(Thierry Fischer) 23 journalistes, 5 graphistes,2 iconographes, 1 correctrice 1 comptable, 1 secrétaire, 3 employés du marketing. Jeudi dernier la Société des rédacteurs et du personnel de RIngier/Axel Springer a diffusé son communiqué, une information qui précise le nombre de collaborateurs congédiés après la décision de l'éditeur germano -suisse de supprimer la publication du magazine romand L'Hebdo. Michel Danthe, bonjour. (Michel Danthe) Bonjour, Thierry Fischer. (TF) Merci beaucoup d'être en direct dans Médialogues ce matin, (MD) Oui, il y a cette - on sort de trois longues semaines. Si vous me demandez comment je vais, je vous dirai que j'ai très mal dormi ces derniers temps. On va rassurer nos auditeurs: lorsqu'on a posé la même question à Ralph Büchi qui est notre directeur général, qui est rentré de ses vacances ensoleillées à Verbier mercredi pour nous annoncer la triste nouvelle avant un peu tout le monde, il nous a confié, lui, qu'il dormait très bien, il s'est un peu excusé d'être aussi bronzé, mais voilà: il nous a annoncé cette nouvelle et depuis je pense qu'il n'y a pas seulement l'équipe de négociation et l'équipe des-- la société des rédacteurs qui dort très mal, mais également toutes les personnes qui ont vu brutalement mettre fin à leur carrière professionnelle dans les journaux qu'ils ont aimés, dans les journaux qu'ils ont défendus dans les journaux qu'ils ont vraiment habité de leur présence, de leur plume, de leur intelligence. Ça fait quand même 36 personnes, 36 personnes qui sont touchées dans leur destin professionnel. Alors voilà, c'est effectivement une -- des semaines assez tristes. Ça arrive après une longue préparation, on va dire que nous avons un éditeur qui est un spécialiste de la cuisson lente et qui nous avait déjà laissé entendre en septembre de l'année dernière qu'il y allait avoir des choses. Ces choses, elles ont nourri ensuite, évidemment, l'anxiété des collaborateurs, l'anxiété de tous ceux et celles qui se battaient pour que L'Hebdo survive, pour que Le Temps, également, puisse défendre sa place dans ce paysage médiatique suisse romand. Donc de longs mois d'attente, de longs mois d'angoisse. Et puis, bien, cette angoisse et cette attente ont culminé, si j'ose dire, une première fois le 23 janvier, lorsqu'on est venu nous annoncer qu'il fallait faire l'économie de 37 postes. Après quoi notre éditeur s'est lancé dans une Blitzkrieg, un peu. C'est un peu les divisions Guderian qui débarquent sur la Pologne, si j'ose dire. Ils nous ont laissé 10 jours pour réagir à cet état de fait: 37 postes à économiser, à supprimer, 10 jours pour réfléchir, 10 jours pour constituer une équipe de négociaiton. 10 jours pour consulter, rendre notre avis et nos mesures alternatives d'économie. C'est ce qu'on a fait la semaine passée. En 5 jours la direction s'est prononcée sur ces mesures alternatives, elle les a toutes refusées et déclinées. Elles consistaient, pour mémoire, si les gens ne le savent pas, à envoyer à la retraite anticipée le cadre qui avait mené à une telle catastrophe, le directeur de Ringier Romandie et un des rédacteurs en chef de cette newsroom, de cette armée mexicaine qui a -- (TF) Daniel Pillard et Alain Jeannet, respectivement. (MD) Voilà, oui. Economiser également sur les locaux, parce qu'on a des locaux extrêmement bling-bling, des locaux qui sont un peu pour la montre, pour pouvoir exposer les oeuvres d'art de la collection Michael Ringier. Et donc, on proposait de se serrer un peu plus pour économiser de l'argent, de se serrer un peu plus pour sauver des postes. Tout cela a été refusé et aujourd'hui, on est devant ce désastre. (TF) Comment allez-vous -- c'est précisément la question que j'allais vous poser, vous m'avez devancé, Michel Danthe, on sent dans votre témoignage, et je vous remercie d'être venu dans notre studio ce matin, on sent évidemment dans votre témoignage qu'il est chargé. On va rentrer dans les