Gréve générale de Winnipeg, 1919 Manifestation communiste Berlin, 1929 Il y a toujours eu des think tanks de droite, bien sûr, mais le phénoméne a réellement pris de l'ampleur au début des années 70. Il s'inscrivait dans une vaste réaction au militantisme des années 60, qui a terrifié les élites, parce qu'il démocratisait la société ‒ et naturellement ils méprisent tous la démocratie. L'exemple le plus explicite de la pensée de l'lnternationale libérale est une importante étude de la Commission trilatérale, qui regroupe des internationalistes libéraux de l'Europe, des É.-U. et du Japon. Trois géants. Parue en 1974, elle s'intitulait « La crise de la démocratie » L'étude concluait que les pays se démocratisaient trop, qu'il y avait « un surcroît de démocratie ». Des gens normalement apathiques devenaient actifs et revendicateurs. Ils qualifiaient ces mouvements de « groupes d'intérêts spéciaux », comme les femmes, les jeunes, les vieux, les travailleurs, etc. Bref, le pays entier ! Seul le secteur corporatif n'est pas désigné ainsi, parce qu'étant sensé diriger le monde et le pays, il représente « l'intérêt national ». Mais le reste de la population devenait beaucoup trop actif. À travers le mouvement étudiant, le féminisme, l'écologisme, etc., cette période a eu un effet fortement civilisateur sur les sociétés. Et tous ces changements instillaient la peur. Aussi, il y a eu une forte réaction. La Commission trilatérale a appelé à tempérer les ardeurs démocratiques « il y a trop de pressions sur l'État, on ne peut satisfaire tout le monde; « les institutions d'endoctrinement de la jeunesse » ‒ ils peuvent être francs parce qu'ils discutent entre eux ‒ « ces institutions doivent serrer la vis; « la presse est hors de contrôle » ‒ ce qui est une farce ‒ « l'État devrait peut-être intervenir. » Mais, d'une certaine maniére, ces propos exprimés par l'Internationale libérale traduisaient le sentiment général en Europe, aux É.-U. et au Japon, où on parlait de la « période des troubles ». La popularité des mouvements sociaux posait probléme. Et il y a eu une forte réaction sur plusieurs fronts, dont la montée en puissance des think tanks de droite, pour tenter de ramener vers la droite la teneur de la discussion, à tout le moins dans le grand public. Et ce, au même moment où les lobbies d'affaires tentaient de contrôler et d'encadrer toute législation. Je suis président de la Fondation pour l'éducation économique située juste au nord de New York. Fondée en 1946, elle fut la premiére organisation au monde de tendance libérale classique, en faveur d'un libre marché. Depuis, d'autres ont vu le jour. Notre mandat est de présenter au public les idées et les idéaux d'une société libérale et décentralisée, régie par les régles de la propriété privée et limitant les pouvoirs de l'État. Ce que je soutenais aujourd'hui, ce n'est pas que le capitalisme industriel ne produit pas de pollution, mais plutôt que la pollution causée par le capitalisme industriel ‒ peu importe si on la juge grave ou non ‒ doit être comparée à celle du passé; la gravité de la situation actuelle doit être comparée à celle de l'époque préindustrielle. Et selon nos standards actuels, les conditions de vie à cette époque étaient extrêmement insalubres et dangereuses, vu les nombreux polluants naturels auxquels nos ancêtres étaient confrontés quotidiennement et, ce, au péril de leur vie. Et le capitalisme a éliminé plusieurs de ces dangers et a réussi à contenir la plupart des autres. Alors mon propos n'était pas de dire qu'il n'y a pas de pollution aujourd'hui mais que la pollution actuelle devrait être comparée à celle d'antan quand on compare le bilan du capitalisme à celui du non-capitalisme. Comment l'aide sociale nuit aux enfants Le terme néolibéralisme est plutôt étrange. D'abord, ça n'a rien de libéral, on l'a déjà dit, et ça n'a rien de neuf. Ce sont des politiques néolibérales ou comparables qui ont créé le Tiers-Monde. Si on remonte au 18e siécle, la Chine et l'Inde, surtout, étaient les pivots de l'économie mondiale. Puis ça a changé. L'écart entre riches et pauvres était moins grand qu'aujourd'hui. L'Europe se développa : d'abord l'Angleterre, puis les É.