La France change et il nous faut adapter notre système politique à ce changement. J'ai bien observé le modèle français et je l'ai compris. Dans ce marasme économique, nous avons besoin d'une France forte. Ensemble, réinventons notre système pour une société plus efficace, plus durable et plus juste. Liberté, égalité, fraternité, ce sont les valeurs de la République et elles sont méprisées. Aujourd'hui, je fais un rêve. Celui d'une République exemplaire. Je rêve qu'un jour notre nation se réveille et combatte son ennemi intérieur. Notre ennemi n'a pas de nom, pas de visage, pas de parti. Il ne présentera jamais sa candidature et pourtant, il gouverne. Cet ennemi, c'est le monde de la défiance. Nous traversons une crise de confiance sans précédent. Les Français ne croient plus dans notre modèle économique et politique. Il nous faut moraliser la vie publique et moraliser l'entreprise. J'aime l'entreprise mais je ne serai pas le président des riches. Moi, président de la République, je laisserais sa place à chaque Française, à chaque Français. Moi, président de la République, je déclarerais une guerre totale contre les injustices. Moi, prési... En fait, on ne peut plus faire de la politique comme ça. Je pense que vous en avez bien conscience, ça ne peut pas marcher ! Ce que je vous propose plutôt, c'est une anti-candidature présidentielle. Je vous propose qu'on soit tous co-président d'une autre société qu'il faut qu'on invente ensemble. Il y a un an, je suis parti pendant six mois faire un tour de France. Je suis parti sur les routes en stop. J'ai été pris par près de 500 conducteurs et à chaque fois que je rentrais dans une voiture, je lui demandais dans quelle société il avait envie de vivre demain et de ce qui posait les problèmes dans la société d'aujourd'hui. J'ai fait plus de 8000 km, je suis allé voir aussi des élus et des candidats aux élections municipales. C'est-à-dire que j'ai été rencontrer ces candidats, j'ai été dormir chez eux, j'ai été les interviewer sur leur vision de la démocratie et la société qu'ils aimeraient léguer demain à leurs enfants ou à leurs petits-enfants. Et je suis revenu de ce voyage, de ce tour de France, avec plein d'idées, plein d'envies et avec une conviction : c'est qu'il faut absolument qu'on ait une vision à proposer. Aujourd'hui, notre société, elle est en panne de vision. Je ne vais pas vous proposer une vision toute faite. J'ai juste quelques témoignages à vous apporter, quelques idées, quelques envies de choses à partager. La première, c'est que j'ai l'impression qu'il faut qu'on forme des citoyens. Des vrais citoyens, c'est-à-dire pas des gens passifs, qui vont être attentistes, qui vont attendre que la société leur dise quoi faire. Des gens qui sont capables d'agir par eux-mêmes. Pour ça, il nous faut des écoles de citoyens. Il faut que dans les écoles d'aujourd'hui, ce soit une école pour tous : pour les filles et les garçons et tous les âges. Qu'on puisse se former à n'importe quel âge, tout au long de sa vie. Il faut que ça soit une école basée sur l'échange réciproque de savoir. C'est-à-dire ne plus avoir le système des sachants qui, de manière descendante, vont décréter ce qui est vrai ou pas et donner leur savoir. Non, il faut qu'on soit sur du pair-à-pair. C'est-à-dire partager le savoir et les compétences qu'on peut avoir parce qu'on a tous des compétences à partager. Pour ça, on peut apprendre en faisant. C'est-à-dire être sur un mode projet, fonctionner en projet ou même fonctionner en laboratoire. Ne pas avoir peur de se tromper. En fait, l'échec, il fait partie du processus d'apprentissage et pour avoir des citoyens, il faut s'être trompé. Il faut se tromper tous les jours pour, derrière, pouvoir réussir. Il faut qu'on n'ait pas de notes dans cette école, pas de classement, pas de compétition parce que cette société dans laquelle on est, elle est préparée dès le plus jeune âge. Si on veut une société de la coopération, il faut une école de la coopération : c'est-à-dire qu'il faut qu'on puisse travailler en groupe, qu'on puisse copier. Il ne faut pas que ce soit interdit de copier - au contraire ! Regardez ce que fait le voisin et faites avec lui ! Mais même au-delà de l'école, il faut que toute la société nous pousse et nous prépare à devenir des citoyens. Quand devient-on citoyen aujourd'hui ? A 18 ans, on n'a pas le choix. On devient citoyen. On a un droit de vote qui nous arrive et puis, c'est à peu près tout. Ce qu'il faudrait, c'est peut-être remettre en place ou mettre en place une forme de service