détails de ce qui s'est déroulé durant les 3 semaines précédentes, juste avant ça. Evidemment, le public romand, les lecteurs romands ont croisé votre signature, inévitablement, parce que vous avez une longue expérience, vous faites partie des journalistes qui comptent en Suisse romande, vous êtes journaliste depuis près de 40 ans au sein de nombreuses rédactions romandes. Formation au Journal de Genève, aujourd'hui licencié de la rédaction du Temps, entre les deux et en vrac, Le Courrier, Le Nouveau Quotidien, vous avez été rédacteur en chef du Matin Dimanche -- (MD) Alors au Courrier, je n'ai jamais travaillé au Courrier, mais par contre à La Suisse, oui. (TF) Voilà, j'ai lu un de vos articles publié aujourd'hui sur le site du Courrier. (MD) Oui, ça, c'est quand j'étais au chômage, je -- parce que j'ai été au chômage dans ma vie et donc une fois, effectivement, j'ai écrit un article en freelance que, entre autres, Le Courrier, par syndication, a repris. Et donc aussi La Liberté, je crois. (TF) Voilà, ce qui -- (MD) Ce qui ne manque pas non plus d'ailleurs de piquant parce que je ne suis pas connu pour être un journaliste de gauche, je suis plutôt du camp, on va dire, opposé. (TF) Vous avez participé au lancement du Matin Bleu, pris aussi le train des nouvelles technologies, puisque vous vous êtes lancé dans une formation, vous avez été chef de la rubrique Opinions et débats au Temps: responsabilités donc diverses, on le voit, responsabilités rédactionnelles, responsabilités d'encadrement, aujourd'hui encore, président de la Société des rédacteurs et du personnel de Ringier / Axel Springer. Dans votre communiqué, vous n'y allez pas de main morte, vous parlez de carnage. (MD) Oui, c'est un carnage, parce qu'il faut savoir le carnage au Temps. D'abord, c'est un enterrement définitif de l'Hebdo, dont l'équipe rédactionnelle a été, j'allais dire, quasiment éradiquée à l'exception de son rédacteur en chef et de quelques autres rédacteurs qui travaillaient déjà en pool dans la rédaction du Temps. Mais ce qu'a fort bien communiqué de son point de vue, bien entendu, l'éditeur le 23 janvier, c'est que 37 postes disparaissaient, dû à la suppression de L'Hebdo. Ce sont de pures calembredaines, bien entendu. 37 postes disparaissent, mais on ne faisait pas L'Hebdo avec 37 personnes. On faisait L'Hebdo avec beaucoup moins de personnes. Où sont les autres? Hé bien les autres, elle sont dans la rédaction du Temps, rédaction du Temps qui aujourd'hui, est amputée d'un quart de ses effectifs. Il faut savoir que c'est la sixième restructuration depuis que Le Temps existe, que l'avant-dernière avait eu lieu en 2015 et qu'elle avait touché 15 personnes, que l'avant-avant-dernière avait eu lieu en 2012 et qu'elle avait touché une dizaine de personnes. Vous pouvez donc vous imaginer aujourd'hui quel est l'état, si vous voulez, de la rédaction de ce "quality paper" que l'éditeur aimait à qualifier auparavant de journal de référence - il n'utilise plus aujourd'hui ce "claim", comme on dit en anglais. On est évidemment, comme dit le cliché journalistique que je conseille à tous les jeunes journalistes d'éviter lorsqu'ils font des titres, mais on va le réutiliser aujourd'hui. Quand on est très ému, c'est les clichés qui viennent à la bouche: on est évidemment sous le choc, atterrés et fort en colère. C'est 25% de l'effectif du Temps qui aujourd'hui, en plus de la suppression de L'Hebdo, disparaissent. C'est vous dire qu'à partir de lundi, à partir des mois qui viennent, c'est d'un autre Temps dont on devra parler. (TF) Qu'est-ce qui vous met le plus en colère? (MD) Mais ce qui me met le plus en colère, c'est que on ait été menés, si vous voulez, dans cette, dans ce désastre par des gens qui, aujourd'hui, n'ont plus l'énergie de se battre -- (TF) Mais les titres, il faut bien les rentabiliser, Michel Danthe! (MD) Bien sûr qu'il faut rentabiliser les titres. Mais pour rentabiliser les titres, il