A 14 ans, j'ai eu l'occasion
de jouer dans une pièce
écrite et mise en scène par mon frère,
Richard Shoichet.
Dans « LandEscape », une enfant,
moi-même, regardait le monde
et se demandait pourquoi l'Humanité
répétait sans cesse les mêmes erreurs.
J'avais la dernière réplique de la pièce :
« N'est-ce pas le moment de changer ? »
Cette phrase si simple
continue de me guider
tout au long de ma vie et carrière.
Nous avons des entraîneurs personnels,
des costumes sur mesure,
même des apps pour nous aider
avec nos coiffures.
Alors pourquoi n'y a-t-il pas
de médecine personnalisée ?
Quand je regarde les traitements
médicaux d'autrefois,
je suis vraiment heureuse
de vivre de nos jours.
Imaginez aller chez le docteur
et être traité avec un tas de sangsues
pour guérir votre maladie.
Ou se voir prescrit de la cocaïne
pour une banale rage de dents.
Ou des suppositoires de radium
pour vivre plus longtemps.
(Rires)
La médecine a fait d'énormes progrès.
Et voilà pourquoi je suis
vraiment heureuse de vivre aujourd'hui.
Mais je ne peux m'empêcher
de me demander
quel regard rétrospectif nous porterons
sur les traitements médicaux
d'aujourd'hui.
Qu'est-ce qui nous fera rire
et nous interpellera ?
Je suis enthousiaste
quant à l'avenir de la médecine
parce que je sais
que nous avons la possibilité de concevoir
des stratégies pour l'individu.
Nous pouvons aller au-delà du traitement
des symptômes de la maladie,
pour plutôt l'arrêter ou même l'inverser.
Telle est la promesse
de la médecine régénérative,
la promesse de la médecine personnalisée.
À l'Université de Toronto,
je dirige un laboratoire
de 25 scientifiques remarquables.
Nous utilisons des outils d'ingénierie
pour résoudre de gros problèmes
de la médecine.
Nous avons la possibilité
de profiter du moment présent,
de faire les choses différemment
et d'inventer notre avenir.
Et laissez-moi vous dire
comment nous essayons de le faire
dans le cadre du cancer, de la cécité,
et de l'accident vasculaire cérébral.
Il est encore vrai aujourd'hui,
après plusieurs décennies,
que la meilleure façon
de traiter le cancer
est par l'ablation chirurgicale.
Nous mettons ensuite des poisons
dans nos corps pour essayer de tuer
les cellules à division rapide.
Nous aurons un jour
un regard rétrospectif
sur le traitement
du cancer d'aujourd'hui
et nous nous demanderons
pourquoi nous avons traité
tous les patients de la même façon
au lieu d'utiliser
des solutions sur-mesure.
Imaginez si, au contraire,
vous pouviez faire une biopsie
de vos cellules cancéreuses
et les cultiver en laboratoire
pour comprendre
quels traitements médicamenteux
seraient les mieux adaptés pour vous,
pas pour les patients en général,
mais pour vous, en tant qu'individu.
Quand j'ai compris
qu'on ne le faisait pas,
je me suis demandé pourquoi.
Parce qu'en tant qu'ingénieur,
ça me semblait tellement logique.
J'ai appris que les cellules cancéreuses
biopsiées provenant des patients
ne poussent pas souvent
si facilement en laboratoire.
Lorsque j'y ai réfléchi,
ça avait effectivement du sens.
Pour quelle raison une cellule cancéreuse
qui pousse normalement
dans un environnement gélatineux
nourrie d'autres cellules et protéines,
pousserait-elle
dans un pétri en plastique ?
On trouve l'acide hyaluronique
dans de nombreux tissus cancéreux,
et nous avons pensé
que ça pourrait être un bon matériau
pour y cultiver nos cellules cancéreuses.
Mais l'acide hyaluronique, ou AH,
n'est pas réellement un gel,
plutôt un liquide visqueux,
un peu comme de la mélasse,
mais clair, incolore, inodore.
Afin de trouver un moyen de cultiver
des cellules cancéreuses en laboratoire,
il nous fallait trouver comment
notre AH pouvait former un gel.
Contrairement à la gelée,
un simple refroidissement ne suffit pas.
