(Thierry Fischer) 23 journalistes,
5 graphistes,2 iconographes, 1 correctrice
1 comptable, 1 secrétaire,
3 employés du marketing.
Jeudi dernier la société des rédacteurs
et du personnel de RIngier/Axel Springer
a diffusé son communiqué,
une information qui précise le nombre
de collaborateurs congédiés
après la décision de l'éditeur germano
-suisse de supprimer la publication
du magazine romand L'Hebdo.
Michel Danthe, bonour.
(Michel Danthe) Bonjour, Thierry Fischer.
(TF) Merci beaucoup d'être en direct
dans Médialogues ce matin,
(MD) Oui, il y a cette - on sort
de trois longues semaines.
Si vous me demandez comment je vais,
je vous dirai que j'ai très mal dormi
ces derniers temps.
On va rassurer nos auditeurs:
lorsqu'on a posé la même question
à Ralph Büchi qui est notre
directeur général, qui est rentré
de ses vacances ensoleillées ensoleillées
à Verbier mercredi pour nous annoncer
la triste nouvelle avant un peu
tout le monde,
il nous a confié, lui,
qu'il dormait très bien,
il s'est un peu excusé d'être
aussi bronzé, mais voilà:
il nous a annoncé cette nouvelle et depuis
je pense qu'il n'y a pas seulement
l'équipe de négociation et l'équipe des--
la société des rédacteurs
qui dort très mal, mais également
toutes les personnes qui ont vu
brutalement mettre fin
à leur carrière professionnelle
dans les journaux qu'ils ont aimés,
dans les journaux qu'ils ont défendus
dans les journaux qu'ils ont vraiment
habité de leur présence, de leur plume,
de leur intelligence.
Ça fait quand même 36 personnes,
36 personnes qui sont touchées dans
leur destin professionnel.
Alors voilà, c'est effectivement une --
des semaines assez tristes.
Ça arrive après une longue préparation,
on va dire que nous avons un éditeur
qui est un spécialiste
de la cuisson lente
et qui nous avait déjà laissé entendre
en septembre de l'année dernière
qu'il y allait avoir des choses.
Ces choses, elles ont nourri ensuite,
évidemment, l'anxiété des collaborateurs,
l'anxiété de tous ceux et celles
qui se battaient pour que L'Hebdo survive,
pour que Le Temps, également,
puisse défendre sa place
dans ce paysage médiatique suisse romand.
Donc de longs mois d'attente,
de longs mois d'angoisse.
Et puis, bien, cette angoisse
et cette attente ont culminé,
si j'ose dire, une première fois
le 23 janvier,
lorsqu'on est venu nous annoncer
qu'il fallait faire l'économie
de 37 postes.
Après quoi notre éditeur s'est lancé
dans une Blitzkrieg, un peu.
C'est un peu les divisions Guderian
qui débarquent sur la Pologne,
si j'ose dire.
Nous ont laissé 10 jours pour réagir
à cet état de fait:
37 postes à économiser, à supprimer,
10 jours pour réfléchir,
10 jours pour constituer
une équipe de négociaiton.
10 jours pour consulter, rendre notre avis
et nos mesures alternatives d'économie.
C'est ce qu'on a fait la semaine passée.
En 5 jours la direction s'est prononcée
sur ces mesures alternatives,
elle les a toutes refusées et déclinées.
Elles consistaient, pour mémoire,
si les gens ne le savent pas,
à envoyer à la retraite anticipée le cadre
qui avait mené à une telle catastrophe,
le directeur de Ringier Romandie et un
des rédacteurs en chef de cette newsroom,
de cette armée mexicaine qui a --
(TF) Daniel Pillard et Alain Jeannet,
respectivement.
(MD) Voilà, oui.
Economiser également sur les locaux,
parce qu'on a des locaux extrêmement
bling-bling,
des locaux qui sont un peu pour la montre,
pour pouvoir exposer les oeuvres d'art de
la collection Michael Ringier.
Et donc, on proposait de se serrer
un peu plus pour économiser de l'argent,
de se serrer un peu plus
pour sauver des postes.
Tout cela a été refusé et aujourd'hui,
on est devant ce désastre.
(TF) Comment allez-vous --
c'est précisément la question que j'allais
vous poser, vous m'avez devancé,
Michel Danthe, on sent
dans votre témoignage,
et je vous remercie d'être venu
dans notre studio ce matin,
on sent évidemment dans votre
témoignage qu'il est chargé.
