Weslei Ajarda : Je suis ici pour vous raconter une partie de mon histoire, qui commence quand j'avais 3, 4 ans. Ma mère m'emmenait à l'église, et j'aimais cela parce que j'écoutais de la musique, je regardais tous ces musiciens devant moi. Mes yeux brillaient, je ressentais quelque chose de différent en moi. Quelque chose de très important, mais je ne savais pas ce que c'était. Comme n'importe quel enfant de mon âge, je jouais beaucoup. Je jouais au foot, je jouais à plein de jeux. Mais, je savais qu'il y avait quelque chose d'autre qui m'attirait fortement, de manière différente. Peu après, quand j'avais sept ans, j'ai mieux compris ce que c'était, quand un copain m'a appris quelques notes de guitare, et que j'ai commencé à jouer, à l'apprécier, tout excité. À ce moment-là, nous voulions jouer à faire de la musique, mais nous n'avions aucun instrument, donc nous faisions une batterie avec des pots, des poêles et plein d'autres choses. J'étais émerveillé par les sons graves, j'ai construit une basse avec ma clôture. J'en ai pris une planche, des fils de nylon, je détruisais peu à peu la maison. Mais j’adorais cela. Eder Kinappe: Tu jouais aussi du pagode, non ? WA: Oui, tous les dimanches, c'est une tradition dans la famille de tous se réunir. On attendait le dimanche : « Il y a aura du pagode aujourd'hui ! » (Rires) Quand j’entrais dans la roue de samba, j'étais fascinée par elle. Quand les musiciens s'arrêtaient, laissaient le pandeiro, je le prenais. Toute ma famille savait cela ; ma tante Carmen Lúcia, que je remercie encore aujourd'hui, a vu un entrefilet dans le journal, sur l'école de musique d'OSPA, l'Orchestre Symphonique de Porto Alegre, en 2013. Ce jour-là, elle m'a dit : « Weslei, toi qui aimes tant la musique, qui es si attiré par elle, voici une petite description de l'école de musique d'OSPA. Ils y ont ouvert des postes pour des jeunes étudiants à faible revenu qui veulent étudier la musique. » Je me suis dit : « Super ! », j'aimais la basse à cette époque-là. Je me suis inscrit en pensant que c'était pour jouer de la basse. (Rires) A ma première leçon, je découvre un instrument de 1,80 m de haut, plus grand que moi. J'étais encore petit alors. (Rires) Il était plus grand que moi, immense, j’étais terrifié ! EK : Bon, c'était à ce moment-là que j'ai connu Weslei, a la réouverture de l'École de Musique d'OSPA, qui, malheureusement, était restée fermée pendant une longue période. Nous avons dû recommencer à zéro. La direction de l’école a décidé que les enfants pauvres seraient favorisés. C'est ainsi que Weslei est entré à l'école. Dès les premiers mois, j'ai vu qu'il avait un talent largement au-dessus de la moyenne, qui méritait beaucoup d'attention. À cette même période, une chaîne de télé et un journal sont venus à l'école de musique faire un reportage sur sa réouverture. Ce reportage avait aussi pour but d'inciter les gens à donner des instruments pour aider les étudiants. Ils m'ont demandé si j'avais un étudiant à donner en exemple, c'est-à-dire pauvre et potentiellement talentueux. Je leur ai donné le nom de Weslei. Ils ont fait ce reportage, - très beau reportage, d'ailleurs - qui a eu l'effet que nous avions espéré : il a reçu une contrebasse, celle-ci. WA : Ce reportage a bouleversé ma vie, car je ne savais pas ce que c'était que d'avoir des caméras pointées sur soi. Mais J'ai beaucoup aimé ça. (Rires) Mon histoire a été partagée, les gens ont pu en savoir plus sur moi, car dans un tournage, on peut vraiment dévoiler ses sentiments. A cette époque, la musique était en train de fleurir en moi, je savais que c'était ce que je voulais faire. Un journaliste de Rio a beaucoup aimé mon histoire et a décidé de me faire cadeau d'un instrument. Il nous a contactés pour demander la meilleure façon de le faire. Je l'ai accueilli à bras ouverts. (Rires) (Applaudissements) EK : Cela a tout changé pour Weslei, car, depuis qu'il a sa contrebasse pour pratiquer chez lui, il a pu s'entraîner selon la méthode que j'ai développée pour mes élèves, qui consiste à jouer entre