Chaque homme, pour vivre, pour faire fonctionner son corps, a besoin d'énergie. Vous, moi, le réfugié qui se trouve en Syrie, chacun a besoin d'énergie. La quantité d'énergie dont on a besoin, je peux l'exprimer en une certaine quantité : 25 cl d'essence. C'est l'équivalent énergétique qu'on consomme tous les jours et dont on a besoin. La société, notre civilisation, a développé un ensemble de technologies qui nous permettent de garantir notre confort et qui va, en fait, dépenser beaucoup plus d'énergie. D'une part, on va produire des déchets : chacun d'entre nous produit 2 kg de déchets par jour dont 30 % sous forme de déchets organiques, qui est le résidu de la nourriture que l'on a absorbée, la nourriture que la nature nous a donnée. On va consommer de l'énergie : 5 litres de pétrole par jour en moyenne, en Suisse. Le problème, c'est qu'on le brûle et on hérite du CO2 : 14 kg par jour. Quatorze kilos par jour : imaginez, si c'était du solide, vous devriez partir, tous les matins, avec deux packs de six bouteilles d'eau et les mettre sur le trottoir. Quatorze kilos par jour, par chance, c'est du gaz, donc, ça part dans l'atmosphère, on ne le voit pas. On a trop tendance à l'oublier, mais il s'accumule dans l'atmosphère. Alors nous, on ne sent pas l'effet, mais Teddy-x qui est là, lui, observe déjà l'effet. On s'est dit que c'était important de sauver Teddy-x, de trouver une solution, et donc d'essayer de limiter les émissions de CO2. Pour ça, il faut étudier le système énergétique. Alors on a pris la Suisse et on a regardé où on consommait l'énergie : 47% de la consommation énergétique de la Suisse est pour nous chauffer, nous éclairer dans les bâtiments. Cette consommation énergétique est principalement en hiver - en hiver, il fait froid, on doit chauffer - et principalement sous forme de chaleur. Seulement 25 % de notre consommation énergétique est sous forme d'électricité ; le reste, c'est de la chaleur. À ces 47 %, je vais ajouter les besoins de mobilité qui dépensent 36 % et le moteur de notre société, l'industrie, qui, elle, a besoin d'une vingtaine de pourcents pour fonctionner. Le carré qui est là, c'est 100 litres d'essence par habitant, et chaque carré rouge est associé à une émission de CO2. Si on regarde la ville, elle a tendance à concentrer la population. On dit que, dans l'avenir, 75 % de la population vivra dans des villes. Si elle concentre la population, elle va occuper l'espace. À Genève, chaque mètre carré de surface au sol correspond également à un mètre carré de surface chauffée. Ça veut dire qu'on va dépenser de l'énergie. La valeur, si je prends la moyenne suisse, c'est 260 millions de litres par an pour la population du centre-ville de Genève. C'est un million de tonnes de CO2 qui est émis. La ville va également produire des déchets : 100 000 tonnes de déchets solides, plus 40 000 tonnes de déchets organiques, et elle a des opportunités. À Genève, on a le lac, d'une part, et d'autre part, on a du soleil qui éclaire toutes nos toitures. Si on transforme la quantité d'énergie qu'on reçoit tous les jours, en litres d'essence, on constate qu'on a 620 millions de litres d'essence qui nous arrivent sur le toit chaque année. On voit qu'on a plus d'énergie disponible que l'énergie qu'on consomme aujourd'hui. Alors on s'est posé la question avec mes collègues et des partenaires industriels, de savoir si on pouvait rendre la ville réellement autonome en énergie. « Autonome en énergie » veut dire qu'on voudrait bien ne plus avoir d'émission de CO2, ne plus devoir importer de l'énergie ; on voudrait bien également ne pas devoir abattre tous les bâtiments et tous les reconstruire, mais utiliser la ville telle qu'elle est ; et on voudrait bien évidemment ne pas se ruiner. Alors comment est-ce qu'on a fait ? En tant qu'ingénieur, la première chose, c'est regarder les besoins. On n'a pas besoin d'énergie et le mieux serait de ne pas en avoir besoin. On va