Bonsoir à tous et à toutes.
Le prix Nobel de physique 2014
a récompensé trois chercheurs.
Trois chercheurs d’origine japonaise,
pour leur rôle fondamental dans la mise
au point de nouvelles sources de lumière :
les diodes électroluminescentes bleues,
qu’on appelle les LED.
Ces sources de lumière sont efficaces
et bonnes pour l'environnement.
Et alors ces sources de lumière vont être,
comme je le mets ici,
les lumières du 21ème siècle.
Les LED vont être l’éclairage
du 21ème siècle,
comme la lampe d’Edison
a été l’éclairage du 20ème siècle.
C’est une rupture technologique.
Une rupture technologique qui
a, à la base, une théorie,
la théorie quantique.
En fait, cette théorie quantique
est née au début du 20ème siècle
et a mené à un certain nombre
d’applications importantes,
fondamentales : le transistor,
à la base de l’électronique
mais aussi un objet qui au départ
était très mystérieux : le laser.
Laser devenu un instrument précieux
pour les médecins, en chirurgie,
mais aussi, plus banalement, le laser,
on le retrouve à tous les comptoirs,
pour la lecture des codes barre.
Alors au départ, pourtant,
la théorie quantique n’a pas été acceptée.
Elle n’a pas été acceptée
parce qu’elle bousculait
la vision que l’on avait
de la physique.
En fait, c’était une rupture.
Les ruptures sont rarement
acceptées facilement.
A cette même époque,
au début du 20ème siècle,
il y a eu une rupture au niveau de l’art.
Oui, la peinture abstraite.
La peinture abstraite
a aussi changé
la vision que l’on avait du monde,
de la représentation.
Alors, qu’a apporté en fait
la physique quantique ?
Qu’est-ce qu’elle a proposé ?
Elle a proposé de nouveaux objets.
Ni particule, ni onde,
« des objets complètement dingues »,
pour reprendre l’expression
du grand physicien Richard Feynman.
Elle a proposé une autre vision
du monde microscopique.
Elle a proposé d’entrer
dans une Terra Incognita
que les physiciens ont vite occupée.
Et en fait, cette évolution
de la science n’a été possible
que parce que la science
s’est libérée des dogmes.
La science a acquis son autonomie.
Cette longue histoire de la science,
c’est l’histoire de l’intelligence
face à l’obscurantisme,
des esprits critiques face au dogmatisme.
C’est l’histoire de la raison
et du doute face à la certitude.
C’est une longue et belle histoire.
On devrait la raconter à nos enfants.
Leur expliquer
la persévérance des savants,
leur expliquer que les savants
ont dû se battre
face à ceux qui n’acceptaient pas
les conceptions qu’ils proposaient
parce qu’on pensait que ces conceptions
allaient troubler les croyances.
Et en fait, oui, les savants ont dû
se battre contre une conception du savoir
enfermée dans une conception
unique de la vérité.
Alors qu’il faut promouvoir, au contraire,
un savoir ouvert sur le monde,
un savoir ouvert sur les civilisations.
C’est ce que Kheireddine,
que vous voyez là,
Premier ministre tunisien
dans la deuxième moitié du 19ème siècle,
a voulu introduire,
dans un nouveau système d’enseignement,
qui a été fondamental
pour l’évolution de la Tunisie,
cet enseignement appelé
l'enseignement sadikien.
Oui, que voulait faire Kheireddine ?
Kheireddine voulait que la Tunisie
rattrape le retard scientifique
parce que la Tunisie avait oublié
pendant plusieurs siècles la science,
comme d’autres pays arabo-musulmans.
Oui, le monde arabo-musulman
a oublié la science de ses ancêtres.
Je vais vous raconter
le dernier épisode de l’astronomie arabe.
C’était à Istanbul. Istanbul, 1577,
un observatoire a été construit.
Magnifique, avec des instruments
les plus performants de l’époque,
comme d’ailleurs l’observatoire
qui a été conçu… « au Nord »,
par Tycho Brahé, grand physicien
- grand astronome, on ne disait pas
physicien à l’époque - astronome danois.
