Alors moi, je vais vous parler d'Europe, et je vais vous demander de ne pas dormir, parce que quand on parle d'Europe, on trouve que c'est rébarbatif. Si vous écrivez des livres sur l'Europe, contrairement à mes copines passées tout à l'heure, vous ne trouverez pas d'éditeur. Hier, dans une émission de télé, des candidats, qui ont vocation à devenir Président de la République, devaient parler d'Europe, se sont chamaillés et n'en ont pas parlé. Moi, je vais vous en parler, car j'ai une histoire à vous raconter et elle n'est pas mal. Alors c'est vrai que l'Europe, quand on la prend comme ça en ce moment, on se dit que les nouvelles ne sont pas très bonnes, les Anglais... J'ai bien dit les Anglais, pas les Britanniques. Les Anglais veulent nous quitter. Les Hongrois, qui rêvent d'une grande Hongrie, ont mis des clôtures, on croyait que ça avait disparu après la chute du mur, pour se protéger de l'invasion migratoire. On a les Wallons. Les Wallons qui ont fait une crise d'urticaire avant l'heure à l'idée de manger du steak d'orignal canadien. Pour finalement s'apercevoir que ça n'est pas si indigeste que ça. Et puis, on a la Pologne qui s'est dotée d'un gouvernement rétrograde qui veut remettre en cause un certain nombre de lois, dont celle sur l'avortement. Eh bien là, patatras, les femmes, toutes les femmes polonaises, sont descendues massivement dans la rue et le gouvernement a reculé, le projet de loi a été abandonné. Car mon histoire justement, c'est quand on parle des femmes en Europe, les nouvelles sont bien meilleures. Parce qu'en Europe, grâce à l'opprobre, la place des femmes dans ce continent est la meilleure au monde. Je vais vous dire pourquoi. D'abord, en Europe, c'est là qu'il y a le plus de femmes dirigeantes. Parmi les pays que je viens de vous citer, le Royaume-Uni et la Pologne, ce sont deux exemples de pays dirigés par des femmes, Theresa May, Beata Szydlo. Mais il y en a une troisième que vous connaissez beaucoup mieux, parce qu'elle est là au pouvoir depuis longtemps, douze ans, qu'elle fait régulièrement la une des magazines, des journaux, des classements, pas forcément européens, il y a des journaux américains qui trouvent que c'est la femme la plus puissante du monde. Comment elle s'appelle ? Public : Angela Merkel. Pascale Joannin : Oui ! Angela Merkel, la chancelière allemande. Trois. Vous allez me dire, ce n'est pas beaucoup, trois. Mais il faut savoir aussi qu'il y a quatre présidentes de la République dans les pays européens. En Lituanie, en Estonie depuis un mois, une jeune femme, 46 ans. N'est-ce pas, Samira ? En Croatie et à Malte. Avec la Norvège, qui n'est pas dans l'Union européenne, mais bien sur notre continent, on arrive à huit. Vous me direz, qu'est-ce qu'elle raconte comme histoire, huit femmes... Mais justement, ces huit femmes européennes, chefs d'État ou de gouvernement, elles représentent autant de femmes qu'il y a de femmes présidentes et de chefs de gouvernement ailleurs dans le monde. Il y en a huit aussi, mais elles sont réparties un peu en Afrique, au Chili, en Corée, et peut-être qu'il y en aura une neuvième mardi, mais on est encore à huit. Il y a autant de femmes chefs d’État et de gouvernement en Europe que dans le reste du monde. Ce n'est quand même pas mal. Prenons les institutions européennes, c'est vrai il n'y a pas de présidente. Il y en a eu au Parlement, deux, deux Françaises. Simone Veil, 1979, et Nicole Fontaine, depuis, que des hommes. Au Conseil, c'est un peu récent, il y a eu deux titulaires, deux hommes, puisqu'il y a une règle qui dit que le titulaire du poste doit être chef de gouvernement. On va attendre un peu. À la BCE, il y a une femme au Conseil des gouverneurs, ce n'est déjà pas mal. Mais à la Commission européenne, il y a 9 femmes sur les 28 commissaires. Neuf. C'est déjà le tiers. Ce n'est pas mal. Et puis, on leur a donné des postes très importants, le Budget, les Affaires étrangères. Mais il y a encore deux femmes plus importantes que ça, parce qu'elles s'occupent de compétences qui sont vraiment européennes. Vous les connaissez. Il y a une grande femme comme moi, danoise, Mme Margrethe Vestager. Qu'est-ce qu'elle fait Mme Vestager ? Elle s'occupe de la concurrence. C'est-à-dire qu'elle regarde ce que font toutes les entreprises pour se conformer au droit européen, pas que les entreprises européennes, toutes. Et si je vous dis trois noms, vous allez me dire « Ah oui, c'est elle. » Microsoft, Google, Apple. C'est elle qui règle tout ça pour qu'ils s'adaptent au droit européen. Il y en a une deuxième, je vous ai fait rire avec mon histoire d'orignal canadien, c'est la personne en charge du commerce, une fonction dédiée à l'Europe. La commissaire est suédoise et s'occupe de tous les accords de libre-échange de l'Union qui, je le rappelle, est la première puissance commerciale et économique du monde, parce que