regarder quelle est la quantité minimum dont on a besoin. On va appeler la science et la thermodynamique. Ce thermodynamicien français, qui est Carnot, a montré que pour chauffer un bâtiment à 21°C lorsqu'on a un environnement qui se trouve à 0°C, on a besoin d'acheter une unité d'énergie pour en délivrer 10. C'est un élément important car ça permet de nous guider et de nous donner une motivation. La motivation, elle se trouve où ? Si je regarde la quantité d'énergie que je dépense dans une très bonne chaudière qui a 90 % de rendement, qui utilise du gaz donc brûle et produit du CO2, je vois que pour la même quantité de chaleur, c'est-à-dire 10 unités, je dois en acheter 11. La question qui se pose, là, est de savoir pourquoi nous consommons 10 fois plus que le minimum que la thermodynamique nous indique et, en plus, en émettant du CO2 ? La réponse, elle se trouve dans la pompe à chaleur. Qu'est-ce que c'est ? Vous avez tous un frigo chez vous. Le frigo fonctionne selon le principe suivant : vous prenez de l'électricité, vous allez extraire de la chaleur pour refroidir l'intérieur du frigo et vous allez chauffer votre pièce. La pompe à chaleur fait la même chose : elle va prendre la chaleur qui se trouve dehors et grâce à l'électricité, elle va augmenter la température et vous chauffer. La thermodynamique nous dit deux choses. La première, c'est que plus la température à laquelle on doit chauffer est basse, moins on devra dépenser d'énergie, et c'est pour ça qu'on vous recommande d'installer des chauffages à basse température et pas des chauffages à haute température. La thermodynamique nous dit également : plus haute est la température de la source, donc de l'environnement, mieux c'est. Le problème, c'est qu'il faut trouver cette source. La ville est très dense, il y a des bâtiments partout, donc c'est très difficile de faire une seule pompe à chaleur, d'où l'idée qu'on a développée qui est de couper la pompe à chaleur en deux : d'un côté, une pompe à chaleur qui va trouver les bonnes sources de chaleur dans l'environnement. Par exemple, si j'ai de l'eau dans le lac, dans une rivière ou dans le sol, je vais extraire cette chaleur, et je vais la transporter à l'endroit où j'en ai besoin, et là, je vais utiliser une deuxième pompe à chaleur qui va satisfaire juste le niveau de température dont j'ai besoin. Vous avez un chauffage à basse température, vous paierez moins que celui qui a un chauffage à plus haute température. Et l'idée pour transporter la chaleur, c'est d'utiliser le CO2. Ce qu'on va faire, c'est utiliser deux tubes : un tube avec du CO2 à l'état liquide, un tube avec du CO2 à l'état vapeur. On va prendre la vapeur et on va la condenser, et, de cette manière-là, on va délivrer de la chaleur, et on va utiliser une pompe à chaleur pour arriver à la température dont on a besoin. Si maintenant on veut refroidir, je peux prendre le liquide et je peux l'évaporer. Je vais ainsi pouvoir refroidir directement mes bâtiments. Comme ils sont connectés par un tuyau, je peux aussi refroidir le bâtiment qui a besoin d'être refroidi avec celui qui a besoin d'être chauffé, ce qui me permet, finalement, de récupérer pas mal d'énergie. Ensuite, sur le chemin, on va identifier toutes les bonnes sources de chaleur dont on dispose : par exemple, l'eau usée qui sort de votre maison à environ 20°C peut être utilisée pour chauffer les bâtiments, ou l'eau du lac, l'eau qui sort de la station d'épuration, ou la géothermie. Maintenant j'ai un système qui va me permettre d'échanger l'énergie entre les différents preneurs. Un autre élément important : j'utilise du CO2. Le CO2 a une grande densité énergétique : on n'a pas besoin de gros tuyaux. On va pouvoir mettre des tuyaux dans les trottoirs sans avoir à les enterrer parce que le CO2 ne gèle pas. On n'a pas à descendre très profond. On peut donc faire des trottoirs préfabriqués qui permettront de transporter l'énergie dont vous avez