Bonjour, je m'appelle Liz et je suis architecte. Chaque fois que je dis que je suis architecte, une des premières questions qu'on me pose est de savoir si j'ai lu ou vu « La Source vive ». Et pour ceux d'entre vous - manifestement, c'est le cas de certains - pour ceux qui connaissent le livre ou le film et qui viennent de se poser cette question in petto, laissez-moi y répondre : oui, j'ai lu le livre et j'ai vu le film. Non, je n'ai pas vraiment aimé ni l'un ni l'autre. (Rires) (Applaudissements) Et cela aurait probablement dû être l'indication que j'allais sombrer dans une crise d'identité architecturale, ce qui m'amène à la deuxième question que l'on me pose souvent : « Quel genre de bâtiments concevez-vous ? » Et, depuis longtemps, c'est une question à laquelle il est difficile de répondre. Je m'embrouille toujours un peu et réponds : « Je conçois des centres communautaires. » Une grande part de mon travail est avec des communautés, donc c'est la vérité, et ces centres sont des bâtiments que les gens connaissent. Donc ils disent : « Ah oui ! Cool ! » Et puis on passe à autre chose. Mais en réalité, je ne conçois pas de centres communautaires. Et ce que je voulais essayer de faire ici, c'est de vous expliquer exactement ce que je fais. Je suis une architecte qui ne conçoit pas de bâtiments. Les choses que je conçois, les choses que je construis, sont en fait des opportunités d'impact. Là, vous vous posez probablement l'une des deux questions qu'à coup sûr, ma famille, mes amis et même mes professeurs d'architecture se sont posées plus d'une fois. La première : « Mais c'est quoi, concevoir des possibilités d'impact ? » C'est une bonne question. La seconde : « Quel genre d'architecte ne conçoit pas de bâtiments ? » Aussi une bonne question. Cette deuxième question est équivalente à : « Waouh, elle a vraiment fait un prêt de 68 000 € pour une prestigieuse école d'architecture et ne pas pratiquer l'architecture ? » J'essaie encore de répondre à cette question. Mais laissez-moi vous expliquer ce que signifie concevoir des opportunités d'impact. Cela signifie souvent que j'ai l'une de ces trois casquettes : celle de la citoyenne experte, celle de la conteuse, celle de la traductrice. « Experte citoyenne » est une expression que j'ai découverte il y a quelques années dans le livre « Spatial Agency », et elle résume si parfaitement une partie de mon travail que je l'utilise religieusement depuis. Comme moi, beaucoup dans cette salle sont, j'imagine, des citoyens experts. Nous avons été formés à un certain type d'expertise, moi en tant que designer. Ce que j'aime, c'est la combinaison avec « citoyen ». L'idée que nous restons des êtres humains en fin de compte. Nous avons des émotions, des idées, de l'intuition. Et l'idée d'expert signifie souvent que les gens pensent que nous regardons les choses de manière purement objective, presque scientifiquement. Mais il est important de se rappeler que lorsqu'on y ajoute cet élément humain, on crée une association vraiment riche. Beaucoup de communautés avec lesquelles je travaille sont vues comme telles. Que ce soit une communauté afro-américaine pauvre à San Francisco ou une communauté kényane à faibles revenus à Nairobi, ces personnes en sauront toujours plus que moi sur ce que c'est que de vivre là. Elles connaissent leurs besoins, leurs aspirations, leurs succès et leurs échecs. Et en tant que citoyenne experte, je dois créer les conditions pour qu'ils partagent ces connaissances. Parce que souvent, ils n'ont pas été encouragés à voir ces connaissances comme une expertise. J'essaie donc, autant que possible, de lancer une invitation pour qu'ils s'autorisent à le faire. L'histoire de Mama Sama en est l'exemple parfait. Elle et de nombreuses femmes du Sud sont confrontées à des problèmes de cuisson des aliments. La technologie traditionnelle est en fait un feu sur trois pierres. Et cela crée en fait beaucoup de problèmes, en matière de santé, à cause de l'inhalation de fumée, et d'écologie, à cause de la déforestation et de la pollution, et aussi de sécurité, lorsque les gens vont chercher du bois. Les fourneaux améliorés, comme celui-ci, existent depuis plus de 30 ans pour minimiser les inconvénients que j'ai évoqués. Beaucoup de gouvernements et d'ONG ont essayé d'augmenter rapidement l'adoption de ces fourneaux. d'ici 2020. L'an dernier, quand je travaillais pour ido.org, nous avons été engagés par