civil. C'est-à-dire, passer du temps au service du bien commun avant de devenir citoyen. Découvrir les institutions, découvrir et toucher du doigt l'intérêt général. Le jour où on devient citoyen, finalement, on devrait pouvoir le choisir. Entre 15 et 30 ans, je choisis quand je deviens citoyen, une fois que j'ai fait mon service civil, et je signe un contrat social personnalisé. C'est-à-dire un engagement que je prends envers la société et la société va s'engager aussi envers moi et on peut s'engager plus ou moins. La société nous délivre alors plus ou moins de services. Plus je contribue, plus je partage, plus la société va me donner. Alors ça, c'est des exemples qui sont issus de pistes que j'ai été voir sur ce tour de France. On avait le service militaire. On a aujourd'hui de plus en plus de jeunes qui sont en service civique et c'est quelque chose qui a l'air de tellement bien marcher que pourquoi ne pas le généraliser ? Il y a un maire qui m'a raconté une anecdote qui m'a beaucoup touché. Il me disait finalement : « Avant de travailler, j'ai fait mon service militaire et puis dès ma retraite, je me suis proposé pour être maire de mon tout petit village et j'ai fait un mandat de six ans, et c'est les deux moments où j'ai eu l'impression d'être connecté à l'intérêt général ou au bien commun. » Pourquoi ne pourrait-on pas être connecté à cet intérêt général ou ce bien commun tout le long de notre vie ? Donc, pour ça, après avoir fait le service civil, un contrat social personnalisé, pourquoi est-ce qu'on ne pourrait pas avoir un parrainage citoyen ? C'est-à-dire pouvoir se faire coacher par un autre citoyen sur la place qu'on pourrait avoir dans la société. Et au bout d'un certain temps, nous aussi, on pourrait devenir coach. C'est juste quelques idées mais finalement, l'objectif de ces idées ou de ces propositions, ce serait que cette société nous pousse à devenir des citoyens de plus en plus actifs. La deuxième idée dont je voudrais vous parler : c'est finalement pourquoi ne pas transformer le service public en services communs ? Au pluriel. Le service public, qu'est-ce que c'est ? Le service public, c'est les services que la société nous rend. Mais la société, c'est nous. C'est nous tous ici. Donc finalement le service public, c'est les services qu'on se rend les uns aux autres. Sauf qu'on passe par un intermédiaire. On a délégué ces services à une administration, à des élus, donc ce service public, on se le rend pas directement les uns aux autres. Est-ce qu'aujourd'hui, on n'est pas capable de se rendre plus de services les uns aux autres ? Est-ce que les plateformes collaboratives dont on parle, qui nous connectent, qui nous permettent de proposer des services : le covoiturage, c'est un service qu'on rend à d'autres, le « coach surfing », quand on invite, on dit : « Voilà, j'ai une place sur mon canapé. Vous pouvez venir dormir chez moi. » C'est des services qu'on propose aux autres. Est-ce qu'on peut pas imaginer ça à une échelle plus large et concernant les biens communs et le service public ? C'est ce qu'on appelle le service public aujourd'hui, c'est-à-dire, partir du service public pour le transformer en services communs, dans lesquels on est autant des contributeurs que des bénéficiaires. Les exemples que j'ai été voir qui m'ont inspiré cette idée, c'est des exemples tout bêtes de chantiers participatifs. Il y a de plus en plus de villes, notamment des villages qui ont recours à ces chantiers participatifs. Je pense à des villages sur le plateau de Millevaches ou à Trémargat, en Bretagne, où en fait la collectivité, les élus, disent : « On peut faire une partie du service public mais il y a énormément de choses qu'on pourrait faire ensemble si on met tous la main à la pâte. » Du coup, ils invitent à venir sur la place du village construire un nouveau bâtiment ou rénover quelque chose et finalement, c'est des gens qui viennent apporter du temps au service de l'intérêt général, au service du commun. Est-ce que, si on imagine ces communs, ces services communs, d'une manière extrêmement large, comme des services qui nous permettraient de nous procurer le minimum vital, c'est-à-dire, si on imagine de pouvoir vivre de ces services communs, qu'est-ce que ça donne ? Si on prend la pyramide de Maslow et qu'on prend toute la base, et qu'on se dit : « Ça, ça devient des services communs qu'on peut se rendre les uns aux autres : manger, boire, se loger s'habiller, vivre en sécurité, apprendre, se déplacer, communiquer... » Tout ça, ça pourrait être des