ne faut pas mettre à leur direction générale des gens qui attendent leur retraite anti... qui attendent leur retraite et sauver leurs fesses, et qui n'ont plus aucune énergie ni aucune niaque pour essayer de défendre cette affaire! (TF) Vous avez été trahis? (MD) J'ai le sentiment, en tout cas l'équipe a sans doute le sentiment -- je ne veux pas parler pour elle, mais si je peux interpréter son sentiment, d'avoir étés effectivement trahis. Il faut savoir que lorsque Le Temps a été repris par Ringier, il y avait des propositions alternatives, des propositions, par exemple, d'un groupe d'investisseurs qui étaient prêts à s'engager pour Le Temps, des propositions de son management pour racheter le titre et pour le défendre dans des petites structures adaptées à la Suisse romande. On a été repris par un mastodonte qui a ensuite été se mettre en bouche avec un mastodonte encore plus grand. Nous sommes une espèce de petite entité suisse romande qui ne fait aucun sens dans un pareil, si vous voulez, cimetière de dinosaures. Que voulez-vous que je vous dise? On ne peut avoir que de la colère lorsqu'on constate cela. (TF) Ce lieu commun dont on parle, à savoir -- (MD) Être sous le choc? (TF) l'arrogance alémanique, l'arrogance des centres de décision à l'égard d'un pays comme la Suisse romande, pour en arriver à supprimer l'Hebdo et à amputer la rédaction du Temps, c'est approprié? (MD) Écoutez, des gens disent l'arrogance, ce sont des gens qui défendent leur logique. Ce que je critique aujourd'hui, c'est le fait que connaissant leur logique, ils aient racheté, ils se soient emparés du Temps qui fonctionnait dans une toute autre logique. Alors, si vous voulez, si un mastodonte décide de racheter un tout petit, une toute petite entité qui aurait très bien pu se défendre, en Suisse Romande, avec des moyens appropriés, hé bien, j'ai de la peine à le comprendre. Alors, appelez ça de l'arrogance, appelez ça de l'inconscience, appelez ça du cynisme, moi, je n'ai pas de mot pour qualifier ça, j'hésite entre les trois, et ma colère est nourrie de ces trois qualificatifs. (TF) Michel Danthe, le journalisme, c'est votre vie. Qu’est-ce qui disparaît, aujourd'hui? (MD) Mais aujourd'hui disparaît une certaine idée qu'on pouvait se faire du journalisme. Je ne suis pas quelqu'un qui va vous dire: "C'était mieux avant." (TF) Mais pour vous, qu'est-ce qui disparaît? (MD) Disparaît, si vous voulez, une manière de faire du journalisme comme on a pu le faire jusque dans les années 2000, avant qu'interviennent massivement, si vous voulez, l'arrivée de l'internet et l'arrivée de la dé... si vous voulez, du fait qu'on peut parfaitement aujourd'hui, finan... on ne peut plus financer les journaux aujourd'hui comme on les a financés de 1848, l'arrivée d’Émile Girardin qui a inventé l'annonce pour pouvoir financer les journaux, de 1848 à peu près aux années 2000. On est dans un nouveau paradigme. Je ne vais pas nier ce nouveau paradigme, ce que je regrette, si vous voulez, c'est que les éditeurs aient si peu préparé leurs équipes, aient si peu éduqué leurs équipes à survire dans un monde qu'ils nous préparent aujourd'hui. Ils sont un peu, si vous me permettez l'expression, comme les généraux chinois qui, lorsqu'ils bâtissaient leur marine, n'apprenaient surtout pas aux marins à nager, parce qu'ils se disaient: "Comme ça ils vont se battre jusqu'au bout et quand le navire coulera, ils couleront avec." Voilà le sentiment que j'ai, si vous voulez, lorsque je regarde comment les éditeurs ont préparé leurs équipes: fort mal, avec beaucoup de mesquinerie, et ça, je le regrette infiniment. (TF) C'est le deuil d'un idéal? (MD) Bien sûr que c'est le deuil d'un idéal. Mais vous savez, c'est le deuil d'un idéal avec un sentiment raisonnable, et ce sentiment raisonnable et l'espoir que j'ai aujourd'hui, c'est que des titres comme Le Temps, des titres comparables à L'Hebdo, parce que comme dit Jacques Pillet, on