-U., l'Allemagne, etc. Ils se développérent en violant outrageusement les dogmes néolibéraux : États forts, interventions directes dans l'économie, etc. L'Inde et la Chine s'en trouvérent dévastées. Idem pour ce qu'on a appelé le Tiers-Monde. Comment ? En imposant par la force les dogmes du marché. C'est un fait bien connu : prenons un historien économique sérieux, tel Paul Bairoch, il souligne que les pays riches se sont développés par le protectionnisme et l'intervention étatique. Il n'appelle pas ça « néolibéralisme », mais cette « libéralisation forcée » a créé le Tiers-Monde. Et on l'avait déjà compris au 18e siécle. Prenons Adam Smith, que tous vénérent mais nul ne lit. Si on prend la peine de le lire, il s'avére plutôt intelligent. Son expression « main invisible » est célébre. Mais le contexte dont elle est issue est fort méconnu. Il l'utilise une seule fois dans son livre, c'est facile à trouver. En fait, c'est une critique du dit « néolibéralisme ». Comme il s'intéressait à l'Angleterre, il a dit : « Supposons que les marchands et manufacturiers, « qui possédent et dirigent la nation, « investissent à l'étranger tout en important de l'étranger, « parce que c'est profitable. « Ça serait profitable pour eux, mais néfaste pour l'Angleterre. « Toutefois, pour différentes raisons, par nationalisme, par insécurité, etc., « chacun préférera s'en abstenir. « Donc, la nation sera sauvée par une main invisible » des ravages de ce l'on nomme aujourd'hui néolibéralisme. L'intuition était bonne, mais l'argument erroné. David Ricardo, l'autre grand économiste, abondait dans le même sens. Prenons son exemple classique du Portugal et de l'Angleterre : Il a dit : « Si les capitalistes anglais investissaient au Portugal « tant dans le vin que dans le textile », ses exemples originaux, « ils pourraient en profiter » ‒ ce qui saperait sa théorie des avantages comparatifs ‒ « mais au détriment du peuple anglais. « Néanmoins ils s'y refuseront. » Il évoque diverses raisons : psychologiques, patriotiques, etc. Mais l'intuition est bonne. On l'avait compris au 18e siécle et en général les faits concordent. La libéralisation forcée fut extrêmement néfaste. Et les pays riches eux-mêmes la refuseraient. Ils appellent au libre-échange. Mais que signifie ce terme ? D'abord, des pays comme les É.-U. ou, dans une moindre mesure, l'Europe ne peuvent logiquement participer à des accords de libre-échange : ils refusent les marchés chez eux. Alors, comment peuvent-ils signer de tels accords ? Prenons l'économie américaine, qui est au coeur de l'économie d'aprés-guerre, elle repose en grande partie sur la dynamique du secteur public. Prenez l'endroit où nous sommes assis, le MIT. Qu'est-ce que le MIT ? C'est peut-être le meilleur institut technique au monde, mais c'est aussi un canal par lequel les fonds publics transitent avant d'aboutir dans les poches d'entreprises privées. C'est ici que des technologies comme Internet ou l'ordinateur ou encore d'autres technologies de pointe ont été développées, surtout avec des deniers publics, l'État assumant tous les risques. Cela a été fait sous couvert militaire, ce qui est adéquat pour la branche électronique de l'industrie high-tech, pendant des décennies ! L'ordinateur et Internet sont demeurés dans le secteur public pendant environ 30 ans avant d'être cédés au privé. Et c'est vrai pour presque tout le reste. Prenez l'aviation civile, qui s'exporte beaucoup, c'est presque une branche de l'armée de l'air. C'est pourquoi l'Europe, les É.