Le 25 février dernier,
j'ai produit un spectacle
devant 300 personnes, le DACOR show,
pourtant, je suis ni comédien,
ni producteur, ni artiste.
Je suis juste président
d'une association, DACOR,
qui œuvre à améliorer
les conditions de vie
de personnes en situation de handicap.
Nos objectifs, trois :
premièrement, créer des lieux de rencontre
en dehors des établissements spécialisés ;
deuxièmement, créer des moments festifs,
des moments de loisirs
dans des lieux ordinaires ;
troisièmement, rencontrer des personnes,
avoir des échanges, avoir une ambiance,
et ces échanges permettent,
entre parents, entre jeunes,
entre éducateurs,
quelque part, de participer
à une autre insertion sociale.
Je suis moi-même papa
d'une jeune fille de 27 ans,
Giovanna,
grande prématurée,
atteinte de déficience visuelle
et atteinte de déficience intellectuelle.
J'ai rencontré cette jeune fille
à l'âge de 6 ans,
en même temps
que je rencontrais sa maman.
Ce fut le changement radical de ma vie.
Non seulement je rencontrais
la femme de ma vie,
mais j'avais le cadeau extraordinaire
de pouvoir partager une complicité
et un amour sans filtre.
Je décidai donc, le jour de mon mariage
d'adopter la petite fille de mon épouse.
Je devenais donc son papa.
Au début de cette rencontre,
on se pose des questions,
on se dit : « Comment agir ?
comment se conduire ? »
Il semble que c'est compliqué,
mais en fait, non !
Ces enfants sont sans filtres,
ils sont purs, c'est vrai ou faux.
Même si quelquefois leur faciès
peut nous faire peur,
ou leur façon de s'exprimer nous choque,
l'hypocrisie, la manipulation,
ils ne connaissent pas.
C'est blanc ou noir.
Ils dégagent une émotion extraordinaire
dans leur sincérité.
Mais il y a un mais :
mesdames, messieurs,
on ne les connaît pas.
Parce qu'on les fait vivre
dans un monde en vase clos.
Ce monde en vase clos m'a permis de dire :
« Je vais produire ce spectacle ».
L'idée m'est venue de ma fille, Giovanna.
Elle adore la musique, elle est passionnée
par le chant depuis son plus jeune âge.
Et nous avons vu la métamorphose
que pouvait apporter cette passion
à Giovanna.
L'idée de partager cette expérience
avec d'autres handicapés mentaux
va créer un autre chemin.
Dans notre association,
lors de nos après-midis festifs,
nos adhérents se mettent à chanter,
se mettent à danser ;
et nous avons l'idée, et j'ai l'idée,
d'inviter des artistes
des chanteurs, des humoristes,
des profs de danse, des danseurs.
Ils découvrent avec nous ce nouveau monde,
mais en même temps,
ils découvrent quelques talents,
en les écoutant chanter,
en les regardant danser.
Alors avec eux et leur engagement,
il nous prend
une idée complètement folle :
si on montait un très grand spectacle
où artistes et jeunes handicapés
seraient sur scène
mais aussi en coulisses ?
Ce projet nous donne quelques objectifs :
en fait, la découverte
de nouveaux métiers artistiques
et technologiques à nos jeunes handicapés.
Deuxièmement, sur une scène,
un peu de paillettes,
un peu d'éclairage et un bon son,
et artistes et jeunes handicapés
ont fait gommer les différences,
on ne voit pas qui est qui.
Le troisième objectif,
c'est que la rencontre que nous permet
une telle organisation,
d'entreprises, de structures
privées et publiques,
nous amène à ce que ces gens
découvrent aussi ce nouveau monde
et ont peut-être un peu l'idée de dire :
« Tiens, il y a des nouvelles voies,
peut-être une nouvelle possibilité
d'insertion sociale. »
Car je vous pose la question :
quel avenir propose-t-on
à nos jeunes handicapés mentaux ?
Quelle que soit la cause
ou les complications du handicap mental,
ils sont accueillis dans un établissement
spécialisé en dehors de la vie ordinaire.
