ? Où est-il maintenant ? Malheureusement, pour la plupart de ces photos, ces questions demeurent sans réponse. Mais en voyant ces images, beaucoup d'entre vous devez vous demander : « Et alors? Ce sont juste des photos fortuites prises au hasard, de gens que je ne connais pas et dont je me fiche. » Mais prenez un moment pour un autre point de vue, et observez alors ces photos comme si vous les voyiez dans 50 ans. Je ne fais pas ça pour trouver des images qui altèrent le cours de l'histoire, mais je le fais car que nous en soyons conscients ou non, chaque photo que nous prenons témoigne de notre histoire collective en tant qu'êtres humains. Vous voyez, nous prenons des photos pour nous, des moments qui comptent, mais à cet effet, nous créons aussi un aperçu de ce que c'est que d'être en vie actuellement. Les habits que nous portons... Ce qui nous stimule – les anniversaires apparemment... Où nous allons... Et de ce que nous considérons important. Mais en regardant ces photos maintenant, vous réalisez que vous n'étiez jamais censés les voir. Je n'étais jamais censé les voir. Car toutes ces photos ont été exposées sur pellicule, et vous ne les auriez jamais vues à moins que vous n'ayez une connexion réelle et personnelle avec le photographe. Si vous étiez chez lui, en feuilletant ses albums photos ou en les voyant accrochées au mur. Mais aujourd'hui, nous prenons des photos en sachant – voire en espérant - que de parfaits inconnus les verront, les aimeront, les diffuseront. Des inconnus. Alors qu'on prenait ces photos, imaginer que de parfaits inconnus les voient aurait sembler si étrange. (Rires) Mais de nos jours, cela semble banal. Quand j'ai lancé le Projet de Récupération des Pellicules, mon but initial était de reconnecter ces images avec les photographes. De nos jours, à cause - De nos jours, à cause de ceci, nous prenons des photos de façon fulgurante. A cause de ceci, Internet et les médias sociaux ont changé les raisons pour lesquelles nous prenons des photos. Nous pouvons présenter nos vies exactement comme nous le voulons. Nous prenons 15 photos et en mettons une en ligne – celle qui est parfaite – et nous rejetons le reste. Comparée aux normes d'aujourd'hui, cette photo n'est pas parfaite. Presque personne ne regarde l'appareil ou n'y prête attention. (Rires) De nos jours, elle ferait surement partie des 15 images rejetées. Mais cette photo est honnête, authentique, elle représente réellement et exactement ce moment précis dans la vie de ces gens. En ce temps-là, cette photo étant exposée sur pellicule, elle n'aurait pas été rejetée. Voilà pourquoi je fais ce que je fais. Alors pourquoi ne jetons-nous pas des photos ? De véritables photographies, les planches de négatifs. Pourquoi gardons-nous cette paire de pellicules, exposées autrefois, et sans arrêt déplacées d'un fourre-tout à un autre, des années durant, pourquoi ne pas s'en débarrasser ? Pourquoi observons-nous tous cette image ici, cet individu, en tentant de raconter son histoire, cet inconnu ? Pourquoi cela nous importe-t-il ? Et à vous ? Et à moi ? Parce que nous savons tous naturellement que les photos constituent l'histoire. Les photos sont de rares défenses contre le passage du temps. Ces photos sont peut-être les seules preuves de l'existence de ces gens. Et en cette période où nous rejetons des images sans hésitation, pour moi, c'est une véritable tragédie que les seules personnes conscientes de l'importance de ces images ne les verront sans doute jamais. Quand j'ai lancé le Projet de Récupération, mon but initial était de reconnecter les images avec leurs propriétaires, les photographes. Malheureusement, après trois ans et demi et 25 000 images développées, je n'y suis parvenu qu'une fois. Mais ce que j'ai remarqué, ici aussi, c'est que ces photos documentent notre histoire collective d'êtres humains, nous sommes tous liés, même de façon modeste, à tant de ces photos. À tant de ces expériences individuelles. Alors comme une famille de substitution, nous adoptons ces photos pour leur redonner un sens et pour les apprécier au nom de ceux qui ne peuvent plus le faire. Ma génération est la dernière à combler le fossé entre les mondes de l'argentique et du numérique. L'argentique existe toujours mais son utilisation est réservée aux photographes professionnels ou spécialisés. Nous l'utilisons rarement pour capturer les moments de notre quotidien. Les anniversaires... Noël... Halloween... Les vacances... Et bien sûr... Les chats. (Rires) Beaucoup, beaucoup de chats. (Rires) Et les chiens aussi. Ces moments sont les mêmes que nous prenions en photo autrefois, mais maintenant, nous en prenons beaucoup plus. Alors que la qualité de nos photos est supérieure grâce au numérique, en en prenant tellement, leur contenu semble quelque peu moins significatif. Si vous ne pouviez prendre que six photos, comment cela affecterait votre choix de sujet ? En perdant la connexion concrète de l'argentique, nous avons en fait perdu la connexion concrète avec notre passé. Nos vies sont désormais dans les photothèques numérisées dans nos téléphones et nos ordinateurs. Nous regardons toujours en arrière, mais jamais en avant ; le but est de saisir, mettre en ligne, passer à autre chose. Sans ces objets tactiles, ces photos, ces négatifs, ces diapositives, ces albums, nous ne regardons presque jamais nos clichés. Nous nous retrouvons à créer des moments parfaits à photographier, plutôt que de simplement vivre ce moment et prendre une photo pour le documenter. Ne pas se laisser emporter en essayant de saisir l'instant. Quand vous y réfléchissez, c'est logique, non? (Rires) N'oubliez pas, vos photos sont peut-être les seules preuves de votre existence. Alors bien entendu, nous voulons qu'elles dépeignent une belle vie, mais le portrait d'une vie et la présentation d'images séduisantes sont-ils plus importants que l'expérience véritable de cette vie et la création d'une collection d'images authentiques, vraies et fidèles à votre vie réelle. Alors la prochaine fois que vous prenez votre téléphone pour une photo, prenez juste un moment pour considérer ce que vous capturez. Constatez qu'il n'y a pas d'instants trop modestes, trop insignifiants, et comprenez que vos photos ne sont pas les vôtres. Vos photos seront utilisées – elles le sont – pour relater l'histoire plus vaste de qui nous sommes. Et mon souhait est que nous adoptions un peu la vision de l'argentique, cette mentalité, dans la photographie numérique. Et il y a deux moyens faciles de s'y mettre : premièrement, limitez-vous à ne prendre que six photos par jour, pas plus. Deuxièmement, si certaines ne sont pas « parfaites », ne les jetez pas. Mettez-les en ligne, diffusez-les, sauvegardez-les. Ainsi, nous commencerons à retrouver la signification de nos photos, marquant le début de la création d'une histoire collective vraiment authentique. Alors, avant que je ne quitte la scène, je crois que l'opportunité parfaite se présente pour prendre une photo. (Rires) Mode selfie... Allez, tout le monde dit « Cheese » ! Public : Cheese ! Merci. (Applaudissements)