Vous rappelez-vous où vous étiez
le 12 juin 2016 ?
Certains peut-être. Mais je parie
que la majorité ne se souvient pas.
Le 12 juin 2014, un tireur solitaire est
entré dans la discothèque Pulse
et a tué 46 personnes.
C'est la fusillade la plus mortelle
causée par un seul homme
dans l'histoire des États-Unis.
Remontons le temps, 10 ans plus tôt.
Le 29 août 2005.
Vous rappelez-vous où vous étiez ?
Quelques-uns opinent dans la salle.
L'ouragan Katrina.
1 800 personnes ont perdu la vie
dans cette catastrophe naturelle,
la plus meurtrière
sur le continent nord-américain.
Remontons encore quelques années,
visons 100 % de mémoire.
Souvenez-vous où vous étiez
le 11 septembre 2001 ?
Tout le monde se souvient.
Les attentats du 11 septembre ont causé
la mort de 3 000 personnes.
Le pire attentat terroriste
de l'histoire des États-Unis.
Vous rappelez-vous votre ressenti ?
Vous sentiez-vous perdu ?
Effrayé ?
Vous êtes vous senti malade ?
Étiez-vous vulnérable ?
Chaque récurrence
nous rend moins sensible.
On voit souvent des informations
sur des fusillades,
des catastrophes naturelles à l'origine
de la perte de nombreuses vies,
ou des attentats terroristes.
On change de chaîne et on regarde
une émission plus sympa.
C'est la société dans laquelle nous vivons
et l'impact de ces événements traumatiques
reste important sur ceux
qui sont affectés directement.
L'impact de la douleur émotionnelle
dans notre société
n'a jamais été aussi problématique
qu'aujourd'hui.
Vous rappelez-vous
où vous étiez le 20 avril 1999 ?
Deux étudiants sont entrés
dans le lycée de Columbine,
armés de fusils, d'explosifs faits maison
et d'armes semi-automatiques.
Ils ont tué 12 étudiants et un professeur,
dans ce qui fut, à l'époque la pire
fusillade dans un lycée aux États-Unis.
Je me souviens où j'étais.
Je venais d'entrer dans la bibliothèque
avec mon meilleur ami
pour rejoindre d'autres potes
et aller déjeuner.
Peu après, un prof est accouru,
par les mêmes portes,
hurlant à tous de se cacher sous
les tables, un type armé était là.
Je me rappelle ce que j'ai ressenti.
J'étais perdu.
Effrayé.
Je me sentais malade.
Vulnérable.
Quelques instants après, sous une table,
je faisais semblant d'être mort,
à côté d'une mare de sang.
On venait de tirer sur moi,
et mon meilleur ami venait
de se faire tuer sous mes yeux,
alors que nous nous blottissions
en attendant de l'aide.
J'étais brisé.
J'étais en choc.
J'avais mal.
Mais ma compréhension
de la douleur ce jour-là
n'a rien à voir avec celle
que j'en ai maintenant.
Qu'est-ce qui vous vient à l'esprit
quand vous pensez à la douleur ?
Un bras cassé ? La migraine ?
Une entorse au poignet ?
Peut-être une blessure par balle ?
J'associais ces choses à la douleur.
Elles sont alignées avec la définition
médicale de la douleur :
une sensation déplaisante et variable
associée à une lésion
réelle ou probable des tissus,
et transmise au cerveau
par des fibres nerveuses précises
où son évaluation consciente peut
être modifiée selon divers facteurs.
Remarquez-vous des lacunes
dans cette définition ?
Avez-vous remarqué la mention
du composant émotionnel de la douleur ?
Moi non plus.
En 1996, la Société américaine
contre la Douleur a ajouté ceci :
« La douleur est le cinquième
signe de vie, »
et quand vous entrez
dans un service d'urgence,
le diagnostic initial est basé
sur cinq éléments :
pouls, température, pression artérielle,
fréquence respiratoire et douleur.
C'est l'accomplissement
d'un mouvement culturel
convaincu que la douleur
n'était pas assez traitée.
Des enquêtes auprès des patients
ont été menées pour déterminer
les résultats et l'efficacité
de cette nouvelle transposition.
Existe-t-il un meilleur moyen
de promouvoir ces nouvelles politiques
que de lier les indemnités des médecins
à la satisfaction des patients ?
Une étude récente de l'association
de la pratique médicale
dévoile que l'évaluation du bonus
de trois médecins sur 10
est fondée sur la satisfaction
des patients,
et que les assurances octroient
des paiements supérieurs
aux hôpitaux avec les meilleurs scores.
Évidemment, les administrateurs
et les médecins ont soutenu cette tendance
avec comme objectif de réduire
la douleur de tous les patients à zéro.
C'était le but.