besoin. On a donc un système complexe qui nous permet, grâce à une pompe à chaleur, de nous chauffer, qui permet d'être directement refroidi, qui permet de faire la réfrigération dans les centres commerciaux par exemple où on a besoin de frigos ou de congélateurs, qui permet également de récupérer la chaleur de nos déchets lorsqu'on va les brûler, et qui utilise toutes les opportunités offertes par l'environnement. Maintenant, la question est : est-ce que c'est plus efficace que le système traditionnel ? Pour ça, on a fait une application. C'est un quartier de Genève où il y a des bureaux, des logements, des banques, des commerces - pour ceux qui connaissent, c'est les « Rues Basses ». On a calculé la quantité d'énergie nécessaire et dépensée aujourd'hui pour se chauffer et se refroidir, et on voit qu'on a besoin de 12 unités d'énergie : dix sous forme de chaleur et de gaz naturel et deux sous forme d'électricité. On peut voir également que le gaz naturel est principalement utilisé en hiver, alors que l'électricité est utilisée en été pour refroidir. Le même système avec le réseau CO2 n'a besoin que de 2 unités ; on a fait un facteur 6 dans la consommation énergétique. On n'a besoin que de 16% de la quantité d'énergie que l'on consomme aujourd'hui sans changer les bâtiments. Il est évident que si on isole les bâtiments, on profitera d'un facteur multiplicatif supplémentaire. Bien sûr, tout le monde nous a dit : « Oui mais ça va coûter trop cher. » Et la réponse est : « Oui, ça vous coûte très cher pour le moment. En fait, le système que l'on propose coûtera moins cher et sera profitable, alors que le système d'aujourd'hui n'est pas profitable ». Maintenant, j'ai presque atteint mon objectif. En réalité, j'ai de l'électricité que je dois apporter au système, donc pas encore tout à fait autonome. J'ai de l'électricité que je dois apporter en hiver. Comment fait-on de l'électricité en hiver ? On peut la faire en l'important de l'extérieur mais, à ce moment-là, on va émettre beaucoup de CO2 et donc je perds déjà pas mal de bénéfice. Je peux aussi utiliser des nouvelles technologies comme le cycle combiné à gaz qui a une meilleure efficacité et émet beaucoup moins de CO2 parce qu'il utilise le gaz naturel. Je peux aussi dire : « Pourquoi ne pas utiliser les énergies renouvelables pour entraîner mes pompes à chaleur ? » Mais les énergies renouvelables sont surtout disponibles en été, le soleil brille en été et beaucoup moins en hiver. On peut aussi utiliser un autre type de technologie. L'EPFL a breveté un nouveau concept qui combine une pile à combustible avec une turbine à gaz qui a un rendement électrique de 80 %, bien supérieur à la meilleure centrale à gaz, et qui sépare le CO2 gratuitement. Donc maintenant j'ai du CO2 qui est dans un tube, et ça tombe bien puisque j'ai justement un tube. J'ai de la chaleur résiduelle puisque j'ai 80 %, il me reste 20 %, mais ça tombe bien car j'ai de quoi la transporter vers mes utilisateurs. Donc, j'ai un système qui permet de faire de l'électricité, de capturer du CO2, et de faire mes besoins de chaleur. Mais j'utilise encore du carburant fossile parce que j'utilise du gaz naturel. Alors là, il faut retourner à l'Histoire et voir les cadeaux de Mère Nature, ce qu'elle nous a apporté. La Nature nous a apporté deux choses. D'un côté, on a un trésor. Le trésor, c"est quelque chose qui ne se remplit jamais. Il est là et on peut juste l'utiliser, et c'est ce qu'on fait : on prend une partie du trésor et on le brûle pour faire du CO2. Et Teddy-x n'est pas très content, en fait. Ce que vous pouvez constater, c'est que le réservoir s'est vidé et personne ne le remplit. Ça veut dire que nos enfants ont moins que ce que nous avons reçu de nos parents. On peut regarder aussi le compte courant et le compte épargne de la Nature, les énergies renouvelables. On en a de différentes sortes. On a du soleil, du vent, de l'eau et de la biomasse. La