Et cet observatoire de Tycho Brahé
était installé au Palais d’Uraniborg.
Les deux observatoires,
d’Istanbul et de ce pays du Nord,
ont eu des destins complètement opposés
après l’apparition
d’une comète dans le ciel boréal.
Pour Tycho Brahé, ce furent
des observations fondamentales
qui par la suite ont mené
au développement extraordinaire
de l’astronomie dans le monde européen.
Je pense que tout le monde la connaît.
Mais à Istanbul, malheureusement,
ce fut la fin d’une belle
aventure scientifique.
Alors pourquoi ? Parce qu’en fait,
chacun avait interprété sa comète.
Mais à Istanbul, sur ordre du Sultan,
l’observatoire fut détruit en 1580
parce que le Sultan n’avait pas
accepté le présage de l’astronome.
Alors aujourd’hui,
on en sait plus sur les comètes,
vous en savez plus maintenant…
on donne même des rendez-vous
depuis la Terre !
La science est aussi au cœur
du développement économique.
L’Europe s’est construite,
s’est développée économiquement
grâce au développement scientifique.
Et Kheireddine, dont j’ai parlé
tout à l’heure, l’a bien compris.
Kheireddine qui disait qu’il fallait
prendre la science d’où qu’elle vienne.
Oui, il fallait prendre la science
d’où qu’elle vienne
et il fallait que nos enfants
la découvrent très tôt.
Il fallait éduquer nos enfants
dans cette double culture.
Bien sûr, leur donner
un enseignement traditionnel,
(à l’époque, au 19ème siècle,
c’était difficile de dire le contraire)
mais leur donner aussi cet enseignement
des sciences modernes,
des langues étrangères.
Oui, c’est grâce à cette double culture
que la modernité est entrée en Tunisie.
Oui, cette modernité qui est en moi,
que je porte, dont je suis fière.
Oui, cette modernité, mes parents
me l’ont apprise, me l’ont inculquée.
Mon grand-père, instituteur
de français et d’arabe.
Mon père, pharmacien-biologiste.
Regardez cette photo.
Cette photo –
mon père est un de ces élèves.
Ces élèves de
l’école franco-arabe de Sfax.
C’était l’année scolaire 1921-1922.
Tous habillés en jebba,
sauf l’institutrice,
et tous épris des valeurs
d’égalité et de liberté :
les valeurs de la Révolution française.
Tous pour l’ouverture
sur les autres cultures.
Oui, l’ouverture sur les autres cultures…
C’est ce qui permet de connaître l’autre,
c’est ce qui permet de respecter l’autre,
c’est ce qui permet de partager.
Cela doit être au cœur
du système éducatif.
Oui, la mission de l’enseignant est riche.
Il est passeur de savoirs.
Il est passeur de cultures.
Il est aussi passeur de valeurs.
Des valeurs à partager,
partout sur cette planète,
L’égalité – j’en parlais –
l’égalité pour tous.
L’égalité pour les femmes et les hommes.
Oui, l’égalité
pour les femmes et les hommes.
Alors en tant que Tunisienne,
je voudrais vous dire
que pour moi qui suis donc
d’un pays de culture musulmane,
je crois que les femmes, en terre d’Islam,
n’ont pas à subir
un statut d’infériorité. Oui.
Et déjà, ce principe d’égalité
entre les hommes et les femmes,
Tahar Haddad, théologien tunisien,
l’affirmait en 1930,
et son fameux ouvrage « Notre femme,
la législation islamique et la société »,
a été traduit en français –
vous voyez ici la couverture du livre.
Et à la fin du livre, une figure
qui peut vous étonner.
On n’a pas le temps de la commenter
mais je vais vous lire la petite légende :
« Notre femme, entre un passé évanoui
et un présent prometteur ».
Un présent, le présent, parlons-en.
Nous sommes inquiets. Oui.