ne va pas ressusciter un mort, mais que des titres comparables à L'Hebdo, des titres comme Le Temps puissent vivre demain de leurs propres ailes avec les moyens qui seront les leurs dans un paysage suisse romand où on n'aura pas besoin d'en référer à Berlin, à Zurich, pour savoir si on peut ou non engager des forces et engager son enthousiasme dans la bonne direction. (TF) Pendant trois semaines, vous avez été totalement investi, c'est trois semaines absolument douloureuses, depuis l'annonce de la suppression de la publication de L'Hebdo jusqu'à aujourd'hui, ce matin -- (MD) Oui, on est drainés, c'est le moins qu'on puisse dire. (TF) -- dans Médialogues, qu'est-ce qui a été le plus difficile, Michel Danthe? (MD) Écoutez, le plus difficile, pour moi, ça a été d'accompagner, je le dis avec une certaine forme d'émotion, accompagner des collègues qui, parce qu'on a accompagné certains de nos collègues licenciés, des gens qui ont pleuré, si vous voulez, qui ont pleuré un idéal qui disparaissait. Je suis très ému, donc, voilà. (TF) Michel Danthe, je vous remercie beaucoup de venir apporter de l'émotion en ce qui concerne le déroulement des faits qui se sont déroulés à l'intérieur de vos rédactions. On va, je crois que tout le monde a compris que ça a été des jours et des semaines difficiles, et Médialogues ne peut que témoigner sa solidarité en tout cas à l'égard des journalistes qui ont perdu leur travail. Je vous laisse poursuiver. (MD) On ne va pas finir sur une note, j'allais dire, presque sentimentale. Je pense qu'aujourd'hui, ce qu'il faut souhaiter, c'est que les équipes du Temps puissent reprendre leur destin en main et que tous les talents qui y restent, qui survivent, parce qu'il faut aussi penser à ceux qui restent et qui survivent, puissent aujourd'hui donner le meilleur d'eux-mêmes pour que ce journal survive. (TF) Qu’est-ce qui vous ferait plaisir, à l'avenir? (MD) Que je puisse lire Le Temps jusqu'à ma mort. (TF) Michel Danthe, vous avez une certaine autorité dans le métier, en raison même de votre expérience. On constate, mois après mois que certaines rédactions, nombreuses en Suisse romande, partent en déliquescence. On a préparé ensemble une partie de cet entretien et je vous avais proposé de dire: "Voilà, au regard de ce délitement des rédactions romandes et de ce qu'on considère comme essentiel pour la marche démocratique, la bonne marche de la démocratie, que faire, quelles solutions?" La semaine dernière, Géraldine Savary, conseillère aux États vaudoise, socialiste, disait: "Il faut changer la constitution." Fathi Derder, PLR, conseiller national, disait: "Il faut utiliser, pour le développement des nouveaux médias, il faut utiliser un budget favorable et qui soutient l'innovation." Vous avez la parole, vous avez quelque chose à proposer. Qu'est-ce que vous proposez? (MD) Moi, je pense qu'il faut qu'on redéfinisse, si vous voulez, à la fois le rôle des médias et leur financement, en faisant table rase du passé et en discutant, de manière non dogmatique et pragmatique. Tout le monde est persuadé aujourd'hui, y compris les gens qui nous gouvernent à Berlin et à Zurich que le journalisme et son financement tel qu'on l'a connu, son financement, son business model, si vous me permettez l'expression anglo-saxonne, ont vécu. Il faut trouver des nouvelles formes de financement, il faut trouver des nouvelles formes d'engagement financier pour pouvoir permettre à ce Quatrième Pouvoir d'exister. Et donc, aujourd'hui, je pense qu'il faut vraiment, de manière extrêmement non dogmatique, se mettre à table et discuter. Il y a des gens qui sont très effrayés lorsqu'on dit: "L’État pourrait subventionner les médias." Peut-être que l’État ne subventionnera pas des médias, mais l’État pourrait par exemple "subventionner" entre guillemets la formation des journalistes, si vous voulez. Actuellement, c'est une formation qui est bipartite, avec l'employeur l'employé, les