biomasse est un peu le compte épargne, parce qu'elle est disponible sous forme stockée. Donc, je peux prendre la biomasse et la convertir en gaz. Il y existe des procédés biologiques, ou chimiques qui permettent de convertir la biomasse en gaz. Si le procédé n'est pas efficace, il va libérer de la chaleur, et j'ai un tuyau qui permet d'utiliser la chaleur, donc ça sera parfait si j'ai besoin de chaleur. Et le gaz, je vais pouvoir l'utiliser dans les piles à combustible. Je vais aussi essayer d'apprendre de la Nature, et si je réfléchis bien, j'ai besoin d'énergie, où est-ce que je la trouve ? Dans la nourriture qui est de l'énergie qui est stockée. Je ne sens pas les variations du soleil, qui varie d'heure en heure et de saison en saison. Comment la nature a réalisé ça ? Elle a fait la photosynthèse. Elle a pris du CO2 dans l'atmosphère, utilisé les photons qui venaient du soleil, utilisé de l'eau, et elle a fait des hydrates de carbone qui sont ma nourriture, ou qui sont aussi les arbres. On peut faire la même chose avec un système technique : je peux prendre le soleil, le transformer en électricité avec des cellules photovoltaïques. Je peux ces cellules, du CO2 et de l'eau, et faire du méthane. Ce que je vais faire, c'est donc prendre le CO2 que j'ai stocké, et faire du méthane à l'état liquide que je vais stocker. Je vais avoir un système qui va devenir un peu complexe, parce qu'en été, je vais prendre du CO2 liquide, et je vais faire du méthane liquide avec le soleil qui brille ; et en hiver, je vais prendre le méthane liquide et le faire passer dans la pile à combustible pour produire l'électricité dont j'ai besoin pour me chauffer et m'éclairer, et je vais capter le CO2, le ramener dans mon tuyau et le convertir en CO2 liquide. Si je fais ça, je vais avoir un système qui va paraître super-compliqué mais n'oubliez pas que vous avez chez vous, tous les jours, plusieurs tuyaux qui arrivent. Vous avez le câble d'électricité, le câble internet, vous avez aussi l'eau potable et l'eau usée qui part de chez vous, donc rajouter un tuyau n'est pas nécessairement si compliqué que ça. On a un système qui permet de chauffer, nous refroidir, réfrigérer, valoriser tous nos déchets et stocker l'énergie solaire que l'on va produire sur toutes nos toitures, en été, pour la rendre disponible en hiver. Si je fais ça, j'ai un système qui va devenir entièrement autonome en énergie. Avant j'avais un système qui brûlait une grande quantité d'énergie pour satisfaire mes besoins, qui émettait beaucoup de CO2 et vidait mon trésor. Aujourd'hui, avec un investissement - l'installation d'une nouvelle infrastructure avec des pompes à chaleur, des piles à combustible et du stockage - je vais pouvoir satisfaire les mêmes besoins, je n'ai pas à changer les bâtiments, je n'ai pas à changer votre confort, vous aurez toujours la même température dans toutes vos pièces, vous aurez simplement des panneaux solaires sur le toit, des piles à combustible qui vont produire de l'électricité à base du méthane qui a été produit pendant l'été. Vous allez récupérer la chaleur de l'eau chaude que vous avez envoyée à l'égout car vous allez pouvoir l'utiliser dans les pompes à chaleur, vous allez récupérer l'énergie de vos déchets et à la fin, en fait, vous serez exportateur d'électricité, d'une électricité sur commande, c'est-à-dire que vous pourrez décider quand vous l'exportez, quand vous en avez trop et elle est stockée sous forme de méthane. Pour la petite histoire, la quantité de stockage nécessaire est dix fois plus petite que la quantité des citernes nécessaires dans tous les bâtiments si on chauffait tout avec du mazout. Et ce sera ma conclusion. En tout cas, Teddy-x peut nous dire merci, parce que si vous êtes capable de transformer la ville en un producteur net d'électricité sans émission de CO2, il a peut-être une chance de retrouver un autre bloc de glace plus sécurisé. Merci beaucoup. (Applaudissements)