services qu'on se rend les uns aux autres finalement, en passant par ce type de plate-forme. C'est une logique de gouvernement, de gouvernance comme une plateforme et ça devient une sorte de revenu de base qui est payé, non pas avec de l'argent, payé en nature. On pourrait aussi être équipé de cartes de citoyen qui nous permettent d'accéder à des plateformes de répartition du service public ou des services communs. De proposer nos propres services communs. Je sais faire quelque chose, je suis designer je veux mettre ça au service de la collectivité, eh bien, je le propose sur cette plateforme et on propose ce qu'on a envie de faire, ce qu'on sait faire, et la collectivité, en échange, va nous rendre des services, en échange des services que nous on propose. C'est finalement s'inscrire dans des missions d'intérêt général parce que, ce qui me paraît complètement fou, aujourd'hui, c'est qu'on s'aperçoit que la société est de plus en plus inégalitaire. Il y a plus de gens qui ont besoin de services et de l'autre côté, on a du chômage ou de l'inactivité ou des gens qui ne sont pas épanouis dans leurs activités et qui aimeraient agir plus dans le sens de l'intérêt général. Si on met ces deux besoins en regard, si on les connecte, qu'est-ce que ça donne ? Là, il y a déjà des débuts d'exemples aussi. Je pense au Conseil Général de la Gironde qui a mis en place une bourse d'échange de services et de savoir. C'est des pistes mais qui peuvent, à mon avis, nous emmener loin. Il y a un troisième exemple qui me semble primordial : c'est l'impôt. Aujourd'hui, on paie nos impôts en argent. Est-ce qu'on ne pourrait pas remplacer cet impôt par de la contribution directe ? Parce qu'en fait le principe même de l'impôt, j'ai l'impression qu'il est en train de mourir. Déjà, les entreprises et les contribuables les plus riches, ils réussissent à échapper à l'impôt et puis ce recours à l'impôt, il est bouleversé par le développement des monnaies mondiales ou locales, par les plateformes d'échange direct sur Internet, par la dématérialisation et la multiplication exponentielle des échanges qui deviennent du coup incontrôlables, par l'abandon progressif du pouvoir de création monétaire par les États-nations au profit de grandes banques, par la concurrence fiscale entre des États et du coup le recours accru à des paradis fiscaux, par la folie de la finance, le trading haute fréquence, les marchés spéculatifs... Tout ça, c'est en train de remettre en cause ce principe de l'impôt et pourtant toute notre société, elle est basée là-dessus. Si on essaye de contourner ce fonctionnement, qu'est-ce que ça donne ? Est-ce qu'on ne peut pas, pour éviter que l'argent se concentre dans les mains des plus riches, et continue à se concentrer dans les mains des plus riches, finalement créer une contribution-temps dans laquelle chacun doit consacrer un temps minimum au profit de l'intérêt général en contribuant directement à des services communs et en échange, on reçoit les services vitaux minimums, ce qui ne nous empêche pas de continuer à travailler, d'avoir la liberté de faire les deux. Il y a des exemples, là aussi, aujourd'hui qui bouleversent ce paysage-là, par exemple, des banques de temps, des systèmes d'échange locaux, des « SEL ». Le Bitcoin qui est une monnaie mondiale et qui pose ces questions de la monnaie ou toutes les monnaies citoyennes et locales : le SoNantes à Nantes, le Symba en Ile-de-France, le Sol-violette à Toulouse, et un peu partout, il y a des monnaies qui se créent. Ça revient remettre en cause cette place aussi de l'impôt. Et le quatrième sujet qu'il faut aborder, c'est, d'après moi, la démocratie. On en parlait en introduction. Qu'est-ce que c'est, ce mot « démocratie » ? Aujourd'hui, je pense qu'il faut une nouvelle démocratie pour le XXIème siècle mais notre système représentatif a été inventé, il faut bien se rendre compte, à une époque où 80% des gens ne savaient pas lire ou écrire, à une époque où la radio, la télé et Internet n'existaient pas, et quand on prend le mot « démocratie », ça veut dire « le pouvoir aux gens. » On a énormément gagné en pouvoir d'agir individuel. Internet, ça change la manière qu'on a de s'informer, de communiquer, de travailler, de se former... Est-ce qu'on ne pourrait pas aujourd'hui gagner aussi en pouvoir de décider et d'agir collectivement ? Est-ce qu'on ne pourrait pas, au lieu de déléguer notre pouvoir de décision et d'action à une administration ou à des élus, reprendre une partie de ce pouvoir et avoir un autre rôle pour les élus