gens ont toutes les peines du monde à trouver un stage etc. Peut-être que ça serait une forme, si vous voulez, de formation qui pourrait être fournie par l’État. On pourrait également imaginer qu'on puisse créer des fondations qui réuniraient un certain nombre de gens intéressés à avoir une presse de qualité en Suisse romande ou en Suisse, de manière à lui permettre de vivre. Je pense que vraiment, aujourd'hui, de manière pragmatique, non dogmatique, non clivée idéologiquement, avec toujours les mêmes slogans -- (TF) Mais vous demandez quoi, finalement? Concrètement, c'est quoi? Un engagement beaucoup plus fort de la part des politiques, parce que pour le moment, beaucoup de déclarations d'intention, notamment Pascal Broulis et Monsieur Maillard témoignent leur empathie, mais en ce qui concerne les solutions, il n'y en a pas beaucoup. Donc finalement, qu'est-ce que vous demandez, qu'est-ce que vous demandez d'une manière très concrète? Une mobilisation généralisée des politiciens? (MD) Mais par exemple, qu'on investisse et qu'on utilise de manière pragmatique beaucoup plus d'argent pour assurer la métamorphose numérique de toute cette profession. Assurer l'enseignement ou si vous voulez, la formation de tous ces journalistes qui, aujourd'hui, ne se rendent pas encore compte que leur métier va changer de fond en comble. Ça serait déjà une immense chose, une sensibilisation à ce niveau-là, et puis ensuite, proposer des moyens de financement avec peut-être une fiscalisation un tout petit peu plus favorable, de manière à ce que des fondations, de manière à ce que des investisseurs, en ayant évidemment établi le Chinese Wall, c'est-à-dire le mur qui leur interdira de prendre de l'influence, si vous voulez, politique ou idéologique sur les journaux qu'ils financeraient via ces fondations, que ces choses-là puissent émerger, exister, et voilà: c'est ça que je demande. C'est qu'on redéfinisse maintenant de fond en comble le business model et le financement de cette presse Quatrième Pouvoir. Aujourd'hui, on peut plus penser comme hier. (TF) L'enjeu, c'est lequel? C'est corporatiste? (MD) Mais ce n'est pas du tout un enjeu corporatiste! C'est un enjeu démocratique et citoyen. Si vous n'avez plus, aujourd'hui et demain, une presse qui peut faire contre-pouvoir à tout ce que l'on voit. On a beaucoup parlé aujourd'hui, par exemple, beaucoup de mes collègues m'ont dit: "C'est quand même incroyable de penser qu'on décime aujourd'hui un journal qui s'était engagé dans la voie des quality papers etc., le jour où arrive au pouvoir Donald Trump et ses fake news, arrivera peut-être au pouvoir Marine Le Pen, arrive... etc. C'est quand même très paradoxal de penser que ces choses-là arrivent au même moment." Donc, il faut repenser à nouveaux frais ce financement, afin de permettre à cette presse-là de subsister dans l'avenir. Elle ne peut pas, à mon avis, subsister dans des grands groupes qui ont des objectifs de rentabilité tout à fait fantaisistes par rapport à ce que peut aujourd'hui, in se per se, rapporter l'information. Aujourd'hui, vous faites votre blé avec les petites annonces, vous faites votre blé avec les petites annonces érotques, vous faites votre blé avec les petites annonces d'autos, etc. Les éditeurs n'ont plus besoin d'accoler à ces produits-là des contenus journalistiques. Ils l'ont parfaitement compris et ils désinvestissent dans ce domaine. Il faut donc séparer maintenant, si vous voulez, la fonction informative de ces grands groupes de presse qui, de toute façon, n'y voient plus clair. (TF) Pourquoi ne pas avoir lancé ce cri d'alarme plus tôt, Michel Danthe? Avec la conviction que vous témoignez ce matin? (MD) Thierry Fischer, il n'est jamais trop tard pour voir en face de soi la triste réalité. Nous avons été sans doute aveuglés, nous avons sans doute effectivement été aveuglés par le confort dans lequel nous étions, nous avons sans doute été aveuglés par les