la Global Alliance for Clean Cookstoves pour trouver un moyen de combler l'écart entre l'adoption du fourneau et le potentiel qu'il pourrait encore avoir. Nous avons donc passé trois semaines en Tanzanie, l'un des pays cibles. On a visité de nombreux foyers, parlé à de nombreux experts citoyens, dont Mama Sama. Et nous avons même cuisiné avec eux. Et on a constaté que de nombreuses femmes connaissaient le fourneau et en avaient compris les avantages. Le problème était que lorsqu'il s'agissait de cuisiner pour leur famille élargie, un seul fourneau ne suffisait pas. Si elles voulaient préparer l'ugali, un plat traditionnel, il était aussi difficile de le cuire sur un fourneau, que sur un feu de bois, voire plus difficile. Quant au coût du combustible, en particulier du charbon de bois, le coût mensuel était égal à dix fois le coût du fourneau seul. Dans ce cas, les avantages d'un fourneau ne suffisaient pas. On nous avait envoyés sur le terrain pour répondre à la question : « Comment utiliser le design pour accroître l'adoption du fourneau ? » Mais l'adoption n'était pas vraiment le problème. Beaucoup avaient un fourneau mais n'avaient simplement pas les moyens de l'utiliser souvent. Et si vous ne vous en servez pas souvent, vous n'en tirez pas profit. Donc, en prenant le temps d'écouter Mama Sama et les autres citoyens experts, en comprenant leurs besoins et leurs aspirations dans leur vie quotidienne, on a découvert que pour produire des solutions de design appropriées, on devait partir de cette question : « Comment concevoir pour l'utilisatrice et non pour le fourneau ? » Il ne s'agissait pas d'améliorer la technologie du fourneau, ni d'accroître l'accès au marché, mais de concevoir des choses qui répondaient réellement aux besoins des femmes elles-mêmes. Nous avons donc imaginé tout un tas de solutions différentes, allant d'outils pouvant être ajoutés au fourneau pour faciliter la cuisson à des initiatives d'économie de combustible, ce que l'Alliance n'avait jamais envisagé auparavant. Maintenant, je voudrais vous dire comment on peut être un conteur. Et pour cela, je vais vous raconter un peu l'histoire de Roberto. Lui et ses collègues sont beaucoup de choses : ce sont des artisans, des commerçants. Ils sont aussi des travailleurs journaliers. Ils font partie des 115 000 hommes et femmes qui, chaque jour, dans les villes américaines, cherchent un travail à la journée. Et la grande majorité des lieux où ils attendent sont informels, car ils ont été conçus pour d'autres usages. Ce sont les coins de rue, les stations d'essence, le parking des magasins de bricolage. Et généralement, sur place, les besoins humains les plus élémentaires ne sont pas satisfaits. Il n'y a pas d'abri, pas d'eau, pas de toilettes. Il y a quelques années, j'étais la directrice du design de l'ONG Public Architecture, et nous avons pensé que nous pouvions faire quelque chose à ce sujet. Mais aucun travailleur journalier n'allait entrer dans notre bureau et nous dire : « Bonjour, je m'appelle Roberto et j'ai un problème. J'aurais vraiment besoin de votre aide. » Nous avons donc dû aller à leur rencontre dans la rue. Nous les avons traités à la fois comme clients et comme co-concepteurs. Et le produit de ces conversations, plusieurs années de conversations, a abouti à ceci : la halte du travailleur journalier. C'est un prototype, une structure semi-permanente qu'on peut déployer sur un site d'embauche informel. Il est basé sur l'idée d'un kit qu'on peut reconfigurer pour répondre aux besoins du site. Ici, ce que vous voyez est un modèle assez grand - c'était une proposition pour un site à Los Angeles devant accueillir plus de 150 travailleurs. Les éléments sont toujours les mêmes : une zone pour s'asseoir, des modules pouvant accueillir des toilettes, un bureau pour un coordinateur de chantier ou même une cuisine pour permettre à un traiteur de contribuer à faire vivre le lieu. Son utilisation est flexible, allant d'un centre d'emploi à une salle de classe afin de donner des cours aux travailleurs. On me demande souvent si ce lieu n'aggrave pas la situation des gens comme Roberto. Mais ces lieux de recrutement existent depuis des années, voire des décennies. Dans la plupart des villes, quand on se promène, on ne voit pas de panneaux géants disant : « Travailleurs journaliers ici ! » Mais si vous demandez à quelqu'un, il vous dira : « Oh, oui. Allez là-bas et c'est là