Le dilemme éthique immédiat
fut le suivant :
« Faut-il administrer des narcotiques
pour garder mon patient heureux,
ou lui refuser, avec un impact
sur mon salaire,
les rentrées de l'hôpital,
pire, risquer une plainte pour traitement
insuffisant de la douleur,
ce qui pourrait mener
à la perte de mon emploi ? »
Je sais ce qu'est la douleur.
Moins d'une heure après avoir
rampé par la porte de service
de la bibliothèque du lycée de Columbine,
on m'a administré des substances
censées anesthésier
et soulager ma douleur.
J'avais 17 ans, et je n'avais jamais
bu de bière, ou fumé un joint,
encore moins des drogues dures.
Je n'avais aucune idée
de l'action de ces médicaments.
A 17 ans, je savais juste que
de nombreuses personnes très intelligentes
m'avaient prescrit des médicaments
censés me faire sentir mieux.
Et c'était le cas,
mais pas exactement
selon l'intention d'origine.
Le message que j'aimerais
que vous reteniez est celui-ci :
les opiacés sont profondément
plus efficaces
pour soulager les symptômes
de la douleur émotionnelle
que ceux de la douleur physique.
Je repense fréquemment
à ma douleur ce jour-là.
Si je devais l'évaluer sur une échelle,
ma douleur physique serait
au niveau trois ou quatre.
C'est la réponse que je donnais
quand on me le demandait.
Mais ma douleur émotionnelle était à 10.
J'étais à l'agonie
au-delà de toute raison.
Mais on ne m'a jamais posé la question.
On n'en a jamais parlé.
La douleur physique est relativement brève
alors que la douleur émotionnelle
est complexe et longue.
Ma douleur physique est passée
au bout de quelques jours.
Mais ma douleur émotionnelle
était aussi incapacitante
que si j'étais resté allongé
dans un lit d'hôpital,
alors j'ai continué les sédatifs
prescrits contre ma douleur.
J'étais accro avant même
de m'en apercevoir.
Une étude récente de la Société américaine
de la médecine de l'addiction
montre que 86 % des héroïnomanes
ont commencé avec des opiacés
sous prescription.
En 2012, il y a eu plus de 259 millions
de prescriptions d'opiacés
aux États-Unis.
Ça dépasse le volume nécessaire
pour donner à chaque américain adulte
une bouteille de sédatifs.
Très vite, j'ai commencé à soulager ma
douleur émotionnelle avec des médicaments,
et en l'espace de quelques mois,
je me suis tourné vers l'alcool,
la marijuana et des narcotiques interdits.
Il en a été ainsi, durant les 10 années
suivantes, de toutes les dépendances,
mon seuil de tolérance a monté,
ma vie a continué d'être ingérable,
et ma douleur émotionnelle
est restée sans solution.
J'avais juste poussé sur le bouton pause
de mon développement émotionnel.
Je gérais ma douleur du seul
moyen que je connaissais.
Et je n'étais pas le seul.
Je crois que la douleur émotionnelle est
à la source de l'épidémie de dépendances.
Pensez à quelqu'un que vous connaissez
qui combat son addiction.
Je parie que vous pouvez
déterminer un élément
de douleur émotionnelle ignorée
ou non résolue chez lui.
Pensez à un moment de détresse
émotionnelle personnelle
et à quoi vous étiez prêt pour l'enrayer.
Qu'auriez-vous fait si on vous avait
proposé une solution immédiate ?
Imaginez que vous vous cassiez
la jambe dans une avalanche.
Cette blessure en soi peut être
très traumatisante,
mais ça reste gérable.
Une gestion de la douleur à court terme
vous permettra de vous rétablir.
Imaginez avoir la même blessure,
mais cette fois, votre meilleur ami
skie à vos côtés
et il ne sort pas vivant de l'avalanche.
C'est super évident pour moi
que vous aurez besoin de deux stratégies
de gestion de la douleur
pour ce qui semble une seule
et même blessure physique.
Mais ça n'existe pas.
La douleur émotionnelle est
toxique et diffuse
mais la société nous a
programmés pour l'éviter.
Nous nous soignons avec l'alcool,
la drogue, le sexe et la pornographie,
même la télévision et la technologie.
Fréquemment, on le fait sans le savoir.
Notre société est littéralement
définie par cette douleur.
De plus en plus de personnes
meurent chaque mois
car elles recherchent le réconfort
de la seule manière qu'elles connaissent.
Elles sont programmées ainsi.
Tout le monde souffre. C'est inévitable.
Je peux expliquer comment
on en arrive là en deux mots.
Nous construisons une société remplie
de douleur et de traumatisme.
On combine ça au système
des soins de santé
prévu principalement pour soigner
les symptômes physiques.
On demande aux sociétés
pharmaceutiques de prendre le volant,
le profit dans le viseur et des règlements
si facilement manipulables.
On aboutit au cœur de ce que l'ancien
ministre de la santé a appelé
la pire crise de la santé
que la nation ait jamais connue.
C'était il y a deux ans.