lorsqu'on rejoint les 28 PIB des 28 États membres, le PIB des 28 est supérieur à celui des États-Unis. Voilà. L'Europe, c'est ça. Ce n'est pas un... Donc, ces deux femmes, elles ont une particularité, elles viennent du nord de l'Europe. Parce que mon deuxième point, c'est qu'en Europe, il y a un modèle qui s'est imposé peu à peu, c'est l'Europe du Nord, parce que dans ces pays, il y a une tendance naturelle à répartir équitablement le pouvoir entre les hommes et les femmes. La Suède est un exemple très particulier, parce que la Suède, c'est à la fois, le pays où il y a le plus de parlementaires femmes, 45 %, et c'est celui aussi où le gouvernement est strictement paritaire, 50-50. Et là, petite surprise, un deuxième pays arrive juste derrière, vous le connaissez, il est proche de nous géographiquement, c'est... la France. Dans le gouvernement actuel, il y a 50 % de femmes et 50 % d'hommes. Je n'ai trouvé que cet exemple pour caractériser l'égalité entre les hommes et les femmes en France, parce qu'après, ça se gâte un peu. Ce n'est pas une tendance naturelle, il a fallu qu'on impose une loi, la loi sur la parité, qui fait qu'aujourd'hui, pour être recevable, une liste doit comporter autant de femmes que d'hommes, de manière alternée, pas les 13 premières, hommes, et les 13 dernières, femmes, une sur deux. Si bien qu'un certain nombre de femmes ont pu s'investir dans les conseils municipaux, dans les conseils départementaux, dans les conseils régionaux. À l'Assemblée, le scrutin est uninominal, ce n'est pas tout à fait la même chose, on n'a que 26 % de parlementaires. Au Sénat, il y a plus de femmes que d'hommes, puisqu'il y a un système proportionnel qui fait qu'il y a plus de sénatrices que de députées. Puis, quand on regarde comment ça se passe dans l'exécutif de ces régions, départements, mairies, on voit qu'il y a beaucoup de femmes dans les conseils départementaux, vous avez élu des tickets un homme-une femme, c'était obligatoire. Donc, il y a 50 % d'élues, mais présidentes, il n'y en a que dix, parce que c'est encore difficile d'accéder au pouvoir. Alors elles sont dans les conseils, mais pas dans l'exécutif. Et puis, si elles sont dans l'exécutif, ça a été dit à l'instant, on a plus de chances de leur confier des secteurs dits féminins. L'éducation, la petite enfance, les personnes âgées, l'aide sociale. Rarement la voirie, l'urbanisme, les finances. Mais ça change. Regardez, on a eu une ministre des Finances femme, Christine Lagarde. On a eu des ministres de l'Intérieur, des Affaires étrangères, et on a même aujourd'hui, en Europe, cinq femmes ministres de la Défense. Défense, c'est un bastion quand même bien masculin. Donc, en Europe, grâce à l'Europe, et grâce à l'Europe du Nord, les autres pays ont fait progressivement monter leur féminisation de parlement, et de nombre de parlementaires, et c'est en Europe, aujourd'hui, si vous regardez une carte du monde, qu'il y a le plus de femmes parlementaires. Alors c'est un tiers, ce n'est pas encore la parité, mais on est devant les États-Unis, on est devant d'autres pays développés, on est devant l'Asie, qui n'est pas très avancée, et l'Afrique où ça progresse beaucoup. Vous allez me dire la politique, c'est un domaine particulier, il faut du temps, s'investir, ce n'est pas facile. Je vais revenir au monde de l'entreprise, parce qu'en Europe, c'est là aussi où il y a le plus grand nombre de femmes dans la gouvernance des entreprises. Là encore, le modèle vient de l'Europe du Nord, la Norvège, en l'occurrence. La Norvège a passé en 2004 une loi pour faire en sorte que les femmes puissent intégrer les conseils d'administration des entreprises cotées. 44 % aujourd'hui. Il y a eu donc une petite émulation avec entre autres la France, l'Italie, et d'autres ont fait la même chose. En France, c'est une loi qui impose d'avoir 40 % de femmes, et on l'a dit tout à l'heure, ça va être effectif à partir de l'année prochaine. Donc, on est deuxième avec les Suédois qui, encore une fois, n'ont pas eu besoin de loi, ça a été naturel, il y a 36 % de femmes dans les conseils d'administration suédois, comme en France. Mais tant qu'on regarde au niveau mondial, dans les dix premiers pays où il y a le plus d'administratrices, il y en a sept qui sont européens sur dix. Sept. Ce n'est pas mal. Après, il y a l'Australie, le Canada et Israël. Bien sûr, ces conseils d'administration, pour l'instant, symboliquement, ça concerne les entreprises cotées. Donc en France, le CAC 40. Il va donc falloir qu'on continue pour que ces femmes soient représentées dans d'autres structures. Puis, cette parité, qu'on a obligée un petit peu avec la loi, s'instaure dans d'autres entreprises, de plus petite taille, celles qui ne sont pas cotées au CAC 40, mais dans d'autres marchés, voire dans les entreprises de taille intermédiaire, ou les PME. Et puis surtout, parce que cette