Nous sommes inquiets par la violence,
par les actes de barbarie dans la région.
Oui, nous sommes inquiets.
Le 18 mars dernier, en Tunisie, mon pays,
le musée du Bardo a été attaqué,
il y a eu des victimes.
Je leur rends hommage mais
le musée du Bardo, je voudrais vous dire,
c’est le musée de la Méditerranée.
C’est le musée où toute l’histoire
de la Tunisie est présente.
La Tunisie qui a été berbère, punique,
romaine, byzantine, vandale
puis musulmane et arabe.
Alors, que faire ?
Que faire face à cette violence ?
Oui, il faut préserver nos enfants.
Il faut préserver nos enfants
de ceux qui les invitent
à camper dans « le pré de malédiction
pour entretenir les suppôts du Démon
et la séquence de la haine destructrice ».
Je reprends là l’expression
d’un grand penseur tunisien,
Abdelwahab Meddeb, disparu depuis peu.
Je lui rends hommage.
Oui, cette violence…
comment réagir à cette violence ?
Eh bien tous ensemble, chacun
à sa manière. Chacun là où il est.
Alors, en tant qu’enseignante
et scientifique,
je voudrais très vite
vous parler de deux exemples.
L’un, c’est l’histoire de ma collègue
Saida Aroua, biologiste et didacticienne,
qui a compris qu’en fait, les élèves,
nos élèves de classe terminale,
qui étudient la théorie de l’évolution,
avaient une compréhension –
euh.. un peu… on va dire composite
de la diversité du vivant.
Ils mélangeaient les référentiels
scientifique et théologique.
Et elle a fait un travail avec eux.
Et les élèves ont compris.
Ils ont compris qu’il fallait
se mettre dans la peau du chercheur.
Qu’il fallait accepter les clés
de la science, les clés du savoir,
le questionnement et l’esprit critique.
Le deuxième exemple concerne
la communauté scientifique.
Cette communauté scientifique qui
doit se battre contre les obscurantistes,
qui malheureusement,
sont en train d’investir la Toile.
Oui, cette communauté scientifique,
celle des Académies des Sciences,
a fait une déclaration.
Elle a regroupé
les Académies des Sciences de 68 pays,
d’Europe, d’Amérique latine,
des États-Unis, d’Afrique, d’Asie,
et parmi ces pays,
des pays arabo-musulmans :
la République islamique d’Iran,
le Royaume du Maroc,
la Turquie, la Palestine…
peut-être que j’en oublie,
mais en tout cas…
Cette déclatation, que dit-elle ?
Elle montre qu’il est important
d’enseigner la théorie de l’évolution
qui est tellement attaquée
sur les réseaux sociaux, sur Internet
et que l’enseignement de cette théorie,
qui est en fait acceptée
par la communauté scientifique,
va apporter aux élèves
une connaissance importante
puisque la théorie de l’évolution est une
des grandes avancées de la connaissance.
Et cette déclaration appelle
les enseignants, les décideurs,
les parents, à éduquer leurs enfants
pour qu’ils comprennent la science.
Elle rappelle aussi
quelque chose d’intéressant :
c’est qu’il y a
un certain nombre de questions
que l'on ne peut pas
expliquer par la science.
Il faut alors adopter d’autres approches :
philosophique, sociale,
culturelle, religieuse.
Ces approches ont
des champs d’action différents.
Elles ont des champs d’action différents
et se doivent un respect mutuel.
Alors cette déclaration
est un magnifique appel.
Un magnifique appel
d’une communauté scientifique,
vous voyez, de cultures différentes,
de cultures diverses.
Mais un appel pour que les jeunes
comprennent ce qu’est la science.
Pour que les jeunes comprennent
que la science est universelle.
Et j’ajoute aussi, parce que c’est ce qui
est sous-entendu dans cette déclaration,
les droits de l’homme aussi,
c’est universel.
Et c’est cette universalité
pour laquelle je me bats.
Merci.
(Applaudissements)