[Claquement de porte]
[Un portable s'allume]
La boîte à outils numérique
de Lucas Blalock
Voici "Le fumeur"
À l'origine de cette photo, j'ai
voulu prendre en photo un fumeur.
Elle se rapproche de cette peinture
de Magritte de la fin des années 40.
Je devais exposer à Bruxelles,
et Magritte venait de Bruxelles.
Ca m'a l'air d'un lieu adapté pour
ce genre de, disons, jeu.
Lucas Blalock, Artiste
J'ai commencé à utiliser Photoshop
en licence.
Pour moi c'était un outil formel,
comme une alternative
à la chambre noire.
Pendant longtemps, je l'ai associé
aux effets spéciaux.
J'avais comme l'impression
que ça donnait plus d'espace, d'une
certaine façon, à la photo.
J'ai mis longtemps à arriver à comprendre
ce que je pourrais en faire.
Dans le livre de Bertold Brecht
sur le théâtre que je lisais à l'époque,
il dit qu'il faut faire surgir le travail
produit hors scène
(dans une pièce) sur scène.
J'ai commencé à penser à tout le
travail effectué que je cachais.
Sur Photoshop il y a plein de façons
de cacher ses techniques.
Et depuis quelque temps, j'avais envie
de faire l'inverse.
Il y a plein de choses qu'un
ordinateur peut faire sans vous,
et ces outils-là ne m'ont jamais
vraiment intéressé.
Par exemple, j'aime les fonctions
les plus stupides de Photoshop.
Et je les utilise de la façon la plus
directe.
[1. La gomme]
Une des règles de la photo semble
être
qu'une photographie doit être
homogène,
elle ne doit être qu'une chose.
En général, c'est une vue.
Moi, je voulais savoir comment ajouter
des couches de travail
sans perdre ce sens photographique.
Et l'idée de découpage était centrale.
[2. Le masque]
Commercialement, le masque permet
de sélectionner le ciel dans une photo,
et de le rendre plus sombre,
ou de sélectionner les yeux de quelqu'un,
et de les éclairer.
Le masque m'a permis de
révéler de nouvelles relations.
Par exemple, quand j'ai vu ce sac, j'ai
trouvé qu'il ressemblait
à un torse humain,
et quand j'ai pris cette photo,
c'est à ça que je pensais.
Quand j'ai obtenu le négatif, j'ai
cherché des façons
de renforcer cette analogie.
Un des outils que j'ai utilisés,
c'est la duplication,
[3. Le tampon de duplication]
qui s'utilise d'ordinaire pour
gommer les imperfections,
ou pour ôter un lampadaire
dans une rue.
Je crois que ce que j'aime beaucoup
dans cet outil,
c'est qu'il peut tout autant
ajouter que retrancher.
De sorte que si vous changez
quelque chose,
disons, si vous retirez un objet,
mais si vous le faites mal,
ça laisse une sorte de motif
dérangeant au fond.
Il y a une sorte d'inquiétude
sur la question suivante:
[4. Le pinceau]
"Pourquoi prendre encore une photo?"
"A quoi bon?"
"Tout a déjà été pris en photo."
J'avais commencé à réfléchir
à la photographie comme dessin,
comme façon de comprendre le monde
en le dessinant.
Et cet art me semble perpétuer
l'activité ancienne du dessin,
par exemple avec un crayon.
Quand j'ai commencé, je faisais
une sorte de parodie
des pratiques commerciales.
Car, en fait, c'étaient les seuls
à modifier
leurs photos de façon numérique.
Donc, j'utilise tous mes outils,
d'une façon très similaire.
Ils sont tous comme cette pelle,
vous voyez?
Une simple extension de l'index.
Comme nous sommes un peu
coincés dans l'espace,
Photoshop me permet d'entrer des lieux
autrement inaccessibles.
Pour moi, l'humour a toujours été
important dans mon travail,
car il me permet de faire
surgir les gens.
Il nous désarme, littéralement.
Buster Keaton par exemple,
ou le cinéma muet,
parvenaient extrêmement bien
à nous faire comprendre le cinéma.
Les gags de Buster Keaton nous font
entrer dans les films.
Pour moi l'humour est lié aux
relations humaines.
C'est une invitation à entrer en
contact avec les objets présentés,
et je pense que, de plus en plus,
plus le temps passe,
plus l'humour est lié à
cette sorte d'ambiguïté spatiale de la
photographie numérique,
et à la façon dont on la pense
maintenant.
Je crois en l'art parce que l'art
crée de nouveaux espaces.
L'esthétique est une sorte de
proto-pensée,
de penser avant de penser ces nouvelles
idées.
Même de la façon la plus
burlesque, ridicule,
l'esthétique est une façon
de déplier les possibles.