Alors, nous avons inventé
un moyen chimique
de former un gel d'AH, et puis y avons
incorporé les signaux biologiques
que les cellules cancéreuses
voient normalement dans les tumeurs.
Nous avons inventé un nouveau matériau
où l'on peut cultiver des cellules
cancéreuses en trois dimensions.
Et bien que nous ne nous en soyons
pas aperçus à l'époque,
il s'avère qu'il est très important
de cultiver les cellules cancéreuses
dans un environnement tridimensionnel
afin de simuler la façon
dont elles se développent en nous.
Aujourd'hui, nous pouvons grandir
des tissus cancéreux simples dans le labo.
Nous pouvons maintenant imaginer
un avenir impossible jusqu'ici,
c'est-à-dire un avenir
de la médecine personnalisée,
où nous allons déterminer
quels médicaments
sont les mieux adaptés à vous, l'individu.
Tout cela parce que nous nous sommes
demandé pourquoi.
En 2009, j'ai eu l'occasion
de commencer une nouvelle collaboration
avec le Professeur Derek van der Kooy.
Il avait découvert que nous avons tous
nos cellules souches rétiniennes
personnelles à l'intérieur de nos yeux.
Dans mon laboratoire, nous avions
inventé un nouveau biomatériau injectable.
Alors nous avons décidé de collaborer
sur un projet pour surmonter la cécité.
Si c'était si simple que ça.
Mais j'apprécie les défis.
Pour la cécité, nous avons des médicaments
qui peuvent ralentir
la progression de la maladie,
mais aucun moyen de l'arrêter,
ni de l'inverser.
C'était ça, notre idée ;
en fait ça l'est toujours :
remplacer les cellules-mêmes
perdues par la cécité,
c'est-à-dire les cellules photoréceptrices
situées à l'arrière de l'œil.
Mais obtenir des cellules
photoréceptrices pour la transplantation
est extrêmement difficile en soi.
Les cellules souches rétiniennes
qui sont effectivement situées
juste à l'extérieur de le cercle noir
qui entoure votre iris,
ces cellules souches rétiniennes
peuvent être programmées
pour devenir
des cellules photoréceptrices.
Mais la plupart des cellules transplantées
dans le système nerveux périssent.
Pour pouvoir vaincre la cécité,
il nous fallait trouver un moyen
pour que les cellules
photoréceptrices transplantées
survivent et qu'elles soient intégrées
dans les circuits de neurones.
Par analogie, imaginez
que vous ayez un gros câble de fils
qui ait été coupé.
Si vous vous contentez
d'y jeter tout un tas de fils,
vous ne rétablirez pas
la conduction électrique.
Il faut que chacun de ces fils
soit soudé proprement.
Il en va de même pour le système nerveux.
La lumière pénètre dans l'œil,
est captée par la rétine,
puis ces signaux lumineux
sont transformés dans le cerveau
en signaux électriques,
qui permettent la vision.
Nous avions inventé
un nouveau biomatériau,
un matériau gonflé d'eau appelé hydrogel.
Ce matériau favorise la survie cellulaire.
Lorsque nous avons mélangé
les cellules photoréceptrices
dans notre hydrogel injectable
et transplanté ces cellules
dans le fond de l’œil,
nous avons observé
un taux plus élevé de survie
des cellules et d'intégration
dans les circuits neuronaux.
Tout comme souder ces fils en place,
mais biologiquement.
Dans un modèle de cécité,
nous avons observé
une certaine réparation de la vision.
Les pupilles se contractent quand
elles sont exposées à une lumière intense,
et la transplantation de cellules a mené
à la régénération des tissus de l'œil.
L'avenir est vraiment lumineux.
(Rires)
Vous savez, parfois je me demande
pourquoi nous avons été
si audacieux dans nos recherches.
Oui, je suis curieuse, mais
pourquoi prenons-nous autant de risques ?
Peut-être qu'en tant qu'ingénieur,
on ne s'encombre pas de sagesses
populaires ou des dogmes classiques
d'un biologiste du cancer,
ou d'un neuroscientifique,
ou même d'un médecin.
Nous collaborons avec des experts
dans tout ce que nous faisons.
Mais nous avons aussi une certaine liberté
de poser des questions différentes
et de proposer des solutions différentes.