que vous les trouverez. » Le fait qu'il n'y ait rien sur place contredit le fait qu'ils sont en fait plutôt permanents. Je me souviens de Juan, un ouvrier que j'ai rencontré à Houston, lorsque nous envisagions d'en construire un là-bas. Il m'a dit : « Je viens sur ce site depuis de nombreuses années. C'est un endroit où je gagne ma vie. C'est un lieu sacré pour moi. Mais comme il n'y a rien ici, personne d'autre ne le voit. » Et donc pour Juan et les autres, le but de ce projet n'était pas de créer quelque chose qui attirerait l'attention sur eux, mais quelque chose qui soit emblématique de la permanence du site et qui puisse les aider à retrouver leur dignité. En termes de projet architectural, c'était plutôt un échec. Nous l'avons lancé juste avant la crise économique, et bien que j'aie parcouru le pays à l'invitation de villes qui étaient vraiment intéressées par cette innovation, au moment de la crise, comme on fermait des écoles et supprimait des services, il était politiquement intenable de dépenser de l'argent pour des clandestins. Mais cela nous a en fait obligés à analyser les autres résultats du projet. On n'a pas traité ce projet comme un exercice de design mais comme une opportunité de transformer la façon dont les gens voient un type d'espace et voient un type de personnes. Et à cette fin, on a essayé de raconter les histoires de Roberto, Juan, Gabriel, Leobardo et d'autres comme eux. On a essayé de raconter leur histoire et leur rêve américain, leur désir d'une vie meilleure ici pour eux-mêmes et leurs familles, de raconter l'histoire de leurs espaces sacrés, les endroits où ils gagnaient leur vie et qui soutenaient ce rêve. Et on a fait connaître cette histoire. Depuis le Los Angeles Times, jusqu'au musée du design Cooper-Hewitt et la Biennale de Venise. Vous voyez ici l'affiche d'un grand prix international que nous avons gagné avec ce projet. Sur l'affiche, il y a des citations tirées de courriels reçus au fil des ans dans le cadre de ce projet, des bons et aussi des très mauvais. Et ce qui nous a semblé vraiment important, c'est que cela a servi de catalyseur à une conversation. Personne ne parlait de ces sites avant, et en engageant la conversation, nous parlions de ce qu'ils sont maintenant et de ce qu'ils ont le potentiel d'être. Il était également important de raconter l'histoire non seulement au grand public, mais aussi aux travailleurs eux-mêmes. L'un de mes moments préférés sur ce projet fut ma présentation à une convention de travailleurs journaliers – hé oui, ça existe ! Je n'ai pas parlé longtemps, mais après, de nombreuses personnes sont venues me voir, et j'ai été vraiment touchée qu'elles aient été émues de voir sur grand écran quelque chose qui montrait qu'elles avaient été vues, qu'elles avaient été entendues et qu'elles avaient été valorisées. Et c'est le pouvoir du conteur. Quant à la casquette de traducteur, vous l'avez vue au cours des dix minutes de mon intervention. Il s'agit essentiellement de prendre les choses que j'entends, les histoires que je sais devoir raconter pour créer un impact, et de les combiner en quelque chose de tangible – un reflet de tout cela. Cela nous permet d'avancer sur n'importe quelle question sociale que j'essaie d'aborder. C'est donc ce que cela signifie de concevoir des opportunités d'impact : je suis une citoyenne experte qui crée un espace d'écoute des experts citoyens ; un conteur qui essaie de raconter les histoires vraies des personnes que je rencontre et avec qui je conçois ; un traducteur qui donne de la réalité à une vision des lieux et des services qui répondent aux besoins et aux aspirations de l'expérience humaine. J'espère donc que vous retirerez une chose de mon discours... en fait trois choses. La première : ne parlez jamais de « la Source vive » à un architecte. Nous ne l'aimons pas. La deuxième : j'espère que vous penserez à l'architecture et au design différemment : à ce qu'ils sont et à l'impact qu'ils peuvent avoir. Et troisièmement : les choses que je vous ai montrées parlent de la combinaison des compétences techniques du design et des qualités interpersonnelles de l'humanité. Mais ces qualités ne sont pas le domaine exclusif du design. Vous pouvez les utiliser vous-même dans ce que vous essayez de faire dans votre vie et dans votre métier. J'espère donc que vous commencerez aujourd'hui à essayer de comprendre comment le faire. Merci. (Applaudissements)