-U., le Japon et d'autres pays sont si intéressés à développer des avions militaires : il y a des retombées immédiates dans l'aviation civile qui, elle, génére des profits colossaux dans l'industrie touristique, etc. Ou prenez seulement le commerce : il repose sur des conteneurs. D'où viennent-ils ? De l'US Navy ! Il est frappant de constater à quel point chaque élément du programme néolibéral est spécifiquement conçu pour affaiblir la démocratie. On en parle peu. On ne regarde que les effets économiques. Mais songez-y... Prenez par exemple la mondialisation financiére. Pour Keynes, le plus grand succés du systéme de Bretton Woods, le systéme d'aprés-guerre, fut la régulation des marchés financiers. Et pour cause. Car cela donne assez d'espace à l'État pour mettre en place les programmes soutenus par sa population. Si les capitaux peuvent circuler librement, alors on peut attaquer librement les devises. Cela crée ce que certains économistes nomment « un parlement virtuel d'investisseurs et de prêteurs qui peut » ‒je cite la documentation technique ‒ « voter à tout moment sur les politiques du gouvernement ». S'ils jugent les politiques irrationnelles ils peuvent voter contre en retirant leurs capitaux ou en attaquant les devises, etc. Les politiques jugées irrationnelles sont celles dont bénéficie le peuple mais qui n'accroissent pas les profits ou l'accés aux marchés, etc. Et, donc, les gouvernements font simultanément face aux suffrages du peuple et du parlement virtuel. Habituellement, c'est le parlement virtuel qui l'emporte, surtout dans les pays pauvres. Dans les pays riches, c'est plus nuancé. D'abord ils n'ont pas pleinement adopté le programme néolibéral, pas autant que l'Amérique du Sud, disons, mais malgré tout, les effets sont prévisibles. Et c'est pareil pour d'autres éléments du programme néolibéral. Prenez la privatisation, une véritable obsession. Par définition, la privatisation sape la démocratie, elle sort une chose du domaine public pour la placer entre les mains de tyrannies privées non-imputables qui sont créées et soutenues par l'État : les corporations. Guinée équatoriale, 2006 Conférence de Bretton Woods, Hôtel Mount Washington, 1944 « L'humanisme militaire », c'est une belle expression utilisée pour masquer la coercition, la conquête et l'oppression. Certes, le terme est nouveau, mais si on étudie l'histoire, les conquêtes, l'impérialisme, l'oppression et la violence sont presque toujours présentés en termes humanistes. Ainsi, la France se voyait investie d'une mission civilisatrice alors que son ministre de la Guerre appelait au génocide en Algérie. Les Britanniques, pleins de générosité, apportaient la civilisation aux Indes barbares quand, en fait, ils les conquéraient, créant le plus vaste empire de narcotrafic au monde pour percer les marchés chinois, tout en parlant de libre-échange. lci, ça s'appelle « l'exception américaine ». Nous sommes tellement plus nobles que les autres. Le hic, c'est que tous les autres systémes de pouvoir proclament la même chose. Quand les Japonais conquéraient la Manchourie, au nord de la Chine, les documents que nous avons ‒ parce qu'ils ont été conquis ‒ regorgent de rhétorique humaniste relatant comment ils allaient créer un paradis terrestre et comment le Japon, si bienveillant, se donnait sans compter pour le bien du peuple. D'ailleurs, récemment, il y avait un article intéressant dans le Globe and Mail, écrit par un immigrant russe. Jadis soldat en Afghanistan, il vit maintenant au Canada. Il comparait la description de l'invasion de l'Afghanistan par l'URSS à celle des invasions de l'lrak et de l'Afghanistan par les États-Unis et à celle des troupes canadiennes en Afghanistan. C'est presque la même ! C'était un soldat et il raconte qu'ils y croyaient tous, qu'ils pensaient venir en aide aux pauvres Afghans. Harcelés par des terroristes soutenus par la CIA, ils se sacrifiaient pour procurer des soins médicaux, donner des droits aux femmes, etc. Mais ils ne pouvaient y parvenir à cause de la folie terroriste islamiste ‒ ce qui est vrai en bonne partie. C'est un peu la façon dont le Canada décrit aujourd'hui sa mission en Afghanistan. Idem pour la mission en Irak, etc. Ce sont presque des universaux culturels. Bien sûr, maintenant, c'est de « l'humanisme militaire ». Le néolibéralisme est sensé être pure science économique. Mais dés qu'on l'étudie de prés, on réalise qu'il n'est qu'un coup de force des multinationales et des quelques États qui veillent aux intérêts de celles-ci. Alors, si vous voulez, c'est comme du néocolonialisme, mais en des termes différents. Et ça traverse l'histoire. Si des archives d'Attila le Hun nous étaient parvenues, on découvrirait probablement qu'il se drapait de vertu. Ripped & srt: Tokadime