On va rentrer dans les détails
de ce qui s'est déroulé
pendant les 3 semaines précédentes,
juste avant ça.
Evidemment, le public romand,
les lecteurs romands
ont croisé votre signature,
inévitablement,
parce que vous avez une longue expérience,
vous faites partie des journalistes
qui comptent en Suisse romande,
vous êtes journaliste depuis
près de 40 ans
au sein de nombreuses rédactions romandes.
Formation au Journal de Genève,
aujourd'hui licencié de la rédaction
du Temps,
entre les deux et en vrac, Le Courrier,
Le Nouveau Quotidien,
vous avez été rédacteur en chef
du Matin Dimanche --
(MD) Alors au Courrier, je n'ai jamais
travaillé au Courrier,
mais par contre à La Suisse, oui.
(TF) Voilà, j'ai lu un de vos articles
publié aujourd'hui sur le site du Courrier.
(MD) Oui, ça, c'était quand j'étais
au chômage, je --
parce que j'ai été au chômage dans ma vie
et donc une fois, effectivement,
j'ai écrit un article en freelance
que, entre autres, Le Courrier,
par syndication, a repris.
Et donc aussi La Liberté, je crois.
(TF) Voilà, ce qui --
(MD) Ce qui ne manque pas non plus
d'ailleurs de piquant
parce que je ne suis pas connu
pour être un journaliste de gauche,
je suis plutôt du camp, on va dire,
opposé.
(TF) Vous avez participé au lancement
du Matin Bleu,
pris aussi le train
des nouvelles technologies, puisque
vous vous êtes lancé dans une formation,
vous avez été chef de la rubrique
Opinions et débats au Temps:
responsabilités donc diverses, on le voit,
responsabilités rédactionnelles,
responsabilités d'encadrement,
aujourd'hui encore,
président de la Société des rédacteurs et
du personnel de Ringier / Axel Springer.
Dans votre communiqué,
vous n'y allez pas de main morte,
vous parlez de carnage.
(MD) Oui, c'est un carnage,
parce qu'il faut savoir
le carnage au Temps.
D'abord, c'est un enterrement définitif
de l'Hebdo,
dont l'équipe rédactionnelle a été,
j'allais dire, quasiment éradiquée
à l'exception de son rédacteur en chef
et de quelques autres rédacteurs
qui travaillaient déjà en pool
dans la rédaction du Temps.
Mais ce qu'a fort bien communiqué
de son point de vue, bien entendu,
l'éditeur le 23 janvier,
c'est que 37 postes disparaissaient,
dû à la suppression de L'Hebdo.
Ce sont de pures calembredaines,
bien entendu.
37 postes disparaissent, mais on ne
faisait pas L'Hebdo avec 37 personnes.
On faisait L'Hebdo
avec beaucoup moins de personnes.
Où sont les autres?
Hé bien les autres, elle sont
dans la rédaction du Temps,
rédaction du Temps qui aujourd'hui,
est amputée d'un quart de ses effectifs.
Il faut savoir que c'est la sixième
restructuration depuis que Le Temps existe,
que l'avant-dernière avait eu lieu en 2015
et qu'elle avait touché 15 personnes,
que l'avant-avant-dernière
avait eu lieu en 2012
et qu'elle avait touché
une dizaine de personnes.
Vous pouvez donc vous imaginer aujourd'hui
quel est l'état, si vous voulez,
de la rédaction de ce "quality paper" que
l'éditeur aimait à qualifier auparavant
de journal de référence - il n'utilise
plus aujourd'hui ce "claim",
comme on dit en anglais.
On est évidemment,
comme dit le cliché journalistique
que je conseille
à tous les jeunes journalistes d'éviter
lorsqu'ils font des titres, mais
on va le réutiliser aujourd'hui.
Quand on est très ému, c'est
les clichés qui viennent à la bouche:
on est évidemment sous le choc, atterrés,
fort en colère.
C'est 25% de l'effectif du Temps
qui aujourd'hui,
en plus de la suppression de L'Hebdo,
disparaissent.
C'est vous dire qu'à partir de lundi,
à partir des mois qui viennent,
c'est d'un autre Temps
dont on devra parler.
(TF) Qu'est-ce qui vous met
le plus en colère?
(MD) Mais ce qui me met
le plus en colère, c'est que
on ait été menés, si vous voulez,
dans cette, dans ce désastre
par des gens qui, aujourd'hui, n'ont plus
l'énergie de se battre --
(TF) Mais les titres, il faut bien
les rentabiliser, Michel Danthe!