succès qu'on a pu avoir. Vous savez, quand on a eu du succès dans un certain nombre de domaines de par le passé -- moi, j'ai été rédacteur en chef d'un journal dont le principal souci -- c'était Le Matin Dimanche à la belle époque -- c'était de créer des contenus rédactionnels parce qu'on n'arrivait pas à absorber toutes les publicités qui nous sautaient contre. Vous voyez, donc j'avais un éditeur qui m'avait dit: "Écoutez, Michel Danthe, démerdez-vous, faites des cahiers en plus parce qu'on a tellement de publicité qu'on ne sait plus où la mettre." Quand on a été nourri dans cet univers-là, hé bien le retour à la réalité d'aujourd'hui est difficile. Je bats ma coulpe, je bats vraiment ma coulpe, mais voilà: aujourd'hui, on commence à y voir très clair, et c'est là -- donc notre cri a deux fois plus de profondeur. (TF) Michel Danthe, président de la Société des rédacteurs et du personnel de RIngier / Axel Springer, lundi commence un dernier volet, on va conclure avec ça, c'est la discussion autour des plans sociaux, car de nombreux journalistes sont licenciés, il n'en restera plus que 16 dans la rédaction du Temps -- (MD) Non, il n'en restera pas plus que 16 dans la rédaction du Temps, il en restera un certain nombre, mais -- (TF) 16 journalistes (MD) Non, 25 journalistes, il ne va pas rester 16 journalistes, il va en rester quand même un peu plus. (TF) Oui, le Temps perd 16 journalistes. (MD) Oui, le temps a 78 journalistes mais il en perd environ... (TF) un tiers, (MD) 20.... 16, 16. On parle de journalistes-journalistes, on n'a pas compté les graphistes, on n'a pas compté les iconos,. Oui, hé bien il va y avoir évidemment la redéfinition du projet du Temps, Thierry Fischer, qui va se faire lundi, et puis il y a négociation du plan social. Alors effectivement, la négociation du plan social, on a commencé à la faire mercredi, en ouvrant ce que l'on appelle, en termes militaires, c'est l'ancien officier qui parle, un tir d'artillerie sur ... une préparation d'artillerie sur nos éditeurs, afin qu'ils soient un tout petit peu plus généreux que ce qu'ils ont compté être aujourd'hui afin que ces 36 licenciés puissent, dans un marché du travail en déliquescence et en décomposition, aller, aux âges qu'ils ont, parce que ce n'est pas des petits jeunes qu'on a licenciés, c'est en majorité des gens qui ont entre la cinquantaine et 61, 62 et même 64 ans, que ces gens là puissent partir dignement et avec un package qui soit un package honorable, fair play et à la mesure du carnage qui a été opéré. (TF) Michel Danthe, on va conclure avec cette question en guise de point final: Je suppose votre réponse, mais je vous la pose quand même: Faut-il laisser aux seuls éditeurs le soin d'avoir le droit de vie ou de mort sur des publications que l'on considère indispensables pour la démocratie? (MD) Bien sûr que non, moi je suis pleinement de l'avis de Klaus Schwab, ça va surprendre tout le monde, mais il a développé la théorie des stakeholders, les parties prenantes. L'éditeur n'est qu'une partie prenante, les autres parties prenantes, ce sont les citoyens, les lecteurs, les journalistes, les gens qui vivent de cette information, et il n'y a pas que les journalistes qui vivent de cette information, il y a également les lecteurs, il y a également les politiciens. Et je pense que c'est à ces gens là, à ces stakeholders là, aujourd'hui, de prendre leur destin en main. (TF) MIchel Danthe, journaliste d'expérience, depuis près de 40 ans dans le journalisme, dans de nombreuses rédactions de Suisse romande, aujourd'hui licencié du groupe Ringier / Axel Springer et surtout encore président de la Société des rédacteurs et du personnel de Ringier / Axel Springer, Médialogues vous souhaite pleine réussite dans votre toute prochaine négociation, Médialogues vous remercie également d'être venu en direct pour témoigner de votre passion, de votre idéal. (MD) Merci, Thierry Fischer. (Jingle) Médialogues.