Maintenant, Giovanna a 20 ans.
Vingt ans, c'est l'heure des choix,
c'est l'heure aussi de la légalité.
Il faut savoir que ces jeunes handicapés,
leur âge légal est vingt ans
et non pas 18 ans.
L'heure des choix, pourquoi ?
Parce que les tutelles décident
à moment donné
quelle va être leur orientation,
je dis bien les tutelles.
Les alternatives sont réduites :
deux choix.
Le premier, ils décident
qu'en fonction de leur comportement,
ils sont capables d'accomplir
certaines tâches
et dans ce cas-là, ils seront accueillis
dans un établissement spécialisé
de travail protégé,
qu'on appelle des ESAT.
S'ils décident que la personne
n'est pas capable de pouvoir
accomplir certaines tâches,
ils rentrent
dans un établissement spécialisé
où ils vont avoir diverses activités
dans la journée,
ils vont se retrouver ensemble,
on les aide un petit peu
à avoir leur autonomie, mais toujours
en dehors de la vie ordinaire.
Pourtant si on regarde en Europe,
et dans des pays près de nous,
en Espagne, en Suède, par exemple,
handicap ou pas,
le seul critère d'embauche,
c'est la compétence.
Les établissements spécialisés
ont su se transformer,
leur mission évoluer plutôt
vers une mission plus sociale.
Ils aident toutes les personnes
avec des problèmes médicaux,
c'est de l'accompagnement médical,
ils aident au logement,
mais ils sont surtout formateurs,
formateurs professionnels.
Ils sont même le tremplin à l'embauche.
En fait, ils ont réussi
leur insertion sociale.
Mais que se passe-t-il ?
Messieurs, mesdames,
quand ces gens sont dans la rue,
et qu'ils rencontrent
maintenant des personnes
en situation de handicap mental,
ils ne détournent plus leur visage.
Pourquoi ? Parce qu'ils ont inventé
le vivre-ensemble.
Ils ont inventé un mode d'inclusion.
En France, revenons à nos établissements
spécialisés en travail protégé.
En fait si je vous résume,
ce sont des établissements
où dans un même atelier,
vous retrouvez des gens
de pathologies différentes, de tous âges,
accomplir un peu de ménage,
un peu de repassage, un peu
d'emballage, un peu de façonnage,
et ça, entre 20 ans et 60 ans.
Ce travail, en plus, est fourni
par des entreprises
et c'est très bien qu'il soit fourni
par des entreprises.
Les entreprises bénéficient
à ce moment-là,
bien évidemment qu'ils ont accompli
leur obligation légale
d'embauche d'handicapés,
mais le handicap ne rentre pas
dans l'entreprise !
Je suis là pour dénoncer ce modèle
parce que pour moi ce modèle est dépassé.
En France, le modèle est basé
sur une protection sociale.
Mais je m'interroge :
mais qui veut-on protéger ?
Contre qui ? Contre quoi ?
Ces établissements spécialisés
de jeunes handicapés
ont un taux d'absentéisme
qui est inférieur au taux
d'absentéisme des entreprises.
On voit que le travail qui est accompli,
est accompli avec de la qualité
et dans les délais.
Mais alors pourquoi
les entreprises n'embauchent pas ?
Ils n'embauchent pas aujourd'hui
parce qu'ils ont peur.
Ils ont peur parce qu'on ne connaît pas
nos jeunes handicapés,
on a peur de leur comportement
parce qu'on ne les voit pas
dans la vie ordinaire.
Je serais même à me demander
si cette loi de protection sociale
n'est pas pour protéger
les personnes dites normales
contre l'exposition
des personnes handicapées.
Je risque de dire un gros mot,
ce serait de la discrimination,
un mot qui est à la mode aujourd'hui.
Donc je pense qu'il faut
qu'on change d'approche.
Cette approche, ce modèle
est complètement dépassé.