(MD) Bien sûr qu'il faut
rentabiliser les titres.
Mais pour rentabiliser les titres,
il ne faut pas mettre
à leur direction générale des gens
qui attendent leur retraite anti...
qui attendent leur retraite et
sauver leurs fesses,
et qui n'ont plus aucune énergie
ni aucune niaque
pour essayer de défendre cette affaire!
(TF) Vous avez été trahis?
(MD) J'ai le sentiment, en tout cas
l'équipe a sans doute le sentiment --
je ne veux pas parler pour elle, mais
si je peux interpréter son sentiment,
d'avoir étés effectivement trahis.
Il faut savoir que lorsque Le Temps
a été repris par Ringier,
il y avait des propositions alternatives,
des propositions, par exemple,
d'un groupe d'investisseurs
qui étaient prêts à s'engager
pour Le Temps,
des propositions de son management
pour racheter le titre et pour le défendre
dans de petites structures
adaptées à la Suisse romande.
On a été repris par un mastodonte
qui a ensuite été se mettre en bouche
avec un mastodonte encore plus grand.
Nous sommes une espèce
de petite entité suisse romande
qui ne fait aucun sens dans un pareil,
si vous voulez, cimetière de dinosaures.
Que voulez-vous que je vous dise?
On ne peut avoir que de la colère
lorsqu'on constate cela.
(TF) Ce lieu commun dont on parle,
à savoir --
(MD) Être sous le choc?
(TF) l'arrogance alémanique,
l'arrogance des centres de décision
à l'égard d'un pays
comme la Suisse romande,
pour en arriver à supprimer l'Hebdo et
à amputer la rédaction du Temps,
c'est approprié?
(MD) Écoutez, des gens disent l'arrogance,
ce sont des gens
qui défendent leur logique.
Ce que je critique aujourd'hui, c'est
le fait que connaissant leur logique,
ils aient racheté,
ils se soient emparés du Temps
qui fonctionnait
dans une toute autre logique.
Alors, si vous voulez, si un mastodonte
décide de racheter un tout petit,
une toute petite entité qui aurait
très bien pu se défendre,
en Suisse Romande,
avec des moyens appropriés,
hé bien, j'ai de la peine à le comprendre.
Alors, appelez ça de l'arrogance,
appelez ça de l'inconscience,
appelez ça du cynisme,
moi, je n'ai pas de mot pour qualifier ça,
j'hésite entre les trois,
et ma colère est nourrie
de ces trois qualificatifs.
(TF) Michel Danthe, le journalisme,
c'est votre vie.
Qu’est-ce qui disparaît, aujourd'hui?
(MD) Mais aujourd'hui disparaît
une certaine idée
qu'on pouvait se faire du journalisme.
Je ne suis pas quelqu'un qui va vous dire:
"C'était mieux avant."
(TF) Mais pour vous,
qu'est-ce qui disparaît?
(MD) Disparaît, si vous voulez,
une manière de faire du journalisme
comme on a pu le faire jusque dans
les années 2000,
avant qu'interviennent massivement,
si vous voulez, l'arrivée de l'internet
et l'arrivée de la dé...
si vous voulez, du fait qu'on peut
parfaitement aujourd'hui, finan...
on ne peut plus financer les journaux
aujourd'hui comme on les a financés
de 1848, l'arrivée d’Émile Girardin
qui a inventé l'annonce
pour pouvoir financer les journaux,
de 1848 à peu près aux années 2000.
On est dans un nouveau paradigme.
Je ne vais pas nier ce nouveau paradigme,
ce que je regrette, si vous voulez,
c'est que les éditeurs aient si peu
préparé leurs équipes,
aient si peu éduqué leurs équipes
à survire dans un monde
qu'ils nous préparent aujourd'hui.
Ils sont un peu,
si vous me permettez l'expression,
comme les généraux chinois qui,
lorsqu'ils bâtissaient leur marine,
n'apprenaient surtout pas aux marins
à nager, parce qu'ils se disaient:
"Comme ça ils vont se battre jusqu'au bout
et quand le navire coulera,
ils couleront avec."
Voilà le sentiment que j'ai,
si vous voulez,
lorsque je regarde comment les éditeurs
ont préparé leurs équipes:
fort mal, avec beaucoup de mesquinerie,
et ça, je le regrette infiniment.
(TF) C'est le deuil d'un idéal?
(MD) Bien sûr que c'est
le deuil d'un idéal.