et les administrations qui soit plus l'animation de ce pouvoir, qui soit plus l'encadrement de ce pouvoir mais qu'on le récupère nous-mêmes ? Est-ce qu'on ne pourrait pas écrire ensemble des nouvelles règles du jeu ? Ne plus penser à la Constitution au singulier mais la conjuguer dans tous les territoires, un peu comme des poupées gigognes, parce qu'à l'échelle du quartier, on a besoin de nouvelles règles du jeu. A l'échelle du bassin de vie aussi, à l'échelle de la région, à l'échelle de l'État-nation, à l'échelle du continent ou de la planète. Là aussi, on a des enjeux globaux qu'on a en face de nous et il faut qu'on ait des règles du jeu, une organisation qui nous permette de répondre à ces enjeux. Donc des constitutions complémentaires, qui aillent du local au global et qui soient écrites par les citoyens pour les citoyens. Et finalement, est-ce qu'on ne pourrait pas tous proposer un projet d'intérêt général sur les plateformes de répartition des services communs ? C'est-à-dire que, moi ou mon parti politique, si je suis dans un parti, ou mon association ou mon organisation, propose quelque chose en disant : « Ça, je pense que ça irait dans le sens de l'intérêt général et je suis d'accord pour l'animer. » Et qui est-ce qui déciderait si, oui ou pas, ça va dans le sens de l'intérêt général, ça pourrait être des jurys citoyens, des groupes de citoyens tirés au sort, formés, informés, qui peuvent aller voir des experts, débattre de manière contradictoire, et décider si, oui ou non, ça va dans le sens de l'intérêt général, parce que tout le monde est capable de situer l'intérêt général après en avoir débattu. C'est comme les jurys citoyens : tout le monde est capable de dire « coupable » ou « innocent » après en avoir débattu. Là aussi, il y a des exemples qui commencent à arriver. Je pense par exemple à des villes qui mettent en place des tableaux de bord qui permettent de piloter et de rendre transparent les politiques publiques. Et en fait, on voit la politique publique se faire au fur et à mesure. Aujourd'hui, on ne peut pas encore y participer, mais Internet change déjà la manière qu'ont les collectivités de gouverner. Je pense qu'il n'y a pas besoin d'attendre que les choses changent à l'échelle nationale ou mondiale pour agir. On peut déjà construire des nouvelles règles du jeu et les expérimenter. On peut déjà mettre en œuvre des nouveaux types de fonctionnement dans nos quartiers, dans nos villages, et c'est un peu dans ce sens-là que le collectif avec lequel j'agis, Démocratie Ouverte, est en train de proposer un programme qui s'appelle « Territoire hautement citoyen » et qui propose aux collectivités locales d'animer et d'expérimenter des transitions démocratiques locales. Durant tout mon tour de France, à chaque rencontre, j'ai demandé à celui qui m'accueillait de me dessiner le monde dans lequel il rêverait de vivre. Et vous ? Si vous deviez dessiner une société idéale, laquelle est-ce que vous dessineriez ? A quoi ça ressemblerait ? Après avoir passé six mois à poser inlassablement cette question, j'ai eu envie d'y répondre. C'est ça qui a inspiré cette anti-candidature présidentielle, c'est ça qui inspire le bouquin que je suis en train d'écrire, c'est ça qui inspire Démocratie Ouverte et le collectif dans lequel on travaille, et ce que je vous invite à faire ce soir, c'est à redonner ses lettres de noblesse à la politique. Parce qu'en fait, tous ces problèmes que notre société rencontre, dont on parle ce soir, ils viennent avant tout de la manière dont on s'organise pour vivre ensemble sur la planète. Autrement dit, c'est des problèmes qui sont profondément politiques, des problèmes de gouvernance et on constate que la société ne tourne pas rond. Là-dessus, on est d'accord, il y a des choses à changer mais quand on regarde de plus près, on se rend compte que le monde, il est déjà en train de se métamorphoser. Quand on prend une loupe, on regarde que les racines de ce nouveau monde, elles sont déjà là aujourd'hui. Ceux qui font le monde de demain, ils sont en train de porter des alternatives au modèle dominant. Il y en a sûrement beaucoup dans la salle. Il y en a un peu partout, en France et dans le monde. Alors ce soir, j'ai une chose à vous proposer : allons-y ! Lançons-nous ! Soyons du côté des solutions plutôt que d'être du côté de la dénonciation des problèmes. Arrêtons de tirer les sonnettes d'alarme ! Agissons concrètement dans nos vies et n'attendez pas 2017 pour devenir co-président de cette nouvelle société. Merci. (Applaudissements)