La situation a empiré et ce qui était
une épidémie d'addiction
est maintenant évoquée en tant
que pandémie de dépendance.
Voici un aperçu de la situation
aujourd'hui.
Il y a un mois ,
le New York Times écrivait
que le taux de mortalité par overdose
a augmenté de 19% en 2016,
et les données préliminaires de 2017
montrent une aggravation de la tendance.
On a dépassé les pires années
de morts par armes à feu,
du SIDA et des accidents de la route.
Ces données sont épouvantables à mes yeux.
Il y a encore des gens dans la société
qui repoussent ça d'un revers de la main,
sous prétexte qu'il ne s'agit
que d'une poignée de junkies.
Je suis ici pour vous dire
que ce n'est pas le cas.
Ce sont des pères, des mères,
des frères, des sœurs,
des enfants, qui ne sont parfois
même pas des adolescents.
Ce sont des gens comme vous et moi,
qui essaient de gérer comme ils peuvent,
et ils meurent par milliers tous les mois
à un taux qui s'accélère.
La dépendance est la seule maladie
pour laquelle nous attendons
les niveaux les plus hauts
d'incidence avant d'agir.
Mais alors, c'est souvent trop tard.
Nous devons commencer à agir plus tôt.
Nous devons mettre en œuvre
des interventions précoces.
Nous devons enseigner à notre jeunesse
des méthodes pragmatiques.
Arrêtons de penser que les gens
peuvent être désintoxiqués en 30 jours.
Nous devons améliorer l'accès
aux traitements à long terme.
Éliminons les stigmates associés
aux dépendances.
Nous devons réformer notre système
dysfonctionnel de soins de santé
qui a du mal à accepter
le fait qu'il est responsable
de cette pandémie.
(Applaudissement) (Encouragements)
J'ai eu besoin de plus de 10 ans
de dépendance et de guérisons
avant d'apprendre la différence
entre se sentir mieux
et être réellement mieux.
Car j'ai dû apprendre
à apprivoiser la douleur.
J'ai dû abandonner ma recherche
d'un soulagement rapide.
J'ai dû traverser le parcours
émotionnel indispensable
quelle que soit ma douleur.
Après de nombreuses tentatives
de traitements à court terme,
j'ai finalement trouvé la volonté
de faire tout ce qu'il fallait,
et j'ai reçu des soins continus
pendant 14 mois consécutifs
pour comprendre ce que ça signifiait.
J'ai traversé des stades de deuil
que j'aurais dû traverser
à 17 ans, mais pas à 29 ans.
Mais j'ai refusé de continuer ainsi,
et ça a marché.
(Applaudissements)
Heureusement pour nous, le développement
post-traumatique est possible.
Vous en êtes témoins aujourd'hui.
Le développement
post-traumatique est défini
comme le changement positif
chez une personne
après qu'elle a vécu
un événement traumatique.
Ça implique qu'en trouvant des manières
de subir une souffrance significative
notre personnalité peut trouver
un développement qui fait sens
et s'élever à un niveau
supérieur de conscience.
Mais pour y arriver,
il faut apprivoiser sa douleur.
On ne peut pas l'éviter,
ni la traiter avec des médicaments.
Voici votre défi personnel.
Évaluez votre niveau actuel
de douleur émotionnelle.
Avez-vous des peines ou des migraines
que vous ne traitez pas ?
Y a-t-il des événements traumatiques dans
votre vie dont vous n'êtes pas guéri ?
Si c'est le cas, faites le premier pas
pour gérer cette douleur.
Appelez un ami, un psychologue,
parlez de votre vérité à un étranger.
Faites un petit pas pour illuminer
cette obscurité
car je suis le témoin de
ce que l'obscurité peut faire.
Je l'ai rencontrée
dans des chambres d'hôpital
quand juste un de plus
n'a pas eu l'effet espéré.
Je l'ai rencontrée en prison
où de gens naissent intoxiqués
et n'ont aucune chance
d'apprendre autre chose.
Je l'ai rencontrée
aux funérailles d'enfants
morts avant qu'ils n'aient eu
la moindre chance de vivre.
Je l'ai rencontrée sous une table,
dans la bibliothèque de mon lycée.
Je voudrais vous laisser le message
que j'aurais aimé savoir à 17 ans.
Qui que vous soyez,
quoi que vous traversiez,
quelle que soit votre manière
de gérer ça, sachez que,
pour guérir, vous devez ressentir.
On ne va pas trouver une solution rapide
à la pandémie de dépendance.
Mais nous serons sur le bon chemin
quand on commencera à comprendre
la différence entre la douleur
physique et émotionnelle
et qu'on choisira d'agir à ce sujet.
En centre de désintoxication,
on dit souvent que pour conserver
ce qu'on a, on doit le lâcher.
Trouvez le courage
d'apprivoiser votre douleur
et vous pourrez épauler les autres.
Merci.
(Applaudissements)