Mais vous savez, c'est le deuil d'un idéal
avec un sentiment raisonnable,
et ce sentiment raisonnable et
l'espoir que j'ai aujourd'hui,
c'est que des titres comme Le Temps,
des titres comparables à L'Hebdo,
parce que comme dit Jacques Pillet,
on ne va pas ressusciter un mort,
mais que des titres comparables à L'Hebdo,
des titres comme Le Temps
puissent vivre demain
de leurs propres ailes
avec les moyens qui seront les leurs
dans un paysage suisse romand
où on n'aura pas besoin d'en référer
à Berlin, à Zurich,
pour savoir si on peut ou non
engager des forces
et engager son enthousiasme
dans la bonne direction.
(TF) Pendant trois semaines, vous avez été
totalement investi,
ces trois semaines absolument douloureuses,
depuis l'annonce de la suppression
de la publication de L'Hebdo
jusqu'à aujourd'hui, ce matin --
(MD) Oui, on est drainés, c'est le moins
qu'on puisse dire.
(TF) -- dans Médialogues, qu'est-ce qui
a été le plus difficile, Michel Danthe?
(MD) Écoutez, le plus difficile, pour moi,
ça a été d'accompagner,
je le dis
avec une certaine forme d'émotion,
accompagner des collègues qui,
parce qu'on a accompagné
certains de nos collègues licenciés,
des gens qui ont pleuré, si vous voulez,
qui ont pleuré un idéal qui disparaissait.
Je suis très ému, donc, voilà.
(TF) Michel Danthe, je vous remercie
beaucoup de venir apporter de l'émotion
en ce qui concerne le déroulement
des faits qui se sont déroulés
à l'intérieur de vos rédactions.
On va, je crois que tout le monde
a compris que ça a été des jours
et des semaines difficiles, et
Médialogues ne peut que témoigner
sa solidarité en tout cas à l'égard des
journalistes qui ont perdu leur travail.
Je vous laisse poursuiver.
(MD) On ne va pas finir sur une note,
j'allais dire, presque sentimentale.
Je pense qu'aujourd'hui,
ce qu'il faut souhaiter,
c'est que les équipes du Temps
puissent reprendre leur destin en main
et que tous les talents qui y restent,
qui survivent,
parce qu'il faut aussi penser à ceux qui
restent et qui survivent,
puissent aujourd'hui
donner le meilleur d'eux-mêmes
pour que ce journal survive.
(TF) Qu’est-ce qui vous ferait plaisir,
à l'avenir?
(MD) Que je puisse lire Le Temps
jusqu'à ma mort.
(TF) Michel Danthe, vous avez
une certaine autorité dans le métier,
en raison même de votre expérience.
On constate, mois après mois que
certaines rédactions,
nombreuses en Suisse romande, partent
en déliquescence.
On a préparé ensemble une partie
de cet entretien
et je vous avais proposé de dire:
"Voilà, au regard de ce délitement des
rédactions romandes
et de ce qu'on considère comme essentiel
pour la marche démocratique,
la bonne marche de la démocratie,
que faire, quelles solutions?"
La semaine dernière, Géraldine Savary,
conseillère aux États vaudoise, socialiste,
disait: "Il faut changer la constitution."
Fathi Derder, PLR, conseiller national,
disait: "Il faut utiliser,
pour le développement des nouveaux médias,
il faut utiliser un budget favorable
et qui soutient l'innovation."
Vous avez la parole, vous avez
quelque chose à proposer.
Qu'est-ce que vous proposez?
(MD) Moi, je pense qu'il faut
qu'on redéfinisse, si vous voulez,
à la fois le rôle des médias
et leur financement,
en faisant table rase du passé
et en discutant,
de manière non dogmatique et pragmatique.
Tout le monde est persuadé aujourd'hui,
y compris les gens qui nous gouvernent
à Berlin et à Zurich
que le journalisme et son financement
tel qu'on l'a connu, son financement,
son business model, si vous me permettez
l'expression anglo-saxonne, ont vécu.
Il faut trouver des nouvelles formes
de financement,
il faut trouver des nouvelles formes
d'engagement financier
pour pouvoir permettre
à ce Quatrième Pouvoir d'exister.
Et donc, aujourd'hui, je pense
qu'il faut vraiment,
de manière extrêmement non dogmatique,
se mettre à table et discuter.
Il y a des gens qui sont très effrayés
lorsqu'on dit:
"L’État pourrait subventionner les médias."