Ce qu'on peut retrouver aujourd'hui
qui peut nous donner des espoirs,
c'est que la jeune génération
d'handicapés aujourd'hui
découvre à travers les technologies,
à travers la communication,
ils ont tous leur iphone, leur PC,
leurs réseaux sociaux,
ils voient qu'ils peuvent
se créer de nouvelles alternatives,
pour eux et pour nous.
Car aujourd'hui, on n'est pas étonné
que des choses se créent.
On a vu des défilés de mode,
il s'appelle Modèle Handicap.
On a vu des personnes handicapées
créer de l'entreprise,
être dans l'embauche, dans l’hôtellerie,
dans les salons de coiffure,
on a même des exemples très forts :
une jeune handicapée mentale qui,
par la volonté et l'aide de tout le monde,
est devenue institutrice,
vous vous rendez compte !
Et puis il y a quelques temps,
vous l'avez peut-être tous vu à la télé,
une personne, handicapée mentale,
trisomique, qui a réussi son rêve
de passer à la télé faire
une minute et demi de météo.
On est tous très heureux
qu'elle ait pu réaliser son rêve.
Mais qu'avons-nous constaté ?
Que tout le monde
a trouvé ça très émouvant.
Oui c'est émouvant, mais pourquoi ?
Parce qu'on n'a pas l'habitude
de la voir dans la vie ordinaire.
Je souhaite de tout mon cœur
que cette petite expérience,
ce petit rêve, puisse se transformer
en quelque chose.
Qu'elle puisse continuer dans la voie
qu'elle a envie de faire,
qu'on lui en donne les possibilités.
Oui, car pour moi, la France a un handicap
à traiter le handicap.
Je reviens sur notre spectacle :
quand nous l'avons réalisé effectivement,
il y a eu une grande joie
auprès de ces jeunes
qui se sont sentis moins différents,
on a vu leurs sourires.
Mais on a vu aussi quelque chose
qui s'est réalisé pour eux :
lors des répétitions,
qui ont duré six mois,
il a fallu trouver des endroits.
On a pris des lieux ordinaires,
mais on n'a pas eu le choix,
parce que ce n'étaient que des endroits
privés qui nous ont ouvert les portes.
Ces lieux ordinaires, avec des personnes,
des bénévoles, des artistes
qui n'ont pas l'habitude
d'accompagner des jeunes handicapés,
qui sont comme vous et moi,
mais simplement ils avaient
un amour de métier,
ils avaient l'amour
de faire passer leur passion.
Et le résultat, ces jeunes,
on les a vus à l'écoute, disciplinés,
apprendre leur texte, et surtout,
messieurs, mesdames,
ils ont réalisé quelque chose
d'extraordinaire,
qu'il est difficile de réaliser,
j'en suis la preuve aujourd'hui.
Donc, je pense vraiment
qu'il faut qu'on change de modèle.
De cette expérience, qu'est-ce que
nous avons pu rencontrer aussi ?
Que les entreprises qui nous ont suivis,
nos partenaires
qui nous ont suivis dans notre projet,
ont envie de continuer l'expérience !
Ils se disent : « Peut-être qu'il y a
avec ce nouveau monde,
avec ces nouveaux jeunes,
des possibilités,
de nouveaux business, de nouveaux
marchés et peut-être même de bénéfices !
Donc je pense vraiment qu'il est temps
qu'on change notre regard.
Il est temps de transformer
les institutions
vers un modèle d'inclusion.
Pourquoi pas rêver que institutions,
entreprises, associations,
tous main dans la main,
jouent ce rôle vers un modèle d'inclusion.
Et je rêve aussi que mon association
puisse créer un établissement :
on l'appellerait ESAD, non pas ESAT,
l'Établissement du Sourire
pour Artistes Différents.
Car l'art est source d'emplois
mais aussi d'amour et de passion.
On pourrait peut-être donner
une autre expérience,
une autre vision à ces jeunes handicapés.
Et surtout messieurs, mesdames,
une autre voie
dans un monde sans différences
mais surtout sans indifférence.
Merci beaucoup.
(Applaudissements)