promotion des femmes ne se fait pas magiquement, il va falloir qu'en effet, cette diversité, cette mixité, s'instaure dans les instances internes de gouvernance des entreprises, le comité exécutif, où il y a beaucoup de décisions qui se prennent, il va falloir qu'on impose à peu près la même règle, ou les comités d'audit, de gestion, de rémunération, pour qu'on puisse repérer les talents féminins très tôt, les promouvoir et leur permettre d'accéder plus facilement au pouvoir pour qu'elles évitent d'avoir le plafond de verre un peu trop rapidement. Il y a quelque chose aussi en Europe qui est intéressant, c'est le modèle social, l'économie sociale de marché, le modèle européen, et le mot qui est important, c'est le mot « social », car pour permettre aux femmes de travailler, il faut aussi un peu les inciter à pouvoir travailler. Il y a deux exemples qui me viennent tout de suite à l'esprit. Il y a le congé maternité, tout le monde sait ce que c'est. En Europe, il est plutôt favorable. Alors, pareil, il y a des variantes, mais l'Europe a fait en sorte que tous les pays ont à peu près la même chose. Il y a une particularité que j'aimerais bien signaler, qui vient encore de Suède, c'est le fait que dans ce pays, le congé doit être pris à la fois par le père et par la mère. Ce n'est pas tout pour la mère, et si le père ne le prend pas, c'est trois mois, eh bien c'est perdu, ça ne peut pas être transféré à son épouse. Donc, ce n'est pas mal. Deuxième chose, la garde des enfants, parce que quand on fait des enfants, si on n'a pas de garde, si on n'a pas de famille, de moyens, etc, c'est difficile de retourner au travail après le congé de maternité. Donc, il y a des systèmes de garde des jeunes enfants. Là aussi, l'Europe a essayé de faire en sorte que tous les pays mettent en place des systèmes. Ça vient doucement, mais c'est en progrès. Là aussi, la France a plutôt un aspect positif, puisque le taux de natalité en France est un des meilleurs en Europe avec l'Irlande, deux enfants, parce qu'il y a des systèmes de garde qui permettent aux jeunes femmes de pouvoir avoir des enfants et de travailler. Et ça, c'est très considérable, parce que souvent, comme l'a dit Robin, les femmes tombent enceintes, va-t-on les employer ? Il ne faut pas que la maternité soit un frein à l'embauche. (Applaudissements) Alors vous voyez, quand on regarde, en matière politique... Non, je n'ai pas fini ! Je conclus. Quand on regarde dans le domaine politique, le domaine économique, le domaine social, on voit que finalement en Europe, et grâce à l'Europe, la situation des femmes est plutôt mieux qu'ailleurs. Elle est tellement mieux qu'ailleurs, que de nombreuses autres femmes regardent ce qu'il se passe en Europe, et envient un peu cette position européenne, parce qu'elles se disent, mais s'ils y sont arrivés, eux, sur ce vieux continent, est-ce que nous, on n'y arriverait pas ? Est-ce qu'en effet cet exemple européen peut être repris dans les autres parties du monde ? On le voit en Afrique, Aude, tu y es souvent, il y a une féminisation du parlement qui est de plus en plus importante, et on voit des pays qui affichent des taux quasiment égaux à ceux de l'Europe. Je vais vous raconter une petite histoire. Moi, je reçois à la fondation beaucoup de stagiaires, étudiants venant principalement des pays d'Europe. Il m'arrive de recevoir des Russes, des Américains. Et un jour, j'ai eu une Sud-Coréenne, et dans son rapport de stage, il y avait cette phrase que personne n'avait mise jusqu'à présent. Elle a dit : « Moi, j'ai découvert l'Europe, j'aimerais revenir y travailler, parce que la place de la femme y est bien meilleure que dans mon pays. » On parle de la Corée du Sud, la septième économie mondiale, celle qui fait trembler un peu certaines... puissances occidentales. En effet, en Corée, la situation de la femme est bien moindre. Alors, cette mixité européenne, est-ce que c'est le paradis sur Terre ? Je n'en sais rien, mais je me dis que si l'Europe ne va pas très bien en ce moment, le monde non plus, il y a des guerres, il y a des crises, il y a des tensions. Je ne crois pas que les hommes seuls pourront relever tous les défis qui s'imposent. L'humanité est composée d'hommes et de femmes, et cette mixité européenne n'est pas une mixité d'affrontement, c'est une mixité où on doit essayer de partager le pouvoir. Car peut-être que si on se met ensemble, hommes et femmes, pour relever les défis, ça ira beaucoup mieux que ce qui se passe actuellement. Et donc, je fais une proposition complètement iconoclaste. Est-ce que les affaires du monde ne marcheraient pas mieux si en effet, il y avait davantage de femmes au pouvoir ? Et je viens de me rendre compte que finalement ce n'était pas une proposition si iconoclaste que ça, parce qu'un magazine, cette semaine, titre « Elles font bouger le monde. » Merci ! (Applaudissements)