Peut-être que l’État
ne subventionnera pas des médias,
mais l’État pourrait par exemple
"subventionner" entre guillemets
la formation des journalistes,
si vous voulez.
Actuellement, c'est une formation qui est
bipartite, avec l'employeur l'employé,
les gens ont toutes les peines du monde
à trouver un stage etc.
Peut-être que ça serait une forme,
si vous voulez,
de formation qui pourrait être fournie
par l’État.
On pourrait également imaginer
qu'on puisse créer des fondations
qui réuniraient un certain nombre de gens
intéressés à avoir une presse de qualité
en Suisse romande ou en Suisse,
de manière à lui permettre de vivre.
Je pense que vraiment, aujourd'hui,
de manière pragmatique, non dogmatique,
non clivée idéologiquement, avec toujours
les mêmes slogans --
(TF) Mais vous demandez quoi, finalement?
Concrètement, c'est quoi?
Un engagement beaucoup plus fort
de la part des politiques,
parce que pour le moment, beaucoup
de déclarations d'intention,
notamment Pascal Broulis
et Monsieur Maillard
témoignent leur empathie,
mais en ce qui concerne les solutions,
il n'y en a pas beaucoup.
Donc finalement,
qu'est-ce que vous demandez,
qu'est-ce que vous demandez
d'une manière très concrète?
Une mobilisation généralisée
des politiciens?
(MD) Mais par exemple, qu'on investisse
et qu'on utilise de manière pragmatique
beaucoup plus d'argent pour assurer
la métamorphose numérique
de toute cette profession.
Assurer l'enseignement ou si vous voulez,
la formation de tous ces journalistes
qui, aujourd'hui,
ne se rendent pas encore compte
que leur métier va changer
de fond en comble.
Ça serait déjà une immense chose,
une sensibilisation à ce niveau-là,
et puis ensuite, proposer
des moyens de financement
avec peut-être une fiscalisation
un tout petit peu plus favorable,
de manière à ce que des fondations,
de manière à ce que des investisseurs,
en ayant évidemment établi
le Chinese Wall, c'est-à-dire le mur
qui leur interdira de prendre
de l'influence, si vous voulez,
politique ou idéologique sur les journaux
qu'ils financeraient via ces fondations,
que ces choses-là puissent émerger,
exister, et voilà: c'est ça que je demande.
C'est qu'on redéfinisse maintenant
de fond en comble
le business model et le financement
de cette presse Quatrième Pouvoir.
Aujourd'hui, on peut plus penser
comme hier.
(TF) L'enjeu, c'est lequel?
C'est corporatiste?
(MD) Mais ce n'est pas du tout
un enjeu corporatiste!
C'est un enjeu démocratique et citoyen.
Si vous n'avez plus,
aujourd'hui et demain,
une presse qui peut faire contre-pouvoir
à tout ce que l'on voit.
On a beaucoup parlé aujourd'hui,
par exemple,
beaucoup de mes collègues m'ont dit:
"C'est quand même incroyable de penser
qu'on décime aujourd'hui un journal
qui s'était engagé dans la voie des
quality papers etc.,
le jour où arrive au pouvoir
Donald Trump et ses fake news,
arrivera peut-être au pouvoir
Marine Le Pen, arrive... etc.
C'est quand même très paradoxal de penser
que ces choses-là
arrivent au même moment."
Donc, il faut repenser à nouveaux frais
ce financement,
afin de permettre à cette presse-là
de subsister dans l'avenir.
Elle ne peut pas, à mon avis, subsister
dans des grands groupes
qui ont des objectifs de rentabilité
tout à fait fantaisistes par rapport
à ce que peut aujourd'hui, in se per se,
rapporter l'information.
Aujourd'hui, vous faites votre blé
avec les petites annonces,
vous faites votre blé avec
les petites annonces érotques,
vous faites votre blé avec
les petites annonces d'autos, etc.
Les éditeurs n'ont plus besoin d'accoler
à ces produits-là
des contenus journalistiques.
Ils l'ont parfaitement compris et
ils désinvestissent dans ce domaine.
Il faut donc séparer maintenant,
si vous voulez,
la fonction informative de ces
grands groupes de presse
qui, de toute façon,
n'y voient plus clair.
(TF) Pourquoi ne pas avoir lancé
ce cri d'alarme plus tôt, Michel Danthe?
Avec la conviction que vous témoignez
ce matin?
(MD) Thierry Fischer, il n'est jamais
trop tard pour voir en face de soi
la triste réalité.