quatre et six heures par jour, pour atteindre le niveau d'excellence qu'une telle carrière exige. Il a embrassé cette idée, l'a adorée, s'est mis au travail immédiatement. Et rapidement, il a participé à des événements importants. Avec deux ans de pratique, il a participé au 5ème festival de musique à Pelotas, où il a rencontré l'un des plus grands contrebassistes au monde, l'Italien Giuseppe Ettore. Il a également participé à l'édition de cette année, où il a rencontré le Professeur Alberto Bocini, un grand contrebassiste, l'un des plus importants au monde. Au second semestre l'an passé, la direction de l'école, en collaboration avec les enseignants, a décidé d'organiser des auditions comme le font les orchestres professionnels, c'est-à-dire : pour entrer dans l'orchestre, il y a un jury derrière un rideau, de façon à ne pas voir les candidats. Ainsi, ce jury ne peut juger que ce qu'il entend. Nous avons fait des auditions ainsi, auxquelles la plupart des étudiants de niveau avancé ont participé. Weslei est arrivé premier au classement général parmi plus de 200 étudiants. (Applaudissements) WA : Ce concours a été un grand défi pour moi, puisque, parmi tous les participants, j'étais celui qui avait étudié le moins longtemps, je n'étais pas aussi entraîné que les autres. Mais j'étais sûr d'y arriver, même si c'était un grand défi. Eder et moi nous y sommes consacrés avec le plus grand sérieux, nous avons saisi cette opportunité. EK : Exactement. Il est très important de signaler tout cela, car Weslei vient d'un milieu très pauvre, et théoriquement bien éloigné de l'univers de la musique de concert, - qu'on appelle la musique classique - l'univers des grandes salles de concert, des chefs d'orchestre et des solistes, tout le glamour imposé par le rituel des musiciens en smokings, et le cérémonial d'un concert. Mais tout cela nous montre le pouvoir transformateur de l'art, en particulier de la musique. Dans son cas, ça a tout changé dans sa vie. Ce fut grâce au langage musical qu'on a découvert quelque chose qui, en vérité, existait déjà chez Weslei, cette sensibilité artistique. Cela me rappelle le premier festival auquel il a participé, avec Giuseppe Ettore. Après qu'il a rencontré Weslei, et appris qu'il n'avait que peu d'expérience en matière de musique de concert et de contrebasse, il a dit une chose que je trouve très pertinente. Il était impressionné et a dit : « Il est incroyable de voir comment Weslei joue toutes les nuances de Vivaldi avec une aisance que même les étudiants européens, qui sont nés dans ce contexte-là, n'arrivent pas à avoir. » Cela prouve aussi que la musique n'a pas de barrières. Pour Weslei, jouer du Vivaldi est naturel, peu importe que ce soit baroque, italien. Il comprend cela de façon naturelle. Le professeur lui-même l'a vu. D'ailleurs, il a rencontré un autre talent italien, le contrebassiste Alberto Bocini, que j'ai mentionné auparavant, et il a reconnu lui aussi l'énorme potentiel de Weslei. Il est professeur à la Haute École de Musique de Genève, et il a invité Weslei a étudier avec lui là-bas. (Applaudissements) WA: Le fait que je vienne de la banlieue génère parfois des préjugés, mais je sais que la musique est importante dans ma vie. Pour moi, la musique, c'est la vie. Savoir qu'une personne aussi connue qu'Alberto Bocini, un des plus grands contrebassistes au monde, sache qui je suis, et veuille que je sois à ses côtés, pour apprendre, est très gratifiant. Comme je l'ai dit, la musique fait partie de ma vie. Même si beaucoup de choses me manqueront, parfois, là-bas, loin, à Genève, en Suisse, loin de ma famille, de mes copains, et de tant d'autres choses qui me manqueront, je serai avec ma contrebasse, avec la musique, et je sais que je ne serai jamais seul. (Applaudissements) EK : Maintenant Weslei va nous montrer un peu de son travail. Il va jouer deux mouvements : un andante et un allegro giusto, du compositeur italien Domenico Dragonetti, Concerto pour contrebasse et orchestre. (Musique) (Applaudissements) EK : Bravo ! EK : Bravo! Bravo !