Avant les années 90,
on pensait tous être nés
avec un certain nombre
de neurones dans nos cerveaux,
et que si on abimait ces neurones,
il n'y avait aucun moyen
de les récupérer.
Puis Sam Weiss et Brent Reynolds
ont découvert
que nous avions tous des cellules
souches dans le cerveau,
les cellules neurales souches.
Un changement de paradigme
s'est alors produit.
Autrement dit, nos cerveaux, en fait,
possèdent la capacité de se régénérer.
L'une de mes collaboratrices,
Professeur Cindi Morshead, a découvert
qu'on pourrait stimuler ces cellules
souches de nos cerveaux pour favoriser
la réparation en cas
d'accident vasculaire cérébral.
En fournissant séquentiellement
deux protéines thérapeutiques
directement à ces cellules souches
situées dans nos cerveaux,
nous avons observé
la réparation du cerveau.
Mais voilà le problème :
pour pouvoir stimuler
ces cellules souches résidentes,
un tube mince a été inséré
profondément dans le cerveau,
en endommageant ainsi les tissus
que nous tentions de régénérer.
Nous étions heureux d'avoir décroché
le Graal de la médecine régénérative,
mais nous savions
que notre approche était imparfaite.
Après mille essais cliniques échoués
sur l'accident vasculaire cérébral,
il n'y a toujours
qu'un seul médicament approuvé,
et si vous n'arrivez pas à l'hôpital
assez vite,
il ne vous reste que la rééducation.
Évidemment, trouver
une stratégie thérapeutique
pour traiter l'AVC
est un défi clinique énorme.
Et une partie de ce défi,
c'est que les méthodes traditionnelles
d'administrer les médicaments
ne fonctionnent pas : les méthodes
par voie orale ou par intraveineuse
n'arrivent pas au cerveau.
C'est parce que le cerveau est protégé
par la barrière hémato-encéphalique.
D'habitude, cette barrière hémato-
encéphalique est fantastique
car elle protège notre cerveau
des toxines de tous les jours.
Mais parce qu'on essayait précisément
d'administrer des médicaments au cerveau,
la barrière hémato-encéphalique
devient un obstacle énorme.
On savait qu'il nous fallait stimuler
les cellules souches résidentes
de notre cerveau,
mais on ne savait pas vraiment
comment s'y prendre.
Alors on a eu une idée
qui peut vous sembler insensée.
On a injecté ces mêmes
protéines thérapeutiques
qui avaient stimulé la réparation
du cerveau dans le passé,
non pas dans le cerveau
mais directement sur le cerveau.
On fait un petit trou dans le crâne
et on les injecte
directement sur le cerveau.
Mais on craignait que si on injectait ces
protéines thérapeutiques sur le cerveau,
sans une sorte d'enveloppe,
elles se disperseraient rapidement.
Donc, on a conçu un patch, un genre,
de pansement imprégné,
qu'on pourrait appliquer
directement sur le cerveau.
On a enfermé nos protéines
dans des nanosphères,
de minuscules perles,
1 000 fois plus petites
qu'un cheveu humain,
puis distribué ces protéines
enfermées dans des nanosphères
dans un matériau injectable qu'on a
appliqué directement sur le cerveau
sur un modèle d'AVC.
Nous avons ainsi réussi à contourner
la barrière hémato-encéphalique,
à stimuler les cellules souches résidentes
et favoriser la réparation des tissus,
le tout sans causer de dommage au cerveau.
Je suis convaincue
que la médecine personnalisée
est le changement dont nous avons besoin.
La médecine régénérative
promet de révolutionner
la façon dont nous administrons
des médicaments aux patients.
Je suis enthousiasmée
par les possibilités qui nous attendent,
mais je reconnais aussi
que nous venons de franchir
la première d'un certain nombre d'étapes
pour amener ces technologies
et ces stratégies aux patients.
Nous ne sommes pas en mesure
d'aider les patients d'aujourd'hui,
mais je sais que nous le serons demain.
Dans l'avenir, nous percevrons
rétrospectivement
certains traitements médicaux
d'aujourd'hui comme les sangsues d'hier.
Dans l'avenir, on se demandera
pourquoi il nous a fallu si longtemps
pour changer les choses.
Je vous remercie.
(Applaudissements)