Nous avons été sans doute aveuglés,
nous avons sans doute
effectivement été aveuglés
par le confort dans lequel nous étions,
nous avons sans doute été aveuglés par
les succès qu'on a pu avoir.
Vous savez, quand on a eu du succès
dans un certain nombre de domaines
de par le passé -- moi, j'ai été
rédacteur en chef d'un journal
dont le principal souci -- c'était
Le Matin Dimanche à la belle époque --
c'était de créer
des contenus rédactionnels
parce qu'on n'arrivait pas à absorber
toutes les publicités
qui nous sautaient contre.
Vous voyez, donc j'avais un éditeur
qui m'avait dit:
"Écoutez, Michel Danthe, démerdez-vous,
faites des cahiers en plus
parce qu'on a tellement de publicité
qu'on ne sait plus où la mettre."
Quand on a été nourri dans cet univers-là,
hé bien le retour à la réalité d'aujourd'hui
est difficile.
Je bats ma coulpe,
je bats vraiment ma coulpe,
mais voilà: aujourd'hui, on commence
à y voir très clair, et c'est là --
donc notre cri a deux fois plus
de profondeur.
(TF) Michel Danthe, président de
la Société des rédacteurs et du personnel
de RIngier / Axel Springer,
lundi commence un dernier volet,
on va conclure avec ça,
c'est la discussion autour
des plans sociaux,
car de nombreux journalistes
sont licenciés,
il n'en restera plus que 16
dans la rédaction du Temps --
(MD) Non, il n'en restera pas
plus que 16 dans la rédaction du Temps,
il en restera un certain nombre, mais --
(TF) 16 journaliste
(MD) Non, 25 journalistes,
il ne va pas rester 16 journalistes,
il va en rester quand même un peu plus.
(TF) Oui, le Temps perd 16 journalistes.
(MD) Oui, le temps a 78 journalistes
mais il en perd environ un tiers, 16.
On parle de journalistes-journalistes,
on n'a pas compté les graphistes,
on n'a pas compté les iconos,.
Oui, hé bien il va y avoir évidemment
la redéfinition du projet du Temps,
Thierry Fischer, qui va se faire lundi,
et puis il y a négociation du plan social.
Alors effectivement, la négociation
du plan social, on a commencé à le faire
mercredi, en ouvrant ce que l'on appelle,
en termes militaires,
c'est un ancien officier qui parle,
un tir d'artillerie sur ...
une préparation d'artillerie
sur nos éditeurs,
afin qu'ils soient
un tout petit peu plus généreux
que ce qu'ils ont compté être
aujourd'hui
afin que ces 36 licenciés puissent, dans
un marché du travail en déliquescence
et en décomposition, aller,
aux ages qu'ils ont,
parce que ce n'est pas des petits jeunes
qu'on a licenciés,
c'est en majorité des gens qui ont entre
la cinquantaine et 61, 62 et même 64 ans,
que ces gens là puissent partir dignement
et avec un package qui soit un package
honorable, fair play
et à la mesure du carnage
qui a été opéré.
(TF) Michel Danthe, on va conclure avec
cette question en guise de point final:
Je suppose votre réponse, mais
je vous la pose quand même:
Faut-il laisser aux seuls éditeurs le soin
d'avoir le droit de vie ou de mort
sur des publications que l'on considère
indispensables pour la démocratie?
(MD) Bien sûr que non, moi je suis
pleinement de l'avis de Klaus Schwab,
ça va surprendre tout le monde, mais il a
développé la théorie des stakeholders,
les parties prenantes.
L'éditeur n'est qu'une partie prenante,
les autres parties prenantes, ce sont
les citoyens, les lecteurs,
les journalistes,
les gens qui vivent de cette information,
et il n'y a pas que les journalistes
qui vivent de cette information,
il y a également les lecteurs,
il y a également les politiciens.
Et je pense que c'est à ces gens là,
à ces stakeholders là, aujourd'hui,
de prendre leur destin en main.
(TF) MIchel Danthe, journaliste
d'expérience, depuis près de 40 ans
dans le journalisme, dans de nombreuses
rédactions de Suisse romande,
aujourd'hui licencié du groupe
Ringier / Axel Springer et surtout
encore président de la Société
des rédacteurs et du personnel
de Ringier / Axel Springer,
Médialogues vous souhaite pleine réussite
dans votre toute prochaine négociation,
Médialogues vous remercie également
d'être venu en direct
pour témoigner de votre passion,
de votre idéal.
(MD) Merci, Thierry Fischer.
(Jingle) Médialogues.